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22/02/2024

L'affiche rouge, de Louis Aragon

 

rouge, noir, couleur, Aragon



Vous n'avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.

Louis Aragon.
Recueil : Le Roman inachevé (1956)

 

L'affiche rouge, chantée par Feu! Chatterton lors de la cérémonie au Panthéon du 21 février 2024  en hommage à Missak Manouchian et aux membres du groupe de l'Affiche rouge. Musique Léo Ferré

https://youtu.be/qoDXRtfSCvY?si=vmbT_B3-VfHNWFE3

 

18:51 Publié dans Couleur, Noir, Rouge | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : noir, rouge, couleur, aragon |  Facebook |  Imprimer | | Pin it! |

11/04/2015

La naissance du printemps, de Louis Aragon

Karenina-Fabrizzi1gg-500x505.jpg

Karenina Fabrizzi

 


 
                                    à Jacques Decourt 
 

AVRIL renaît Voici ses rubans et ses flammes
Ses mille petits cris ses gentils pépiements
Ses bigoudis ses fleurs ses hommes et ses femmes
Je lui fais de ses couleurs tous mes compliments 
 
Dieu que de baisers fous sur l’appui des fenêtres
Nous n'avons pas fini de compter les baisers
Il y a des semaines entières sous les hêtres
Où chantent les pinsons au plumage frisé 
 
Avril n’a pas toujours vécu sous les lambris 
Il fut petit pâtissier puis compte-goutte 
Il gagna son pain à la sueur de son front 
De fil en aiguille il devint contrôleur des finances 
Enfin par un soleil de tous les diables 
Il tomba tout à coup amoureux 
 

 

Louis Aragon, Le Mouvement perpétuel précédé de Feu de joie et suivi de Écritures automatiques. Préface d'Alain Jouffroy. Paris : Gallimard / Poésie, 1970 

A retrouver sur le site de Poezibao

17/09/2012

Les Yeux d'Elsa , d'Aragon

 

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa


Extrait des" yeux d'Elsa, Editions Seguers

Photo d'Edward Weston : Portrait de Cela Olin Nahui (vers 1920)

18/03/2012

L'affiche rouge, d'Aragon



Vous n'aviez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants.
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents

Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement 
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses,
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui va demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient La France en s'abattant 


Louis Aragon, Le Roman Inachevé, Gallimard, 1955
Musique de Léo Ferré, 1959

Plus d'information sur cette affiche de propagande allemande: http://www.culture.lyon.fr/static/culture/contenu/pdf/mus...

25/11/2011

Matisse parle, d'Aragon


Matisse,Aragon, noir, blanc

Je défais dans mes mains toutes les chevelures
Le jour a les couleurs que lui donnent mes mains
Tout ce qu´enfle un soupir dans ma chambre est voilure
Et le rève durable est mon regard demain

Toute fleur d´être nue est semblables aux captives
Qui font trembler les doigts par leur seule beauté
J´attends je vois je songe et le ciel qui dérive
Est simple devant moi comme une robe otée

J´explique sans les mots le pas qui fait la ronde
J´explique le pied nu qu´a le vent effacé
J´explique sans mystère un moment de ce monde
J´explique le soleil sur l´épaule pensée

J´explique un dessin noir à la fenêtre ouverte
J´explique les oiseaux les arbres les saisons
J´explique le bonheur muet des plantes vertes
J´explique le silence étrange des maisons
                                                                               
J´explique infiniment l´ombre et la transparence
J´explique le toucher des femmes leur éclat
J´explique un firmament d´objets par différence
J´explique le rapport des choses que voilà

J´explique le parfum des formes passagères
J´explique ce qui fait chanter le papier blanc
J´explique ce qui fait qu´une feuille est légère
Et les branches qui sont des bras un peu plus lents

Je rends à la lumière un tribut de justice
Immobile au milieu des malheurs de ce temps
Je peins l´espoir des yeux afin qu´Henri Matisse
Témoigne à l´avenir ce que l´homme en attend


Extrait du Crève Coeur, Gallimard, 1957

Figure décorative sur fond oriental

11/02/2011

Les Yeux d'Elsa, d'Aragon

 

poème;poésie,les yeux d'elsa,aragon

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa

Extrait de "Les yeux d'Elsa"

Tableau de Picasso: Rêve (1932)