Complainte du verbe Être, de Jean Tardieu (20/06/2010)

Je serai je ne serai plus je serai ce caillou
toi tu seras moi je serai je ne serai plus
quand tu ne seras plus tu seras
ce caillou

Quand tu seras ce caillou c’est déjà
comme si tu étais n’étais plus
j’aurai perdu tu as perdu j’ai perdu
d’avance. Je suis déjà déjà
cette pierre trouée qui n’entend pas
qui ne voit pas ne bouge plus.

 Bientôt hier demain tout de suite
déjà je suis j’étais je serai
cet objet trouvé inerte oublié
sous les décombres ou dans le feu ou l’herbe froide
ou dans la flaque d’eau, pierre poreuse
qui simule un murmure ou siffle et qui se tait.

Par l’eau par l’ombre et par le soleil submergé
objet sans yeux sans lèvres noir sur blanc
(l’œil mi-clos pour faire rire
ou une seule dent pour faire peur)
j’étais je serai je suis déjà
la pierre solitaire oubliée là
le mot le seul sans fin toujours le même ressassé.

 Jean Tardieu, Comme ceci comme cela, Gallimard, 1979, p. 45-46.

07:08 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, couleurs, jean tardieu, noir et blanc |  Facebook |  Imprimer | | Pin it! |