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10/07/2013

Une histoire à suivre, de Claude Roy

 

Vincent-van-Gogh pelouse ensoleillée.jpg

Vincent van Gogh – Pelouse Ensoleillée Place Lamartine 1888


Après tout ce blanc vient le vert

Le printemps vient après l'hiver.

Après le grand froid le soleil,

Après la neige vient le nid,

Après le noir vient le réveil,

L'histoire n'est jamais finie.

Après tout ce blanc vient le vert,

Le printemps vient après l'hiver,

Et après la pluie le beau temps.

 

Farandoles et fariboles, Gallimard Jeunesse

22/06/2013

La solitude visitée, d'Armel Guerne



claude monet, Paysages, prunes fleurs

Pruniers en fleurs, Claude Monet, 1879 (Origine et Musée NC)


Regarder seulement et enfin ne rien dire,

Noyé dans la beauté vivante du matin

Vernissant tous les verts de la tapisserie

Ou recreusant ses bleus au-dessous des lointains

Tremblants de volupté et frémissants de joie

Sous la caresse imprévisible du soleil.

Le brouillard incertain se relève en panaches

Aux découpes bizarres parmi les coteaux

Qui paressent encore et par endroit se voilent

D'une fine blancheur plus souple que le vent

Virginal et doré, délicieux et clair.

La vue est une ivresse heureuse de se perdre.

Même le cri le plus secret de cette extase

Est refoulé jusqu'aux sources de la parole.

 

Rhapsodie des fins dernières.  Paris, Phébus, 1977

http://www.armelguerne.eu/

et merci à une de mes lectrices : http://en-paraison.hautetfort.com/archive/2010/12/08/pour...

20/06/2013

Aquarelliste, de Guillaume Apollinaire

 

aquarelliste,de guillaume apollinaire

Papiers collés/50x70 cm/Dominique Hordé


À Mademoiselle Yvonne M…

Yvonne sérieuse au visage pâlot
A pris du papier blanc et des couleurs à l’eau
Puis rempli ses godets d’eau claire à la cuisine.
Yvonnette aujourd’hui veut peindre. Elle imagine
De quoi serait capable un peintre de sept ans.
Ferait-elle un portrait ? Il faudrait trop de temps
Et puis la ressemblance est un point difficile
À saisir, il vaut mieux peindre de l’immobile
Et parmi l’immobile inclus dans sa raison
Yvonnette a fait choix d’une belle maison
Et la peint toute une heure en enfant douce et sage.
Derrière la maison s’étend un paysage
Paisible comme un front pensif d’enfant heureux,
Un paysage vert avec des monts ocreux.
Or plus haut que le toit d’un rouge de blessure
Monte un ciel de cinabre où nul jour ne s’azure.
Quand j’étais tout petit aux cheveux longs rêvant,
Quand je stellais le ciel de mes ballons d’enfant,
Je peignais comme toi, ma mignonne Yvonnette,
Des paysages verts avec la maisonnette,
Mais au lieu d’un ciel triste et jamais azuré
J’ai peint toujours le ciel très bleu comme le vrai.


 Alcools, Collection Poésie, Galimard

16/06/2013

Chant III (extrait), de Jacques Ancet

Odilon Redon.jpg

Odilon Redon (référence inconnue)


Et pourtant, je reviens, & comment l’expliquer malgré tant de raisons d’abandonner, tant de raisons de s’enfermer, de disparaître, je reviens

comme après un jour de pluie dans le ciel obscur, la lumière soudain, & tout semble recommencer

les tasses brillent, le bois de la table, & sur la vitre un grand morceau de bleu où s’entrecroisent les branches noires 

un contre-jour où tu es là, & quand même, je dis oui au sourire, à la tendresse, à toutes ces années & leur ombre portée, oui à ce trop peu de temps qui reste

alors je reviens, je me dépêche,

je me dépêche pour chaque objet, la chaise, la table, le fauteuil, le tapis,

pour le jaune des pommes, le vert de l’hibiscus & du lierre, pour le livre entr’ouvert, le frémissement des feuilles

pour le mystère de ces deux-là, devant leur café, le brouhaha des voix, les soupirs du percolateur, le jour qui tombe & le clin d’œil des lampes

pour le matin de la blancheur & du givre, du bleu pâle des yeux au milieu des images,

pour le vent qu’on ne voit pas & qu’on voit pourtant dans les arbres secoués ou la dérive des nuages, & qu’on entend, parfois,

c’est un soupir comme glissé sous le silence, une sorte de voix sans mots qu’on écoute un instant


Ode au renoncement, Lettres Vives, 2013 

http://jacques.ancet.pagesperso-orange.fr/textes.htm

08/06/2013

Le devant de la nuit, d'Armel Guerne

peinture

Emmanuelle Bollack/Sans titre/peinture à l'huile/60x60 cm/2011 http://www.emmanuellebollack.com

Emmanuelle expose du 6 juin au 6 juillet chez Aroa, à Neuilly (http://www.aroa.fr)

 


Il y a dans le ciel orageux de ce soir
Des blondeurs sous le gris et des tonalités
Si tendres, tendrement, si tendrement rosées
Qu'on pense à d'improbables cuivres transparents
D'une musique exquisement confidentielle.
Il y a dans le gris comme une mélodie
Ineffable du bleu, des teintes ardoisées
Qui tirent sur le vert ; - et le vent suspendu
Là-bas, à l'horizon, laisse le gris trop lourd
S'écraser sur le sol et le ronger de nuit.

 

Rhapsodie des fins dernières, Editions Phébus

http://www.armelguerne.eu/


02/06/2013

Ecole buissonnière, de Charles Cros

EglantineWilliam Jabez Muckley (1883)

 

Ma pensée est une églantine
Eclose trop tôt en avril,
Moqueuse au moucheron subtil
Ma pensée est une églantine ;
Si parfois tremble son pistil
Sa corolle s’ouvre mutine.
Ma pensée est une églantine
Eclose trop tôt en avril.

Ma pensée est comme un chardon
Piquant sous les fleurs violettes,
Un peu rude au doux abandon
Ma pensée est comme un chardon ;
Tu viens le visiter, bourdon ?
Ma fleur plaît à beaucoup de bêtes.
Ma pensée est comme un chardon
Piquant sous les fleurs violettes.

Ma pensée est une insensée
Qui s’égare dans les roseaux
Aux chants des eaux et des oiseaux,
Ma pensée est une insensée.
Les roseaux font de verts réseaux,
Lotus sans tige sur les eaux
Ma pensée est une insensée
Qui s’égare dans les roseaux.

Ma pensée est l’âcre poison
Qu’on boit à la dernière fête
Couleur, parfum et trahison,
Ma pensée est l’âcre poison,
Fleur frêle, pourprée et coquette
Qu’on trouve à l’arrière-saison
Ma pensée est l’âcre poison
Qu’on boit à la dernière fête.

Ma pensée est un perce-neige
Qui pousse et rit malgré le froid
Sans souci d’heure ni d’endroit
Ma pensée est un perce-neige.
Si son terrain est bien étroit
La feuille morte le protège,
Ma pensée est un perce-neige
Qui pousse et rit malgré le froid.


Le collier de griffes, Poésies Gallimard

09/03/2013

Columbiformes, de Fabienne Raphoz

 

(Columbidés)

rikke_500 steven kenny.jpg

 

« …la frayeur m’enveloppe.

Et je t’ai dit : "Qui me donnera un plumage comme à la colombe,

pour que je m’envole et me pose" ? »

(Psaumes, I.V, 7)

 

Les columbidés sont une famille unique

Le Pigeon biset est le pigeon des villes

Le Pigeon des neiges a la tête noire

Le Pigeon violet est japonais

Le Pigeon a tête pâle est violet

La femelle de la Colombe bleutée est couleur terre de Sienne

La femelle de la colombe rouviolette est verte

La femelle de la Colombe rousse n’est pas entièrement rousse

La femelle de la Colombe mondétour n’a pas la gorge brune

La femelle du Ptilope orange est verte

La Colombe du Costa Rica est endémique du Costa Rica et de Panama

La Colombe du Costa Rica a le front chamois

La Colombe à nuque violette a la nuque violette dans toutes les langues

La grosse larme de la Tourterelle à ailes blanches

La petite larme noire de la Tourterelle noire

Le cou zébré de la Tourterelle orientale et de la Tourterelle des bois

Le rose aurore du Pigeon à bec rouge du Pigeon à bec noir du Pigeon simple du Pigeon rousset du Pigeon vineux de la Tourterelle à tête grise de la Tourterelle de Socorro de la Tourterelle oreillarde de la Tourterelle à queue carrée de la Tourterelle des Galapagos du Colombar giouanne du Ptilope porphyre du Carpophage pinon

La Tourterelle turque est une servante accablée

La Tourterelle du Cap est un tsikoloto

Tous les colombars sont des pigeons verts

Tous les pigeons verts sont des colombars ou des ptilopes

Le Colombar de Siebold se désaltère d’eau de mer

[…]

 

Fabienne Raphoz, Jeux d’oiseaux dans un ciel vide augures, éditions Héros-Limite, 2011, p. 81-82.

Tableau de Steven Kenny  © Steven Kenny http://www.stevenkenny.com/

 

23/02/2013

Décembre, de Paul Claudel

Balayant la contrée et ce vallon feuillu, ta main, gagnant les terres couleur de pourpre et de tan que tes yeux là-bas découvrent, s'arrête avec eux sur ce riche brocart. Tout est coi et enveloppé ; nul vert blessant, rien de jeune et rien de neuf  ne forfait à la construction et au chant de ces tons pleins et sourds. Une sombre nuée occupe tout le ciel, dont, remplissant de vapeur les crans irréguliers de la montagne, on dirait qu'il s'attache à l'horizon comme par des mortaises. De la paume caresse ces larges ornements que brochent les touffes de pins noirs sur l'hyacinthe des plaines, des doigts vérifie ces détails enfoncés dans la trame et la brume de ce jour hivernal, un rang d'arbres, un village. L'heure est certainement arrêtée ;  comme un théâtre vide qu'emplit la mélancolie, le paysage clos semble prêter attention à une voix si grêle que je ne la saurais ouïr.

Ces après-midi de décembre sont douces. Rien encore n'y parle du tourmentant avenir. Et le passé n'est pas si peu mort qu'il souffre que rien lui arrive. De tant d'herbe et d'une si grande moisson, nulle chose ne demeure que de la paille parsemée et une bourre flétrie ; une eau froide mortifie la terre retournée. Tout est fini. Entre une année et l'autre, c'est ici la pause et la suspension. La pensée, délivrée de son travail, se recueille dans une taciturne allégresse, et, méditant de nouvelles entreprises, elle goûte, comme la terre, son sabbat.


Paul Claudel, Connaissance de l'Est [1900, 1907 et 1960], préface de Jacques Petit, Poésie / Gallimard, 1974, p. 72

Tableau de John Constable (1778-1873). Huile sur toile. 24,4x39,1 cm . Metropolitain Museum of Art

 

 

17/02/2013

La jeune fille, de Francis Jammes

 

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La jeune fille est blanche,
elle a des veines vertes
aux poignets, dans ses manches
            ouvertes.
 

On ne sait pas pourquoi
elle rit. Par moment
elle crie et cela
            est perçant.
 

Est-ce qu’elle se doute
qu’elle vous prend le cœur
en cueillant sur la route
            des fleurs ?
 

On dirait quelquefois
qu’elle comprend des choses.
Pas toujours. Elle cause
            tout bas.
 

« Oh ! ma chère ! oh ! là là...
... Figure-toi... mardi
je l’ai vu... j’ai rri. » — Elle dit
            comme ça.
 

Quand un jeune homme souffre,
d’abord elle se tait :
et ne rit plus, tout
            étonnée.
 

Dans les petits chemins
elle remplit ses mains
de piquants de bruyères,
            de fougères.
 

Elle est grande, elle est blanche,
elle a des bras très doux.
Elle est très droite et penche
            le cou.

 

De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir (1898). Poésies Gallimard

Tableau d'Ilya Zomb. http://www.zombart.com/

15/02/2013

Hiéroglyphe, de Charles Cros

Marc Leonard IDAHO.jpg

Marc Léonard. Idaho. Acrylique/bois. 60x73 cm A retrouver sur ses sites, et

 

J’ai trois fenêtres à ma chambre :
L’amour, la mer, la mort,
Sang vif, vert calme, violet.

Ô femme, doux et lourd trésor !

Froids vitraux, odeurs d’ambre.
La mer, la mort, l’amour,
Ne sentir que ce qui me plaît…

Femme, plus claire que le jour !

Par ce soir doré de septembre,
La mort, l’amour, la mer,
Me noyer dans l’oubli complet.

Femme! femme! cercueil de chair !

 
Charles Cros, Recueil Le collier de griffes, p 316, Rimbaud, Cros, Corbières, 
Lautréamont, Collection Bouquins

12/02/2013

Le rouge et le vert (Le café la nuit), de Vincent Van Gogh

van gogh le café de la nuit.jpg


Le café la nuit, huile sur toile, 70x89, Yale University Art Gallery


"J’ai essayé d’exprimer les terribles passions de l’humanité au moyen du rouge et du vert."

 

"Dans mon tableau Le Café la nuit, j’ai cherché à exprimer l’idée que le café est un endroit où l’on peut se ruiner, devenir fou, commettre des crimes. Alors j’ai cherché, par des contrastes de rose tendre et de rouge sang, de doux vert Louis XV et Véronèse, contrastant avec les jaune et les vert-bleu durs, tout cela dans une atmosphère de fournaise infernale, de soufre pâle, à exprimer comme la puissance des ténèbres d’un assommoir. 
Et en même temps, avec un apparence de gaieté japonaise et la bonhomie du Tartarin…"


Lettre de Vincent Van Gogh à Théo Van Gogh, du 8 et 9 septembre 1888

20/01/2013

La poussière des tamis..., de Francis Jammes

 

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Jean-Baptiste Corot . Le Village de Presles, près de Beaumont-sur-Oise (vers 1850) Huile sur toile . Beden (Suisse), Museum Langmatt 


La poussière des tamis chante au soleil et vole. 
Mets ton épaule et tes cheveux sur mon épaule 
et mes cheveux. L'air est comme l'eau, et les boeufs 
passent dans le matin froid des chemins boueux. 
Les cloches des coteaux verts sonnent le dimanche. 
Tu viens de te lever. Tu es toute blanche. 
Le silence est grand et très doux comme la ligne 
qui monte et descend, dans le ciel, sur les collines. 
On sent qu'on est sain et dans mon esprit bleu, 
je prie, parce que dans le ciel il y a Dieu. 
 
 
Extrait de Vers. (1894), Francis Jammes.(1868-1938)

 

27/12/2012

Larme, d'Arthur Rimbaud

 

ZAO WOU-KI, GRAVURE ET AQUATINTE N ° 252.jpg

ZAO WOU-KI, Eau-forte et aquatinte numéro 252, 56 x 76 cm, 1974 

 

Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Je buvais, accroupi dans quelque bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d’après-midi tiède et vert.

Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,
Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert.
Que tirais-je à la gourde de colocase ?
Quelque liqueur d’or, fade et qui fait suer.

Tel, j’eusse été mauvaise enseigne d’auberge.
Puis l’orage changea le ciel, jusqu’au soir.
Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches,
Des colonnades sous la nuit bleue, des gares.

L’eau des bois se perdait sur des sables vierges,
Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares…
Or ! tel qu’un pêcheur d’or ou de coquillages,
Dire que je n’ai pas eu souci de boire !

Mai 1872

Arthur Rimbaud, Derniers vers

 

09/12/2012

Le tramway, de Claude Simon

                      P1040450

                             

Personne ne ramassait les olives tombées de l’arbre et dont les pulpes écrasées parsemaient de taches noires les trois marches de brique par lesquelles, tournant brusquement à droite, se terminait la première rampe du sentier bordé de ces buissons d’un bleu pâle, personne non plus, sauf les enfants, ne faisait attention aux figues trop mûres, à la peau ratatinée et ridée, presque noire, à la chair éclatée, pourpre, granuleuse et sucrée, éparpillées quelques mètres plus loin parmi les touffes d’herbe encore vertes du pré roussi par l’été et qu’il fallait dans l’odorant et lourd parfum des feuilles disputer aux fourmis. Au bout de l’allée bordée de mûriers, le tramway s’arrêtait au pied du grand pin parasol dont le tronc penché par le vent, presque couché à sa base, était recouvert non pas exactement d’écorce mais d’épaisses écailles encastrées l’une dans l’autre en losanges, d’un gris soyeux, légèrement teinté de rose en leur centre et bordées d’un rugueux bourrelet brun. Entre deux d’entre elles sourdait en permanence une coulée de résine qui formait d’abord une grosse bulle, à peu près de la taille d’une groseille, d’un jaune d’or étincelant au soleil et dont la base se couvrait d’une sorte de taie avant de finir par s’écouler en une longue traînée de larmes grises, peu à peu blanchâtre, comme une fiente d’oiseau. 

Claude Simon, Le tramway, les éditions de Minuit, 2001, p. 139-140

Photographie non libres de droit : © Coline Termash  http://colinetermash.canalblog.com/  que je remercie.

 


01/12/2012

Gauguin (Lettre à Jacques Brel), de Barbara

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Près de la mer, 1892, huile sur toile, 67,9 × 91,5 cm, National Gallery of Art 


Il pleut sur l'île d'Hiva-Oa.
Le vent, sur les longs arbres verts
Jette des sables d'ocre mouillés.
Il pleut sur un ciel de corail
Comme une pluie venue du Nord
Qui délave les ocres rouges
Et les bleus-violets de Gauguin.
Il pleut.
Les Marquises sont devenues grises.
Le Zéphir est un vent du Nord,
Ce matin-là,
Sur l'île qui sommeille encore.

Il a dû s'étonner, Gauguin,
Quand ses femmes aux yeux de velours
Ont pleuré des larmes de pluie
Qui venaient de la mer du Nord.
Il a dû s'étonner, Gauguin,
Comme un grand danseur fatigué
Avec ton regard de l'enfance.

Bonjour monsieur Gauguin.
Faites-moi place.
Je suis un voyageur lointain.
J'arrive des brumes du Nord
Et je viens dormir au soleil.
Faites-moi place.

Tu sais,
Ce n'est pas que tu sois parti
Qui m'importe.
D'ailleurs, tu n'es jamais parti.
Ce n'est pas que tu ne chantes plus
Qui m'importe.
D'ailleurs, pour moi, tu chantes encore,
Mais penser qu'un jour,

 

Les vents que tu aimais
Te devenaient contraire,
Penser
Que plus jamais
Tu ne navigueras
Ni le ciel ni la mer,

Plus jamais, en avril,
Toucher le lilas blanc,
Plus jamais voir le ciel
Au-dessus du canal.
Mais qui peut dire ?
Moi qui te connais bien,
Je suis sûre qu'aujourd'hui
Tu caresses les seins
Des femmes de Gauguin
Et qu'il peint Amsterdam.
Vous regardez ensemble
Se lever le soleil
Au-dessus des lagunes
Où galopent des chevaux blancs
Et ton rire me parvient,
En cascade, en torrent
Et traverse
la mer
Et le ciel et les vents
Et ta voix chante encore.
Il a dû s'étonner, Gauguin,
Quand ses femmes aux yeux de velours
Ont pleuré des larmes de pluie
Qui venaient de la mer du Nord.
Il a dû s'étonner, Gauguin.

Souvent, je pense à toi
Qui a longé les dunes
Et traversé le Nord
Pour aller dormir au soleil,
Là-bas, sous un ciel de corail.
C'était ta volonté.
Sois bien.
Dors bien.
Souvent, je pense à toi.

Je signe Léonie.
Toi, tu sais qui je suis,
Dors bien.

17/11/2012

Noir: ton doigt sur ma lèvre, de Michel Gerbal

Paul Gauguin, Te Arii Vahine (La femme du roi), 1896, Huile sur toile, 139 cm x 100 cm,  Te Arii Vahine/P.Gauguin/1896, Moscou, Musée Pouchkine

 

Noir: ton doigt sur ma lèvre.
Rouge, la miette: de piment sur ta lèvre.
Noire, noire, ta lèvre.
Natifs: l'or et l'argent à tes doigts.
Blanches tes dents et terre tes tresses.
Femme: ton ventre.
Vert: le fruit dedans.
Orange ta langue: ta langue.
Sombre, violette, ta lagune, la parole, lancéolée à chacun de tes doigts, la caresse.
Nous avons décrit ce que nous savions décrire,
- et le reste, n'est-ce pas cela qui nous écrit:
le bien, le mal, et la caresse.
Et maintenant, nous émigrons à l'intérieur de toi.

 

Texte de Michel Gerbal, inédit  © 2012 Michel Gerbal - TOUS DROITS RÉSERVÉS (que je remercie).

http://feudesouffles.blogspot.com/

 

11/11/2012

Le monde vert, d'Henry Bauchau

 

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Ta musique était de feuilles légères

Ton amour était l'habitant de l'air 

Et quand tu voulais revenir à terre

Tu reprenais pied dans le monde vert


Poésies complètes, La pierre sans chagrin, L'été, p 142

Illustration: source

 

19/10/2012

La rose noire, Zbigniew Herbert

 [brett walker]


elle apparaît

noire

aux yeux aveuglés

par la chaux

 

elle effleure l'air

et se fige

diamant

rose noire

dans le chaos des planètes

 

jouant

du pipeau de l'imagination

fais sortir

les couleurs

de la rose

noire

comme un souvenir

de la ville calcinée

 

le violet — pour le poison et la cathédrale

le rouge — pour le bifteck et le roi

l'azur — pour l'horloge

le jaune — pour l'os et l'océan

le vert — pour la jeune fille changée en arbre

le blanc — pour le blanc

 

Zbigniew Herbert,  Corde de lumière, Œuvres poétiques complètes I, édition bilingue, traduit du polonais par Brigitte Gautier, Le Bruit du temps, 2011, p. 393.

Photo de Brett Walker

29/09/2012

La couleur de l'ombre, de Catherine Delhom



Sur les pétales d’un lys blanc, effleurer d’un bleu d’outremer très dilué
Nuancer de sépia dans les creux près du cœur, juste un peu
Laisser le papier vierge, rien que du clair
Les profondeurs d’une rose rouge aimeront mieux un zeste de vert émeraude
Du bleu de prusse parfois, mais rien de plus
Le coquelicot est plus délicat, il vaut mieux rester dans des tons chauds
Du carmin ou du rose thyrien sur du vermillon…
Les feuilles vertes sont une terreur, parfois diluer du bleu, ou un soupçon de rose
Une pomme tombée fera sur le papier un halo doux de ceruleum et ombre brûlée
Un arbre un jour de soleil tâche l’herbe d’un ton lavande
Comme celui des montagnes un soir d’été

Elle est là pour la lumière qu’on ne verrait pas sans elle
Jamais de brun, de gris, de noir trop tristes

Elle est froide, chaude, sombre, légère

L’ombre n’existe pas, elle est une illusion


Aquarelle et texte de Catherine Delhom . Tous droits réservés. http://catherinedelhom.over-blog.com/

22/09/2012

Je m'embête, de Francis Jammes

 

Je m'embête; cueillez-moi des jeunes filles
et des iris bleus à l'ombre des charmilles
où les papillons bleus dansent à midi,
parce que je m'embête
et que je veux voir de petites bêtes
rouges sur les choux, les ails (on dit aulx), les lys.
Je m'embête.

Ces vers que je fais m'embêtent aussi,
et mon chien se met à loucher, assis,
en écoutant la pendule
qui l'embête comme je m'embête.
Vraiment ces trois cils de ce chien de chasse,
de ce chien de poète,
sont cocasses.

Je voudrais savoir peindre. Je peindrais
une prairie bleue, avec des mousserons,
où des jeunes filles nues danseraient en rond
autour d'un vieux botaniste désespéré,
porteur d'un panama et d'une boîte verte
et d'un énorme filet à papillons
vert.

Car j'apprécie les jeunes filles
et les gravures excessivement coloriées
où l'on voit un vieux botaniste éreinté
qui longe un torrent et se dirige
vers l'auberge.



De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir (1898)

Tableau d'Henri Matisse,Danse 1, 1909, MoMA