Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/12/2012

Le désir de peindre, de Charles Baudelaire

 

Edouard-Manet-La-Viennoise-Portrait-dIrma-Brunner-843x1024.jpg

Edouard Manet (1832-1883) Portrait d'Irma Brunner Vers 1880, Pastel sur toile, H. 53,5 ; H. 44,1 cm
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Jean-Gilles Berizzi

Malheureux peut-être l’homme, mais heureux l’artiste que le désir déchire !

Je brûle de peindre celle qui m’est apparue si rarement et qui a fui si vite, comme une belle chose regrettable derrière le voyageur emporté dans la nuit. Comme il y a longtemps déjà qu’elle a disparu !

Elle est belle, et plus que belle ; elle est surprenante. En elle le noir abonde : et tout ce qu’elle inspire est nocturne et profond. Ses yeux sont deux antres où scintille vaguement le mystère, et son regard illumine comme l’éclair : c’est une explosion dans les ténèbres.

Je la comparerais à un soleil noir, si l’on pouvait concevoir un astre noir versant la lumière et le bonheur. Mais elle fait plus volontiers penser à la lune, qui sans doute l’a marquée de sa redoutable influence ; non pas la lune blanche des idylles, qui ressemble à une froide mariée, mais la lune sinistre et enivrante, suspendue au fond d’une nuit orageuse et bousculée par les nuées qui courent ; non pas la lune paisible et discrète visitant le sommeil des hommes purs, mais la lune arrachée du ciel, vaincue et révoltée, que les Sorcières thessaliennes contraignent durement à danser sur l’herbe terrifiée !

Dans son petit front habitent la volonté tenace et l’amour de la proie. Cependant, au bas de ce visage inquiétant, où des narines mobiles aspirent l’inconnu et l’impossible, éclate, avec une grâce inexprimable, le rire d’une grande bouche, rouge et blanche, et délicieuse, qui fait rêver au miracle d’une superbe fleur éclose dans un terrain volcanique.

Il y a des femmes qui inspirent l’envie de les vaincre et de jouir d’elles ; mais celle-ci donne le désir de mourir lentement sous son regard.


Petits Poèmes en proses

27/12/2012

Larme, d'Arthur Rimbaud

 

ZAO WOU-KI, GRAVURE ET AQUATINTE N ° 252.jpg

ZAO WOU-KI, Eau-forte et aquatinte numéro 252, 56 x 76 cm, 1974 

 

Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Je buvais, accroupi dans quelque bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d’après-midi tiède et vert.

Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,
Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert.
Que tirais-je à la gourde de colocase ?
Quelque liqueur d’or, fade et qui fait suer.

Tel, j’eusse été mauvaise enseigne d’auberge.
Puis l’orage changea le ciel, jusqu’au soir.
Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches,
Des colonnades sous la nuit bleue, des gares.

L’eau des bois se perdait sur des sables vierges,
Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares…
Or ! tel qu’un pêcheur d’or ou de coquillages,
Dire que je n’ai pas eu souci de boire !

Mai 1872

Arthur Rimbaud, Derniers vers

 

18/12/2012

Mettons, de Jacques Roubaud

 

poésie,poème,poésie et couleurs,mettons,jacques roubaud,gris

 

 

mettons de la couleur dans les angles calmes

où le gris d’arche s’étale posément
vérifions le comput des éléments
l’équilibre du dessin et de la trame

contre les bords de chaque page une flamme
souligne de sa fumée, beau condiment
bougie ou filament incandescent griment
les murs du pinceau du stylet du calame

mettons de la permutation dans les lignes
descente des césures vers les débuts
des vers petit à petit circonférences

vers refermés au centre spirale. signes
d’un paraphe-gribouille. le crayon n’eut
besoin que d’un verre d’eau sans incidences.

Rome, octobre 2003

Jacques Roubaud, Churchill 40 et autres sonnets de voyage, 2000-2003, Gallimard, 2004, p. 61.

Dessin d'Henri Michaux

 

16/12/2012

Matin, de Charles Cros


 

Voici le matin bleu. Ma rose et blonde amie
Lasse d'amour, sous mes baisers, s'est endormie. 
Voici le matin bleu qui vient sur l'oreiller 
Éteindre les lueurs oranges du foyer.

L'insoucieuse dort. La fatigue a fait taire 
Le babil de cristal, les soupirs de panthère. 
Les voraces baisers et les rires perlés. 
Et l'or capricieux des cheveux déroulés 
Fait un cadre ondoyant à la tête qui penche. 
Nue et fière de ses contours, la gorge blanche 
Où, sur les deux sommets, fleurit le sang vermeil, 
Se soulève et s'abaisse au rhythme du sommeil.

La robe, nid de soie, à terre est affaissée. 
Hier, sous des blancheurs de batiste froissée 
La forme en a jailli libre, papillon blanc. 
Qui sort de son cocon, l'aile collée au flanc.

A côté, sur leurs hauts talons, sont les bottines
Qui font aux petits pieds ces allures mutines,
Et les bas, faits de fils de la vierge croisés, 
Qui prennent sur la peau des chatoiements rosés.

Epars dans tous les coins de la chambre muette
Je revois les débris de la fière toilette 
Qu'elle portait, quand elle est arrivée hier 
Tout imprégnée encor des senteurs de l'hiver.


Recueil le Coffret de Santal

Henri de Toulouse Lautrec (1864-1901) : « Femme nue allongée » ,Huile sur carton, signée en bas à gauche. Dim. 22 x 30 cm. Provenance : Collection particulière

15/12/2012

Sonia de Georg Trakl

Denise Eyer-Oggier 100x100cm.jpg

                  © Denise Eyer-Oggier 100x100cm 2010, Garden of full illusions III


« Le soir qui revient dans le vieux jardin ;
Vie de Sonia, bleu du silence.
Le vol lointains des migrateurs;
Arbre nu, automne et  silence.

Tournesol tendrement penché
Sur Sonia et sa blanche vie.
Plaie sanglante jamais montrée r
Éveille en les chambres la vie

Où résonnent le bleu des cloches ;
Pas de Sonia tendre silence.
Bête qui meurt salue et passe
Arbre nu, automne et  silence.

Soleil des jours anciens rayonne
Sur Sonia et ses blancs sourcils 
Neige qui humecte ses joues,
Et le fourré de ses sourcils. »

 

Trakl Poème II traduction par Jacques Legrand GF Flammarion

Denise Eyer-Oggier :

09/12/2012

Le tramway, de Claude Simon

                      P1040450

                             

Personne ne ramassait les olives tombées de l’arbre et dont les pulpes écrasées parsemaient de taches noires les trois marches de brique par lesquelles, tournant brusquement à droite, se terminait la première rampe du sentier bordé de ces buissons d’un bleu pâle, personne non plus, sauf les enfants, ne faisait attention aux figues trop mûres, à la peau ratatinée et ridée, presque noire, à la chair éclatée, pourpre, granuleuse et sucrée, éparpillées quelques mètres plus loin parmi les touffes d’herbe encore vertes du pré roussi par l’été et qu’il fallait dans l’odorant et lourd parfum des feuilles disputer aux fourmis. Au bout de l’allée bordée de mûriers, le tramway s’arrêtait au pied du grand pin parasol dont le tronc penché par le vent, presque couché à sa base, était recouvert non pas exactement d’écorce mais d’épaisses écailles encastrées l’une dans l’autre en losanges, d’un gris soyeux, légèrement teinté de rose en leur centre et bordées d’un rugueux bourrelet brun. Entre deux d’entre elles sourdait en permanence une coulée de résine qui formait d’abord une grosse bulle, à peu près de la taille d’une groseille, d’un jaune d’or étincelant au soleil et dont la base se couvrait d’une sorte de taie avant de finir par s’écouler en une longue traînée de larmes grises, peu à peu blanchâtre, comme une fiente d’oiseau. 

Claude Simon, Le tramway, les éditions de Minuit, 2001, p. 139-140

Photographie non libres de droit : © Coline Termash  http://colinetermash.canalblog.com/  que je remercie.

 


08/12/2012

Rondeau, de Georg Trakl

Denise Eyer-Oggier 100x100cm 12 avril 2012.jpg

"J'aime surtout ceux qu'il est difficile d'aimer" Léonard Valette, 100 x 100 cm, 12 avril 2012, © Denise Eyer-Oggier


Il s'est enfui l'or de nos jours,

Enfuis les bruns, les bleus du soir :

Mortes les flûtes du pastour

Enfuis les bleus, les bruns du soir

Il s'est enfui l'or de nos jours.


Trakl, Poèmes II, GF flammarion, page 67

Denise Eyer-Oggier :

01/12/2012

Conseil en couleurs dans une villa

Rueil5.jpg

Double mission dans cette villa. Apporter de la couleur sur des murs lontgemps restés blancs. Elles se sont fondues dans le décor comme si elles avaient toujours été là. Et réalisation d'un mur en chaux brossée patinée. Pour en savoir plus, c'est ICI.


Gauguin (Lettre à Jacques Brel), de Barbara

gauguin44.jpg
Près de la mer, 1892, huile sur toile, 67,9 × 91,5 cm, National Gallery of Art 


Il pleut sur l'île d'Hiva-Oa.
Le vent, sur les longs arbres verts
Jette des sables d'ocre mouillés.
Il pleut sur un ciel de corail
Comme une pluie venue du Nord
Qui délave les ocres rouges
Et les bleus-violets de Gauguin.
Il pleut.
Les Marquises sont devenues grises.
Le Zéphir est un vent du Nord,
Ce matin-là,
Sur l'île qui sommeille encore.

Il a dû s'étonner, Gauguin,
Quand ses femmes aux yeux de velours
Ont pleuré des larmes de pluie
Qui venaient de la mer du Nord.
Il a dû s'étonner, Gauguin,
Comme un grand danseur fatigué
Avec ton regard de l'enfance.

Bonjour monsieur Gauguin.
Faites-moi place.
Je suis un voyageur lointain.
J'arrive des brumes du Nord
Et je viens dormir au soleil.
Faites-moi place.

Tu sais,
Ce n'est pas que tu sois parti
Qui m'importe.
D'ailleurs, tu n'es jamais parti.
Ce n'est pas que tu ne chantes plus
Qui m'importe.
D'ailleurs, pour moi, tu chantes encore,
Mais penser qu'un jour,

 

Les vents que tu aimais
Te devenaient contraire,
Penser
Que plus jamais
Tu ne navigueras
Ni le ciel ni la mer,

Plus jamais, en avril,
Toucher le lilas blanc,
Plus jamais voir le ciel
Au-dessus du canal.
Mais qui peut dire ?
Moi qui te connais bien,
Je suis sûre qu'aujourd'hui
Tu caresses les seins
Des femmes de Gauguin
Et qu'il peint Amsterdam.
Vous regardez ensemble
Se lever le soleil
Au-dessus des lagunes
Où galopent des chevaux blancs
Et ton rire me parvient,
En cascade, en torrent
Et traverse
la mer
Et le ciel et les vents
Et ta voix chante encore.
Il a dû s'étonner, Gauguin,
Quand ses femmes aux yeux de velours
Ont pleuré des larmes de pluie
Qui venaient de la mer du Nord.
Il a dû s'étonner, Gauguin.

Souvent, je pense à toi
Qui a longé les dunes
Et traversé le Nord
Pour aller dormir au soleil,
Là-bas, sous un ciel de corail.
C'était ta volonté.
Sois bien.
Dors bien.
Souvent, je pense à toi.

Je signe Léonie.
Toi, tu sais qui je suis,
Dors bien.