Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/11/2013

L'été, d'Albert Camus

odilon Redon.jpg

J’ai grandi dans la mer et la pauvreté m’a été fastueuse, puis j’ai perdu la mer, tous les luxes alors m’ont paru gris, la misère intolérable. Depuis, j’attends. J’attends les navires du retour, la maison des eaux, le jour limpide. Je patiente, je suis poli de toutes mes forces. On me voit passer dans de belles rues savantes, j’admire les paysages, j’applaudis comme tout le monde, je donne la main, ce n’est pas moi qui parle. On me loue, je rêve un peu, on m’offense, je m’étonne à peine. Puis j’oublie et souris à qui m’outrage, ou je salue trop courtoisement celui que j’aime. Que faire si je n’ai de mémoire que pour une seule image ? On me somme enfin de dire qui je suis. « Rien encore, rien encore... »
C’est aux enterrements que je me surpasse. J’excelle vraiment. Je marche d’un pas lent dans des banlieues fleuries de ferrailles, j’emprunte de larges allées, plantées d’arbres de ciment, et qui conduisent à des trous de terre froide. Là, sous le pansement à peine rougi du ciel, je regarde de hardis compagnons inhumer mes amis par trois mètres de fond. La fleur qu’une main glaiseuse me tend alors, si je la jette, elle ne manque jamais la fosse. J’ai la piété précise, l’émotion exacte, la nuque convenablement inclinée. On admire que mes paroles soient justes. Mais je n’ai pas de mérite : j’attends.
J’attends longtemps. Parfois, je trébuche, je perds la main, la réussite me fuit. Qu’importe, je suis seul alors. Je me réveille ainsi, dans la nuit, et, à demi endormi, je crois entendre un bruit de vagues, la respiration des eaux. Réveillé tout à fait, je reconnais le vent dans les feuillages et la rumeur malheureuse de la ville déserte. Ensuite, je n’ai pas trop de tout mon art pour cacher ma détresse ou l’habiller à la mode.
D’autres fois, au contraire, je suis aidé. À New York, certains jours, perdu au fond de ces puits de pierre et d’acier où errent des millions d’hommes, je courais de l’un à l’autre, sans en voir la fin, épuisé, jusqu’à ce que je ne fusse plus soutenu que par la masse humaine qui cherchait son issue. J’étouffais alors, ma panique allait crier. Mais, chaque fois, un appel lointain de remorqueur venait me rappeler que cette ville, citerne sèche, était une île, et qu’à la pointe de la Battery l’eau de mon baptême m’attendait, noire et pourrie, couverte de lièges creux.
Ainsi, moi qui ne possède rien, qui ai donné ma fortune, qui campe auprès de toutes mes maisons, je suis pourtant comblé quand je le veux, j’appareille à toute heure, le désespoir m’ignore. Point de patrie pour le désespéré et moi, je sais que la mer me précède et me suit, j’ai une folie toute prête. Ceux qui s’aiment et qui sont séparés peuvent vivre dans la douleur, mais ce n’est pas le désespoir : ils savent que l’amour existe. Voilà pourquoi je souffre, les yeux secs, de l’exil. J’attends encore. Un jour vient, enfin...


 L’Été, « La mer au plus près (Journal de bord) », Gallimard - folio n°4388, pages 115-117)

Odilon Redon , Collection privée, Bateau rouge avec des voiles bleues

26/07/2013

Les papillons, de Gérard de Nerval

The Red Sphinx  - Odilon Redon


De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
- Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
- Moi, la moisson blondissante, 
Chevelure des sillons ; 
- Moi, le rossignol qui chante ; 
- Et moi, les beaux papillons !

Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !... 

Quand revient l'été superbe, 
Je m'en vais au bois tout seul :
Je m'étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul. 
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d'eux à son tour,
Passe comme une pensée 
De poésie ou d'amour ! 

Voici le papillon "faune",

Noir et jaune ;
Voici le "mars" azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D'un velours riche et moiré.

Voici le "vulcain" rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! le "soufré", dans l'espace,
Comme un éclair a relui...
Mais le joyeux "nacré" passe,
Et je ne vois plus que lui !

II

Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d'argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D'un or verdâtre et changeant.

Voici le "machaon-zèbre",
De fauve et de noir rayé ;
Le "deuil", en habit funèbre,
Et le "miroir" bleu strié ;
Voici l'"argus", feuille-morte,
Le "morio", le "grand-bleu",
Et le "paon-de-jour" qui porte
Sur chaque aile un oeil de feu !

Mais le soir brunit nos plaines ;
Les "phalènes"
Prennent leur essor bruyant,
Et les "sphinx" aux couleurs sombres,
Dans les ombres
Voltigent en tournoyant.

C'est le "grand-paon" à l'oeil rose
Dessiné sur un fond gris,
Qui ne vole qu'à nuit close,
Comme les chauves-souris ;
Le "bombice" du troëne,
Rayé de jaune et de vent,
Et le "papillon du chêne"
Qui ne meurt pas en hiver !...

Voici le "sphinx" à la tête
De squelette,
Peinte en blanc sur un fond noir,
Que le villageois redoute,
Sur sa route,
De voir voltiger le soir.

Je hais aussi les "phalènes",
Sombres hôtes de la nuit,
Qui voltigent dans nos plaines
De sept heures à minuit ;
Mais vous, papillons que j'aime,
Légers papillons de jour,
Tout en vous est un emblème
De poésie et d'amour !

III

Malheur, papillons que j'aime,
Doux emblème,
A vous pour votre beauté !...
Un doigt, de votre corsage,
Au passage,
Froisse, hélas ! le velouté !...

Une toute jeune fille
Au coeur tendre, au doux souris,
Perçant vos coeurs d'une aiguille,
Vous contemple, l'oeil surpris :
Et vos pattes sont coupées
Par l'ongle blanc qui les mord,
Et vos antennes crispées
Dans les douleurs de la mort !.


Extrait de Odelettes, 

Sylvie suivi de Les chimères et Odelettes, Collection de poche, Librio


Pastel d'Odilon Redon, Collection privée 'le Sphinx rouge", 61 x 49.5 cm

28/04/2012

Beau papillon près du sol, Rainer Maria RILKE (1875-1926)

 

 

 

Beau papillon près du sol,
à l'attentive nature
montrant les enluminures
de son livre de vol.

Un autre se ferme au bord
de la fleur qu'on respire - :
ce n'est pas le moment de lire.
Et tant d'autres encor,

de menus bleus, s'éparpillent,
flottants et voletants,
comme de bleues brindilles
d'une lettre d'amour au vent,

d'une lettre déchirée
qu'on était en train de faire
pendant que la destinataire
hésitait à l'entrée.


Extrait du recueil Les quatrains Valaisins

Tableau d'Odilon Redon, Papillons, huile, 1910

31/03/2012

La maison serait pleine de roses…, de Francis Jammes

 

 

<p><strong>Panneau rouge</strong>, 1905<br />
huile et détrempe sur toile, 159,5 x 113,5 cm<br />
collection particulière © François Doury</p>

La maison serait pleine de roses et de guêpes.
On y entendrait, l’après-midi, sonner les vêpres ;
et les raisins couleurs de pierre transparente
sembleraient dormir au soleil sous l’ombre lente.
Comme je t’y aimerais ! Je te donne tout mon cœur
qui a vingt-quatre ans, et mon esprit moqueur,
mon orgueil et ma poésie de roses blanches ;
et pourtant je ne te connais pas, tu n’existes pas.
Je sais seulement que, si tu étais vivante,
et si tu étais comme moi au fond de la prairie,
nous nous baiserions en riant sous les abeilles blondes,
près du ruisseau frais, sous les feuilles profondes.
On n’entendrait que la chaleur du soleil.
Tu aurais l’ombre des noisetiers sur ton oreille,
puis nous mêlerions nos bouches, cessant de rire,
pour dire notre amour que l’on ne peut pas dire ;
et je trouverais, sur le rouge de tes lèvres,
le goût des raisins blonds, des roses rouges et des guêpes.


Recueil : "De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir"

Tableau d'Odilon Redon, Panneau rouge, 1905, huile et détrempe sur toile, 159,5 x 113,5 cm, collection particulière © François Doury

08/10/2011

Un peu de musique, de Germain NOUVEAU (1851-1920)


odilon redon nuit.jpg

Une musique amoureuse 
Sous les doigts d'un guitariste 
S'est éveillée, un peu triste, 
Avec la brise peureuse ;

Et sous la feuillée ombreuse 
Où le jour mourant résiste, 
Tourne, se lasse, et persiste 
Une valse langoureuse.

On sent, dans l'air qui s'effondre, 
Son âme en extase fondre ; 
- Et parmi la vapeur rose

De la nuit délicieuse 
Monte cette blonde chose, 
La lune silencieuse.

 

Œuvres complètes, jointes à celles de Lautréamont,GallimardBibliothèque de la Pléiade 

Tableau Nuit d'Odilon Redon

20/03/2011

Odilon Redon au Grand Palais

 

odilon redon papillon 2.JPG

 

odilon redon papillon.jpg

En l'honneur du printemps....deux tableaux d'Odilon Redon à découvrir au Grand Palais à partir du 23 mars http://www.rmn.fr/francais /les-musees-et-leurs-expositions/grand-palais-galeries-nationales-9/expositions/odilon-redon