10/01/2016
On les voit chaque jour, de Jules Laforgue
Théophile Steinlen, 1908
On les voit chaque jour, filles-mères, souillons,
Béquillards mendiant aux porches des églises,
Gueux qui vont se vêtir à la halle aux haillons,
Crispant leurs pieds bleuis aux morsures des bises ;
Mômes pieds nus, morveux, bohèmes loqueteux,
Peintres crottés, ratés, rêveurs humanitaires
Aux coffres secoués de râles caverneux,
Dans leur immense amour oubliant leurs misères ;
Les rouleurs d'hôpitaux, de souffrance abrutis,
Les petits vieux cassés aux jambes grelottantes
Dont le soleil jamais n'égaye les taudis,
Clignant des yeux éteints aux paupières sanglantes
Et traînant un soulier qui renifle aux ruisseaux;
- Tous, vaincus d'ici-bas, - quand Paris s'illumine,
On les voit se chauffer devant les soupiraux,
Humer joyeusement les odeurs de cuisine,
Et le passant qui court à ses plaisirs du soir
Lit dans ces yeux noyés de lueurs extatiques
Brûlant de pleurs de sang un morceau de pain noir :
Oh! les parfums dorés montant des lèchefrites!
Publié en 1879, Premiers poèmes
07:50 Publié dans Bleu, Noir, Poésie et couleurs, Un monde en couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jules laforgue, théophile steinlen, misère, hier, bleu, doré, noir | Facebook | Imprimer | | |
05/05/2015
Chant d’un merle captif, de Georg Trakl
Truls Espadal, Le secret, Acrylics on canvas, 2010, 30x30 cm
Souffle obscur dans les branchages verts.
Des fleurettes bleues flottent autour du visage
Du solitaire, du pas doré
Mourant sous l’olivier.
S’envole, à coups d’aile, la nuit.
Si doucement saigne l’humilité,
Rosée qui goutte lentement de l’épine fleurie.
La miséricorde de bras radieux
Enveloppe un cœur qui se brise.
Œuvres complètes, traduites de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1972, p. 130.
06:28 Publié dans Poésie et couleurs, Rose, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georg trakl, nature, merle, solitude, doré, rosée | Facebook | Imprimer | | |
20/03/2015
Qui passe ainsi par le bois vert, de James Joyce
Édouard Vuillard, Misia dans un bois, 1897-1899, huile sur carton, 42,1 x 56 cm, Paris, collection Anisabelle Berès-Montanari - RMN (musée d’Orsay) / Patrice Schmidt
Qui passe ainsi par le bois vert,
Toute parée par le printemps ?
Qui va par le joyeux bois vert
Le rendre plus joyeux encore ?
Suivant au soleil des sentiers
Qui connaissent son pas léger,
Qui passe dans le doux soleil
Avec un port si virginal ?
Toutes les allées du sous-bois
Brillent d’un feu tendre et doré —
Pour qui le bois ensoleillé
Revêt-il si riche appareil ?
Oh, c’est pour mon unique amour
Que les bois vêtent leur richesse,
Oh, c’est pour mon amour, mon bien,
Elle qui est si jeune et belle.
♦
Who goes amid the green wood
With springtide all adorning her?
Who goes amid the merry green wood
To make it merrier?
Who passes in the sunlight
By ways that know the light footfall?
Who passes in the sweet sunlight
With mien so virginal?
The ways of all the woodland
Gleam with a soft and golden fire ̶
For whom does all the sunny woodland
Carry so brave attire?
O, it is for my true love
The woods their rich apparel wear ̶
O, it is for my own true love,
That is so young and fair.
Poèmes, Chamber Music, Pomes Penyeach, Traduit de l'anglais par Jacques Borel, Gallimard, 1979
22:36 Publié dans Poésie et couleurs, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vert, doré, soleil, bois, james joyce, edouard vuillard | Facebook | Imprimer | | |
22/06/2013
La solitude visitée, d'Armel Guerne
Pruniers en fleurs, Claude Monet, 1879 (Origine et Musée NC)
Regarder seulement et enfin ne rien dire,
Noyé dans la beauté vivante du matin
Vernissant tous les verts de la tapisserie
Ou recreusant ses bleus au-dessous des lointains
Tremblants de volupté et frémissants de joie
Sous la caresse imprévisible du soleil.
Le brouillard incertain se relève en panaches
Aux découpes bizarres parmi les coteaux
Qui paressent encore et par endroit se voilent
D'une fine blancheur plus souple que le vent
Virginal et doré, délicieux et clair.
La vue est une ivresse heureuse de se perdre.
Même le cri le plus secret de cette extase
Est refoulé jusqu'aux sources de la parole.
Rhapsodie des fins dernières. Paris, Phébus, 1977
et merci à une de mes lectrices : http://en-paraison.hautetfort.com/archive/2010/12/08/pour...
07:42 Publié dans Blanc, Bleu, Poésie et couleurs, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la solitude visitée, armel guerne, bleu, vert, blanc, doré, claude monet, pruniers en fleur | Facebook | Imprimer | | |
15/02/2013
Hiéroglyphe, de Charles Cros
Marc Léonard. Idaho. Acrylique/bois. 60x73 cm A retrouver sur ses sites, là et là
J’ai trois fenêtres à ma chambre :
L’amour, la mer, la mort,
Sang vif, vert calme, violet.
Ô femme, doux et lourd trésor !
Froids vitraux, odeurs d’ambre.
La mer, la mort, l’amour,
Ne sentir que ce qui me plaît…
Femme, plus claire que le jour !
Par ce soir doré de septembre,
La mort, l’amour, la mer,
Me noyer dans l’oubli complet.
Femme! femme! cercueil de chair !
Charles Cros, Recueil Le collier de griffes, p 316, Rimbaud, Cros, Corbières,
Lautréamont, Collection Bouquins
23:31 Publié dans Poésie et couleurs, Vert, Violet | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : hiéroglyphe, charles cros, marc léonard, vert, violet, doré | Facebook | Imprimer | | |