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07/03/2014

Lettre à Louisa de Mornand, de Marcel Proust

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Alfref Stevens, Collection privée,  27 x 35,6 cm

 

“J'ai rencontré sur la digue de Cabourg Lucy Gérard. C'était un soir ravissant où le coucher du soleil n'avait oublié qu'une couleur : le rose. Or sa robe était toute rose et de très loin mettait sur le ciel orange la couleur complémentaire du crépuscule. Je suis resté longtemps à regarder cette fine tache rose, et je suis rentré, enrhumé, quand je l'ai vue se confondre avec l'horizon à l'extrémité duquel elle fuyait comme une voile enchantée.” 

 

Août 1908, Correspondance de Marcel Proust, Tome VII, Philippe Kolb, Ed. Plon 1993.

 

 

28/02/2014

Que ton âme soit blanche ou noire, de Paul Verlaine

 

Toulouse-Lautrec the-bed-1898.jpg

                                                    Toulouse Lautrec, (vers 1898) Collection privée 

 

Que ton âme soit blanche ou noire,
Que fait ? Ta peau de jeune ivoire
Est rose et blanche et jaune un peu.
Elle sent bon, ta chair, perverse
Ou non, que fait ? puisqu'elle berce
La mienne de chair, nom de Dieu !

Elle la berce, ma chair folle,
Ta folle de chair, ma parole
La plus sacrée ! - et que donc bien !
Et la mienne, grâce à la tienne,
Quelque réserve qui la tienne,
Elle s'en donne, nom d'un chien !

Quant à nos âmes, dis, Madame, 
Tu sais, mon âme et puis ton âme, 
Nous en moquons-nous ? Que non pas !
Seulement nous sommes au monde. 
Ici-bas, sur la terre ronde, 
Et non au ciel, mais ici-bas.

Or, ici-bas, faut qu'on profite 
Du plaisir qui passe si vite 
Et du bonheur de se pâmer. 
Aimons, ma petite méchante, 
Telle l'eau va, tel l'oiseau chante, 
Et tels, nous ne devons qu'aimer.

 

Chansons pour elle et autres poèmes érotiques, Folio, Gallimard

 

 

25/02/2014

Les cerisiers, d'Alphonse Daudet

Cueillette de cerises. Pierre Bonnard, Collection privée, huile, 128 x 152 cm

I

Vous souvient-il un peu de ce que vous disiez,
Mignonne, au temps des cerisiers ?

Ce qui tombait du bout de votre lèvre rose,
Ce que vous chantiez, ô mon doux bengali,
Vous l’avez oublié, c’était si peu de chose,
Et pourtant, c’était bien joli…
Mais moi je me souviens (et n’en soyez pas surprise),
Je me souviens pour vous de ce que vous disiez.
Vous disiez (à quoi bon rougir ?)…donc vous disiez…
Que vous aimiez fort la cerise,
La cerise et les cerisiers.

II

Vous souvient-il un peu de ce que vous faisiez,
Mignonne, au temps des cerisiers ?

Plus grands sont les amours, plus courte est la mémoire
Vous l’avez oublié, nous en sommes tous là ;
Le cœur le plus aimant n’est qu’une vaste armoire.
On fait deux tours, et puis voilà.
Mais moi je me souviens (et n’en soyez surprise),
Je me souviens pour vous de ce que vous faisiez…
Vous faisiez (à quoi bon rougir ?)…donc vous faisiez…
Des boucles d’oreille en cerise,
En cerise de cerisiers.

III

Vous souvient-il d’un soir où vous vous reposiez,
Mignonne, sous les cerisiers ?

Seule dans ton repos ! Seule, ô femme, ô nature !
De l’ombre, du silence, et toi…quel souvenir !
Vous l’avez oublié, maudite créature,
Moi je ne puis y parvenir.
Voyez, je me souviens (et n’en soyez surprise),
Je me souviens du soir où vous vous reposiez…
Vous reposiez (pourquoi rougir ?)…vous reposiez…
Je vous pris pour une cerise ;
C’était la faute aux cerisiers.

 

 

Les Amoureuses; Poèmes Et Fantaisies, 1857-1861 

14/02/2014

Le peintre, de José-Maria de Heredia

 

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 Série Terre air huile sur toile format 195 x 97 cm ©Katia Chaix à retrouver sur son site 

 

À Emmanuel Lansyer

 

Il a compris la race antique aux yeux pensifs
Qui foule le sol dur de la terre bretonne,
La lande rase, rose et grise et monotone
Où croulent les manoirs sous le lierre et les ifs.

Des hauts talus plantés de hêtres convulsifs,
Il a vu, par les soirs tempétueux d'automne,
Sombrer le soleil rouge en la mer qui moutonne ;
Sa lèvre s'est salée à l'embrun des récifs.

Il a peint l'Océan splendide, immense et triste,
Où le nuage laisse un reflet d'améthyste,
L'émeraude écumante et le calme saphir ;

Et fixant l'eau, l'air, l'ombre et l'heure insaisissables,
Sur une toile étroite il a fait réfléchir
Le ciel occidental dans le miroir des sables.

 

Recueil Les trophées, Poésie/Gallimard

Emmanuel Lansyer est un peintre, mais j'ai préféré à l'un de ses tableaux celui de Katia Chaix.

 

 

 

08/02/2014

Emploi du temps, de Nicolas Bouvier

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Chang-Dai-Chien, encres, splashed-color-landscape, 1965

 

C'est l'été le plus chaud du siècle 
le jour du plus chaud de l'été 
les ouvrières ont la nuque rasée 
et des éventails de papier

Au terminus de la ligne 23 
ce matin j'ai appris dix caractères chinois 
je suis monté dans cet autobus rose 
qui passe un col à l'ombre des bambous 
marché le long de la rivière 
marché, nagé et maintenant : 
le soleil est un fil à plomb 
au fil de l'eau passe une figue mordue 
les plumes d'un poulet tué par le faucon 
Rainettes, salamandres, libellules 
le ciel est une éponge grise 
trois montagnes font le dos rond

Sur les bornes de la rizière 
il était écrit que la vie est fumée 
j'en ferai ma fumée à moi 
allongé au frais dans ce cimetière 
entre Ayabé et Miyama 
j'ai oublié dix caractères chinois

Kyoto-ken, juin 1970

 

Le Dedans et le dehors de Nicolas Bouvier. Éditions Zoé, 1998

01/02/2014

Au clos de notre amour, l’été se continue, d'Emile Verhaeren

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Tableau de Laurence-Amélie 

 

Au clos de notre amour, l’été se continue :
Un paon d’or, là-bas, traverse une avenue ;
Des pétales pavoisent
- Perles, émeraudes, turquoises -
L’uniforme sommeil des gazons verts
Nos étangs bleus luisent, couverts
Du baiser blanc des nénuphars de neige ;
Aux quinconces, nos groseilliers font des cortèges ;
Un insecte de prisme irrite un coeur de fleur ;
De merveilleux sous-bois se jaspent de lueurs ;
Et, comme des bulles légères, mille abeilles
Sur des grappes d’argent vibrent au long des treilles.

L’air est si beau qu’il paraît chatoyant ;
Sous les midis profonds et radiants
On dirait qu’il remue en roses de lumière ;
Tandis qu’au loin, les routes coutumières
Telles de lents gestes qui s’allongent vermeils,
A l’horizon nacré, montent vers le soleil.

Certes, la robe en diamants du bel été
Ne vêt aucun jardin d’aussi pure clarté.
Et c’est la joie unique éclose en nos deux âmes,
Qui reconnaît sa vie en ces bouquets de flammes.

 

Extrait  du recueil "Les heures claires"

19/01/2014

A une robe rose, de Théophile Gauthier

Edgar degas Pastel 36,8 x 27,9 cm collection privée.jpg

Edgar Degas. 1902  Pastel 36,8 x 27,9 cm collection privée

 

Que tu me plais dans cette robe
Qui te déshabille si bien,
Faisant jaillir ta gorge en globe,
Montrant tout nu ton bras païen !

Frêle comme une aile d’abeille,
Frais comme un cœur de rose-thé,
Son tissu, caresse vermeille,
Voltige autour de ta beauté.

De l’épiderme sur la soie
Glissent des frissons argentés,
Et l’étoffe à la chair renvoie
Ses éclairs roses reflétés.

D’où te vient cette robe étrange
Qui semble faite de ta chair,
Trame vivante qui mélange
Avec ta peau son rose clair ?

Est-ce à la rougeur de l’aurore,
À la coquille de Vénus,
Au bouton de sein près d’éclore,
Que sont pris ces tons inconnus ?

Ou bien l’étoffe est-elle teinte
Dans les roses de ta pudeur ?
Non ; vingt fois modelée et peinte,
Ta forme connaît sa splendeur.

Jetant le voile qui te pèse,
Réalité que l’art rêva,
Comme la princesse Borghèse
Tu poserais pour Canova.

Et ces plis roses sont les lèvres
De mes désirs inapaisés,
Mettant au corps dont tu les sèvres
Une tunique de baisers.

 

Émaux et Camées, Collection Poésie, Gallimard

13/01/2014

Islande, de Delphine Priollaud-Stoclet

 

Delphine Prillaud-Stoclet.jpg

 

Quel pays dessinerait la Terre comme une autre planète ? 
Comment voyager aux confins de l’univers vers ces lieux incertains qui peuplent mes rêves ?
Quelle terre épouserait l’eau pour enfanter le feu et le ciel ? 
Quelle écorce arracherait de ses entrailles fumantes de spectaculaires geysers ?

Vert de gris, bleu céruléen, cramoisi d’alizarine, noir d’ivoire, auréoline. Pigments essentiels pour capturer les quatre éléments réunis, mes inséparables aquarelles. 
De l’eau, de l’encre, le blanc et le grain de la feuille.

Je songe à une île unique où vagabonder au rythme de mes étonnements, l’espace d’un territoire à mille lieux des paysages connus et reconnus.
Mon doigt s’attarde au Nord de la mappemonde dépliée.
Islande, terre de glace au cœur brûlant. Palpitant oxymore.

Les plaines d’Islande chuchotent à l’oreille des cailloux des mots arides aux tonalités soufrées. Des syllabes imprononçables formées de lettres existant nulle part ailleurs ajoutant au mystère d’un pays qui dérive à la lisière du globe.
La toundra frémissante parée de fleurs sauvages et mauves ondule, offerte à la caresse de l’air pur.
Je suis prête à échanger mon cher soleil flamboyant contre le pâle et mystérieux soleil de minuit.
La nuit polaire, couronnée d’aurores boréales phosphorescentes, resplendirait d’une lumière magique pailletée d’or et d’argent.
J’aimerais parcourir à pied ces déserts de pierres ponctués de volcans cracheurs de flammes et de cendres, deviner les eaux bouillantes emprisonnées sous les glaciers, explorer de nouvelles frontières picturales. 
Voir naître le cosmos, jouer avec le feu.
Un retour aux sources.

Peindre les gris colorés et l’éclat du chaud.
Jeter sur le papier la trace de mes pas.
Rapporter le carnet d’un voyage alchimique.
Islande, mon rêve de fin du monde.

 

Illustration et texte de Delphine Priollaud-Stoclet  qui a gagné le second prix (avec 10 autres personnes) au Concours organisé par Nouvelles Frontières sur le thème "Racontez votre voyage de rêve".  Pour en savoir plus: 

http://www.croquis-en-voyage.fr/blog/

http://www.atelier-salamandre.net/

 

23/11/2013

Du côté de chez Swann, (extraits), de Marcel Proust

 

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Claude monet. Le jardin de Vetheuil. Huile sur toile, 151,4 cmx121 cm Huile sur toille 

National Gallery of art, Washinghton


La haie laissait voir à l'intérieur du parc une allée bordée de jasmins, de pensées et de verveines entre lesquelles des giroflées ouvraient leurs bourses fraîches du rose odorant et passé d'un cuir ancien de Cordoue, tandis que sur le gravier un long tuyau d'arrosage peint en vert, déroulant ses circuits, dressait aux points où il était percé au-dessus des fleurs, dont il imbibait les parfums, l'éventail vertical et prismatique de ses gouttelettes multicolores. Tout à coup, je m'arrêtai, je ne pus plus bouger, comme il arrive quand une vision ne s'adresse pas seulement à nos regards, mais requiert des perceptions plus profondes et dispose de notre être tout entier. Une fillette d'un blond roux, qui avait l'air de rentrer de promenade et tenait à la main une bêche de jardinage, nous regardait, levant son visage semé de taches roses. Ses yeux noirs brillaient et, comme je ne savais pas alors, ni ne l'ai appris depuis, réduire en ses éléments objectifs une impression forte, comme je n'avais pas, ainsi qu'on dit, assez « d'esprit d'observation » pour dégager la notion de leur couleur, pendant longtemps, chaque fois que je repensai à elle, le souvenir de leur éclat se présentait aussitôt à moi comme celui d'un vif azur, puisqu'elle était blonde : de sorte que, peut-être si elle n'avait pas eu des yeux aussi noirs – ce qui frappait tant la première fois qu'on la voyait – je n'aurais pas été, comme je le fus, plus particulièrement amoureux, en elle, de ses yeux bleus.


A la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann , folio


28/06/2013

Sept amandiers en fleurs ou le retour vers la maison, de Paul Fort

 Almond Trees in Provence - Paul Cezanne

Amandiers en provence, Paul Cezanne, Aquarelle, 58.5 x 47.5 cm, Collection privée


Savais-je aux fins de jour où mon destin chemine que j’aurais pour amis sept amandiers en fleurs ?

Sept amandiers en fleurs, du haut de la colline, se penchent et saluent mes joies et mes douleurs.

Ce soir où des nuées rouges aux lointains voiles se disputent la lune et tout le firmament,

blancs et roses filets à recevoir le vent, sept amandiers en fleurs ont capté mon étoile.

 

 L’Arlequin de plomb.

 

 

Extrait de  Ballades du beau hasard, p 160, Editions Flammarion

 

 

22/06/2013

Les papillons, de Pierre-Jean Jouve

Degas-Femme-nue-étendue.jpg

Femme nue étendue Edgar Degas (Edgar degas et le nu. Musée d'orsay)


Les papillons sont enfermés

Papillons roses et noirs papillons gras
Les papillons ont une chaleur inhumaine
Leurs ailes sont des malentendus de la mémoire
Ces fauves ont l'accent et la fatalité de deux visages
Quand ils s'enferment dans les plis sévères d'en-bas

Les papillons de la chair du bas
Quand on les avise en leurs ténèbres
Ils montent roses gras
Ils montent mais ils battent
Ils battent mais ils bandent
L'odeur l'égarement la nudité le poids.


 Les papillons, Matière céleste, Poésie/Gallimard, 1995, p 146

08/06/2013

Le devant de la nuit, d'Armel Guerne

peinture

Emmanuelle Bollack/Sans titre/peinture à l'huile/60x60 cm/2011 http://www.emmanuellebollack.com

Emmanuelle expose du 6 juin au 6 juillet chez Aroa, à Neuilly (http://www.aroa.fr)

 


Il y a dans le ciel orageux de ce soir
Des blondeurs sous le gris et des tonalités
Si tendres, tendrement, si tendrement rosées
Qu'on pense à d'improbables cuivres transparents
D'une musique exquisement confidentielle.
Il y a dans le gris comme une mélodie
Ineffable du bleu, des teintes ardoisées
Qui tirent sur le vert ; - et le vent suspendu
Là-bas, à l'horizon, laisse le gris trop lourd
S'écraser sur le sol et le ronger de nuit.

 

Rhapsodie des fins dernières, Editions Phébus

http://www.armelguerne.eu/


05/01/2013

La petite sirène, de Hans Christian Andersen

 

Aquarelle d'Emil Nolde.jpg

Aquarelle d'Emil Nolde

 

Tout le ciel, disait-elle à son retour, ressemblait à de l’or, et la beauté des nuages était au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. Ils passaient devant moi, rouges et violets, et au milieu d’eux volait vers le soleil, comme un long voile blanc, une bande de cygnes sauvages. Moi aussi j’ai voulu nager vers le grand astre rouge ; mais tout à coup il a disparu, et la lueur rose qui teignait la surface de la mer ainsi que les nuages s’évanouit bientôt. 


Contes d'Andersen, traduction par David Solti




16/12/2012

Matin, de Charles Cros


 

Voici le matin bleu. Ma rose et blonde amie
Lasse d'amour, sous mes baisers, s'est endormie. 
Voici le matin bleu qui vient sur l'oreiller 
Éteindre les lueurs oranges du foyer.

L'insoucieuse dort. La fatigue a fait taire 
Le babil de cristal, les soupirs de panthère. 
Les voraces baisers et les rires perlés. 
Et l'or capricieux des cheveux déroulés 
Fait un cadre ondoyant à la tête qui penche. 
Nue et fière de ses contours, la gorge blanche 
Où, sur les deux sommets, fleurit le sang vermeil, 
Se soulève et s'abaisse au rhythme du sommeil.

La robe, nid de soie, à terre est affaissée. 
Hier, sous des blancheurs de batiste froissée 
La forme en a jailli libre, papillon blanc. 
Qui sort de son cocon, l'aile collée au flanc.

A côté, sur leurs hauts talons, sont les bottines
Qui font aux petits pieds ces allures mutines,
Et les bas, faits de fils de la vierge croisés, 
Qui prennent sur la peau des chatoiements rosés.

Epars dans tous les coins de la chambre muette
Je revois les débris de la fière toilette 
Qu'elle portait, quand elle est arrivée hier 
Tout imprégnée encor des senteurs de l'hiver.


Recueil le Coffret de Santal

Henri de Toulouse Lautrec (1864-1901) : « Femme nue allongée » ,Huile sur carton, signée en bas à gauche. Dim. 22 x 30 cm. Provenance : Collection particulière

09/12/2012

Le tramway, de Claude Simon

                      P1040450

                             

Personne ne ramassait les olives tombées de l’arbre et dont les pulpes écrasées parsemaient de taches noires les trois marches de brique par lesquelles, tournant brusquement à droite, se terminait la première rampe du sentier bordé de ces buissons d’un bleu pâle, personne non plus, sauf les enfants, ne faisait attention aux figues trop mûres, à la peau ratatinée et ridée, presque noire, à la chair éclatée, pourpre, granuleuse et sucrée, éparpillées quelques mètres plus loin parmi les touffes d’herbe encore vertes du pré roussi par l’été et qu’il fallait dans l’odorant et lourd parfum des feuilles disputer aux fourmis. Au bout de l’allée bordée de mûriers, le tramway s’arrêtait au pied du grand pin parasol dont le tronc penché par le vent, presque couché à sa base, était recouvert non pas exactement d’écorce mais d’épaisses écailles encastrées l’une dans l’autre en losanges, d’un gris soyeux, légèrement teinté de rose en leur centre et bordées d’un rugueux bourrelet brun. Entre deux d’entre elles sourdait en permanence une coulée de résine qui formait d’abord une grosse bulle, à peu près de la taille d’une groseille, d’un jaune d’or étincelant au soleil et dont la base se couvrait d’une sorte de taie avant de finir par s’écouler en une longue traînée de larmes grises, peu à peu blanchâtre, comme une fiente d’oiseau. 

Claude Simon, Le tramway, les éditions de Minuit, 2001, p. 139-140

Photographie non libres de droit : © Coline Termash  http://colinetermash.canalblog.com/  que je remercie.

 


29/09/2012

La couleur de l'ombre, de Catherine Delhom



Sur les pétales d’un lys blanc, effleurer d’un bleu d’outremer très dilué
Nuancer de sépia dans les creux près du cœur, juste un peu
Laisser le papier vierge, rien que du clair
Les profondeurs d’une rose rouge aimeront mieux un zeste de vert émeraude
Du bleu de prusse parfois, mais rien de plus
Le coquelicot est plus délicat, il vaut mieux rester dans des tons chauds
Du carmin ou du rose thyrien sur du vermillon…
Les feuilles vertes sont une terreur, parfois diluer du bleu, ou un soupçon de rose
Une pomme tombée fera sur le papier un halo doux de ceruleum et ombre brûlée
Un arbre un jour de soleil tâche l’herbe d’un ton lavande
Comme celui des montagnes un soir d’été

Elle est là pour la lumière qu’on ne verrait pas sans elle
Jamais de brun, de gris, de noir trop tristes

Elle est froide, chaude, sombre, légère

L’ombre n’existe pas, elle est une illusion


Aquarelle et texte de Catherine Delhom . Tous droits réservés. http://catherinedelhom.over-blog.com/

15/09/2012

La vie fragile, de Pierre Reverdy

 

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Le 2 septembre 2012, à I.&H ses amis @pierre gaudu


Plus loin entre la plante grasse et le ride

Dresser l'échelle

Les formes qui remuent dans le fond du jardin

d'autres noires

Selon le mouvement brutal du réflecteur

              Les maillots des arbres sont roses

Mais au premier plan une main tient la clef du cœur

Un couple ailé marche dans des couleurs qui changent

                     Celui qui vole bas c'est l'homme

                          Celui qui va à pied c'est l'ange

Les yeux luttent dans la lumière

                      La lampe fraîche du matin

Un fil cassé descend derrière

                      La tête nue s'incline et barre le chemin

                      Tout le reste est recouvert de feuilles mortes

Quant au ciel il s'ouvre par le fond et de côté mais en triangle

 

Pierre Reverdy, La Guitare endormie. [1919], dans Œuvres complètes I, édition préparée, présentée et annotée par Étienne-Alain Hubert, "Mille&unepages", Flammarion, 2010, p. 262.

Photo  @pierre gaudu . Cette photo est propriété de son auteur et toute reproduction est interdite sans le consentement explicite de l'auteur. 

http://www.artnova-connect.com/

http://pierre-gaudu.over-blog.com/


 

 


08/09/2012

Coin de tableau, de Charles Cros

 

 

Tiède et blanc était le sein.
Toute blanche était la chatte.
Le sein soulevait la chatte.
La chatte griffait le sein.

Les oreilles de la chatte
Faisaient ombre sur le sein.
Rose était le bout du sein,
Comme le nez de la chatte.

Un signe noir sur le sein
Intrigua longtemps la chatte ;
Puis, vers d’autres jeux, la chatte
Courut, laissant nu le sein.


Le coffret de santal, Gallimard Poésie

Félix Vallotton. La paresse. Xylogravure, 1897.

25/05/2012

Avril, de Gérard de Nerval

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Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d'azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ;
- Et rien de vert : - à peine encore

Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !
Ce beau temps me pèse et m'ennuie.
- Ce n'est qu'après des jours de pluie

Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l'eau.

 

 

Extrait du recueil "Odelettes"

Tableau d'Emmanuelle Bollack à retrouver sur son site http://bollack.carbonmade.com/about

29/04/2012

La repasseuse, de Pierre Reverdy


 

Autrefois ses mains faisaient des taches roses sur le linge éclatant qu'elle repassait. Mais dans la boutique où le poêle est trop rouge son sang s'est peu à peu évaporé. Elle devient de plus en plus blanche et dans la vapeur qui monte on la distingue à peine au milieu des vagues luisantes de dentelles.

   Ses cheveux blonds forment dans l'air des boucles de rayons et le fer continue sa route en soulevant du linge des nuages — et autour de la table son âme qui résiste encore, son âme de repasseuse court et pie le linge en fredonnant une chanson — sans que personne y prenne garde.

 

Pierre Reverdy, Poèmes en prose (1915), dans Les Épaves du ciel, Gallimard, 1924, p. 22.

La repasseuse, de Picasso (1904) . Huile sur toile.  Musée Guggenheim, à New York

Contribution de Tristan Hordé