26/07/2013
Les papillons, de Gérard de Nerval
De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
- Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
- Moi, la moisson blondissante,
Chevelure des sillons ;
- Moi, le rossignol qui chante ;
- Et moi, les beaux papillons !
Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !...
Quand revient l'été superbe,
Je m'en vais au bois tout seul :
Je m'étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul.
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d'eux à son tour,
Passe comme une pensée
De poésie ou d'amour !
Voici le papillon "faune",
Noir et jaune ;
Voici le "mars" azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D'un velours riche et moiré.
Voici le "vulcain" rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! le "soufré", dans l'espace,
Comme un éclair a relui...
Mais le joyeux "nacré" passe,
Et je ne vois plus que lui !
II
Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d'argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D'un or verdâtre et changeant.
Voici le "machaon-zèbre",
De fauve et de noir rayé ;
Le "deuil", en habit funèbre,
Et le "miroir" bleu strié ;
Voici l'"argus", feuille-morte,
Le "morio", le "grand-bleu",
Et le "paon-de-jour" qui porte
Sur chaque aile un oeil de feu !
Mais le soir brunit nos plaines ;
Les "phalènes"
Prennent leur essor bruyant,
Et les "sphinx" aux couleurs sombres,
Dans les ombres
Voltigent en tournoyant.
C'est le "grand-paon" à l'oeil rose
Dessiné sur un fond gris,
Qui ne vole qu'à nuit close,
Comme les chauves-souris ;
Le "bombice" du troëne,
Rayé de jaune et de vent,
Et le "papillon du chêne"
Qui ne meurt pas en hiver !...
Voici le "sphinx" à la tête
De squelette,
Peinte en blanc sur un fond noir,
Que le villageois redoute,
Sur sa route,
De voir voltiger le soir.
Je hais aussi les "phalènes",
Sombres hôtes de la nuit,
Qui voltigent dans nos plaines
De sept heures à minuit ;
Mais vous, papillons que j'aime,
Légers papillons de jour,
Tout en vous est un emblème
De poésie et d'amour !
III
Malheur, papillons que j'aime,
Doux emblème,
A vous pour votre beauté !...
Un doigt, de votre corsage,
Au passage,
Froisse, hélas ! le velouté !...
Une toute jeune fille
Au coeur tendre, au doux souris,
Perçant vos coeurs d'une aiguille,
Vous contemple, l'oeil surpris :
Et vos pattes sont coupées
Par l'ongle blanc qui les mord,
Et vos antennes crispées
Dans les douleurs de la mort !.
Extrait de Odelettes,
Sylvie suivi de Les chimères et Odelettes, Collection de poche, Librio
Pastel d'Odilon Redon, Collection privée 'le Sphinx rouge", 61 x 49.5 cm
22:29 Publié dans Blanc, Bleu, Jaune, Noir, Poésie et couleurs, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : les papillons, de gérard de nerval, odilon redon, sphinx rouge, noir, blanc, jaune, bleu, nacré | Facebook | Imprimer | | |
21/07/2013
Voyages parmi les couleurs de terre
Voici l'exemple d'une palette intemporelle, qui évoque de multiples univers, et nous invite au voyage.
Évocation des couleurs de terre. Les ocres jaunes, les rouges , les oxydes rouges et les terres brûlées des villages de Provence, de Roussillon par exemple.
Couleurs chaudes des terres africaines, australiennes mais aussi d'Amérique du Nord.
Ces couleurs sont aussi des couleurs d'épices: curcuma, curry, safran, piments, cumin, fenouil, gingembre, citronnelle...Nous sommes alors invités à un voyage des sens et du goût. Nos papilles sont toutes émoustillées et notre odorat sollicité!
Mais ce sont aussi des couleurs de l'industrie, de la modernité, des chantiers. Rouge et brun rouge de la rouille, des peintures industrielles. Jaune cadmium des engins de construction. Les couleurs de sables et de ciment.
A chacun son voyage, ses références; et si vous prenez deux minutes pour réfléchir à ce que vous évoquent ces couleurs, vous continuerez à voyager dans le temps et l'espace, les odeurs et le goût...
Les couleurs, c'est la vie!
06:58 Publié dans Conseil en couleurs, Jaune, Rouge | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : conseil en couleurs, couleurs de terre, rouge, jaune, safran | Facebook | Imprimer | | |
20/07/2013
56 poèmes (extrait), d'Emily Dickinson
Le Jaune ourlait le Ciel
Coupé dans la quintescence du Jaune
Jusqu'à ce que le Safran vire au Vermillon
Sans qu'on puisse en voir le glissement.
56 poèmes, suivi de Trois Lettres, Editions Le Nouveau Commerce
Tableau de Rothko
07:15 Publié dans Art et poésie en couleurs, Jaune, Poésie et couleurs, Rouge | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : 56 poèmes (extrait), emily dickinson, jaune, safran, vermillon | Facebook | Imprimer | | |
16/06/2013
Chant III (extrait), de Jacques Ancet
Odilon Redon (référence inconnue)
Et pourtant, je reviens, & comment l’expliquer malgré tant de raisons d’abandonner, tant de raisons de s’enfermer, de disparaître, je reviens
comme après un jour de pluie dans le ciel obscur, la lumière soudain, & tout semble recommencer
les tasses brillent, le bois de la table, & sur la vitre un grand morceau de bleu où s’entrecroisent les branches noires
un contre-jour où tu es là, & quand même, je dis oui au sourire, à la tendresse, à toutes ces années & leur ombre portée, oui à ce trop peu de temps qui reste
alors je reviens, je me dépêche,
je me dépêche pour chaque objet, la chaise, la table, le fauteuil, le tapis,
pour le jaune des pommes, le vert de l’hibiscus & du lierre, pour le livre entr’ouvert, le frémissement des feuilles
pour le mystère de ces deux-là, devant leur café, le brouhaha des voix, les soupirs du percolateur, le jour qui tombe & le clin d’œil des lampes
pour le matin de la blancheur & du givre, du bleu pâle des yeux au milieu des images,
pour le vent qu’on ne voit pas & qu’on voit pourtant dans les arbres secoués ou la dérive des nuages, & qu’on entend, parfois,
c’est un soupir comme glissé sous le silence, une sorte de voix sans mots qu’on écoute un instant
Ode au renoncement, Lettres Vives, 2013
06:55 Publié dans Blanc, Bleu, Jaune, Noir, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques ancet, ode au renoncement, vert, blanc, bleu, jaune, noir | Facebook | Imprimer | | |
09/06/2013
Viens traverser le lac, (extrait) de Sarah Kirsch
Estampe d'Utamaro
Moi c’est comme ça : quand les cigognes
Finissent par s’endormir au sommet de leurs cheminées
Les grenouilles commencent
Leur âpre tapage.
Elles sortent de partout, la lumière de ma lampe
Tombe sur leur gosier jaune tout gonflé, leur dos
S’enfonce dans l’eau toute noire, l’eau çà et là étale
Dans l’enchevêtrement des plantes. Quand les chats
Toujours à la même heure et furtivement s’approchent
Les souris prennent peur
Pour leur chère nichée à cinq queues. Pour le moment
Je suis là dans un nuage on ne peut plus sombre à fumer et jurer
Toi belle peau de pauvre chiffe et de vive la baise
Et de ça n’aime que soi œil joli gris
Œil gris qui louche ah va-t-en et vite
Traduction inédite de Maurice Régnault http://poezibao.typepad.com/files/sarah-kirsch-traductions-de-maurice-regnaut.pdf
06:53 Publié dans Jaune, Noir | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : viens traverser le lac de s, grenouille d'utamaro, jaune, gris, noir | Facebook | Imprimer | | |
09/05/2013
Les Iris, de Philippe Jaccottet
Les iris, Vincent van Gogh, huile sur toile de 71x93 cm,
J. Paul Getty Museum, Los Angeles, California, États-Unis
Les iris poussent au hasard dans un enclos d'herbes hautes — couleur mauve ou violet sombre — sortis de leurs papiers de soie parmi leurs dures lames vertes. Ou ceux, de couleur jaune, qui poussent dans les marais et les canaux. Et ces toutes petites fleurs basses — jaunes ou roses — qui s'accrochent aux pierres, aux rochers, qui leur tiennent lieu de pelage, doux, gras et chaud, modeste et tenace.
*
Le parfum des iris, très doux, sucré, presque suave, évoquant, me semble-t-il, l'idée qu'on a pu se faire, adolescent, du féminin : de quoi vous tourner la tête... Avec cette espèce de chenille d'un jaune éclatant, solaire, mais si bien cachée sous les pétales bleu pâle comme sous des langues d'eau. Mais le mot "chenille" gêne, et "brosse" tout autant. Une réserve de poudre d'or, un pelage d'or, une toison peut-être, cachée dans la soie de la robe ?
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d'ombre, Notes sauvegardées, 1952-2005, Le Bruit du temps, 2013, p. 47, 154.
05:58 Publié dans Bleu, Jaune, Violet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : les iris, philippe jaccottet, vincent van gogh, or, jaune, bleu, violet | Facebook | Imprimer | | |
09/03/2013
Columbiformes, de Fabienne Raphoz
(Columbidés)
« …la frayeur m’enveloppe.
Et je t’ai dit : "Qui me donnera un plumage comme à la colombe,
pour que je m’envole et me pose" ? »
(Psaumes, I.V, 7)
Les columbidés sont une famille unique
Le Pigeon biset est le pigeon des villes
Le Pigeon des neiges a la tête noire
Le Pigeon violet est japonais
Le Pigeon a tête pâle est violet
La femelle de la Colombe bleutée est couleur terre de Sienne
La femelle de la colombe rouviolette est verte
La femelle de la Colombe rousse n’est pas entièrement rousse
La femelle de la Colombe mondétour n’a pas la gorge brune
La femelle du Ptilope orange est verte
La Colombe du Costa Rica est endémique du Costa Rica et de Panama
La Colombe du Costa Rica a le front chamois
La Colombe à nuque violette a la nuque violette dans toutes les langues
La grosse larme de la Tourterelle à ailes blanches
La petite larme noire de la Tourterelle noire
Le cou zébré de la Tourterelle orientale et de la Tourterelle des bois
Le rose aurore du Pigeon à bec rouge du Pigeon à bec noir du Pigeon simple du Pigeon rousset du Pigeon vineux de la Tourterelle à tête grise de la Tourterelle de Socorro de la Tourterelle oreillarde de la Tourterelle à queue carrée de la Tourterelle des Galapagos du Colombar giouanne du Ptilope porphyre du Carpophage pinon
La Tourterelle turque est une servante accablée
La Tourterelle du Cap est un tsikoloto
Tous les colombars sont des pigeons verts
Tous les pigeons verts sont des colombars ou des ptilopes
Le Colombar de Siebold se désaltère d’eau de mer
[…]
Fabienne Raphoz, Jeux d’oiseaux dans un ciel vide augures, éditions Héros-Limite, 2011, p. 81-82.
Tableau de Steven Kenny © Steven Kenny http://www.stevenkenny.com/
05:45 Publié dans Art et poésie en couleurs, Blanc, Jaune, Noir, Poésie et couleurs, Rouge, Vert, Violet | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | Imprimer | | |
21/02/2013
Âme d'automne, de Georg Trakl
Dans du vert, profond fauche la faux
Bleu de l'air et jaune des gerbes
Envol de voix qui se moururent
Seule s'écoule une vieille eau.
Le soir le noir voyage passe
Sur les brunes collines d'automne
Salut d'argent du miroir d'un étang
Lance le vautour son cri clair et dur.
Âme d'automne (première version), Trakl, Poème 1, traduction Jacques Legrand, Flammarion, p 257
Lesser Ury, 34,9 × 49,5 cm (1900)
05:31 Publié dans Bleu, Jaune, Noir, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Âme d'automne, georg trakl, vert, noir, brun jaune, argent | Facebook | Imprimer | | |
20/01/2013
Ma Mère Et Les Livres (Extrait de La maison de Claudine), de Colette
Tableau de 2005 de Julia Ciccarone http://www.juliaciccarone.com
La lampe, par l’ouverture supérieure de l’abat-jour, éclairait une paroi cannelée de dos de livres, reliés. Le mur opposé était jaune, du jaune sale des dos de livres brochés, lus, relus, haillonneux. Quelques « traduits de l’anglais » -un franc vingt-cinq -rehaussaient de rouge le rayon du bas.
À mi-hauteur, Musset, Voltaire, et les Quatre Évangiles brillaient sous la basane feuille-morte. Littré, Larousse et Becquerel bombaient des dos de tortues noires. D’Orbigny, déchiqueté par le culte irrévérencieux de quatre enfants, effeuillait ses pages blasonnées de dahlias, de perroquets, de méduses à chevelures roses et d’ornithorynques.
Camille Flammarion, bleu, étoilé d’or, contenait les planètes jaunes, les cratères froids et crayeux de la lune, Saturne qui roule, perle irisée, libre dans son anneau.
Deux solides volets couleur de glèbe reliaient Élisée Reclus. Musset, Voltaire, jaspés, Balzac noir et Shakespeare olive.
Je n’ai qu’à fermer les yeux pour revoir, après tant d’années, cette pièce maçonnée de livres. Autrefois, je les distinguais aussi dans le noir. Je ne prenais pas de lampe pour choisir l’un d’eux, le soir, il me suffisait de pianoter le long des rayons. Détruits, perdus et volés, je les dénombre encore. Presque tous m’avaient vue naître.
Il y eut un temps où, avant de savoir lire, je me logeais en boule entre deux tomes du Larousse comme un chien dans sa niche. Labiche et Daudet se sont insinués, tôt, dans mon enfance heureuse, maîtres condescendants qui jouent avec un élève familier. Mérimée vint en même temps, séduisant et dur, et qui éblouit parfois mes huit ans d’une lumière inintelligible. Les Misérables aussi, oui, les Misérables -malgré Gavroche; mais je parle là d’une passion raisonneuse qui connut des froideurs et de longs détachements. Point d’amour entre Dumas et moi, sauf que le Collier de la Reine rutila, quelques nuits, dans mes songes, au col condamné de Jeanne de la Motte. Ni l’enthousiasme fraternel, ni l’étonnement désapprobateurs de mes parents n’obtinrent que je prisse de l’intérêt aux Mousquetaires. . .
Colette, La maison de Claudine, Livre de poche
06:44 Publié dans Bleu, Jaune, Noir, Poésie et couleurs, Rouge | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : http:juliaciccarone.com la maison de claudine, colette | Facebook | Imprimer | | |
14/11/2012
Salamandre, de Pascal Commère
Dessin couleur de reptile d'après "Dictionnaire universel d'histoire naturelle" Atlas Zoologie Tome 2 reptiles et poissons par C. d'Orbigny - Paris
Un autre jour sur le canal – on dit
cela ici pour dire le halage :
une salamandre morte, out peut-être pas
et quand je la prends dans ma main, elle bouge
très faiblement. Et moi je pense
dans le monde fragile à toutes les choses
comme ça presque mortes ou pas encore,
et cela dans le froid remue – ventre étroit,
pâte pleine la couleur prise, le jaune très épais
dans sa propre couleur. Ou c’est peut-être
de la bave, ou le gris lentement qui vient,
ciel et cailloux – le froid
Pascal Commère, Des Laines qui éclairent, anthologie (1978-2009), co-édition Obsidiane/Le Temps qu’il fait, 2012 p. 166 . Merci à Poézibao
05:43 Publié dans Gris, Jaune, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jaune, gris, pascal comère, salamandre | Facebook | Imprimer | | |
19/10/2012
La rose noire, Zbigniew Herbert
elle apparaît
noire
aux yeux aveuglés
par la chaux
elle effleure l'air
et se fige
diamant
rose noire
dans le chaos des planètes
jouant
du pipeau de l'imagination
fais sortir
les couleurs
de la rose
noire
comme un souvenir
de la ville calcinée
le violet — pour le poison et la cathédrale
le rouge — pour le bifteck et le roi
l'azur — pour l'horloge
le jaune — pour l'os et l'océan
le vert — pour la jeune fille changée en arbre
le blanc — pour le blanc
Zbigniew Herbert, Corde de lumière, Œuvres poétiques complètes I, édition bilingue, traduit du polonais par Brigitte Gautier, Le Bruit du temps, 2011, p. 393.
Photo de Brett Walker
21:21 Publié dans Art et poésie en couleurs, Blanc, Jaune, Poésie et couleurs, Rouge, Vert, Violet | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : la rose noire, zbigniew herbert, brett walker, noir, violet, rouge, azur, jaune, vert, blanc | Facebook | Imprimer | | |
02/09/2012
Speak, Memory, de Vladimir Nabokov
« Aussi loin que je me souvienne […] j’étais un cas intéressant d’audition colorée. Peut-être qu’entendre n’est pas le terme tout à fait exact, étant donné que la sensation de couleur semble être produite par l’acte même par lequel je prononce une lettre particulière, pendant que j’imagine sa forme. La lettre a […] est, pour moi, de la couleur du bois usé par les intempéries, mais, [dans une autre police de caractère] le a évoque l’ébène poli. Ce groupe de couleur noire inclut aussi les g durs (du caoutchouc vulcanisé) et le r (des guenilles noires en train d’être déchirées). Le n farine […] et le o petit miroir au manche d’ivoire s’occupent des blancs. […] Si nous passons au groupe bleu, il y a le x bleu acier, le z nuage d’orage, et le k myrtille. Comme il existe une subtile interaction entre la sonorité et la forme, […] le s n’est pas du même bleu pâle que c, mais un curieux mélange d’azur et de nacre. Les teintes adjacentes ne se mélangent pas […].
Je me presse de compléter ma liste avant que je sois interrompu. Dans le groupe vert, il y a la feuille de l’aulne du f, la pomme pas mûre du p, et le pistache t. Un vert terne, combiné je ne sais trop pourquoi à du violet, est le mieux que je puisse faire pour le w. Les jaunes comportent des e et des i variés, le d crémeux, le y doré vif, et le u, dont je ne peux exprimer la valeur alphabétique que par ‘cuivré avec un reflet olive’. Dans le groupe des marrons, il y a les tons caoutchouteux riches du doux g, du j plus pâle encore, rouges, le b a la tonalité que les peintres appellent Sienne brûlé, le m est un pli de flanelle rose, et aujourd’hui j’ai enfin apparié le v avec la teinte ‘Rose Quartz’ dans le Dictionnaire des Couleurs de Maerz et Paul.Le mot pour arc-en-ciel, un arc-en-ciel véritable, mais décidemment brouillé, est dans mon langage personnel le mot difficilement prononçable : kzspygv.
Les confessions d’un synesthète doivent sembler fastidieuses et prétentieuses à ceux qui sont protégés de telles brèches et de telles évasions par des murs plus solides que ne sont les miens. A ma mère, pourtant, tout cela semblait normal. Le sujet fut abordé, un jour durant ma septième année, alors que j’utilisais un tas de vieux cubes d’alphabet pour construire une tour.
Je fis à ma mère, en passant, la remarque que les couleurs des lettres étaient toutes fausses. Nous avons alors découvert que certaines de ses lettres à elle avaient la même teinte que les miennes, et qu’en plus, elle entendait les notes de musique en couleurs. En moi, les notes de musique n’évoquaient aucune sorte de couleur. […]
Ma mère fit tout pour encourager la sensibilité générale que j’avais aux stimulations visuelles. Combien d’aquarelles elle a peintes pour moi. Quelle révélation ce fut quand elle me montra l’arbre-lilas qui pousse à partir d’un mélange de bleu et de rouge ! »
Speak, Memory.( en livre de poche)
Tableau de kandinsky, datée de 1912 ,Le dernier jugement
J 'ai découvert ce texte en écoutant l'émission de Jean-Claude Ameisen, Sur les épaules de Darwin du 10 décembre 2011, consacrée à la synesthésie :http://www.franceinter.fr/emission-sur-les-epaules-de-dar...
07:03 Publié dans Bleu, Jaune, Multi couleurs, Rouge, Vert, Violet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : multicouleurs, kandinsky, vladimir nabokov | Facebook | Imprimer | | |
07/07/2012
Testament, de Maria Elena VIEIRA DA SILVA
un bleu céruléum pour voler haut
un bleu de cobalt pour le bonheur
un bleu d'outremer pour stimuler l'esprit
un vermillon pour faire circuler le sang allègrement
un vert mouse pour apaiser les nerfs
un jaune d'or : richesse
un violet de cobalt pour la rêverie
une garance qui fait entendre le violoncelle
un jaune barite : science-fiction, brillance, éclat
un ocre jaune pour accepter la terre
un vert Véronèse pour la mémoire du printemps
un indigo pour pouvoir accorder l'esprit à l'orage
un orange pour exercer la vue d'un citronnier au loin
un jaune citron pour la grâce
un blanc pur : pureté
terre de sienne naturelle : la transmission de l'or
un noir somptueux pour voir Titien
une terre d'ombre naturelle pour mieux accepter la mélancolie noire
une terre de sienne brûlée pour le sentiment de la durée. "
Oil on marouflaged cardboard on canvas Size: 31 x 46,5 cm. 1949
13:40 Publié dans Art et poésie en couleurs, Blanc, Bleu, Gris, Jaune, Multi couleurs, Noir, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : testament, maria elena vieira da silva, bleu, noir, orange, jaune | Facebook | Imprimer | | |
02/06/2012
Sido (extrait), de Colette
O géraniums, ô digitales… Celles-ci fusant des bois-taillis, ceux-là en rampe allumée au long de la terrasse, c'est de votre reflet que ma joue d'enfant reçue un don vermeil. Car « Sido » aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la croix-de-Malte, des hortensias et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge, encore qu'elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou de veau frais... A contre-cœur, elle faisait parte avec l'Est : « Je m'arrange avec ..lui, » disait-elle . Mais elle demeurait pleine de suspicion et surveillait, entre tous les cardinaux et collatéraux, ce point glacé, traître, aux jeux meurtriers. Elle lui confiait des bulbes de muguet, quelques bégonias, et des crocus mauves, veilleuses des froids crépuscules.
Hors une corne de terre, hors un bosquet de lauriers-cerises dominés par un junko-biloba - je donnais ses feuilles, en forme de raie, à mes camarades d'école, qui les séchaient entre les pages de l'atlas - tout le chaud jardin se nourrissait d'une lumière jaune, à tremblements rouges et violets mais je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet dépendaient, dépendent encore d'un sentimental bonheur ou d'un éblouissement optique. Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de mes grands chapeaux, étés presque sans nuits... Car j'aimais tant l'aube, déjà, que ma mère me l'accordait en récompense: J'obtenais qu'elle m'éveillât à trois heures et demie, et je m'en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues.
A trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par mon poids baignait d'abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps… J'allais seule, ce pays mal pensant était sans dangers. C'est sur ce chemin, c'est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d'un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion…
Sido, suivi Des vrilles de la vigne, Collection le livre de poche
Gustav Klimt, Farm Garden with Sunflowers, c. 1912
10:49 Publié dans Art et poésie en couleurs, Bleu, Jaune, Poésie et couleurs, Rouge, Violet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : colette, sido, gustav klimt | Facebook | Imprimer | | |
22/05/2012
Pourquoi je vis, de Boris Vian
Pourquoi que je vis
Pourquoi que je vis
Pour la jambe jaune
D'une femme blonde
Appuyée au mur
Sous le plein soleil
Pour la voile ronde
D'un pointu du port
Pour l'ombre des stores
Le café glacé
Qu'on boit dans un tube
Pour toucher le sable
Voir le fond de l'eau
Qui devient si bleu
Qui descend si bas
Avec les poissons
Les calmes poissons
Ils paissent le fond
Volent au-dessus
Des algues cheveux
Comme zoizeaux lents
Comme zoizeaux bleus
Pourquoi que je vis
Parce que c'est joli
Extrait du recueil "Je ne voudrais pas crever" Editions des Allusifs
Summer Evening - Edward Hopper. 1947, Collection privée
21:44 Publié dans Art et poésie en couleurs, Bleu, Jaune, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pourquoi je vis, boris vian, bleu, jaune | Facebook | Imprimer | | |
05/04/2012
Inspirations couleurs: rouge, rose, vert, jaune...
Félix Vallotton, Sur la plage, 1899.
Paul Gauguin, 1891 Femmes de Tahiti, Sur la plage, Oil on canvas, 69 x 91 cm Musee d'Orsay
Edgar Degas (1834-1917)
Hôtel Bellechasse, aménagé par Christian Lacroix, 2007
En matière de décoration, tout est question de proportion, de rythmes, de nature même de chacune des couleurs. Et cette proportion, ce rythme vont être guidés par l'histoire que je vais raconter avec et pour mon client. A partir de mêmes couleurs, le ressenti va être très différent.
Cette histoire a de multiples sources d'inspiration. La peinture à travers les siècles en fait partie.
Dernièrement, une de mes clientes me demandait si elle pouvait associer du rose, du rouge et du jaune....Cela lui paraissait violent et ne correspondant pas à l'idée qu'elle se faisait d'un décor équilibré et harmonieux.
Je l'ai rassuré imédiatement, et lui ai montré le travail de Christian Lacroix, qui a joué sur l'acidité de chacune de ces couleurs. C'est un parti pris , mais qu'autres ont apporté plus de douceur et de légérété.
Le vert, et plus plus particulièrement un vert jaune est un excellent lien entre ses couleurs gourmandes. Pour exemple, FélixVallotton, Paul Gauguin, Edgar Degas ont nourri cette palette de couleurs, chacun avec leur style et leur personnalité.
19:24 Publié dans Art et poésie en couleurs, Conseil en couleurs, Jaune, Peintres et couleurs, Rose, Rouge, Vert, Vivre la couleur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : félix vallotton, edgar degas, paul gauguin, christain lacroix, rose, rouge, vert, jaune | Facebook | Imprimer | | |
07/03/2012
Lettre, de Li Po
Mon amour,
Quand tu habitais là il y avait
toute une maisonnée de fleurs.
Tu n’habites plus là et il n’y a
plus qu’un lit vide.
Sous la courtepointe brodée
je me tourne et me retourne.
Trois ans déjà
que je sens ton parfum.
Ton parfum n’est jamais parti, lui
Mais toi, tu ne reviens jamais.
Je pense à toi, les feuilles jaunes sont bien mortes
Et moite, la gelée blanche couvre la mousse verte.
Traduction par Auxeméry de la traduction d’un poème de Li Po par W.C. Williams (in The New Directions, Anthology of Classical Chinese Poetry, Edited by Eliot Weinberger, New Directions, 2003.)
Tableau de René Magritte , Homage to Mack Sennett 1937
05:40 Publié dans Art et poésie en couleurs, Blanc, Jaune, Poésie et couleurs, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : li po, lettre, ver, jaune, blanc, rené magritte | Facebook | Imprimer | | |
24/01/2012
(Oriolidés) & Ictéridés, de Fabienne Raphoz
(Oriolidés) & Ictéridés
Le sphécothère est un loriot
Tous les loriots piquent rouge sauf le Loriot ensanglanté le Loriot pourpré
Et le Loriot argenté – qui portent rouge – et les trois sphécothères – qui
voient rouge
Penser loriot c’est penser jaune or comme en latin pour un Européen un
Africain un Philippin un Indien un Chinois mais par pour un Australien
qui pensera vert comme en grec ni un Papou un Moluquais un Timorais
qui pensera brun
Le Loriot d’Europe est un court pendu un orgelet un lirou ar glazaour un
pendulo un pirol un rigogolo ein Herr von Bülau ein Schulz von Taran ein
Koch von Kulan eine Bierule ein Regenvogel
Pour tout le vieux Continent siffler loriot c’est siffler beau
Jeux d'oiseaux dans un ciel vide augures, Ediditions Héros-Limite, p 181
Tableau de Jan Van Kessel I (1626-1679), l'Arbre à oiseaux
21:14 Publié dans Art et poésie en couleurs, Jaune, Poésie et couleurs, Rouge | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : (oriolidés) & ictéridés, jeux d'oiseaux dans un ciel vide augures, fabienne raphoz, rouge, jaune, brun | Facebook | Imprimer | | |
06/12/2011
L'automne du solitaire, de GeorgTrakl
Pour Tristan Hordé
L’automne sombre s’installe plein de fruits et d’abondance,
Éclat jauni des beaux jours d’été.
Un bleu pur sort d’une enveloppe flétrie ;
Le vol des oiseaux résonne de vieilles légendes.
Le vin est pressé, la douce quiétude
Emplie par la réponse ténue à des sombres questions.
Et, ici et là, une croix sur la colline désolée ;
Un troupeau se perd dans la forêt rousse.
Le nuage émigre au-dessus du miroir de l’étang ;
Le geste posé du paysan se repose.
Très doucement l’aile bleue du soir touche
Un toit de paille sèche, la terre noire.
Bientôt des étoiles nichent dans les sourcils de l’homme las ;
Dans les chambres glacées s’installe un décret silencieux
Et des anges sortent sans bruit des yeux bleus
Des amants, dont la souffrance se fait plus douce.
Le roseau murmure ; assaut d’une peur osseuse
Quand la rosée goutte, noire, des saules dépouillés.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduites de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1972, p. 107.
Photo de Chantal Tanet, Tout droit réservé.
05:05 Publié dans Art et poésie en couleurs, Bleu, Jaune, Noir, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : l'automne du solitaire, georgtrakl, chantal tanet, noir, bleu, jaune | Facebook | Imprimer | | |
11/11/2011
Matière de Bretagne, de Paul Celan
Lumière de genêt, jaune, les pentes
suppurent vers le ciel, l'épine
courtise la plaie, cela
sonne là-dedans, c'est le soir, le néant
roule ses mers à la prière,
la voile de sang fait route vers toi.
Sec, envasé,
le lit derrière toi, enjonque
son heure, en haut,
près de l'étoile, les ruisselets
laiteux babillent dans la boue, datte de pierre
en contrebas, buissonnante, bée dans le bleu,
un arbrisseau d'éphémère, superbe,
salue ta mémoire.
(Me connaissiez-vous,
mains ? J'allai
le chemin fourchu que vous marquiez, ma
bouche crachait ses galets, j'allai,
mon temps, surplomb neigeux en marche,
jetait son ombre – me connaissez-vous ?)
Mains, la plaie
courtisée par l'épine, cela sonne,
mains, le néant, ses mers,
mains, dans la lumière de genêt, la
voile de sang
fait route vers toi.
Poèmes, traduction par john E Jackson Editions José Corti
Jean Duquoc 73x92 cm. Acrylique .Lumière et Solitude.
19:14 Publié dans Art et poésie en couleurs, Bleu, Jaune, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : matière de bretagne, paul celan, jean duquoc, jaune, bleu | Facebook | Imprimer | | |