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18/03/2015

Dans la forêt, de Germain Nouveau

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 Ohara Koson

 

Dans la forêt étrange c’est la nuit ;
C’est comme un noir silence qui bruit ;

Dans la forêt, ici blanche et là brune,
En pleurs de lait filtre le clair de lune.

Un vent d’été, qui souffle on ne sait d’où,
Erre en rêvant comme une âme de fou ;

Et, sous des yeux d’étoile épanouie,
La forêt chante avec un bruit de pluie.

Parfois il vient des gémissements doux
Des lointains bleus pleins d’oiseaux et de loups ;

Il vient aussi des senteurs de repaires ;
C’est l’heure froide où dorment les vipères,

L’heure où l’amour s’épeure au fond du nid
Où s’élabore en secret l’aconit ;

Où l’être qui garde une chère offense,
Se sentant seul et loin des hommes, pense.

- Pourtant la lune est bonne dans le ciel
Qui verse, avec un sourire de miel,

Son âme calme et ses pâleurs amies
Au troupeau roux des roches endormies.

Pièce parue à la Renaissance, le 14 septembre 1873.
 

28/02/2015

En forêt, de Germain Nouveau

  

Paul Klee tropical-twilight-1921(1).jpg

Paul Klee, Tropische Dämmerung, 33.5 x 23 cm, 1921

 

 

Dans la forêt étrange, c'est la nuit ; 

C'est comme un noir silence qui bruit ; 

  

Dans la forêt, ici blanche et là brune, 

En pleurs de lait filtre le clair de lune. 

  

Un vent d'été, qui souffle on ne sait d'où, 

Erre en rêvant comme une âme de fou ; 

  

Et, sous des yeux d'étoile épanouie, 

La forêt chante avec un bruit de pluie. 

  

Parfois il vient des gémissements doux 

Des lointains bleus pleins d'oiseaux et de loups ; 

  

Il vient aussi des senteurs de repaires ; 

C'est l'heure froide où dorment les vipères, 

  

L'heure où l'amour s'épeure au fond du nid, 

Où s'élabore en secret l'aconit ; 

  

Où l'être qui garde une chère offense, 

Se sentant seul et loin des hommes, pense. 

  

— Pourtant la lune est bonne dans le ciel, 

Qui verse, avec un sourire de miel, 

  

Son âme calme et ses pâleurs amies 

Au troupeau roux des roches endormies. 

  

  

  

  

L'Amour de l'amour, Choix et présentation par Jacques Brenner, La Différence, 1992

 

 

 

 

19/12/2014

Le beau hêtre, Eduard Mörike

 

 

t T. C. Steele he-brook-in-the-woods-1889.jpg

TC Steele, 1889, 45.72 x 72.39 cm

 

 

Caché au cœur de la forêt je connais un endroit où se dresse
  Un hêtre, tel qu’en peinture on n’en peut voir de plus beau.
Lisse et clair, d’un seul trait pur il s’élève, solitaire,
  Et nul de ses voisins ne touche à sa parure soyeuse.
Tout autour, si loin que cet arbre imposant étende sa ramure,
  La pelouse verdit, afin de rafraîchir l’œil en silence.
De tous côtés également elle ceint le tronc qui en forme le centre :
  La Nature elle-même, sans art, a tracé ce cercle adorable.
Des taillis délicats font une première enceinte, puis ce sont les hauts fûts
  D’une foule d’arbres serrés qui tiennent éloigné le bleu du ciel.
Près de la sombre épaisseur du chêne, le bouleau berce
  Sa tête virginale timidement dans la lumière dorée.
Là seulement où, jonché de roches, le raidillon dévale vers l’abîme,
  La clairière me laisse deviner l’étendue des champs.
Quand, dernièrement, solitaire, séduit par les visions nouvelles de l’été
  Je quittai le chemin et vins me perdre là dans les taillis,
Ce fut un esprit amical à l’oreille toujours aux aguets, la divinité de ce bois,
  Qui soudain m’introduisit ici pour la première fois, moi l’étonné.
Quelles délices ! C’était aux environs de l’heure haute de Midi :
  Tout se taisait. Même l’oiseau dans le feuillage restait silencieux.
Et j’hésitais encore à poser le pied sur ce tapis plein de grâce ;
  Avec solennité il accueillit mon pas, moi qui ne le foulais que sans bruit.
Puis, une fois adossé au tronc (qui ne porte pas trop haut
  Sa large voûte), je laissai mes regards vaguer à la ronde,
Là où les rayons enflammés du soleil traçaient une frange aveuglante,
  Presque parfaitement régulière, tout autour du cercle ombragé.
Et je restai là, sans broncher ; au plus intime de moi-même tout mon être
  Épiait le démon du silence, toute cette insondable paix.
Enfermé avec toi dans le prodige de cette ceinture solaire,
  Je ne sentais que toi, ô Solitude, à toi seule allaient mes pensées.

(1842)

 

Eduard Mörike, "Chant de Weyla et autres poèmes", traduit de l’allemand et présenté par Jean-Yves Masson, La Différence, collection Orphée 2012