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31/07/2010

La peau du monde, de René Daumal

Je vis et je vais m’interrogeant de la vie, 
et l’image méconnaissable de moi-même, 
ce monde d’air, de roc, de maisons, de lumières, 
de millions de visages sans lois, sans voix 
ce cuivre, ce bois verni, ces souffles, ces cris, 
tournent, couleurs à fleur de peau, 
formes touchées, mangées, où suis-je ? 
 
             (non, non, ce n’est pas une devinette, 
             hélas, ce n’est pas une devinette, 
             que ce soit ici ou ailleurs 
             je ne me reconnais plus.) 
 
Ordre si fragile de la géométrie, 
ne me prodigue plus les consolations de ton cœur de fer. 
Ces jours, je vais dans les couleurs et les sons mêlés, 
et je vois la nuit dans les plus vives lumières, 
monde, monstrueux fantôme, 
ton jour est la plus vide des nuits. 
Une voix dit : ″où suis-je ? qui suis-je ?″ 
 
Est-ce ma voix dans ce désert ? 
La surface de chaque chose 
est tendue par la nuit qui la gonfle, 
− Oh ! cette nuit en voiles de soleil ! 
Oui, cette parole dans la bulle d’illusion, 
cette parole perdue,  
ce n’est jamais que la mienne.
 

 
 
 
René Daumal, ″L’ennemi du jour », in Le contre-ciel, suivi de Les dernières paroles du poète, Poésie /Gallimard, n° 63, 1970, p. 141.  
 

30/07/2010

Feuillets, Ecrits 1, de Gustave Roud

Encrier renversé 
                                  tous mes morts vont flairer 
       ce sang noir 
       O caverne d’os au creux de mes deux mains 
       dégorge cette foule qui se lève en silence et 
       piétine ma pensée 
                                  ils vivent ils vivent ils 
       jaillissent de l’âcre odeur 
       Mais ma lampe saura les dévorer et tous ceux 
       qui triompheront de sa lumière je dessine ici 
       le lac magique de leur capture pour toujours. 
  

       L’exubérance, fleurs, feuillages, du milieu de juin n’est rien comparée à la puissante maturité qui saisit cette terre plus belle qu’aucun ciel. A la fin de juillet le ciel auparavant comme une lisse toile bleue se creuse soudain, gouffre sans un frisson où baignent les feuillages verts et noirs d’une dureté inexorable ; et lorsque août arrive, on voit vers le soir la lumière comme un fleuve fuir à l’horizon vers une mer inconnue et rendre à la voûte abandonnée sa transparence peu à peu chargée d’étoiles.  
 


 
       
 
Gustave Roud, Feuillets, Écrits 1, Bibliothèques des arts, 1978, pp.27 et 30 
 

29/07/2010

La désillusion, de René Daumal

 Blanc et noir et blanc et noir,
attention, je vais vous apprendre à mourir,
fermez les yeux, serrez les dents,
clac ! vous voyez, ce n’est pas difficile,
il n’y a là rien d’étonnant.

 

— Je vous parle sans passion,
noir et blanc et noir et blanc,
clac ! vous voyez qu’on s’y fait vite, je vous parle sans amour, et pourtant vous savez bien...
il faut être évident jusqu’à l’absurde —

   Blanc et noir et blanc et noir et noir et blanc,
  si nos âmes échangeaient leur corps,
  il n’y aurait rien de changé,
  alors ne parlez plus de corps ni d’âmes.

 

Blanc, noir, clac ! c’est la seule chose
qu’ensemble nous pouvons comprendre,
(mais n’est-ce pas qu’il n’y a là rien de tragique ?)

Je vous parle sans passion,
blanc, noir, blanc, noir, clac,
et c’est mon éternel cri de mourant,
ce cri blanc, ce trou noir...
Oh ! Vous n’entendez pas,
vous n’existez pas,
je suis seul à mourir.

 René Daumal, Le contre-ciel, suivi de Les dernières paroles du poète, Poésie/Gallimard, 1970, p. 73-74.

23/07/2010

L'azur, toujours l'azur!

 La simple interrogation "Pourquoi le ciel est bleu ?" fait partie de ces questionnements scientifiques qui ont cheminé pendant des siècles, de Platon à Albert Einstein et Jean Perrin. 
Derrière ce bleu du ciel, fascinant, apaisant ou inquiétant, souvent lié au céleste et au divin, se cache une couleur mystérieuse qui a touché la sensibilité romantique d’auteurs et d’artistes, eciel livre.jpgt qui a taraudé, aussi, des érudits.
Et derrière la simplicité du ciel, une histoire s'est écrite et a révélé la subtilité de phénomènes atmosphériques, optiques, thermodynamiques… liés à la couleur de l'azur.

Une émission à écouter:

http://www.franceculture.com/oeuvre-d-ou-vient-le-bleu-du...

Un livre à lire : D'où vient le bleu du ciel? de Peter Pesic (Edition Vuibert, 2010)


16/07/2010

Le Domaine des morts, de Maurio Fabi

La déchirante beauté d'un arbre 
qui meurt lequel 
retient encore un peu ses feuilles 
cette grâce distante que seul ce  
qu'on abandonne affecte de posséder 
ces couleurs implicites qu'ont les choses 
quand elles s'achèvent 
la vie qui est autour de lui dans le bois 
le chant des branches et l'horizon 
la vallée, 
le spectacle incroyable 
antique et nouveau d'un crépuscule. 
 

 
Rêver de mourir d'être mort de 
mourir peu à peu 
dans un lit à peine fait 
avec les enfants qui jouent 
dans la pièce à côté 
le bruit feutré des pantoufles sur les 
escaliers 
une chaise qui se déplace l'odeur 
de choses qu'on devra abandonner 
la hâte de celui qui t'aime 
 
ce passage imperceptible 
d'une saison à l'autre 
d'une vie à l'autre qui s'annonce 
dans un coup de vent 
dans la tache de lumière qui s'agrandit 
sur le plancher. 
 
* * *  
 
La struggente bellezza di un albero 
che muore il suo 
trattenere ancora un poco le foglie 
quella grazia distante che solo ciò 
che si abbandona mostra di possedere 
quei colori impliciti che hanno le cose 
quando si esauriscono 
la vita che gli sta intorno nel bosco 
il canto delle fronde e l'orizzonte 
la valle, 
lo spettacolo incredibile 
antico e nuovo di un  tramonto. 
 

 
Sognare di morire di esser morto di 
morire a poco a poco 
in un letto appena fatto 
con i bambini che giocano 
nella stanza accanto 
il rumore felpato di pantofole sulle 
scale  
una sedia che si sposta l'odore 
di cose che si dovranno abbandonare 
la premura di chi ti vuole bene 
 
quel passaggio impercettibile  
da una stagione all'altra 
da una vita all'altra che si annuncia 
in un colpo di vento 
nella macchia di luce che si allarga 
sul pavimento 
 
 
Mauro Fabi, Le Domaine des morts, traduction Olivier Favier, Alidades, (extraits). 

15/07/2010

Chute, de Jean-Jacques Viton

on ne mesure pas le lent-vite 
 
 
la chute ne s'improvise pas 
l'espace du chuteur est mal défini 
 
on ne mesure pas le lent-vite 
sur la ligne du sens unique 
uniforme puzzle de vitesse 
monté par miettes de visions 
 
un seul mouvement sans pauses 
n'importe où dans l'espace 
 
pieds détendus parallèles l'un à l'autre 
genoux et ventre relâchés et ouverts 
colonne vertébrale longue et large 
 
l'homme d'aplomb traverse ainsi l'espace 
son visage s'expose comme une fleur 
buste un peu arqué sur l'axe obligé 
bras tendus vers le bas ou le haut 
bolide isolé vivant encore d'apparence 
 
il passe des zones de dérèglements 
allongé sur une surface neuve 
 
échappé d'un arrêt sur image 
filant immobile vers son futur 
 
triangle blanc du visage aux yeux fixes 
au sourire fermé imperceptible 
 
l'homme d'aplomb croit à cet élan 
il ne peut rien saisir au passage 
ni rampe ni ce qui s'accomplit 
le réel ne l'attrape pas 
 
il n'y a pas d'ange sur son chemin 
 
un fil noir un noir sans marge 
il peut s'y croire abrité 
pour croire dans le noir pour tout éviter 
 
il se passe beaucoup de rien  
pendant la chute la peau       elle 
se dégage et y va      seule 
 
tout se ferme sous la peau 
du côté qui va tout prendre 
 
dans la chute on se prépare à tout 
c'est compliqué elle ne se modifie pas 
pas de trait d'union un unique tracé 
on se demande si ça arrive 
 
situation inimaginable       il faudrait 
recommencer la figure retenir la sensation 
du départ de l'endroit fixe 
et de l'entrée dans le nouvel espace 
 
pénétrer dans l'espace en fusion avec tous ceux 
qui traversent l'espace 
 
forage d'un pays inconnu à langue étrange 
jamais perçue jamais prononcée 
 
la chute c'est un incomparable silence 
on s'y perd dans cet élan 
rêver l'étreinte vient des arbres 
 
(…) 
 
Jean-Jacques Viton, selected sueurs, éd. P.O.L, 2010 (125 p.) pp 55-59 
 
  
 

13/07/2010

Bleu, bleu, le ciel de Provence, de Marcel Amont

goeland.jpgBlanc, blanc, blanc, le goéland
Le bateau blanc qui danse
Blond, blond, le soleil de plomb
Et dans tes yeux
Mon rêve en bleu , bleu, bleu

Quand j'ai besoin de vacances
Je m'embarque dans tes yeux
Bleus, bleus, comme un ciel immense
Et nous partons tous les deux.

Bleu, bleu, le ciel de Provence
Blanc, blanc, blanc, le goéland
Le bateau blanc qui danse
Blond, blond, le soleil de plomb
Et dans tes yeux
Mon rêve en bleu, bleu, bleu

Quand le vent claque la toile
De ton joli jupon blanc
Blanc, blanc comme une voile
Je navigue éperdument.

Bleu, bleu, le ciel de Provence
Blanc, blanc, blanc, le goéland
Le bateau blanc qui danse
Blond, blond, le soleil de plomb
Et dans tes yeux
Mon rêve en bleu, bleu, bleu

Tes cheveux d'un blond de rêve
Déferlent en flots légers
Blonds, blonds, blonds sur une grève
Où je voudrais naufrager

Bleu, bleu, le ciel de Provence
Blanc, blanc, blanc, le goéland
Le bateau blanc qui danse
Blond, blond, le soleil de plomb
Et dans tes yeux
Mon rêve en bleu, bleu, bleu

09/07/2010

Pour un verger, de Jacques Reda

 

 

poésie,couleurs,jacques réda

 

Claude Monet (origine non connue)

 

Poème : le seul lieu comparable à ce trouble 
Heureux qui ressaisit, le soir, près d'un verger, 
Ifs et roses, l'espoir souvent déchiré, double 
Lumière qui s'éloigne et veut nous héberger.  
Infaillible refuge, et pourtant illusoire : 
Pentes au loin plus délicates qu'un bleuet, 
Pures voix des enfants dans l'air lavé d'histoire, 
Et le mot "mort" comme un oiseau soudain muet 
Jugeant du recoin sombre où rien n'en fait accroire 
A la nuit qui sourd et déjà, dans la clarté,  
Crachait son encre sur la page dérisoire – 
Cris en bas, soubresauts du jour décapité. 
Or nier l'ombre affaiblirait cette lumière 
Timide qui résiste et semble sur nos mains 
Trembler tel un reflet d'étoile dans l'ornière. 
Elle appelle. Comme une voix sur ces chemins 
Troués de mots qui n'ont pas pu la garder prisonnière.  
 
Jacques Réda, Premier livre des Reconnaissances. Fata Morgana 1985, p. 33.  
 
 

01/07/2010

Ce peu de bruits, de Philippe Jaccottet

Venue du beau temps. Le géranium « herbe à Robert » avec ses très petites et presque banales fleurs rouges portées par des tiges à la fois frêles et droites, voilà qui vous parle encore un peu tout de même. Comme si les derniers signes devaient venir du plus insignifiant.  
 

 
Le froid, le gris, comme du fer. 
 
Ciel couleur de fumées basses, de cendres qui auraient tout oublié du feu qu’elles furent. 
Ciel qui efface le souvenir des saisons plus heureuses. Ciel fermé, porte murée. 
Tout ce qui se ternit, ne renvoyant plus la lumière.  
 

 
Jusqu’au bout, dénouer, même avec des mains nouées.  
 
Philippe Jaccottet, Ce Peu de bruits, Gallimard, 2008, pp. 90, 58 et 59