Le beau hêtre, Eduard Mörike (19/12/2014)

 

 

t T. C. Steele he-brook-in-the-woods-1889.jpg

TC Steele, 1889, 45.72 x 72.39 cm

 

 

Caché au cœur de la forêt je connais un endroit où se dresse
  Un hêtre, tel qu’en peinture on n’en peut voir de plus beau.
Lisse et clair, d’un seul trait pur il s’élève, solitaire,
  Et nul de ses voisins ne touche à sa parure soyeuse.
Tout autour, si loin que cet arbre imposant étende sa ramure,
  La pelouse verdit, afin de rafraîchir l’œil en silence.
De tous côtés également elle ceint le tronc qui en forme le centre :
  La Nature elle-même, sans art, a tracé ce cercle adorable.
Des taillis délicats font une première enceinte, puis ce sont les hauts fûts
  D’une foule d’arbres serrés qui tiennent éloigné le bleu du ciel.
Près de la sombre épaisseur du chêne, le bouleau berce
  Sa tête virginale timidement dans la lumière dorée.
Là seulement où, jonché de roches, le raidillon dévale vers l’abîme,
  La clairière me laisse deviner l’étendue des champs.
Quand, dernièrement, solitaire, séduit par les visions nouvelles de l’été
  Je quittai le chemin et vins me perdre là dans les taillis,
Ce fut un esprit amical à l’oreille toujours aux aguets, la divinité de ce bois,
  Qui soudain m’introduisit ici pour la première fois, moi l’étonné.
Quelles délices ! C’était aux environs de l’heure haute de Midi :
  Tout se taisait. Même l’oiseau dans le feuillage restait silencieux.
Et j’hésitais encore à poser le pied sur ce tapis plein de grâce ;
  Avec solennité il accueillit mon pas, moi qui ne le foulais que sans bruit.
Puis, une fois adossé au tronc (qui ne porte pas trop haut
  Sa large voûte), je laissai mes regards vaguer à la ronde,
Là où les rayons enflammés du soleil traçaient une frange aveuglante,
  Presque parfaitement régulière, tout autour du cercle ombragé.
Et je restai là, sans broncher ; au plus intime de moi-même tout mon être
  Épiait le démon du silence, toute cette insondable paix.
Enfermé avec toi dans le prodige de cette ceinture solaire,
  Je ne sentais que toi, ô Solitude, à toi seule allaient mes pensées.

(1842)

 

Eduard Mörike, "Chant de Weyla et autres poèmes", traduit de l’allemand et présenté par Jean-Yves Masson, La Différence, collection Orphée 2012



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