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28/02/2015

En forêt, de Germain Nouveau

  

Paul Klee tropical-twilight-1921(1).jpg

Paul Klee, Tropische Dämmerung, 33.5 x 23 cm, 1921

 

 

Dans la forêt étrange, c'est la nuit ; 

C'est comme un noir silence qui bruit ; 

  

Dans la forêt, ici blanche et là brune, 

En pleurs de lait filtre le clair de lune. 

  

Un vent d'été, qui souffle on ne sait d'où, 

Erre en rêvant comme une âme de fou ; 

  

Et, sous des yeux d'étoile épanouie, 

La forêt chante avec un bruit de pluie. 

  

Parfois il vient des gémissements doux 

Des lointains bleus pleins d'oiseaux et de loups ; 

  

Il vient aussi des senteurs de repaires ; 

C'est l'heure froide où dorment les vipères, 

  

L'heure où l'amour s'épeure au fond du nid, 

Où s'élabore en secret l'aconit ; 

  

Où l'être qui garde une chère offense, 

Se sentant seul et loin des hommes, pense. 

  

— Pourtant la lune est bonne dans le ciel, 

Qui verse, avec un sourire de miel, 

  

Son âme calme et ses pâleurs amies 

Au troupeau roux des roches endormies. 

  

  

  

  

L'Amour de l'amour, Choix et présentation par Jacques Brenner, La Différence, 1992

 

 

 

 

28/09/2013

Train rapide, de Gottfried Benn

 

Marc leonardpaysage-grande-vitesse3.jpg

Marc Leonard, Paysage grande vitesse, à retrouver sur son site http://marcleonard.fr

 


D'un brun de cognac. D'un brun de feuillage. Brun-rouge.

Jaune malais.

Train rapide Berlin-Trelleborg et les stations de la Baltique.


Chair qui allait nue.

Jusque dans la bouche brunie par la mer.

Plénitude inclinée vers le bonheur grec.

Nostalgie de faucille : comme l'été est avancé!

L'avant-dernier jour déjà du neuvième mois!


Chaume et dernière meule languissent en nous.

Épanouissements, le sang, les lassitudes,

la présence des dahlias nous bouleverse.


Le brun des hommes se précipite sur le brun des femmes :


Une femme c'est l'affaire d'une nuit.

et encore d'une autre si cela était bien!

Oh! et puis de nouveau cet Être-face-à-soi-même!

Ces mutismes! Cet engrenage!


Une femme c'est une odeur.

Un ineffable! Dépéris, réséda.

C'est le Sud, le berger et la mer.

Sur chaque pente pèse un bonheur.

Le brun clair des femmes s'affole au brun sombre des hommes .


Retiens moi! Oh, toi! Je tombe!

Ma nuque est si lasse.

Oh, ce dernier parfum

doux et fiévreux qui monte des jardins.

 
 

Choix de poèmes, traduction de Jean-Charles Lombard, Seghers, Paris, 1965.

Collection : Poètes d'aujourd'hui, n° 134 (épuisé)

13/01/2013

Madonna mia, d'Oscar Wilde

 

Dante Gabriel Rossatti, Jane Morris, la robe de soie bleue, 1868

 Jane Morris, la robe de soie bleue, peint en 1868 par Dante Gabriel Rossetti, huile sur toile (110,5 x 90,2 cm), Musée d'Orsay,The Society of Antiquaries, Londres,Kelmscott Manor Collection


Une fillette, un lis, inapte à la douleur du monde,

Cheveux bruns et soyeux tressés autour de ses oreilles,

Aux yeux charmeurs voilés de larmes folles,

Telle une eau d'un bleu pur dans un brouillard de pluie,

 

Et des joues pâles ignorantes des baisers,

Lèvres rouges qui ont toujours craint l'amour,

Gorge aussi blanche que gorge de colombe,

Sur le marbre de laquelle s'inscrit une veine de pourpre.

 

Pourtant, bien que mes lèvres ne cessent de te louer,

Je n'ose même pas embrasser ton pied,

Tant je suis assombri par les ailes de la peur,

 

Tel Dante, se tenant auprès de Béatrice,

Sous le poitrail en feu du Lion, lorsqu'il vit

La septième splendeur et l'escalier d'or (1).

 

Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard Delvaille, dans op. cité., p. 13.

1 Allusion à un passage de Dante (Le Paradis, XXI, 13-15) : « Nous sommes élevés à la septième splendeur, / qui, sous le poitrail du lion ardent, / mêle maintenant ses rayons au siens » (traduction de Jacqueline Risset, Flammarion, 1996) [Note de la Pléiade, p. 1576].


09/12/2012

Le tramway, de Claude Simon

                      P1040450

                             

Personne ne ramassait les olives tombées de l’arbre et dont les pulpes écrasées parsemaient de taches noires les trois marches de brique par lesquelles, tournant brusquement à droite, se terminait la première rampe du sentier bordé de ces buissons d’un bleu pâle, personne non plus, sauf les enfants, ne faisait attention aux figues trop mûres, à la peau ratatinée et ridée, presque noire, à la chair éclatée, pourpre, granuleuse et sucrée, éparpillées quelques mètres plus loin parmi les touffes d’herbe encore vertes du pré roussi par l’été et qu’il fallait dans l’odorant et lourd parfum des feuilles disputer aux fourmis. Au bout de l’allée bordée de mûriers, le tramway s’arrêtait au pied du grand pin parasol dont le tronc penché par le vent, presque couché à sa base, était recouvert non pas exactement d’écorce mais d’épaisses écailles encastrées l’une dans l’autre en losanges, d’un gris soyeux, légèrement teinté de rose en leur centre et bordées d’un rugueux bourrelet brun. Entre deux d’entre elles sourdait en permanence une coulée de résine qui formait d’abord une grosse bulle, à peu près de la taille d’une groseille, d’un jaune d’or étincelant au soleil et dont la base se couvrait d’une sorte de taie avant de finir par s’écouler en une longue traînée de larmes grises, peu à peu blanchâtre, comme une fiente d’oiseau. 

Claude Simon, Le tramway, les éditions de Minuit, 2001, p. 139-140

Photographie non libres de droit : © Coline Termash  http://colinetermash.canalblog.com/  que je remercie.

 


08/12/2012

Rondeau, de Georg Trakl

Denise Eyer-Oggier 100x100cm 12 avril 2012.jpg

"J'aime surtout ceux qu'il est difficile d'aimer" Léonard Valette, 100 x 100 cm, 12 avril 2012, © Denise Eyer-Oggier


Il s'est enfui l'or de nos jours,

Enfuis les bruns, les bleus du soir :

Mortes les flûtes du pastour

Enfuis les bleus, les bruns du soir

Il s'est enfui l'or de nos jours.


Trakl, Poèmes II, GF flammarion, page 67

Denise Eyer-Oggier :

24/01/2012

(Oriolidés) & Ictéridés, de Fabienne Raphoz

 

Jan Van Kessel I (1626-1679)
Bird Tree, 17th century


(Oriolidés) & Ictéridés

Le sphécothère est un loriot

Tous les loriots piquent rouge sauf le Loriot ensanglanté le Loriot pourpré

Et le Loriot argenté – qui portent rouge – et les trois sphécothères – qui

voient rouge

Penser loriot c’est penser jaune or comme en latin pour un Européen un

Africain un Philippin un Indien un Chinois mais par pour un Australien

qui pensera vert comme en grec ni un Papou un Moluquais un Timorais

qui pensera brun

Le Loriot d’Europe est un court pendu un orgelet un lirou ar glazaour un

pendulo un pirol un rigogolo ein Herr von Bülau ein Schulz von Taran ein

Koch von Kulan eine Bierule  ein Regenvogel

Pour tout le vieux Continent siffler loriot c’est siffler beau


Jeux d'oiseaux dans un ciel vide augures, Ediditions Héros-Limite, p 181

Tableau de Jan  Van Kessel I (1626-1679), l'Arbre à oiseaux

04/01/2012

Les Lettres d’Idumée (extrait), de Marie Etienne

 

 

C-aspar David -Friedrich-peinture.jpg



Je vis d’un monde vide, couleur de sable, on m’y attend, on m’y contente. J’y suis la proie et la traverse, la beauté rouge le mécompte, votre perte l’a fait, a fait de moi cette passante au soir couchée dans l’encre mauve, dans la fraîcheur dans les jardins le froid, dans la buée la lune, derrière l’église.

Au bord de mon voyage des silhouettes brunes ont l’immobilité de ces statues de terre qu’interdisent les lois. Ce sont des hommes morts qui ne le savent pas.

Je suis l’arbre parfait mais je n’ai plus de chant.

Plaignez-moi car je vous en prie. 

 

Le Livre des recels, Collection Poésie chez Flammarion

 

Le blog de Marie Etienne http://leblogdemarieetienne.wordpress.com/   

Tableau de Caspar David Friedrich, (1775 1842L'abbaye dans le bois, 1809/1810