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24/08/2015

Figues, de D.H Lawrence

 

d.h lawrence,violet,julie biancardini

 Photo: Dominique Hordé

 

La manière correcte de manger une figue en société
Est de la fendre en quatre, la tenant par la tige,
Et de l'ouvrir pour en faire une fleur de miel, rosée, humide, éclatante à quatre lourds pétales.

Puis vous jetez la peau
Qui est comme un calice à quatre sépales,
Après avoir cueilli avec vos lèvres la fleur.

Mais la manière vulgaire
C'est de placer votre bouche sur la fente , et d'aspirer la chair, d'une seule bouchée.

Chaque fruit a son secret.

La figue est un fruit très dissimulé.
Lorsque vous la voyez pousser très droit, vous sentez tout de suite que c'est symbolique:
Et elle semble mâle.
Mais lorsque vous apprenez à mieux la connaître, vous admettez avec les Romains que c'est féminin.

Les Italiens appellent vulgairement figue l'organe femelle:
La fissure, le yoni,
Le merveilleux chemin humide qui conduit au centre.

Repliée,
Infléchie,
Floraison toute vers l'intérieur et veinée de fibres matricielles;
Et un seul orifice.

La figue, le fer à cheval, la fleur de courge.
Symboles.

Ce fut une fleur qui fleurissait tout à l'intérieur, vers la matrice;
Maintenant c'est un fruit, telle une matrice mûre.

Ce fut toujours un secret.
C'est ainsi que cela devrait être, la femelle devrait toujours rester secrète.
Il n'y a jamais rien eu de proéminent, de déployé sur une branche
Comme chez d'autres fleurs, dans une révélation de pétales;
Le rose argenté des fleurs de pêcher, la verrerie vénitienne des fleurs de néflier et de sorbier,
Coupes de vin peu profondes sur de courtes tiges turgescentes
Franche promesse du paradis:
Voici pour l'épine en fleur! Voici pour la révélation!
La vaillante, l'aventureuse rosacée.

Repliée sur elle-même, secret indicible,
La sève laiteuse qui caille le lait et fabrique la ricotta,
La sève qui sent si étrangement sur vos doigts que même les chèvres ne l'aiment pas;
Repliée sur elle-même, cachée comme une femme musulmane,
Sa nudité cloîtrée, sa floraison à jamais invisible,
Seulement un petit chemin d'accès, tous rideaux tirés devant la lumière;
Figue, fruit du mystère femelle, cachée et intime,
Fruit de la Méditerranée avec ta nudité cachée,
Où tout se passe dans l'invisible, floraison et fécondation et maturation
Dans l'intimité de votre vous, qu'aucun oeil ne verra jamais
Avant que tout soit achevé et que trop mûre vous éclatiez en rendant l'âme.

Jusqu'à ce que la goutte de maturité ne sourde,
Et que l'année prenne fin.

La figue, alors, a gardé suffisamment longtemps son secret.
Aussi elle explose et vous apercevez dans la faille l'écarlate.
Et la figue est finie, l'année a pris fin.

C'est ainsi que meurt la figue, dévoilant son cramoisi à travers une fente violette
Telle une blessure, l'exposition de son secret au grand jour.
Comme une prostituée, la figue éclatée donne en spectacle son secret.

C'est ainsi que meurent aussi les femmes.

 

D.H Lawrence, Poèmes, Choix traduit et présenté par Lorand Gaspar et Sarah Clair, Poésie/Gallimard, 2007, p 49 à 53

 

19/01/2014

A une robe rose, de Théophile Gauthier

Edgar degas Pastel 36,8 x 27,9 cm collection privée.jpg

Edgar Degas. 1902  Pastel 36,8 x 27,9 cm collection privée

 

Que tu me plais dans cette robe
Qui te déshabille si bien,
Faisant jaillir ta gorge en globe,
Montrant tout nu ton bras païen !

Frêle comme une aile d’abeille,
Frais comme un cœur de rose-thé,
Son tissu, caresse vermeille,
Voltige autour de ta beauté.

De l’épiderme sur la soie
Glissent des frissons argentés,
Et l’étoffe à la chair renvoie
Ses éclairs roses reflétés.

D’où te vient cette robe étrange
Qui semble faite de ta chair,
Trame vivante qui mélange
Avec ta peau son rose clair ?

Est-ce à la rougeur de l’aurore,
À la coquille de Vénus,
Au bouton de sein près d’éclore,
Que sont pris ces tons inconnus ?

Ou bien l’étoffe est-elle teinte
Dans les roses de ta pudeur ?
Non ; vingt fois modelée et peinte,
Ta forme connaît sa splendeur.

Jetant le voile qui te pèse,
Réalité que l’art rêva,
Comme la princesse Borghèse
Tu poserais pour Canova.

Et ces plis roses sont les lèvres
De mes désirs inapaisés,
Mettant au corps dont tu les sèvres
Une tunique de baisers.

 

Émaux et Camées, Collection Poésie, Gallimard