21/03/2014
A travers un verger, de Philippe Jaccottet
Pierre bonnard, La Côte d’Azur, The Phillips collection, Washington DC. © Adagp, Paris 2011
A chaque fois que je suis passé, en cette fin d'hiver, devant le verger d'amandiers de la colline, je me suis dit qu'il fallait en retenir la leçon, qu'ils auraient tôt fait de se taire comme chaque année; sans cesse autre chose m'a distrait de cette tâche, de sorte qu'à présent je ne peux plus me fier qu'au souvenir que j'en ai, déjà trop vague, presque effacé, incontrôlable. néanmoins, je ne me déroberai pas.
C'était comme si je découvrais une espèce différente d'amandiers (probablement du seul fait de leur nombre, ou de leur répartition, du lieu ou même la couleur du ciel ces jours-là). Leur floraison semblait plus confuse, plus insaisissable; et surtout d'un blanc moins pur et moins éclatant que celui d'une fleur isolée, observée de près. Aurais-je dû regarder mieux, m'arrêter, réfléchir? De toute façon, à présent, c'est trop tard. Il ne me reste dans la mémoire qu'un brouillard à peine blanc, en suspension au dessus de la terre encore terreuse, devant les sombres chênes-verts, en ce bas de pente; ce bourdonnement de blanc...Mais "blanc" est déjà trop dire, qui évoque une surface nette renvoyant un éclat blanc. Là c'était sans aucun éclat (et pas transparent pour autant). Timide, gris, terne? Pas d'avantage. Quelque chose de multiple, cela oui, un essaim, de multiplié: des milliers de petites choses, ou présences, ou taches, ou ailes, légères - en suspens, de nouveau, comme à chaque printemps; une sorte d'ébullition fraîche; un brouillard, s'il existait un brouillard sans humidité, sans mélancolie, où l'on ne risque pas de se perdre; quelque chose, à peine quelque chose...
Essaim, écume, neige: les vieilles images reviennent, elles sont pour les moins disparates. Rien de mieux.
A travers un verger, p 9 et 10, Gallimard
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22/02/2014
Aujourd'hui c'est dimanche, de Nazim Hikmet
Serge Poliakoff, Composition abstraite 1968, © Photo Daniel Mille, Monaco © ADAGP, Paris 2013
Aujourd'hui c'est dimanche
Aujourd'hui c'est la première fois qu'ils m'emmènent au soleil.
Et moi pour la première fois de ma vie
stupéfait de voir le ciel si loin de moi
si bleu
si vaste
je suis resté sans bouger.
Ensuite je me suis assis par terre avec respect.
J'ai appuyé mon dos contre le mur blanc
En cet instant pas de jeux dans les vagues
En cet instant, pas de liberté, pas d'épouse.
Juste la terre, le soleil et moi...
Je suis heureux.
in Jean Pinquié, Levent Yilmaz, Anthologie de la poésie turque contemporaine,
Préface de Nedim Gürsel, Publisud, Paris 1991, pages 34-35. A retrouver ICI
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16/02/2014
La descente (extrait de Connaissance de l'est), de Paul Claudel
William Turner, huile sur toile, 91 x 122 cm National Gallery, Londres
Ah ! que ces gens continuent à dormir ! que le bateau n’arrive pas présentement à l’escale ! que ce malheur soit conjuré d’entendre ou de l’avoir proférée, une parole !
Sortant du sommeil de la nuit, je me suis réveillé dans les flammes.
Tant de beauté me force à rire ! Quel luxe ! quel éclat ! quelle vigueur de la couleur inextinguible ! C’est l’Aurore. O Dieu, que ce bleu a donc pour moi de la nouveauté ! que ce vert est tendre ! qu’il est frais ! et, regardant vers le ciel ultérieur, quelle paix, de le voir si noir encore que les étoiles y clignent. Mais que tu sais bien, ami, de quel côté te tourner, et ce qui t’est réservé, si, levant les yeux, tu ne rougis point d’envisager les clartés célestes. Oh ! que ce soit précisément cette couleur qu’il me soit donné de considérer ! Ce n’est point du rouge, et ce n’est point la couleur du soleil ; c’est la fusion du sang dans l’or ! c’est la vie consommée dans la victoire, c’est, dans l’éternité, la ressource de la jeunesse ! La pensée que c’est le jour qui se lève ne diminue point mon exultation. Mais ce qui me trouble comme un amant, ce qui me fait frémir dans ma chair, c’est l’intention de gloire de ceci, c’est mon admission, c’est l’avancement à ma rencontre de cette joie !
Bois, ô mon cœur, à ces délices inépuisables !
Que crains-tu ? ne vois-tu pas de quel côté le courant, accélérant la poussée de notre bateau, nous entraîne ? Pourquoi douter que nous n’arrivions, et qu’un immense jour ne réponde à l’éclat d’une telle promesse ? Je prévois que le soleil se lèvera et qu’il faut me préparer à en soutenir la force. O lumière ! noie toutes les choses transitoires au sein de ton abîme. Vienne midi, et il me sera donné de considérer ton règne, Été, et de consommer, consolidé dans ma joie, le jour, — assis parmi la paix de toute la terre, dans la solitude céréale.
Connaissance de l'est, Poésie/Gallimard
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01/02/2014
Au clos de notre amour, l’été se continue, d'Emile Verhaeren
Tableau de Laurence-Amélie
Au clos de notre amour, l’été se continue :
Un paon d’or, là-bas, traverse une avenue ;
Des pétales pavoisent
- Perles, émeraudes, turquoises -
L’uniforme sommeil des gazons verts
Nos étangs bleus luisent, couverts
Du baiser blanc des nénuphars de neige ;
Aux quinconces, nos groseilliers font des cortèges ;
Un insecte de prisme irrite un coeur de fleur ;
De merveilleux sous-bois se jaspent de lueurs ;
Et, comme des bulles légères, mille abeilles
Sur des grappes d’argent vibrent au long des treilles.
L’air est si beau qu’il paraît chatoyant ;
Sous les midis profonds et radiants
On dirait qu’il remue en roses de lumière ;
Tandis qu’au loin, les routes coutumières
Telles de lents gestes qui s’allongent vermeils,
A l’horizon nacré, montent vers le soleil.
Certes, la robe en diamants du bel été
Ne vêt aucun jardin d’aussi pure clarté.
Et c’est la joie unique éclose en nos deux âmes,
Qui reconnaît sa vie en ces bouquets de flammes.
Extrait du recueil "Les heures claires"
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Derrière moi, la belle forêt bleue du passé… , de Sándor Petőfi
Valium, de Damien Hirst
Derrière moi, la belle forêt bleue du passé,
Devant moi, les beaux semis verts de l’avenir ;
Toujours loin, sans me distancer,
Toujours près, sans que je puisse y parvenir.
Ainsi, sur la grand-route, je vais errant,
Dans ce désert luxuriant,
Abattu et toujours errant
Au sein de l’éternel présent.
Nuages et autres poèmes, traduit pet présenté par Guillaume Métayer, Paris, Sillage, avril 2013.
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15/11/2013
Le coeur cousu, de Carole Martinez
Ana Teresa Barboza http://www.ignant.de/2013/09/03/ana-teresa-barboza/ et http://anateresabarboza.blogspot.fr/
Le papillon
Commença alors pour ma mère la période des fils de couleurs.
Ils avaient fait irruption dans sa vie, modifiant le regard qu'elle portait sur le monde.
Elle fit le compte : le laurier-rose, la fleur de la passion, la chair des figues, les oranges, les citrons, la terre ocre de l'oliveraie, le bleu du ciel, les crépuscules, l'étole du curé, la robe de la Madone, les images pieuses, les verts poussiéreux des arbres du pays et quelques insaisissables papillons avaient été jusque-là les seuls ingrédients colorés de son quotidien. Il y avait tant de bobines, tant de couleurs dans cette boîte qu'il lui semblait impossible qu'il existât assez de mots pour les qualifier. De nombreuses teintes lui étaient totalement inconnues comme ce fil si brillant qu'il lui paraissait fait de lumière. Elle s'étonnait de voir le bleu devenir vert sans qu'elle y prenne garde, l'orange tourner au rouge, le rose au violet.
Bleu, certes, mais quel bleu ? Le bleu du ciel d'été à midi, le bleu sourd de ce même ciel quelques heures plus tard, le bleu sombre de la nuit avant qu'elle ne soit noire, le bleu passé, si doux, de la robe de la Madone, et tous ces bleus inconnus, étrangers au monde, métissés, plus ou moins mêlés de vert ou de rouge.
Qu'attendait-on d'elle ? Que devait-elle faire de cette nouvelle palette qu'une voix mystérieuse lui avait offerte dans la nuit ?
Bombarder de couleurs le village étouffé par l'hiver. Broder à même la terre gelée des fleurs multicolores. Inonder le ciel vide d'oiseaux bigarrés. Barioler les maisons, rosir les joues olivâtres de la mère et ses lèvres tannées. Elle n'aurait jamais assez de fil, assez de vie, pour mener à bien un tel projet.
Elle se rabattit donc sur l'intérieur de la maison.
Extrait du chapitre Le papillon, Le coeur cousu, édition Folio
Merci à Véronique Denoyel, qui m'a fait découvrir ce texte et cette artiste; véronique est elle même une artiste http://www.veroniquedenoyel.com et http://www.veronique-denoyel.fr
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01/11/2013
Les oies sauvages, de Mary Oliver
Huit Oies rieuses en vol, la pleine lune derrière, de Ohara Koson
Vous n’avez pas à traverser à genoux
Vous n’avez pas à être sages.
des centaines de kilomètres de désert, en repentance.
Vous avez juste à laisser le doux animal de votre corps
aimer ce qu’il aime.
Parlez-moi du désespoir, le vôtre, je vous parlerai du mien.
Pendant ce temps le monde avance.
Pendant ce temps le soleil et les limpides galets de pluie
traversent les paysages,
survolent les plaines et les forêts profondes,
les montagnes et les rivières.
Pendant ce temps les oies sauvages, là-haut dans le pur air bleu,
sont sur le chemin du retour.
Qui que vous soyez, en quelque solitude,
le monde s’offre à votre imagination,
vous appelle comme les oies sauvages, rude et passionnant —
et indéfiniment signale votre place
dans la famille des choses.
*
Wild Geese
You do not have to be good.
You do not have to walk on your knees
for a hundred miles through the desert, repenting.
You only have to let the soft animal of your body
love what it loves.
Tell me about despair, yours, and I will tell you mine.
Meanwhile the world goes on.
Meanwhile the sun and the clear pebbles of the rain
are moving across the landscapes,
over the prairies and the deep trees,
the mountains and the rivers.
Meanwhile the wild geese, high in the clean blue air,
are heading home again.
Whoever you are, no matter how lonely,
the world offers itself to your imagination,
calls to you like the wild geese, harsh and exciting —
over and over announcing your place
in the family of things.
Mary Oliver, "Wild Geese", extrait de Dream Work, The Atlantic Monthly Press, 1986, p. 14. Traduction inédite de Chantal Tanet et Melissa Nickerson.
Texte à retrouver sur le blog Littératuredepartout
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20/10/2013
Blanc (extrait), d'Octavio Paz
Du jaune au rouge au vert
Pèlerinages aux clartés
La parole se penche sur des tourbillons
Bleus.
Vire l'anneau ivre,
Virent les cinq sens
Autour de l'améthyste
Poésie/Gallimard Versant Est p103
Tableau de Willem de Kooning (1904-1997)
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05/10/2013
Entre, de Jean-Pierre Duprey
Tableau de Jean-Pierre Duprey
Entre le ballon noir et l’épine du blanc
Ce qui est, ce qui fait : je suis au balancement
Ce qu’est l’horizontale à la verticale.
C’est l’Epineuse noire au gonflement du blanc.
Chimère, machine au bloc de la mer
C’est ici que se courbe
Le serpent lié au mât
Par un soleil au verbe rouge.
Voici alors qu’un bleu étale
Comme un pétale sans fin
S’est creusé d’une fleur
Qui n’est ni bleu ni rouge.
Qui n’est ni blanche ni noire.
C’est l’Epineuse de voir, l’Effeuillement-fermoir
La bouche s’est fermée : c’est un rire éclatant.
(Poème non daté).
Collection Poètes d’aujourd’hui, numéro 212, Éditions Seghers, 1973, page 153.
A retrouver sur le site Terres de femmes
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21/09/2013
Chadelet : le bal des chats-huants, d’Héloïse Combes
Hiroshige
08:08 Publié dans Blanc, Bleu, Noir | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chadelet : le bal des chats-huants, d’héloïse combes, bleu, blanc, noir, or, hiroshige | Facebook | Imprimer | | |
14/09/2013
Éblouissements (extrait), d'Anna de Noailles
Jeffrey Ripple, (né en 1962) peinture sur huile
– Aujourd’hui, le coeur las et blessé par le feu,
Je vous bénis encor, o brasier jaune et bleu,
Exaltant univers dont chaque élan m’enivre!
Mourante, je dirai qu’il faut jouir et vivre;
Que, malgré la langueur d’un corps triste et brûlant,
La nuit est généreuse et le jour succulent;
Que les larmes, les cris, la douleur, l’agonie
Ne peuvent pas ternir l’allégresse infinie!
Qu’un moment du désir, qu’un moment de l’été,
Contiennent la suave et chaude éternité.
O sol humide et noir d’ou jaillit la jacinthe!
Qu’importe si dans l’âpre et ténébreuse enceinte
Les morts sont étendus froids et silencieux.
O beauté des tombeaux sous la douceur des cieux!
Marbres posés ainsi que des bornes plaintives,
Rochers mystérieux des incertaines rives,
Horizontale porte accédant à la nuit,
O débris du vaisseau, épave qui reluit,
Comme vous célébrez la joie et l’abondance,
La force du plaisir, l’audace de la danse,
L’universelle arène aux lumineux gradins!…
Et quelquefois, parmi les funèbres jardins,
Je crois voir ses pieds nus appuyés sur les tombes,
Un Eros souriant qui nourrit des colombes…
Parution de l’Oeuvre poétique complète d’Anna de Noailles, aux Éditions du Sandre, 2013, édition présentée et annotée par Thanh-Vân-Ton-That.
08:09 Publié dans Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anna de noailles, jeffrey ripple, noir, bleu, jaune | Facebook | Imprimer | | |
07/09/2013
Traversée de la Bretagne un jour de janvier, de Kenneth White
Dominique Hordé, chaux et pigment sur toile, 30x30 cm
Vendredi matin
allant vers l'ouest
déchaîné le temps
vent fort, pluie violente
enflé le torrent
Guingamp, Carhaix
les montagnes noires
perdues dans la tourmente
la forêt du Beffou
trempée et torturée
heure après heure
la tempête rageuse
puis, soudain
ciel bleu et serein
la clameur des goélands
et ce fut Lorient.
Extrait des Archives du littoral (Mercure de France)
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26/07/2013
Les papillons, de Gérard de Nerval
De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
- Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
- Moi, la moisson blondissante,
Chevelure des sillons ;
- Moi, le rossignol qui chante ;
- Et moi, les beaux papillons !
Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !...
Quand revient l'été superbe,
Je m'en vais au bois tout seul :
Je m'étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul.
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d'eux à son tour,
Passe comme une pensée
De poésie ou d'amour !
Voici le papillon "faune",
Noir et jaune ;
Voici le "mars" azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D'un velours riche et moiré.
Voici le "vulcain" rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! le "soufré", dans l'espace,
Comme un éclair a relui...
Mais le joyeux "nacré" passe,
Et je ne vois plus que lui !
II
Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d'argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D'un or verdâtre et changeant.
Voici le "machaon-zèbre",
De fauve et de noir rayé ;
Le "deuil", en habit funèbre,
Et le "miroir" bleu strié ;
Voici l'"argus", feuille-morte,
Le "morio", le "grand-bleu",
Et le "paon-de-jour" qui porte
Sur chaque aile un oeil de feu !
Mais le soir brunit nos plaines ;
Les "phalènes"
Prennent leur essor bruyant,
Et les "sphinx" aux couleurs sombres,
Dans les ombres
Voltigent en tournoyant.
C'est le "grand-paon" à l'oeil rose
Dessiné sur un fond gris,
Qui ne vole qu'à nuit close,
Comme les chauves-souris ;
Le "bombice" du troëne,
Rayé de jaune et de vent,
Et le "papillon du chêne"
Qui ne meurt pas en hiver !...
Voici le "sphinx" à la tête
De squelette,
Peinte en blanc sur un fond noir,
Que le villageois redoute,
Sur sa route,
De voir voltiger le soir.
Je hais aussi les "phalènes",
Sombres hôtes de la nuit,
Qui voltigent dans nos plaines
De sept heures à minuit ;
Mais vous, papillons que j'aime,
Légers papillons de jour,
Tout en vous est un emblème
De poésie et d'amour !
III
Malheur, papillons que j'aime,
Doux emblème,
A vous pour votre beauté !...
Un doigt, de votre corsage,
Au passage,
Froisse, hélas ! le velouté !...
Une toute jeune fille
Au coeur tendre, au doux souris,
Perçant vos coeurs d'une aiguille,
Vous contemple, l'oeil surpris :
Et vos pattes sont coupées
Par l'ongle blanc qui les mord,
Et vos antennes crispées
Dans les douleurs de la mort !.
Extrait de Odelettes,
Sylvie suivi de Les chimères et Odelettes, Collection de poche, Librio
Pastel d'Odilon Redon, Collection privée 'le Sphinx rouge", 61 x 49.5 cm
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14/07/2013
Lettre A de l'Alphabet de l'heure bleue, d'Hacen Aymen
Martiros Saryan, une nuit égyptienne 1912
Que le ciel pose son masque de jour
Que cette impénétrable clarté
S’en aille à vau-l’eau
Vienne la nuit où les mots
Grumeaux de larmes
S’abyment dans le blanc des yeux
Bleu de nuit
Lumière
De l’heure bleue
Alphabet de l'heure bleue, Jean-Pierre Huguet Editeur
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13/07/2013
Toujours je me réveille, de Fernando Pessoa
Paul Gauguin- Levée du jour
Toujours je me réveille avant le point du jour,
et j'écris lourd de ce sommeil que j'ai perdu.
Puis dans cette torpeur où le froid gagne l'âme,
je guette l'aurore, tant de fois déjà vue.
Je la fixe sans attention, gris-vert
qui se bleuit du chant des coqs.
Quel mal à ne pas dormir ? Nous perdons
ce que la mort nous donne en avant-goût.
Ô printemps apaisé, aurore,
enseigne à ma torpeur où le froid gagne l'âme,
ce qui en mon âme livide la colore
de ce qui va se passer dans le jour.
Note : Je suis à la recherche des références de ce texte, relevé une nuit sans sommeil...)
06:27 Publié dans Couleur, Poésie et couleurs, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : toujours je me réveille, de fernando pessoa, paul gauguin, bleu, vert, colore | Facebook | Imprimer | | |
22/06/2013
La solitude visitée, d'Armel Guerne
Pruniers en fleurs, Claude Monet, 1879 (Origine et Musée NC)
Regarder seulement et enfin ne rien dire,
Noyé dans la beauté vivante du matin
Vernissant tous les verts de la tapisserie
Ou recreusant ses bleus au-dessous des lointains
Tremblants de volupté et frémissants de joie
Sous la caresse imprévisible du soleil.
Le brouillard incertain se relève en panaches
Aux découpes bizarres parmi les coteaux
Qui paressent encore et par endroit se voilent
D'une fine blancheur plus souple que le vent
Virginal et doré, délicieux et clair.
La vue est une ivresse heureuse de se perdre.
Même le cri le plus secret de cette extase
Est refoulé jusqu'aux sources de la parole.
Rhapsodie des fins dernières. Paris, Phébus, 1977
et merci à une de mes lectrices : http://en-paraison.hautetfort.com/archive/2010/12/08/pour...
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20/06/2013
Aquarelliste, de Guillaume Apollinaire
Papiers collés/50x70 cm/Dominique Hordé
À Mademoiselle Yvonne M…
Yvonne sérieuse au visage pâlot
A pris du papier blanc et des couleurs à l’eau
Puis rempli ses godets d’eau claire à la cuisine.
Yvonnette aujourd’hui veut peindre. Elle imagine
De quoi serait capable un peintre de sept ans.
Ferait-elle un portrait ? Il faudrait trop de temps
Et puis la ressemblance est un point difficile
À saisir, il vaut mieux peindre de l’immobile
Et parmi l’immobile inclus dans sa raison
Yvonnette a fait choix d’une belle maison
Et la peint toute une heure en enfant douce et sage.
Derrière la maison s’étend un paysage
Paisible comme un front pensif d’enfant heureux,
Un paysage vert avec des monts ocreux.
Or plus haut que le toit d’un rouge de blessure
Monte un ciel de cinabre où nul jour ne s’azure.
Quand j’étais tout petit aux cheveux longs rêvant,
Quand je stellais le ciel de mes ballons d’enfant,
Je peignais comme toi, ma mignonne Yvonnette,
Des paysages verts avec la maisonnette,
Mais au lieu d’un ciel triste et jamais azuré
J’ai peint toujours le ciel très bleu comme le vrai.
Alcools, Collection Poésie, Galimard
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16/06/2013
Chant III (extrait), de Jacques Ancet
Odilon Redon (référence inconnue)
Et pourtant, je reviens, & comment l’expliquer malgré tant de raisons d’abandonner, tant de raisons de s’enfermer, de disparaître, je reviens
comme après un jour de pluie dans le ciel obscur, la lumière soudain, & tout semble recommencer
les tasses brillent, le bois de la table, & sur la vitre un grand morceau de bleu où s’entrecroisent les branches noires
un contre-jour où tu es là, & quand même, je dis oui au sourire, à la tendresse, à toutes ces années & leur ombre portée, oui à ce trop peu de temps qui reste
alors je reviens, je me dépêche,
je me dépêche pour chaque objet, la chaise, la table, le fauteuil, le tapis,
pour le jaune des pommes, le vert de l’hibiscus & du lierre, pour le livre entr’ouvert, le frémissement des feuilles
pour le mystère de ces deux-là, devant leur café, le brouhaha des voix, les soupirs du percolateur, le jour qui tombe & le clin d’œil des lampes
pour le matin de la blancheur & du givre, du bleu pâle des yeux au milieu des images,
pour le vent qu’on ne voit pas & qu’on voit pourtant dans les arbres secoués ou la dérive des nuages, & qu’on entend, parfois,
c’est un soupir comme glissé sous le silence, une sorte de voix sans mots qu’on écoute un instant
Ode au renoncement, Lettres Vives, 2013
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08/06/2013
Le devant de la nuit, d'Armel Guerne
Emmanuelle Bollack/Sans titre/peinture à l'huile/60x60 cm/2011 http://www.emmanuellebollack.com
Emmanuelle expose du 6 juin au 6 juillet chez Aroa, à Neuilly (http://www.aroa.fr)
Il y a dans le ciel orageux de ce soir
Des blondeurs sous le gris et des tonalités
Si tendres, tendrement, si tendrement rosées
Qu'on pense à d'improbables cuivres transparents
D'une musique exquisement confidentielle.
Il y a dans le gris comme une mélodie
Ineffable du bleu, des teintes ardoisées
Qui tirent sur le vert ; - et le vent suspendu
Là-bas, à l'horizon, laisse le gris trop lourd
S'écraser sur le sol et le ronger de nuit.
Rhapsodie des fins dernières, Editions Phébus
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25/05/2013
Est-elle aimée? d'Arthur Rimbaud
Edvard Munch, 'Summer Night 1889, huile sur toile, 126x162 cm.
Est-elle almée ?… aux premières heures bleues
Se détruira-t-elle comme les fleurs feues…
Devant la splendide étendue où l’on sente
Souffler la ville énormément florissante !
C’est trop beau ! c’est trop beau ! mais c’est nécessaire
- Pour la Pêcheuse et la chanson du Corsaire,
Et aussi puisque les derniers masques crurent
Encore aux fêtes de nuit sur la mer pure !
Œuvres et lettres (1868-1875) : Œuvres en prose et en vers (1868-1873) - Une Saison en enfer - Illuminations - Lettres de Rimbaud et de quelques correspondants (1870-1875). Vie et documents (1854-1891), La Pléiade, Gallimard
08:48 Publié dans Bleu, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : est-elle aimée, d'arthur rimbaud, edvard munch, bleu | Facebook | Imprimer | | |