26/11/2011
A propos de Miklos Bukor, d'Yves Bonnefoy
Couleurs fertiles; de tous ces sels qui affleurent dans leur écume, en des irisations dont s'éclaire et se simplifie notre conscience du monde.
Couleurs? Non l'expérience du monde, du destin que la couleur a permise; et qu'elle accompagne très loin, de tout son fleurissement de chrysanthème ou d'ombelle, mais laisse à la fin se déployer seule.
Ce n'est pas la passion de la couleur, comme l'on dit, qui anime Miklos Bokor, c'est la passion qui se fait en lui couleur, ombres de couleur, afin de clarifier, de se musicaliser, de se délivrer de sa part d'angoisse, d'augmenter sa part de gaieté divine -- de se transmuter en sagesse.
Celui qui sait retrouver ses sentiments les plus tenus, les plus fugitifs, dans la couleur ou le grain des choses de la nature découvre vite que celle-ci nous propose, dans ses accords de tons, de matière, une solution aux conflits que ses sentiments déchainent dans l'isolement, dans l'esseulement, de l'esprit qui l'a oubliée. il comprend que l'apparence sensible n'est nullement, par rapport à nous, une indifférence, mais la parole qui va sans mots et n'en est que plus véridique.
Peindre, comme le fait Bokor: passer le langage au tamis de l'eau qui bouge dans l'eau, du soleil qui se lève dans les arbres. ne demeurent des mots que ceux qu'il n'a plus besoin de prononcer, si transparente est leur évidence.
Récits en rêve, Remarques sur la couleur, A propos de Miklos Bokor (extrait) p162, 163, 165, 166, Mercure de France
Tableau de Miklos Bukor;
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06/11/2011
Les planches courbes, (extraits) d'Yves Bonnefoy
Une autre fois.
Il faisait nuit encore. De l’eau glissait
Silencieusement sur le sol noir,
Et je savais que je n’aurais pour tâche
Que de me souvenir, et je riais,
Je me penchais, je prenais dans la boue
Une brassée de branches et de feuilles,
J’en soulevais la masse, qui ruisselait
Dans mes bras resserrés contre mon cœur.
Que faire de ce bois où de tant d’absence
Montait pourtant le bruit de la couleur,
Peu importe, j’allais en hâte, à la recherche
D’au moins quelque hangar, sous cette charge
De branches qui avaient de toute part
Des angles, des élancements, des pointes, des cris.
Et des voix, qui jetaient des ombres sur la route,
Ou m’appelaient, et je me retournais,
Le cœur précipité sur la route vide.
Les planches courbes, Poésies Gallimard
Photo de Pierre Gaudu
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