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23/02/2024

Le menhir, de Paul Celan

 

 

Le Menhir, André Masson 1937, 45 cm x 55,3 cm.jpg

Gris de pierre

qui grandit là.

 

Silhouette grise, toi qui n’as

pas d’yeux, regard de pierre, avec lequel

la terre devant nous a surgi, humaine,

sur des chemins de bruyère obscure, ou blanche,

le soir, face

à toi, gouffre du ciel.

 

Du concubiné, brouetté jusqu’ici, s’abîmait

par-delà le dos du cœur. Moulin

de mer moulait.

 

Claire ailée tu pendais tôt matin

entre pierre et genêt,

petite phalène.

 

Noires, couleur

de phylactère (*), ainsi étiez-vous,

gousses, vous

aussi en prière.

 

(*) Lanières de cuir sombre que l’on enroule autour de front et du bras gauche

pour la prière du matin, dans la religion juive traditionnelle.

 

Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre

in, Paul Celan : « Choix de poèmes, réunis par l’auteur »

Editions Gallimard (Poésie), 1998

Tableau d'André Masson, 1937, 45 cm x 55,3 cm

22/02/2024

L'affiche rouge, de Louis Aragon

 

rouge, noir, couleur, Aragon



Vous n'avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.

Louis Aragon.
Recueil : Le Roman inachevé (1956)

 

L'affiche rouge, chantée par Feu! Chatterton lors de la cérémonie au Panthéon du 21 février 2024  en hommage à Missak Manouchian et aux membres du groupe de l'Affiche rouge. Musique Léo Ferré

https://youtu.be/qoDXRtfSCvY?si=vmbT_B3-VfHNWFE3

 

18:51 Publié dans Couleur, Noir, Rouge | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : noir, rouge, couleur, aragon |  Facebook |  Imprimer | | Pin it! |

07/05/2016

La vie profonde, d'Anna de Noailles

Alice Baber noble-numbers-1965.jpg!Large.jpg

Alice Baber, 1965, Noble Numbers

 

Être dans la nature ainsi qu'un arbre humain,
Étendre ses désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par la nuit paisible et par l'orage,
La sève universelle affluer dans ses mains !

Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,
Boire le sel ardent des embruns et des pleurs,
Et goûter chaudement la joie et la douleur
Qui font une buée humaine dans l'espace !

Sentir, dans son coeur vif, l'air, le feu et le sang
Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre.
- S'élever au réel et pencher au mystère,
Être le jour qui monte et l'ombre qui descend.

Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du coeur vermeil couler la flamme et l'eau,
Et comme l'aube claire appuyée au coteau
Avoir l'âme qui rêve, au bord du monde assise...

 

http://www.annadenoailles.org/bibliographie/poesie/

20/02/2016

Quelque chose de mal raconté (extrait), de James Sacré

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Marc Léonard, L'âme du chien errant autour de la maison abandonnée -  73 x 100 cm

 

 

Le printemps fait venir des couleurs

aux maisons d’un quartier avec des arbres des pelouses

et beaucoup de bleu paraît

l’impression qu’on a c’est un peu comme de passer

dans l'air et du terreau mêlés

à travers des serres bien entretenues très

suffisamment dans la lumière et le neuf d’une saison

on aurait défait les toits et des parois de verre

le bleu qui brille rien qui dise

s’il est un leurre étonnamment vif ou vraiment

la matière comme d’un espace très fin de temps

qu’on bouge sa main ou des mots dedans.

 

Figures qui bougent un peu et autres poèmes,  Quelque chose de mal raconté, p 136 Poésie/Gallimard.

 

12/12/2015

Le rouge-gorge, de Philippe Jaccottet

 

 

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 Rouge-gorge de mon jardin, photo Dominique Hordé

 

 

Travaillant au jardin, je vois soudain, à deux pas, un rouge-gorge ; on dirait qu'il veut vous parler, au moins vous tenir compagnie : minuscule piéton, victime toute désignée des chats. Comment montrer la couleur de sa gorge ? Couleur moins proche du rose, ou du pourpre, ou du rouge sang, que du rouge brique ; si ce mot n'évoquait une idée de mur, de pierre, même, un bruit de pierre cassante, qu'il faut oublier au profit de ce qu'il évoquerait aussi de feu apprivoisé, de reflet du feu ; couleur que l'on dirait comme amicale, sans plus rien de ce que le rouge peut avoir de brûlant, de cruel, de guerrier ou de triomphant. L'oiseau porte dans son plumage, qui est couleur de la terre sur laquelle il aime tant à marcher, cette sorte de foulard couleur de feu apprivoisé, couleur de ciel au couchant. Ce n'est presque rien, comme cet oiseau n'est presque rien, et cet instant, et ces tâches, et ces paroles. A peine une braise qui sautillerait, ou un petit porte-drapeau, messager sans vrai message : l'étrangeté insondable des couleurs. Cela ne pèserait presque rien, même dans une main d'enfant.

  

Et néanmoins, Gallimard, 2001, p. 57.

26/09/2015

La joie de cette vie, d'Henri Thomas

 

 

Pieter-Claesz-1597-1660.-Nature-morte-au-crâne-avec-livres-coupe-Römer-lampe-à-huile-et-plume.-Peinte-en-1645-cette-oeuvre-est-lune-des-plus-importantes-de-la-collection-Hornstein..jpg

Pieter Claesz (1597-1660), Nature morte au crâne avec-livres, coupe, Römer, lampe à huile et plume (1645) Collection Hornstein.

 

 

C’est tellement étrange d’exister autrement qu’une plante ou un caillou, qu’il faudra peut-être s’excuser de mourir. Je suis là à six heures du matin, éveillé depuis quatre, le cœur battant, dans l’attente du jour qui sera sans doute encore obscur. Je n’ai, pour répondre de moi, que mes livres, que j’ai oubliés, après m’y être absorbé, peut-être résorbé. Ils sont pareils en cela aux amours, dont on n’a plus que le titre : un nom, un prénom, une couleur dominante ; le reste a disparu, comme l’herbe des champs, comme les lignes écrites il y a six mois ou dix ans.

Nous vivons sur (si l’on pense à la terre) ou sous (si c’est au ciel) d’anciennes terreurs, et c’est la même terreur. La chose et le mot viennent de terre ?

 

Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1991

26/05/2015

Gisants (Extrait), de Michel Deguy

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 Croquis de Matisse
 

 

Ne me laisse pas ignorer où tu seras
Lis-moi le brouillon planétaire
Est-ce que je te connais connaissant tes objets
Les pétales de flamme de ta flamme et de son omphalos

Ton odeur ton nom ton âge tes commissures
Par tes capillaires, je bats, les tiges, faisceau de pouls, verge
Ton élégance tes récits tes bas tes couleurs
J'alanguis la rose de quelqu'une le roman
Tes bijoux tes bleus tes cils ta montre
La proximité est notre dimension
Tes lobes ta voix tes lèvres tes lettres

Ne me laisse pas ignorer où tu es
Le rouleau gris ensable notre baie

 

Extrait de "Gisants" Poèmes III, 1980-1995,  Poésie/Gallimard

16/05/2015

Les couleurs, de Renée Vivien

 

Colleen Wallace Nungari.jpg

 

 

Colleen Wallace Nungurrayi

 

Éloignez de mes yeux les flamboiements barbares
Du Rouge, cri de sang que jettent les fanfares.

Éteignez la splendeur du Jaune, cri de l’or,
Où le soleil persiste et ressurgit encor.

Écartez le sourire invincible du Rose,
Qui jaillit de la fleur ingénument déclose,


Et le regard serein et limpide du Bleu, —
Car mon âme est, ce soir, triste comme un adieu.

Elle adore le charme atténué du Mauve,
Pareil aux songes purs qui parfument l’alcôve.

Et la mysticité du profond Violet,
Plus grave qu’un chant d’orgue et plus doux qu’un reflet.

Versez-lui l’eau du Vert, qui calme le supplice
Des paupières, fraîcheur des yeux de Béatrice.

Entourez-la du rêve et de la paix du Gris,
Crépuscule de l’âme et des chauves-souris.

Le Brun des bois anciens, favorable à l’étude,
Sait encadrer mon silence et ma solitude.

Venez ensevelir mon ancien désespoir
Sous la neige du Blanc et dans la nuit du Noir.

 

 Evocations, Alphonse Lemerre, éditeur, 1903 (pp. 143-144).

11/04/2015

La naissance du printemps, de Louis Aragon

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Karenina Fabrizzi

 


 
                                    à Jacques Decourt 
 

AVRIL renaît Voici ses rubans et ses flammes
Ses mille petits cris ses gentils pépiements
Ses bigoudis ses fleurs ses hommes et ses femmes
Je lui fais de ses couleurs tous mes compliments 
 
Dieu que de baisers fous sur l’appui des fenêtres
Nous n'avons pas fini de compter les baisers
Il y a des semaines entières sous les hêtres
Où chantent les pinsons au plumage frisé 
 
Avril n’a pas toujours vécu sous les lambris 
Il fut petit pâtissier puis compte-goutte 
Il gagna son pain à la sueur de son front 
De fil en aiguille il devint contrôleur des finances 
Enfin par un soleil de tous les diables 
Il tomba tout à coup amoureux 
 

 

Louis Aragon, Le Mouvement perpétuel précédé de Feu de joie et suivi de Écritures automatiques. Préface d'Alain Jouffroy. Paris : Gallimard / Poésie, 1970 

A retrouver sur le site de Poezibao

25/10/2014

La lettre, de Marina Tsvetaeva

Hans Baldung Grien, 1539.jpg

The Three Ages of Man and Death" de Hans Baldung Grien (peinture à l'huile, 1539, Prado Museum, Madrid)

 

 

 

On ne guette pas les lettres

Ainsi - mais la lettre.

Un lambeau de chiffon

Autour d'un ruban

De colle. Dedans - un mot.

Et le bonheur. - C'est tout.

 

On ne guette pas le bonheur

Ainsi - mais la fin :

Un salut militaire

Et le plomb dans le sein -

Trois balles. Les yeux sont rouges.

Que cela. - C'est tout.

 

Pour le bonheur - je suis vieille !

Le vent a chassé les couleurs !

Plus que le carré de la cour

Et le noir des fusils...

 

Pour le sommeil de mort

Personne n'est trop vieux.

 

Que le carré de l'enveloppe

 

 

 

Traduction Pierre Leon et Eve Mallleret. Recueil « Le ciel brûle (suivi de tentative de jalousie) » éditions poésie/Gallimard

21/10/2014

Lien Mortel,d'Alejandra Pizarnik

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Tableau de Marc Léonard 

 

 

     Paroles émises par une pensée en guise de planche de sauvetage. Faire l’amour à l’intérieur de notre étreinte alluma une lumière noire : l’obscurité se mit à briller. C’était la lumière retrouvée, éteinte doublement mais d’une certaine façon plus vive que mille soleils. La couleur du mausolée enfantin, la couleur mortuaire des désirs contenus s’ouvrit dans la chambre sauvage. Le rythme des corps cachait le vol des corbeaux. Le rythme des corps creusait un espace de lumière à l’intérieur de la lumière

 


Alejandra Pizarnik, Œuvre poétique, traduit de l’espagnol (Argentine) par Silvia Baron Supervielle et Claude Couffon, édition préparée par Silvia Baron Supervielle, Actes Sud, 2005 (collection Le Cabinet de lecture d’Alberto Manguel), p. 243 

02/04/2014

Chanson des escargots qui vont à un enterrement, de Jacques Prévert

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David BurliukArrivée du printemps et de l'été, 1914, Collection de AMBeckerman, États-Unis

 

 

A l'enterrement d'une feuille morte

Deux escargots s'en vont

Ils ont la coquille noire

Du crêpe autour des cornes

Ils s'en vont dans le soir

Un très beau soir d'automne

Hélas quand ils arrivent

C'est déjà le printemps

Les feuilles qui étaient mortes

Sont toutes ressuscitées

Et les deux escargots

Sont très désappointés

Mais voilà le soleil

Le soleil qui leur dit

Prenez prenez la peine

La peine de vous asseoir

Prenez un verre de bière

Si le coeur vous en dit

Prenez si ça vous plaît

L'autocar pour Paris

Il partira ce soir

Vous verrez du pays

Mais ne prenez pas le deuil

C'est moi qui vous le dis

Ça noircit le blanc de l’œil

Et puis ça enlaidit

Les histoires de cercueil

C'est triste et pas joli

Reprenez vos couleurs

Les couleurs de la vie

Alors toutes les bêtes

Les arbres et les plantes

Se mettent à chanter

A  chanter à tue-tête

La vraie chanson vivante

La chanson de l'été

Et tout le monde de boire

Tout le monde de trinquer

C'est un très joli soir

Un joli soir d'été

Et les deux escargots

S'en retournent chez eux

Ils s'en vont très émus

Ils s'en vont très heureux

Comme ils ont beaucoup bu

Ils titubent un p'tit peu

Mais là-haut dans le ciel

La lune veille sur eux.

 

Extrait de Paroles, Folio

 

15/03/2014

L'éternité, c'est juste à côté (extrait), de James Sacré

Claire Basler.jpg

Tableau de Claire Basler, à retrouver sur son site

 

 

(Ce qui y a d'ingénue santé dans la fleur qui se livre au temps

Se perd pourtant pas dans son pétale qui sèche ;

Mourir continue sa couleur.)

 

Bout de ferraille, fragment de fleur, ça passe bien

Du fond d'un pré en celui d'un tableau.

La vraie mort d'un coquelicot

Sans doute que c'est dans les mots.

 

 

L'éternité, c'est juste à côté, recueil La peinture du Poème s'en va, Edition Tarabuste, p 98

14/03/2014

Ce qu'on voit c'est aussi les mots, de James Sacré

 

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Tableau de Marc Leonard, " La baie", à retrouver sur son site http://marcleonard.fr/

 

On est dans la couleur comme avec un visage. Un visage qui brille à cause du verbe aimer. C'est difficile de bien comprendre comment le verbe aimer paraît dans la couleur. On dirait que c'est toujours à côté de ce qu'on regarde (comme un silence, l'idée d'un sourire dans les aubépines, d'un sous-vêtement qui sèche entre  un pré et le bleu du ciel). La couleur fait qu'on a le cœur et les yeux qui bougent. Comme un désir. La couleur vient aux joues.

 

Extrait de Ce qu'on voit c'est aussi les mots,  à des peintures d'Olivier Debré,

Recueil "La peinture du Poème s'en va, Edition Tarabuste, p 15

19/02/2014

Extrait de Teintes d'automne, de Henry D.Thoreau

 

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Corinne en train de peindre toutes les nuances d'une corbeille d'oignons. Atelier Couleurs dans le Luberon, à La Molière

 

On devrait vraiment planter les arbres le long de nos rues en pensant à leur splendeur automnale. (...) Ne croyez-vous pas que le fait d'avoir été élevé sous les érables fasse une différence pour les enfants? Des centaines de regards s'abreuvent de cette couleur, et même les mauvais élèves sont attrapés et éduqués par ces maîtres, dès le moment où ils font l'école buissonnière. Bons ou mauvais élèves en fait n’apprennent pas les couleurs à l'école. On leur substitue les couleurs de la boutique de l'apothicaire ou celle des vitrines de la ville. Il est regrettable qu'il n'y ait plus dans nos rues d'érables rouges ni de hickorys. Notre palette est très imparfaitement garnie. Au lieu de procurer des boîtes de peintures aux jeunes, ou en plus d'elles, on devrait leur fournir ces couleurs naturelles. Où peuvent-ils bien étudier la couleur sous un meilleur jour?Quelle école de dessin peut rivaliser avec celle-ci? Pensez  à l'enseignement que représentent les couleurs d'automne pour l’œil des peintres de tous genres, des fabricants de tissu, de papier et d'innombrables d'autres. Chez le papetier, on trouve certes des enveloppes de différentes couleurs,, mais jamais aussi variées que les feuilles d'un seule arbre. Si vous voulez une teinte différente, la nuance particulière d'une couleur, vous n'avez qu' à scruter un arbre ou faire un tour dans la forêt. Ces feuilles n'ont pas été plongées dans un unique bain de teinture comme  à la teinturerie; non, elles ont été soumises  à une lumière d'une infinité variété d'intensité, avant d'être mise à sécher làpour en fixer le ton.

 

Teintes d'automne & la succession des arbres en forêt . Traduction de Nicole Mallet. Editions le mot et le reste.

 

11/02/2014

Les Soucis du Ciel, de Claude Roy

 

Pour Bamboula.jpg

 

Source de cette illustration

 

Le ciel apprend par coeur les couleurs du matin
Le toit gris l’arbre vert le blé blond le chat noir
Il n’a pas de mémoire il compte sur ses mains
Le toit blond l’arbre gris le blé noir le chat vert

Le ciel bleu est chargé de dire à la nuit noire
comment était le jour tout frais débarbouillé
Mais il perd en chemin ses soucis la mémoire
il rentre à la maison il a tout embrouillé.

Le toit vert l’arbre noir le chat blond le blé gris
Le ciel plie ses draps bleus tentant de retrouver
ce qu’il couvrait le jour d’un grand regard surpris
le monde très précis qu’il croit avoir rêvé

Le toit noir l’arbre blond le chat gris le blé vert
Le ciel n’en finit plus d’imaginer le jour
Il cherche dans la nuit songeant les yeux ouverts
Aux couleurs que le noir évapore toujours.

Erreur sur la personne,Poésie/Gallimard

13/01/2014

Islande, de Delphine Priollaud-Stoclet

 

Delphine Prillaud-Stoclet.jpg

 

Quel pays dessinerait la Terre comme une autre planète ? 
Comment voyager aux confins de l’univers vers ces lieux incertains qui peuplent mes rêves ?
Quelle terre épouserait l’eau pour enfanter le feu et le ciel ? 
Quelle écorce arracherait de ses entrailles fumantes de spectaculaires geysers ?

Vert de gris, bleu céruléen, cramoisi d’alizarine, noir d’ivoire, auréoline. Pigments essentiels pour capturer les quatre éléments réunis, mes inséparables aquarelles. 
De l’eau, de l’encre, le blanc et le grain de la feuille.

Je songe à une île unique où vagabonder au rythme de mes étonnements, l’espace d’un territoire à mille lieux des paysages connus et reconnus.
Mon doigt s’attarde au Nord de la mappemonde dépliée.
Islande, terre de glace au cœur brûlant. Palpitant oxymore.

Les plaines d’Islande chuchotent à l’oreille des cailloux des mots arides aux tonalités soufrées. Des syllabes imprononçables formées de lettres existant nulle part ailleurs ajoutant au mystère d’un pays qui dérive à la lisière du globe.
La toundra frémissante parée de fleurs sauvages et mauves ondule, offerte à la caresse de l’air pur.
Je suis prête à échanger mon cher soleil flamboyant contre le pâle et mystérieux soleil de minuit.
La nuit polaire, couronnée d’aurores boréales phosphorescentes, resplendirait d’une lumière magique pailletée d’or et d’argent.
J’aimerais parcourir à pied ces déserts de pierres ponctués de volcans cracheurs de flammes et de cendres, deviner les eaux bouillantes emprisonnées sous les glaciers, explorer de nouvelles frontières picturales. 
Voir naître le cosmos, jouer avec le feu.
Un retour aux sources.

Peindre les gris colorés et l’éclat du chaud.
Jeter sur le papier la trace de mes pas.
Rapporter le carnet d’un voyage alchimique.
Islande, mon rêve de fin du monde.

 

Illustration et texte de Delphine Priollaud-Stoclet  qui a gagné le second prix (avec 10 autres personnes) au Concours organisé par Nouvelles Frontières sur le thème "Racontez votre voyage de rêve".  Pour en savoir plus: 

http://www.croquis-en-voyage.fr/blog/

http://www.atelier-salamandre.net/

 

23/11/2013

Love song III, de Nicolas Bouvier

 

Pierre  Gaudu Ciel ouvert.jpg


©pierre gaudu (image non libre de droit) "ciel ouvert" , plume et encre de Chine 50x50 cm, http://pierre-gaudu.over-blog.com/

 


Quand tisonner les mots pour un peu de couleur

ne sera plus ton affaire

quand le rouge du sorbier et la cambrure des filles

ne te feront plus regretter ta jeunesse

quand un nouveau visage tout écorné d'absence

ne fera plus trembler ce que tu croyais solide

quand le froid aura pris congé du froid

et l'oubli dit adieu à l'oubli

quand tout aura revêtu la silencieuse opacité du

houx ce jour-là

quelqu'un t'attendra au bord du chemin

pour te dire que c'était bien ainsi

que tu devais terminer ton voyage

démuni

tout à fait démuni

alors peut-être...

mais que la neige tombée cette nuit

soit aussi comme un doigt sur ta bouche

 

Genève, décembre 1977


 


Le dehors et le dedans » aux éditions Zoé


 

Du côté de chez Swann, (extraits), de Marcel Proust

 

Monet.jpg

 

Claude monet. Le jardin de Vetheuil. Huile sur toile, 151,4 cmx121 cm Huile sur toille 

National Gallery of art, Washinghton


La haie laissait voir à l'intérieur du parc une allée bordée de jasmins, de pensées et de verveines entre lesquelles des giroflées ouvraient leurs bourses fraîches du rose odorant et passé d'un cuir ancien de Cordoue, tandis que sur le gravier un long tuyau d'arrosage peint en vert, déroulant ses circuits, dressait aux points où il était percé au-dessus des fleurs, dont il imbibait les parfums, l'éventail vertical et prismatique de ses gouttelettes multicolores. Tout à coup, je m'arrêtai, je ne pus plus bouger, comme il arrive quand une vision ne s'adresse pas seulement à nos regards, mais requiert des perceptions plus profondes et dispose de notre être tout entier. Une fillette d'un blond roux, qui avait l'air de rentrer de promenade et tenait à la main une bêche de jardinage, nous regardait, levant son visage semé de taches roses. Ses yeux noirs brillaient et, comme je ne savais pas alors, ni ne l'ai appris depuis, réduire en ses éléments objectifs une impression forte, comme je n'avais pas, ainsi qu'on dit, assez « d'esprit d'observation » pour dégager la notion de leur couleur, pendant longtemps, chaque fois que je repensai à elle, le souvenir de leur éclat se présentait aussitôt à moi comme celui d'un vif azur, puisqu'elle était blonde : de sorte que, peut-être si elle n'avait pas eu des yeux aussi noirs – ce qui frappait tant la première fois qu'on la voyait – je n'aurais pas été, comme je le fus, plus particulièrement amoureux, en elle, de ses yeux bleus.


A la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann , folio


25/10/2013

Fin, d'Antoine Emaz

 

poème;poésie,fin d'antoine emaz

on ne sait quel paysage bouge rouge
au fond de l’œil
un peu comme un battement assourdi
une houle née loin venue rouler tomber
encore
ici

la nuit
tremble

 //

malgré tout
cela s’écoule sale peut-être mal mais finit par trouver un chemin une veine à travers la bouche la mémoire la radio les images

passant le bruit les mots
une sale seule couleur
s’établit
fait fond

rideau
on descend

c’est fini

 //

demain
de nouveau on ira sans doute vers rien que ce pays encore bien sûr on ira de l’avant dans le même jusqu’à quoi au bout de la ressemblance du même forcé jusqu’à quoi
d’autre

 

Antoine Émaz, Fin, dans Fond d’œil, Théodore Balmoral, 1995, repris dans Caisse claire, Poèmes 1990-1997, Points/Seuil, 2007, p. 97-98

Tableau de 1948 de Jakson Pollock