17/05/2016
Chaleur, d'Anna de Noailles
Henri Matisse, 38 x 46 cm, huile, collection privée
Tout luit, tout bleuit, tout bruit,
Le jour est brûlant comme un fruit
Que le soleil fendille et cuit.
Chaque petite feuille est chaude
Et miroite dans l'air où rôde
Comme un parfum de reine-claude.
Du soleil comme de l'eau pleut
Sur tout le pays jaune et bleu
Qui grésille et oscille un peu.
Un infini plaisir de vivre
S'élance de la forêt ivre,
Des blés roses comme du cuivre.
http://www.annadenoailles.org/bibliographie/poesie/
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07/05/2016
La vie profonde, d'Anna de Noailles
Alice Baber, 1965, Noble Numbers
Être dans la nature ainsi qu'un arbre humain,
Étendre ses désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par la nuit paisible et par l'orage,
La sève universelle affluer dans ses mains !
Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,
Boire le sel ardent des embruns et des pleurs,
Et goûter chaudement la joie et la douleur
Qui font une buée humaine dans l'espace !
Sentir, dans son coeur vif, l'air, le feu et le sang
Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre.
- S'élever au réel et pencher au mystère,
Être le jour qui monte et l'ombre qui descend.
Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du coeur vermeil couler la flamme et l'eau,
Et comme l'aube claire appuyée au coteau
Avoir l'âme qui rêve, au bord du monde assise...
http://www.annadenoailles.org/bibliographie/poesie/
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13/10/2014
Un matin à Neuilly, d'Anna de Noailles
Claude Monet, Les bors de la Seine, Ile de la Grande Jatte, Huile sur toile, 54 x 65 cm, 1878
C'est toujours vous, Printemps, qui me faites du mal…
– Eau légère où le beau soleil baigne son âme,
La Seine, toute molle et glissante, se pâme
Sous les ponts emmêlés d'azur et de métal.
Tout est sonore, et tout est calme et se repose ;
L'air jouit du matin et d'un si doux état.
Dans le bourg de Neuilly que Pascal visita
Un vert figuier s'avance entre deux maisons roses.
On ne sait pas d'où vient cette triste langueur.
L'azur est de plaisir et de jeunesse humide,
Le silence est luisant et la rue est torride,
Et moi j'ai tout un deuil blanc et bleu dans mon cœur…
Anna de Noailles. Les Éblouissements.
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12/05/2014
Verger, d'Anna de Noailles
Un Moucherolle sur le concombre de brousse, 1910, Ohara Koson
Dans le jardin, sucré d’œillets et d’aromates,
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu,
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates,
Chancellent, de rosée et de sève pourvus,
Je viendrai, sous l’azur et la brume flottante,
Ivre du temps vivace et du jour retrouvé ;
Mon cœur se dressera comme le coq qui chante
Insatiablement vers le soleil levé.
L’air chaud sera laiteux sur toute la verdure,
Sur l’effort généreux et prudent des semis,
Sur la salade vive et le buis des bordures,
Sur la cosse qui gonfle et qui s’ouvre à demi ;
La terre labourée où mûrissent les graines
Ondulera, joyeuse et douce, à petits flots,
Heureuse de sentir dans sa chair souterraine
Le destin de la vigne et du froment enclos.
Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement ;
La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement.
Un goût d’éclosion et de choses juteuses
Montera de la courge humide et du melon,
Midi fera flamber l’herbe silencieuse,
Le jour sera tranquille, inépuisable et long.
Et la maison, avec sa toiture d’ardoises,
Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts,
Respirera l’odeur des coings et des framboises
Éparse lourdement autour des buissons verts ;
Mon cœur indifférent et doux aura la pente
Du feuillage flexible et plat des haricots
Sur qui l’eau de la nuit se dépose et serpente
Et coule sans troubler son rêve et son repos.
Je serai libre enfin de crainte et d’amertume,
Lasse comme un jardin sur lequel il a plu,
Calme comme l’étang qui luit dans l’aube et fume,
Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus,
Je ne saurai plus rien des choses de ce monde,
Des peines de ma vie et de ma nation,
J’écouterai chanter dans mon âme profonde
L’harmonieuse paix des germinations.
Je n’aurai pas d’orgueil, et je serai pareille,
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
À mon frère le pampre et ma sœur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été ;
Je serai si sensible et si jointe à la terre
Que je pourrai penser avoir connu la mort,
Et me mêler, vivante, au reposant mystère
Qui nourrit et fleurit les plantes par les corps.
Et ce sera très bon et très juste de croire
Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareils,
Et que mon cœur, ardent et lourd, est cette poire
Qui mûrit doucement sa pelure au soleil...
Anthologie poétique et romanesque, Le livre de poche
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14/09/2013
Éblouissements (extrait), d'Anna de Noailles
Jeffrey Ripple, (né en 1962) peinture sur huile
– Aujourd’hui, le coeur las et blessé par le feu,
Je vous bénis encor, o brasier jaune et bleu,
Exaltant univers dont chaque élan m’enivre!
Mourante, je dirai qu’il faut jouir et vivre;
Que, malgré la langueur d’un corps triste et brûlant,
La nuit est généreuse et le jour succulent;
Que les larmes, les cris, la douleur, l’agonie
Ne peuvent pas ternir l’allégresse infinie!
Qu’un moment du désir, qu’un moment de l’été,
Contiennent la suave et chaude éternité.
O sol humide et noir d’ou jaillit la jacinthe!
Qu’importe si dans l’âpre et ténébreuse enceinte
Les morts sont étendus froids et silencieux.
O beauté des tombeaux sous la douceur des cieux!
Marbres posés ainsi que des bornes plaintives,
Rochers mystérieux des incertaines rives,
Horizontale porte accédant à la nuit,
O débris du vaisseau, épave qui reluit,
Comme vous célébrez la joie et l’abondance,
La force du plaisir, l’audace de la danse,
L’universelle arène aux lumineux gradins!…
Et quelquefois, parmi les funèbres jardins,
Je crois voir ses pieds nus appuyés sur les tombes,
Un Eros souriant qui nourrit des colombes…
Parution de l’Oeuvre poétique complète d’Anna de Noailles, aux Éditions du Sandre, 2013, édition présentée et annotée par Thanh-Vân-Ton-That.
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