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31/05/2015

Mer matinale, de Constantin Cavafis

TERRE AIR #002.jpg

Tableau de Katia Chaix,Terre air, Toile #002, huile sur toile, format 30M, 91cm x 60 cm 

©Katia Chaix, à joindre et

 

 

Que je m'arrête aussi, pour une fois, 
contempler la nature. Mauves scintillants 
d'une mer matinale, bleu translucide du ciel, 
jaune du littoral - noyés de lumière. 

Que je m'arrête surtout avec l'illusion 
que je les vois vraiment (ils m'ont paru ainsi 
l'espace d'un instant) et point encore 
les mêmes phantasmes et souvenirs, 
mirages de volupté.

http://www.cavafis-pourquoi.eu/mer-matinale.html traduction de François Sommaripas

 

26/05/2015

Gisants (Extrait), de Michel Deguy

matisse21.jpg

 Croquis de Matisse
 

 

Ne me laisse pas ignorer où tu seras
Lis-moi le brouillon planétaire
Est-ce que je te connais connaissant tes objets
Les pétales de flamme de ta flamme et de son omphalos

Ton odeur ton nom ton âge tes commissures
Par tes capillaires, je bats, les tiges, faisceau de pouls, verge
Ton élégance tes récits tes bas tes couleurs
J'alanguis la rose de quelqu'une le roman
Tes bijoux tes bleus tes cils ta montre
La proximité est notre dimension
Tes lobes ta voix tes lèvres tes lettres

Ne me laisse pas ignorer où tu es
Le rouleau gris ensable notre baie

 

Extrait de "Gisants" Poèmes III, 1980-1995,  Poésie/Gallimard

16/05/2015

Les couleurs, de Renée Vivien

 

Colleen Wallace Nungari.jpg

 

 

Colleen Wallace Nungurrayi

 

Éloignez de mes yeux les flamboiements barbares
Du Rouge, cri de sang que jettent les fanfares.

Éteignez la splendeur du Jaune, cri de l’or,
Où le soleil persiste et ressurgit encor.

Écartez le sourire invincible du Rose,
Qui jaillit de la fleur ingénument déclose,


Et le regard serein et limpide du Bleu, —
Car mon âme est, ce soir, triste comme un adieu.

Elle adore le charme atténué du Mauve,
Pareil aux songes purs qui parfument l’alcôve.

Et la mysticité du profond Violet,
Plus grave qu’un chant d’orgue et plus doux qu’un reflet.

Versez-lui l’eau du Vert, qui calme le supplice
Des paupières, fraîcheur des yeux de Béatrice.

Entourez-la du rêve et de la paix du Gris,
Crépuscule de l’âme et des chauves-souris.

Le Brun des bois anciens, favorable à l’étude,
Sait encadrer mon silence et ma solitude.

Venez ensevelir mon ancien désespoir
Sous la neige du Blanc et dans la nuit du Noir.

 

 Evocations, Alphonse Lemerre, éditeur, 1903 (pp. 143-144).

15/05/2015

Phrases pour un orage, de Jean Tortel

 

Mark Rothko Sky.jpg

 

 Mark Rothko

                         I

 

Le ciel un peu trop lent pour cette heureuse

Matinée, l’arbre un peu trop

Chargé d’épaisseur tendre.

 

Le jardin transpirait

Au point du jour.

 

Il respire encore.

 

                           II

 

Vogue et scintille

Avant midi

Ce nuage.

 

(Il vient du sud), et nu

Le risque d’un azur

Quand sa blancheur l’éprouve

Dès qu’elle est suscitée.

 

Plus pure si possible

Que lui, touché par elle

Et dénoncé.

 

Ou son langage,

Ou son éclat.

 

                             III

 

On n’est pas heureux

Sous l’azur fragile.

 

En ce jardin je sais je ne sais quoi.

Les feuilles sont un peu plus larges,

Un peu moins vertes que leur nom.

 

L’azur enfante l’ombre

(Le fruit sa pourriture).

 

La terre aborde son silence

Qui l’attendait.

 

[...]

 

Jean Tortel, Relations, Gallimard, 1968, p. 29-31.

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05/05/2015

Chant d’un merle captif, de Georg Trakl

 

Truis espedal the-secret-30x30-cm.jpg

 

Truls Espadal, Le secret, Acrylics on canvas, 2010, 30x30 cm

 

 

Souffle obscur dans les branchages verts.

Des fleurettes bleues flottent autour du visage

Du solitaire, du pas doré

Mourant sous l’olivier.

S’envole, à coups d’aile, la nuit.

Si doucement saigne l’humilité,

Rosée qui goutte lentement de l’épine fleurie.
La miséricorde de bras radieux

Enveloppe un cœur qui se brise.

 

 Œuvres complètes, traduites de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1972, p. 130.

 
 
 

02/05/2015

Au bord de l'eau verte, de Francis Jammes

 

Michelle Morin.jpg

 "Meadow with Thistle", Michelle Morin 

 

 

Au bord de l’eau verte, les sauterelles 
          sautent ou se traînent, 
ou bien sur les fleurs des carottes frêles 
          grimpent avec peine. 
  
Dans l’eau tiède filent les poissons blancs 
          auprès d’arbres noirs 
dont l’ombre sur l’eau tremble doucement 
          au soleil du soir. 
  
Deux pies qui crient s’envolent loin, très loin, 
          loin de la prairie, 
et vont se poser sur des tas de foin 
          pleins d’herbes fleuries. 
  
Trois paysans assis lisent un journal 
          en gardant les bœufs 
près de râteaux aux manches luisants que 
          touchaient leurs doigts calleux. 
  
Les moucherons minces volent sur l’eau, 
          sans changer de place. 
En se croisant ils passent, puis repassent, 
          vont de bas en haut. 
  
Je tape les herbes avec une gaule 
          en réfléchissant 
et le duvet des pissenlits s’envole 
          en suivant le vent. 
  

        
1889. 
De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir, Poésie, Gallimard