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16/01/2016

L'hiver qui vient, de Jules Laforgue

mstislav-dobuzhinsky white-nights-1922-4.jpg

Mstislav Dobuzhinsky, 1922

 

Blocus sentimental ! Messageries du Levant !...
Oh, tombée de la pluie ! Oh ! tombée de la nuit,
Oh ! le vent !...
La Toussaint, la Noël et la Nouvelle Année,
Oh, dans les bruines, toutes mes cheminées !...
D'usines....

On ne peut plus s'asseoir, tous les bancs sont mouillés ;
Crois-moi, c'est bien fini jusqu'à l'année prochaine,
Tant les bancs sont mouillés, tant les bois sont rouillés,
Et tant les cors ont fait ton ton, ont fait ton taine !...

Ah, nuées accourues des côtes de la Manche,
Vous nous avez gâté notre dernier dimanche.

Il bruine ;
Dans la forêt mouillée, les toiles d'araignées
Ploient sous les gouttes d'eau, et c'est leur ruine.

Soleils plénipotentiaires des travaux en blonds Pactoles
Des spectacles agricoles,
Où êtes-vous ensevelis ?
Ce soir un soleil fichu gît au haut du coteau
Gît sur le flanc, dans les genêts, sur son manteau,
Un soleil blanc comme un crachat d'estaminet
Sur une litière de jaunes genêts
De jaunes genêts d'automne.
Et les cors lui sonnent !
Qu'il revienne....
Qu'il revienne à lui !
Taïaut ! Taïaut ! et hallali !
Ô triste antienne, as-tu fini !...
Et font les fous !...
Et il gît là, comme une glande arrachée dans un cou,
Et il frissonne, sans personne !...

Allons, allons, et hallali !
C'est l'Hiver bien connu qui s'amène ;
Oh ! les tournants des grandes routes,
Et sans petit Chaperon Rouge qui chemine !...
Oh ! leurs ornières des chars de l'autre mois,
Montant en don quichottesques rails
Vers les patrouilles des nuées en déroute
Que le vent malmène vers les transatlantiques bercails !...
Accélérons, accélérons, c'est la saison bien connue, cette fois.

Et le vent, cette nuit, il en a fait de belles !
Ô dégâts, ô nids, ô modestes jardinets !
Mon coeur et mon sommeil : ô échos des cognées !...

Tous ces rameaux avaient encor leurs feuilles vertes,
Les sous-bois ne sont plus qu'un fumier de feuilles mortes ;
Feuilles, folioles, qu'un bon vent vous emporte
Vers les étangs par ribambelles,
Ou pour le feu du garde-chasse,
Ou les sommiers des ambulances
Pour les soldats loin de la France.

C'est la saison, c'est la saison, la rouille envahit les masses,
La rouille ronge en leurs spleens kilométriques
Les fils télégraphiques des grandes routes où nul ne passe.

Les cors, les cors, les cors - mélancoliques !...
Mélancoliques !...
S'en vont, changeant de ton,
Changeant de ton et de musique,
Ton ton, ton taine, ton ton !...
Les cors, les cors, les cors !...
S'en sont allés au vent du Nord.

Je ne puis quitter ce ton : que d'échos !...
C'est la saison, c'est la saison, adieu vendanges !...
Voici venir les pluies d'une patience d'ange,
Adieu vendanges, et adieu tous les paniers,
Tous les paniers Watteau des bourrées sous les marronniers,
C'est la toux dans les dortoirs du lycée qui rentre,
C'est la tisane sans le foyer,
La phtisie pulmonaire attristant le quartier,
Et toute la misère des grands centres.

Mais, lainages, caoutchoucs, pharmacie, rêve,
Rideaux écartés du haut des balcons des grèves
Devant l'océan de toitures des faubourgs,
Lampes, estampes, thé, petits-fours,
Serez-vous pas mes seules amours !...
(Oh ! et puis, est-ce que tu connais, outre les pianos,
Le sobre et vespéral mystère hebdomadaire
Des statistiques sanitaires
Dans les journaux ?)

Non, non ! C'est la saison et la planète falote !
Que l'autan, que l'autan
Effiloche les savates que le Temps se tricote !
C'est la saison, oh déchirements ! c'est la saison !
Tous les ans, tous les ans,
J'essaierai en choeur d'en donner la note.

 

 A retrouver sur http://www.laforgue.org

08/03/2014

Sido (Extrait), de Colette

 

Claire Basler. Fleurs rouges.jpg

Claire Basler à découvrir sur son site

 

O géraniums, ô digitales… Celles-ci fusant des bois-taillis, ceux-là en rampe allumée au long de la terrasse, c'est de votre reflet que ma joue d'enfant reçue un don vermeil. Car « Sido » aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la croix-de-Malte, des hortensias et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge, encore qu'elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou de veau frais... A contre-cœur, elle faisait parte avec l'Est : « Je m'arrange avec ..lui, » disait-elle . Mais elle demeurait pleine de suspicion et surveillait, entre tous les cardinaux et collatéraux, ce point glacé, traître, aux jeux meurtriers. Elle lui confiait des bulbes de muguet, quelques bégonias, et des crocus mauves, veilleuses des froids crépuscules.

Hors une corne de terre, hors un bosquet de lauriers-cerises dominés par un junko-biloba - je donnais ses feuilles, en forme de raie, à mes camarades d'école, qui les séchaient entre les pages de l'atlas - tout le chaud jardin se nourrissait d'une lumière jaune, à tremblements rouges et violets mais je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet dépendaient, dépendent encore d'un sentimental bonheur ou d'un éblouissement optique. Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de mes grands chapeaux, étés presque sans nuits... 

 

Sido, suivi des vrilles de la vigne, Livre de poche

28/02/2014

Que ton âme soit blanche ou noire, de Paul Verlaine

 

Toulouse-Lautrec the-bed-1898.jpg

                                                    Toulouse Lautrec, (vers 1898) Collection privée 

 

Que ton âme soit blanche ou noire,
Que fait ? Ta peau de jeune ivoire
Est rose et blanche et jaune un peu.
Elle sent bon, ta chair, perverse
Ou non, que fait ? puisqu'elle berce
La mienne de chair, nom de Dieu !

Elle la berce, ma chair folle,
Ta folle de chair, ma parole
La plus sacrée ! - et que donc bien !
Et la mienne, grâce à la tienne,
Quelque réserve qui la tienne,
Elle s'en donne, nom d'un chien !

Quant à nos âmes, dis, Madame, 
Tu sais, mon âme et puis ton âme, 
Nous en moquons-nous ? Que non pas !
Seulement nous sommes au monde. 
Ici-bas, sur la terre ronde, 
Et non au ciel, mais ici-bas.

Or, ici-bas, faut qu'on profite 
Du plaisir qui passe si vite 
Et du bonheur de se pâmer. 
Aimons, ma petite méchante, 
Telle l'eau va, tel l'oiseau chante, 
Et tels, nous ne devons qu'aimer.

 

Chansons pour elle et autres poèmes érotiques, Folio, Gallimard

 

 

20/10/2013

Blanc (extrait), d'Octavio Paz

 

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Du jaune au rouge au vert

Pèlerinages aux clartés

La parole se penche sur des tourbillons

Bleus.

        Vire l'anneau ivre,

Virent les cinq sens

Autour de l'améthyste

 

Poésie/Gallimard Versant Est p103

 Tableau de Willem de Kooning (1904-1997)

28/09/2013

Train rapide, de Gottfried Benn

 

Marc leonardpaysage-grande-vitesse3.jpg

Marc Leonard, Paysage grande vitesse, à retrouver sur son site http://marcleonard.fr

 


D'un brun de cognac. D'un brun de feuillage. Brun-rouge.

Jaune malais.

Train rapide Berlin-Trelleborg et les stations de la Baltique.


Chair qui allait nue.

Jusque dans la bouche brunie par la mer.

Plénitude inclinée vers le bonheur grec.

Nostalgie de faucille : comme l'été est avancé!

L'avant-dernier jour déjà du neuvième mois!


Chaume et dernière meule languissent en nous.

Épanouissements, le sang, les lassitudes,

la présence des dahlias nous bouleverse.


Le brun des hommes se précipite sur le brun des femmes :


Une femme c'est l'affaire d'une nuit.

et encore d'une autre si cela était bien!

Oh! et puis de nouveau cet Être-face-à-soi-même!

Ces mutismes! Cet engrenage!


Une femme c'est une odeur.

Un ineffable! Dépéris, réséda.

C'est le Sud, le berger et la mer.

Sur chaque pente pèse un bonheur.

Le brun clair des femmes s'affole au brun sombre des hommes .


Retiens moi! Oh, toi! Je tombe!

Ma nuque est si lasse.

Oh, ce dernier parfum

doux et fiévreux qui monte des jardins.

 
 

Choix de poèmes, traduction de Jean-Charles Lombard, Seghers, Paris, 1965.

Collection : Poètes d'aujourd'hui, n° 134 (épuisé)

14/09/2013

Éblouissements (extrait), d'Anna de Noailles

jeffrey-ripple.jpg

Jeffrey Ripple, (né en 1962) peinture sur huile

 

– Aujourd’hui, le coeur las et blessé par le feu,
Je vous bénis encor, o brasier jaune et bleu,
Exaltant univers dont chaque élan m’enivre!
Mourante, je dirai qu’il faut jouir et vivre;
Que, malgré la langueur d’un corps triste et brûlant,
La nuit est généreuse et le jour succulent;
Que les larmes, les cris, la douleur, l’agonie
Ne peuvent pas ternir l’allégresse infinie!
Qu’un moment du désir, qu’un moment de l’été,
Contiennent la suave et chaude éternité.
O sol humide et noir d’ou jaillit la jacinthe!
Qu’importe si dans l’âpre et ténébreuse enceinte
Les morts sont étendus froids et silencieux.
O beauté des tombeaux sous la douceur des cieux!
Marbres posés ainsi que des bornes plaintives,
Rochers mystérieux des incertaines rives,
Horizontale porte accédant à la nuit,
O débris du vaisseau, épave qui reluit,
Comme vous célébrez la joie et l’abondance,
La force du plaisir, l’audace de la danse,
L’universelle arène aux lumineux gradins!…
Et quelquefois, parmi les funèbres jardins,
Je crois voir ses pieds nus appuyés sur les tombes,
Un Eros souriant qui nourrit des colombes…

 

 Parution de l’Oeuvre poétique complète d’Anna de Noailles, aux Éditions du Sandre, 2013, édition présentée et annotée par Thanh-Vân-Ton-That. 

24/08/2013

Le soleil du matin doucement chauffe et dore, de Paul Verlaine

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 Claude Monet  "Jeanne-Marguerite Lecadre au jardin", Huile sur toile 80 cm x 99 cm,1866-1867, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage


Le soleil du matin doucement chauffe et dore
Les seigles et les blés tout humides encore,
Et l'azur a gardé sa fraîcheur de la nuit.
L'on sort sans autre but que de sortir ; on suit,
Le long de la rivière aux vagues herbes jaunes,
Un chemin de gazon que bordent de vieux aunes.
L'air est vif. Par moment un oiseau vole avec
Quelque fruit de la haie ou quelque paille au bec,
Et son reflet dans l'eau survit à son passage.
C'est tout.

Mais le songeur aime ce paysage
Dont la claire douceur a soudain caressé
Son rêve de bonheur adorable, et bercé
Le souvenir charmant de cette jeune fille,
Blanche apparition qui chante et qui scintille,

Dont rêve le poète et que l'homme chérit,
Évoquant en ses vœux dont peut-être on sourit
La Compagne qu'enfin il a trouvée, et l'âme
Que son âme depuis toujours pleure et réclame.

 

Extrait de La bonne chanson

Fêtes galantes, la Bonne Chanson, précédées des Amies,  éditions: Le livre de poche

23/08/2013

L'inconnu sur la terre, (extrait), de Jean-Marie Gustave Le Clézio

 

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Sam Francis 2012 Fondation Sam Francis, Californie / Artists Rights Society (ARS), NY

Lithographie de 1971, 88.9 x 200 cm, Fine Arts Museums of San Francisco, San Francisco, CA, USA


J'aime la plus belle des lumières, chaude, jaune, celle qui apparaît quelquefois l'après-midi sur le mur d'une chambre face au sud. C'est en elle que je voudrais habiter, pendant des jours, des mois, des années. Souple, tiède, vivante, douce, jaune comme la paille, jaune comme la flamme des allumettes, elle entre par la fenêtre ouverte sans que je sache d'où elle vient, de quels sables, de quels champs de maïs ou de blé mûr.

Elle entre, pareille à une chevelure de femme, elle se met à bouger entre les murs de la chambre, d'un mouvement continu qui emplit de bonheur, d'un seul long mouvement qui se déploie et rebondit sans cesse, la belle lumière chaude, la lumière d'été. 

Je la sens venir, elle m'enveloppe comme l'air, mais sans rien qui trouble , elle regarde chaque parcelle de ma peau, elle me baigne et m'éclaire. Aucune lumière ne sait faire cela comme elle. Elle, elle est venue de tous les points de l'espace, poudre des soleils et des étoiles, parfum des astres. Lumière du tabac et des genêts, lumière du cuir, lumière de la bière, lumière des fleurs, lumière de la peau blonde et claire, elle supporte tout cela avec elle, comme une rivière qui coulerait sur elle-même. On n'entend pas son bruit. 


L'inconnu sur la terre, extrait, Collection l'Imaginaire, Gallimard

26/07/2013

Les papillons, de Gérard de Nerval

The Red Sphinx  - Odilon Redon


De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
- Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
- Moi, la moisson blondissante, 
Chevelure des sillons ; 
- Moi, le rossignol qui chante ; 
- Et moi, les beaux papillons !

Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !... 

Quand revient l'été superbe, 
Je m'en vais au bois tout seul :
Je m'étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul. 
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d'eux à son tour,
Passe comme une pensée 
De poésie ou d'amour ! 

Voici le papillon "faune",

Noir et jaune ;
Voici le "mars" azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D'un velours riche et moiré.

Voici le "vulcain" rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! le "soufré", dans l'espace,
Comme un éclair a relui...
Mais le joyeux "nacré" passe,
Et je ne vois plus que lui !

II

Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d'argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D'un or verdâtre et changeant.

Voici le "machaon-zèbre",
De fauve et de noir rayé ;
Le "deuil", en habit funèbre,
Et le "miroir" bleu strié ;
Voici l'"argus", feuille-morte,
Le "morio", le "grand-bleu",
Et le "paon-de-jour" qui porte
Sur chaque aile un oeil de feu !

Mais le soir brunit nos plaines ;
Les "phalènes"
Prennent leur essor bruyant,
Et les "sphinx" aux couleurs sombres,
Dans les ombres
Voltigent en tournoyant.

C'est le "grand-paon" à l'oeil rose
Dessiné sur un fond gris,
Qui ne vole qu'à nuit close,
Comme les chauves-souris ;
Le "bombice" du troëne,
Rayé de jaune et de vent,
Et le "papillon du chêne"
Qui ne meurt pas en hiver !...

Voici le "sphinx" à la tête
De squelette,
Peinte en blanc sur un fond noir,
Que le villageois redoute,
Sur sa route,
De voir voltiger le soir.

Je hais aussi les "phalènes",
Sombres hôtes de la nuit,
Qui voltigent dans nos plaines
De sept heures à minuit ;
Mais vous, papillons que j'aime,
Légers papillons de jour,
Tout en vous est un emblème
De poésie et d'amour !

III

Malheur, papillons que j'aime,
Doux emblème,
A vous pour votre beauté !...
Un doigt, de votre corsage,
Au passage,
Froisse, hélas ! le velouté !...

Une toute jeune fille
Au coeur tendre, au doux souris,
Perçant vos coeurs d'une aiguille,
Vous contemple, l'oeil surpris :
Et vos pattes sont coupées
Par l'ongle blanc qui les mord,
Et vos antennes crispées
Dans les douleurs de la mort !.


Extrait de Odelettes, 

Sylvie suivi de Les chimères et Odelettes, Collection de poche, Librio


Pastel d'Odilon Redon, Collection privée 'le Sphinx rouge", 61 x 49.5 cm

21/07/2013

Voyages parmi les couleurs de terre

typical_village_provence_04.jpgpalettes terre.jpgVoici l'exemple d'une palette intemporelle, qui évoque de multiples univers, et nous invite au voyage.

Évocation des couleurs de terre. Les ocres jaunes, les rouges , les oxydes rouges et les terres brûlées des  villages de Provence, de Roussillon par exemple. 

Couleurs chaudes des terres africaines, australiennes mais aussi d'Amérique du Nord.

epice-egypte.jpg

Ces couleurs sont aussi des couleurs d'épices: curcuma, curry, safran, piments, cumin, fenouil, gingembre, citronnelle...Nous sommes alors invités à un voyage des sens et du goût. Nos papilles sont toutes émoustillées et notre odorat sollicité!

Mais ce sont aussi des couleurs de l'industrie, de la modernité, des chantiers. Rouge et brun rouge de la rouille, des peintures industrielles. Jaune cadmium des engins de construction. Les couleurs de sables et de ciment.

engins de construction.jpgA chacun son voyage, ses références; et si vous prenez deux minutes pour réfléchir à ce que vous évoquent ces couleurs, vous continuerez à voyager dans le temps et l'espace, les odeurs et le goût...

Les couleurs, c'est la vie!

20/07/2013

56 poèmes (extrait), d'Emily Dickinson

 

 

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Le Jaune ourlait le Ciel

Coupé dans la quintescence du Jaune

Jusqu'à ce que le Safran vire au Vermillon

Sans qu'on puisse en voir le glissement.

 

56 poèmes, suivi de Trois Lettres, Editions Le Nouveau Commerce

Tableau de Rothko

 

16/06/2013

Chant III (extrait), de Jacques Ancet

Odilon Redon.jpg

Odilon Redon (référence inconnue)


Et pourtant, je reviens, & comment l’expliquer malgré tant de raisons d’abandonner, tant de raisons de s’enfermer, de disparaître, je reviens

comme après un jour de pluie dans le ciel obscur, la lumière soudain, & tout semble recommencer

les tasses brillent, le bois de la table, & sur la vitre un grand morceau de bleu où s’entrecroisent les branches noires 

un contre-jour où tu es là, & quand même, je dis oui au sourire, à la tendresse, à toutes ces années & leur ombre portée, oui à ce trop peu de temps qui reste

alors je reviens, je me dépêche,

je me dépêche pour chaque objet, la chaise, la table, le fauteuil, le tapis,

pour le jaune des pommes, le vert de l’hibiscus & du lierre, pour le livre entr’ouvert, le frémissement des feuilles

pour le mystère de ces deux-là, devant leur café, le brouhaha des voix, les soupirs du percolateur, le jour qui tombe & le clin d’œil des lampes

pour le matin de la blancheur & du givre, du bleu pâle des yeux au milieu des images,

pour le vent qu’on ne voit pas & qu’on voit pourtant dans les arbres secoués ou la dérive des nuages, & qu’on entend, parfois,

c’est un soupir comme glissé sous le silence, une sorte de voix sans mots qu’on écoute un instant


Ode au renoncement, Lettres Vives, 2013 

http://jacques.ancet.pagesperso-orange.fr/textes.htm

09/06/2013

Viens traverser le lac, (extrait) de Sarah Kirsch

Estampe d'Utamaro


Moi c’est comme ça : quand les cigognes

Finissent par s’endormir au sommet de leurs cheminées

Les grenouilles commencent

Leur âpre tapage.

Elles sortent de partout, la lumière de ma lampe

Tombe sur leur gosier jaune tout gonflé, leur dos

S’enfonce dans l’eau toute noire, l’eau çà et là étale

Dans l’enchevêtrement des plantes. Quand les chats

Toujours à la même heure et furtivement s’approchent

Les souris prennent peur

Pour leur chère nichée à cinq queues. Pour le moment

Je suis là dans un nuage on ne peut plus sombre à fumer et jurer

Toi belle peau de pauvre chiffe et de vive la baise

Et de ça n’aime que soi œil joli gris

Œil gris qui louche ah va-t-en et vite

 


Traduction inédite de Maurice Régnault http://poezibao.typepad.com/files/sarah-kirsch-traductions-de-maurice-regnaut.pdf

09/05/2013

Les Iris, de Philippe Jaccottet

 Vincent van Gogh, les iris.jpg

Les iris, Vincent van Gogh, huile sur toile de 71x93 cm,

 J. Paul Getty Museum, Los Angeles, California, États-Unis

 

   Les iris poussent au hasard dans un enclos d'herbes hautes — couleur mauve ou violet sombre — sortis de leurs papiers de soie parmi leurs dures lames vertes. Ou ceux, de couleur jaune, qui poussent dans les marais et les canaux. Et ces toutes petites fleurs basses — jaunes ou roses — qui s'accrochent aux pierres, aux rochers, qui leur tiennent lieu de pelage, doux, gras et chaud, modeste et tenace.

 

                                             *

                                           

   Le parfum des iris, très doux, sucré, presque suave, évoquant, me semble-t-il, l'idée qu'on a pu se faire, adolescent, du féminin : de quoi vous tourner la tête... Avec cette espèce de chenille d'un jaune éclatant, solaire, mais si bien cachée sous les pétales bleu pâle comme sous des langues d'eau. Mais le mot "chenille"  gêne, et "brosse" tout autant. Une réserve de poudre d'or, un pelage d'or, une toison peut-être, cachée dans la soie de la robe ?

 

Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d'ombreNotes sauvegardées, 1952-2005, Le Bruit du temps, 2013, p. 47, 154.

 

14/11/2012

Salamandre, de Pascal Commère

 

dessin reptile 0071 salamandre tachetee - salamandra maculosa.jpg

Dessin couleur de reptile d'après "Dictionnaire universel d'histoire naturelle" Atlas Zoologie Tome 2 reptiles et poissons par C. d'Orbigny - Paris


Un autre jour sur le canal – on dit 
cela ici pour dire le halage : 
une salamandre morte, out peut-être pas 
et quand je la prends dans ma main, elle bouge 
très faiblement. Et moi je pense 
dans le monde fragile à toutes les choses 
comme ça presque mortes ou pas encore, 
et cela dans le froid remue – ventre étroit, 
pâte pleine la couleur prise, le jaune très épais 
dans sa propre couleur. Ou c’est peut-être 
de la bave, ou le gris lentement qui vient,  
ciel et cailloux – le froid 
 

Pascal Commère, Des Laines qui éclairent, anthologie (1978-2009), co-édition Obsidiane/Le Temps qu’il fait, 2012 p. 166 . Merci à Poézibao

19/10/2012

La rose noire, Zbigniew Herbert

 [brett walker]


elle apparaît

noire

aux yeux aveuglés

par la chaux

 

elle effleure l'air

et se fige

diamant

rose noire

dans le chaos des planètes

 

jouant

du pipeau de l'imagination

fais sortir

les couleurs

de la rose

noire

comme un souvenir

de la ville calcinée

 

le violet — pour le poison et la cathédrale

le rouge — pour le bifteck et le roi

l'azur — pour l'horloge

le jaune — pour l'os et l'océan

le vert — pour la jeune fille changée en arbre

le blanc — pour le blanc

 

Zbigniew Herbert,  Corde de lumière, Œuvres poétiques complètes I, édition bilingue, traduit du polonais par Brigitte Gautier, Le Bruit du temps, 2011, p. 393.

Photo de Brett Walker

07/07/2012

Testament, de Maria Elena VIEIRA DA SILVA


" Je lègue à mes amis
un bleu céruléum pour voler haut
un bleu de cobalt pour le bonheur
un bleu d'outremer pour stimuler l'esprit
un vermillon pour faire circuler le sang allègrement
un vert mouse pour apaiser les nerfs
un jaune d'or : richesse
un violet de cobalt pour la rêverie
une garance qui fait entendre le violoncelle
un jaune barite : science-fiction, brillance, éclat
un ocre jaune pour accepter la terre
un vert Véronèse pour la mémoire du printemps
un indigo pour pouvoir accorder l'esprit à l'orage
un orange pour exercer la vue d'un citronnier au loin
un jaune citron pour la grâce
un blanc pur : pureté
terre de sienne naturelle : la transmission de l'or
un noir somptueux pour voir Titien
une terre d'ombre naturelle pour mieux accepter la mélancolie noire
une terre de sienne brûlée pour le sentiment de la durée. "

Née à Lisbonne en 1908, l’artiste portugaise s’est exilée en France dès 1928 où elle a été une des fondatrices de l’école de Paris. En 1930, elle épouse le peintre hongrois Arpad Szenes (mort en 1985). D’abord figurative, au milieu des années 1930, Maria Helena Vieira da Silva ébauche son style en forme de patchwork qui la rendra mondialement célèbre. En 1938, elle accueille dans son atelier parisien le jeune peintres, Nicolas de Staël. C’est dans les années 1950 qu’elle se positionne comme un peintre de premier plan. Elle est morte à paris en 1992.

Oil on marouflaged cardboard on canvas Size: 31 x 46,5 cm. 1949

22/05/2012

Pourquoi je vis, de Boris Vian

   
 

Pourquoi que je vis
Pourquoi que je vis
Pour la jambe jaune
D'une femme blonde
Appuyée au mur
Sous le plein soleil
Pour la voile ronde
D'un pointu du port
Pour l'ombre des stores
Le café glacé
Qu'on boit dans un tube
Pour toucher le sable
Voir le fond de l'eau
Qui devient si bleu
Qui descend si bas
Avec les poissons
Les calmes poissons
Ils paissent le fond
Volent au-dessus
Des algues cheveux
Comme zoizeaux lents
Comme zoizeaux bleus
Pourquoi que je vis
Parce que c'est joli

Extrait du recueil "Je ne voudrais pas crever" Editions des Allusifs

Summer Evening - Edward Hopper. 1947, Collection privée

05/04/2012

Inspirations couleurs: rouge, rose, vert, jaune...

felix vallotton.jpg

Félix Vallotton, Sur la plage, 1899.

gauguin.femmes-tahiti.jpg

Paul Gauguin, 1891 Femmes de Tahiti, Sur la plage,  Oil on canvas, 69 x 91 cm  Musee d'Orsay


                     


 Edgar Degas (1834-1917)


Le Bellechasse, un hôtel couture signé Christian Lacroix

 Hôtel Bellechasse, aménagé par Christian Lacroix, 2007


En matière de décoration, tout est question de proportion, de rythmes, de nature même de chacune des couleurs. Et cette proportion, ce rythme vont être guidés par l'histoire que je vais raconter avec et pour mon client. A partir de mêmes couleurs, le ressenti va être très différent.

Cette histoire a de multiples sources d'inspiration.  La peinture à travers les siècles en fait partie.

Dernièrement, une de mes clientes me demandait si elle pouvait associer du rose, du rouge et du jaune....Cela lui paraissait violent et ne correspondant pas à l'idée qu'elle se faisait d'un décor équilibré et harmonieux.

Je l'ai rassuré imédiatement, et lui ai montré le travail de Christian Lacroix, qui a joué sur l'acidité de chacune de ces couleurs. C'est un parti pris , mais qu'autres ont apporté plus de douceur et de légérété. 

Le vert, et plus plus particulièrement un vert jaune est un excellent lien entre ses couleurs gourmandes. Pour exemple, FélixVallotton, Paul Gauguin, Edgar Degas  ont nourri cette palette de couleurs, chacun avec leur style et leur personnalité. 


07/03/2012

Lettre, de Li Po

René Magritte 
Homage to Mack Sennett 1937
via History of Art
oil on canvas



 
Mon amour, 
                       Quand tu habitais là il y avait 
                            toute une maisonnée de fleurs. 
Tu n’habites plus là et il n’y a 
              plus qu’un lit vide. 
Sous la courtepointe brodée 
              je me tourne et me retourne. 
Trois ans déjà 
              que je sens ton parfum. 
Ton parfum n’est jamais parti, lui 
Mais toi, tu ne reviens jamais. 
Je pense à toi, les feuilles jaunes sont bien mortes 
Et moite, la gelée blanche couvre la mousse verte. 
 
 


Traduction par Auxeméry de la traduction d’un poème de Li Po par W.C. Williams (in The New Directions, Anthology of Classical Chinese Poetry, Edited by Eliot Weinberger,  New Directions, 2003.) 

 

Tableau de René Magritte , Homage to Mack Sennett 1937