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27/09/2014

Autour de ma maison, d'Emile Verhaeren,

 

Fleurs-et-insectes jacques deguin.jpg

Jacques de Gheyn, Fleurs et insectes, 1600 © Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris 

Avec mon coeur, j’admire tout
Ce qui vibre, travaille et bout
Dans la tendresse humaine et sur la terre auguste.

L’hiver s’en va et voici mars et puis avril
Et puis le prime été, joyeux et puéril.
Sur la glycine en fleurs que la rosée humecte,
Rouges, verts, bleus, jaunes, bistres, vermeils,
Les mille insectes
Bougent et butinent dans le soleil.
Oh la merveille de leurs ailes qui brillent
Et leur corps fin comme une aiguille
Et leurs pattes et leurs antennes
Et leur toilette quotidienne
Sur un brin d’herbe ou de roseau !
Sont-ils précis, sont-ils agiles !
Leur corselet d’émail fragile
Est plus changeant que les courants de l’eau ;
Grâce à mes yeux qui les reflètent
Je les sens vivre et pénétrer en moi
Un peu ;
Oh leurs émeutes et leurs jeux
Et leurs amours et leurs émois
Et leur bataille, autour des grappes violettes !
Mon coeur les suit dans leur essor vers la clarté,
Brins de splendeur, miettes de beauté,
Parcelles d’or et poussière de vie !
J’écarte d’eux l’embûche inassouvie :
La glu, la boue et la poursuite des oiseaux
Pendant des jours entiers, je défends leurs travaux ;
Mon art s’éprend de leurs oeuvres parfaites ;
Je contemple les riens dont leur maison est faite
Leur geste utile et net, leur vol chercheur et sûr,
Leur voyage dans la lumière ample et sans voile
Et quand ils sont perdus quelque part, dans l’azur,
Je crois qu’ils sont partis se mêler aux étoiles.

Mais voici l’ombre et le soleil sur le jardin
Et des guêpes vibrant là-bas, dans la lumière ;
Voici les longs et clairs et sinueux chemins
Bordés de lourds pavots et de roses trémières ;
Aujourd’hui même, à l’heure où l’été blond s’épand
Sur les gazons lustrés et les collines fauves,
Chaque pétale est comme une paupière mauve
Que la clarté pénètre et réchauffe en tremblant.
Les moins fiers des pistils, les plus humbles des feuilles
Sont d’un dessin si pur, si ferme et si nerveux
Qu’en eux
Tout se précipite et tout accueille
L’hommage clair et amoureux des yeux.

L’heure des juillets roux s’est à son tour enfuie,
Et maintenant
Voici le soleil calme avec la douce pluie
Qui, mollement,
Sans lacérer les fleurs admirables, les touchent ;
Comme eux, sans les cueillir, approchons-en nos bouches
Et que notre coeur croie, en baisant leur beauté
Faite de tant de joie et de tant de mystère,
Baiser, avec ferveur, délice et volupté,
Les lèvres mêmes de la terre.

Les insectes, les fleurs, les feuilles, les rameaux
Tressent leur vie enveloppante et minuscule
Dans mon village, autour des prés et des closeaux.
Ma petite maison est prise en leurs réseaux.
Souvent, l’après-midi, avant le crépuscule,
De fenêtre en fenêtre, au long du pignon droit,
Ils s’agitent et bruissent jusqu’à mon toit ;
Souvent aussi, quand l’astre aux Occidents recule,
J’entends si fort leur fièvre et leur émoi
Que je me sens vivre, avec mon coeur,
Comme au centre de leur ardeur.

Alors les tendres fleurs et les insectes frêles
M’enveloppent comme un million d’ailes
Faites de vent, de pluie et de clarté.
Ma maison semble un nid doucement convoité
Par tout ce qui remue et vit dans la lumière.
J’admire immensément la nature plénière
Depuis l’arbuste nain jusqu’au géant soleil
Un pétale, un pistil, un grain de blé vermeil
Est pris, avec respect, entre mes doigts qui l’aiment ;
Je ne distingue plus le monde de moi-même,
Je suis l’ample feuillage et les rameaux flottants,
Je suis le sol dont je foule les cailloux pâles
Et l’herbe des fossés où soudain je m’affale
Ivre et fervent, hagard, heureux et sanglotant.

 La multiple splendeur, Nabu Press

06/06/2014

Les réparties de Nina, d'Arthur Rimbaud

CY TWOMBLY.jpg

Tableau de Cy Twombly

 

 

 

LUI - Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein ? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons

Du bon matin bleu, qui vous baigne
Du vin de jour ?...
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour

De chaque branche, gouttes vertes,
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Frémir des chairs :

Tu plongerais dans la luzerne
Ton blanc peignoir,
Rosant à l'air ce bleu qui cerne
Ton grand oeil noir,

Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou :

Riant à moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais
Comme cela, - la belle tresse,
Oh ! - qui boirais

Ton goût de framboise et de fraise,
O chair de fleur !
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur ;

Au rose, églantier qui t'embête
Aimablement :
Riant surtout, ô folle tête,
À ton amant !....

........................................................

- Ta poitrine sur ma poitrine,
Mêlant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois !...

Puis, comme une petite morte,
Le coeur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
L'oeil mi-fermé...

Je te porterais, palpitante,
Dans le sentier :
L'oiseau filerait son andante
Au Noisetier...

Je te parlerais dans ta bouche..
J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
Ivre du sang

Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
Aux tons rosés :
Et te parlant la langue franche - .....
Tiens !... - que tu sais...

Nos grands bois sentiraient la sève,
Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand rêve
Vert et vermeil

........................................................

Le soir ?... Nous reprendrons la route
Blanche qui court
Flânant, comme un troupeau qui broute,
Tout à l'entour

Les bons vergers à l'herbe bleue,
Aux pommiers tors !
Comme on les sent tout une lieue
Leurs parfums forts !

Nous regagnerons le village
Au ciel mi-noir ;
Et ça sentira le laitage
Dans l'air du soir ;

Ca sentira l'étable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rythme d'haleine,
Et de grands dos

Blanchissant sous quelque lumière ;
Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
À chaque pas...

- Les lunettes de la grand-mère
Et son nez long
Dans son missel ; le pot de bière
Cerclé de plomb,

Moussant entre les larges pipes
Qui, crânement,
Fument : les effroyables lippes
Qui, tout fumant,

Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus :
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts :

Les fesses luisantes et grasses
Du gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
Son museau blanc

Frôlé par un mufle qui gronde
D'un ton gentil,
Et pourlèche la face ronde
Du cher petit.....

Que de choses verrons-nous, chère,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
Les carreaux gris !...

- Puis, petite et toute nichée,
Dans les lilas
Noirs et frais : la vitre cachée,
Qui rit là-bas....

Tu viendras, tu viendras, je t'aime !
Ce sera beau.
Tu viendras, n'est-ce pas, et même...

Elle - Et mon bureau ?

 

 9ème poème du cahier de Douai écrit alors qu'il n'a pas encore 16 ans

17/05/2014

Avril, de Gérard de Nerval

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Laurence Amélie 

Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; -
Et rien de vert : - à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !

Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
- Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.

 

Odelettes

Sylvie, suivi de "Les Chimères" et "Odelettes" , collection librio

12/05/2014

Verger, d'Anna de Noailles

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Un Moucherolle sur le concombre de brousse, 1910, Ohara Koson

 

Dans le jardin, sucré d’œillets et d’aromates,
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu,
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates,
Chancellent, de rosée et de sève pourvus,

Je viendrai, sous l’azur et la brume flottante,
Ivre du temps vivace et du jour retrouvé ;
Mon cœur se dressera comme le coq qui chante
Insatiablement vers le soleil levé.

L’air chaud sera laiteux sur toute la verdure,
Sur l’effort généreux et prudent des semis,
Sur la salade vive et le buis des bordures,
Sur la cosse qui gonfle et qui s’ouvre à demi ;

La terre labourée où mûrissent les graines
Ondulera, joyeuse et douce, à petits flots,
Heureuse de sentir dans sa chair souterraine
Le destin de la vigne et du froment enclos.

Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement ;
La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement.

Un goût d’éclosion et de choses juteuses
Montera de la courge humide et du melon,
Midi fera flamber l’herbe silencieuse,
Le jour sera tranquille, inépuisable et long.

Et la maison, avec sa toiture d’ardoises,
Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts,
Respirera l’odeur des coings et des framboises
Éparse lourdement autour des buissons verts ;

Mon cœur indifférent et doux aura la pente
Du feuillage flexible et plat des haricots
Sur qui l’eau de la nuit se dépose et serpente
Et coule sans troubler son rêve et son repos.

Je serai libre enfin de crainte et d’amertume,
Lasse comme un jardin sur lequel il a plu,
Calme comme l’étang qui luit dans l’aube et fume,
Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus,

Je ne saurai plus rien des choses de ce monde,
Des peines de ma vie et de ma nation,
J’écouterai chanter dans mon âme profonde
L’harmonieuse paix des germinations.

Je n’aurai pas d’orgueil, et je serai pareille,
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
À mon frère le pampre et ma sœur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été ;

Je serai si sensible et si jointe à la terre
Que je pourrai penser avoir connu la mort,
Et me mêler, vivante, au reposant mystère
Qui nourrit et fleurit les plantes par les corps.

Et ce sera très bon et très juste de croire
Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareils,
Et que mon cœur, ardent et lourd, est cette poire
Qui mûrit doucement sa pelure au soleil...

 

Anthologie poétique et romanesque, Le livre de poche

10/05/2014

Printemps, de Victor Hugo

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Emil Nolde, huile sur toile

 

 

 

Voici donc les longs jours, lumière, amour, délire !

Voici le printemps ! mars, avril au doux sourire,

Mai fleuri, juin brûlant, tous les beaux mois amis !
Les peupliers, au bord des fleuves endormis,
Se courbent mollement comme de grandes palmes ;
L’oiseau palpite au fond des bois tièdes et calmes ;
Il semble que tout rit, et que les arbres verts
Sont joyeux d’être ensemble et se disent des vers.
Le jour naît couronné d’une aube fraîche et tendre ;
Le soir est plein d’amour ; la nuit, on croit entendre,
A travers l’ombre immense et sous le ciel béni,
Quelque chose d’heureux chanter dans l’infini.

Victor Hugo, Toute la lyre

 

26/04/2014

Autre cuivre, de Roger Callois

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Liz Ward , Vert de gris Glacier 2012, Aquarelle sur papier, 66 x32  

 

 

Rares dans le détail, quasi clandestins, le vert, les verts, dont le cuivre est foyer, dominent sans qu’il soit aisé de distinguer nettement leurs places fortes et de délimiter leurs zones d’influence. Discrets, d’être divers. Tous sont complices et pourtant chacun accuse sa différence : ici, le vert lustré, presque noir des mousses après la pluie ; là, le satin vert des monnaies de fouilles, attaquées par les carbonates, les sulfites ; plus fréquents, des bleus louches, qui tirent sur le vert, ceux des turquoises, des aigues-marines et des autres pierres bleues quand elles n’ont pas la bonne nuance ; à la limite, le vert tremblé, hésitant, des très jeunes amandes dont le duvet est encore d’argent. Celui-ci, le plus neutre, apprivoise déjà aux surfaces couleur de soie grège qui, bientôt, vont s’élargissant et que paraît innerver un fin relief de basses cloisons.

 

 Autre cuivre,  Pierres (Poésie/Gallimard)

16/02/2014

La descente (extrait de Connaissance de l'est), de Paul Claudel

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 William Turner, huile sur toile, 91 x 122 cm National Gallery, Londres

 

Ah ! que ces gens continuent à dormir ! que le bateau n’arrive pas présentement à l’escale ! que ce malheur soit conjuré d’entendre ou de l’avoir proférée, une parole !

Sortant du sommeil de la nuit, je me suis réveillé dans les flammes.

Tant de beauté me force à rire ! Quel luxe ! quel éclat ! quelle vigueur de la couleur inextinguible ! C’est l’Aurore. O Dieu, que ce bleu a donc pour moi de la nouveauté ! que ce vert est tendre ! qu’il est frais ! et, regardant vers le ciel ultérieur, quelle paix, de le voir si noir encore que les étoiles y clignent. Mais que tu sais bien, ami, de quel côté te tourner, et ce qui t’est réservé, si, levant les yeux, tu ne rougis point d’envisager les clartés célestes. Oh ! que ce soit précisément cette couleur qu’il me soit donné de considérer ! Ce n’est point du rouge, et ce n’est point la couleur du soleil ; c’est la fusion du sang dans l’or ! c’est la vie consommée dans la victoire, c’est, dans l’éternité, la ressource de la jeunesse ! La pensée que c’est le jour qui se lève ne diminue point mon exultation. Mais ce qui me trouble comme un amant, ce qui me fait frémir dans ma chair, c’est l’intention de gloire de ceci, c’est mon admission, c’est l’avancement à ma rencontre de cette joie !

Bois, ô mon cœur, à ces délices inépuisables !

Que crains-tu ? ne vois-tu pas de quel côté le courant, accélérant la poussée de notre bateau, nous entraîne ? Pourquoi douter que nous n’arrivions, et qu’un immense jour ne réponde à l’éclat d’une telle promesse ? Je prévois que le soleil se lèvera et qu’il faut me préparer à en soutenir la force. O lumière ! noie toutes les choses transitoires au sein de ton abîme. Vienne midi, et il me sera donné de considérer ton règne, Été, et de consommer, consolidé dans ma joie, le jour, — assis parmi la paix de toute la terre, dans la solitude céréale.

 

 

Connaissance de l'est, Poésie/Gallimard

11/02/2014

Les Soucis du Ciel, de Claude Roy

 

Pour Bamboula.jpg

 

Source de cette illustration

 

Le ciel apprend par coeur les couleurs du matin
Le toit gris l’arbre vert le blé blond le chat noir
Il n’a pas de mémoire il compte sur ses mains
Le toit blond l’arbre gris le blé noir le chat vert

Le ciel bleu est chargé de dire à la nuit noire
comment était le jour tout frais débarbouillé
Mais il perd en chemin ses soucis la mémoire
il rentre à la maison il a tout embrouillé.

Le toit vert l’arbre noir le chat blond le blé gris
Le ciel plie ses draps bleus tentant de retrouver
ce qu’il couvrait le jour d’un grand regard surpris
le monde très précis qu’il croit avoir rêvé

Le toit noir l’arbre blond le chat gris le blé vert
Le ciel n’en finit plus d’imaginer le jour
Il cherche dans la nuit songeant les yeux ouverts
Aux couleurs que le noir évapore toujours.

Erreur sur la personne,Poésie/Gallimard

01/02/2014

Au clos de notre amour, l’été se continue, d'Emile Verhaeren

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Tableau de Laurence-Amélie 

 

Au clos de notre amour, l’été se continue :
Un paon d’or, là-bas, traverse une avenue ;
Des pétales pavoisent
- Perles, émeraudes, turquoises -
L’uniforme sommeil des gazons verts
Nos étangs bleus luisent, couverts
Du baiser blanc des nénuphars de neige ;
Aux quinconces, nos groseilliers font des cortèges ;
Un insecte de prisme irrite un coeur de fleur ;
De merveilleux sous-bois se jaspent de lueurs ;
Et, comme des bulles légères, mille abeilles
Sur des grappes d’argent vibrent au long des treilles.

L’air est si beau qu’il paraît chatoyant ;
Sous les midis profonds et radiants
On dirait qu’il remue en roses de lumière ;
Tandis qu’au loin, les routes coutumières
Telles de lents gestes qui s’allongent vermeils,
A l’horizon nacré, montent vers le soleil.

Certes, la robe en diamants du bel été
Ne vêt aucun jardin d’aussi pure clarté.
Et c’est la joie unique éclose en nos deux âmes,
Qui reconnaît sa vie en ces bouquets de flammes.

 

Extrait  du recueil "Les heures claires"

Derrière moi, la belle forêt bleue du passé… , de Sándor Petőfi

Damien Hirst valium.jpg

 

Valium, de Damien Hirst 

 

Derrière moi, la belle forêt bleue du passé, 
Devant moi, les beaux semis verts de l’avenir ; 
Toujours loin, sans me distancer, 
Toujours près, sans que je puisse y parvenir. 
Ainsi, sur la grand-route, je vais errant, 
Dans ce désert luxuriant, 
Abattu et toujours errant 
Au sein de l’éternel présent. 

 

Nuages et autres poèmes, traduit pet présenté par Guillaume Métayer, Paris, Sillage, avril 2013.
 

24/01/2014

Caloge (extrait), de Jean-Loup Trassard

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Tableau de Vincent Van Gogh (juillet 1890). Huile sur toile, 50,5 x 100,5 cm.

Rijksmuseum Vincent Van Gogh, Amsterdam.

 

   Mer bientôt blonde sur ses orges, mer chevelue de seigles roux. Nous sommes là simplement pour voir. Pour marcher de façon précaire au bord d'une sphère sur son orbe. Et nous croyons que rien n'entame le regard de l'homme vers la mer.

   Marée montante du blé vert, reflux des pailles qui laissent le chaume aride. Dans l'étendue de ciel béant les oiseaux n'ont pas coutume de se percher, ils nichent sur le sol, faute de branches passent en élévation, ou chutes, leur vie criante. Alouettes que leur chant maintient hautes, qui soudain tombent en deux ou trois paliers, et devant notre étrave le vol de l'œdicnème. D'entre les vagues céréales mûrissantes sort l'appel d'une caille, nous la nommons.

   Sensible à cette respiration longue qui nous fait sur les champs monter descendre, à l'ample courbe qui jusqu'au lointain baisse relève les champs avec lenteur, nous allons sous la voile du ciel tendu, à chacun pour seule mâture sa verticalité, d'espace ivres.

 

 

Jean-Loup Trassard, Caloge, Le temps qu'il fait, 1991, p. 28.

Semaine Jean-Loup Trassard sur  http://litteraturedepartout.hautetfort.com

 

 

13/01/2014

Islande, de Delphine Priollaud-Stoclet

 

Delphine Prillaud-Stoclet.jpg

 

Quel pays dessinerait la Terre comme une autre planète ? 
Comment voyager aux confins de l’univers vers ces lieux incertains qui peuplent mes rêves ?
Quelle terre épouserait l’eau pour enfanter le feu et le ciel ? 
Quelle écorce arracherait de ses entrailles fumantes de spectaculaires geysers ?

Vert de gris, bleu céruléen, cramoisi d’alizarine, noir d’ivoire, auréoline. Pigments essentiels pour capturer les quatre éléments réunis, mes inséparables aquarelles. 
De l’eau, de l’encre, le blanc et le grain de la feuille.

Je songe à une île unique où vagabonder au rythme de mes étonnements, l’espace d’un territoire à mille lieux des paysages connus et reconnus.
Mon doigt s’attarde au Nord de la mappemonde dépliée.
Islande, terre de glace au cœur brûlant. Palpitant oxymore.

Les plaines d’Islande chuchotent à l’oreille des cailloux des mots arides aux tonalités soufrées. Des syllabes imprononçables formées de lettres existant nulle part ailleurs ajoutant au mystère d’un pays qui dérive à la lisière du globe.
La toundra frémissante parée de fleurs sauvages et mauves ondule, offerte à la caresse de l’air pur.
Je suis prête à échanger mon cher soleil flamboyant contre le pâle et mystérieux soleil de minuit.
La nuit polaire, couronnée d’aurores boréales phosphorescentes, resplendirait d’une lumière magique pailletée d’or et d’argent.
J’aimerais parcourir à pied ces déserts de pierres ponctués de volcans cracheurs de flammes et de cendres, deviner les eaux bouillantes emprisonnées sous les glaciers, explorer de nouvelles frontières picturales. 
Voir naître le cosmos, jouer avec le feu.
Un retour aux sources.

Peindre les gris colorés et l’éclat du chaud.
Jeter sur le papier la trace de mes pas.
Rapporter le carnet d’un voyage alchimique.
Islande, mon rêve de fin du monde.

 

Illustration et texte de Delphine Priollaud-Stoclet  qui a gagné le second prix (avec 10 autres personnes) au Concours organisé par Nouvelles Frontières sur le thème "Racontez votre voyage de rêve".  Pour en savoir plus: 

http://www.croquis-en-voyage.fr/blog/

http://www.atelier-salamandre.net/

 

23/11/2013

Cet être devant soi (extrait) de Claude Chambard

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Alexandre Calder, Spirals and petals, sérigraphie, 80x60 cm

 


Une fois

l’enfant a trouvé

dans la Montée des Couardes

une façon de grotte

où il s’est faufilé

à peine un trou de lapin

tapissé de mousse & de feuilles

—    est-ce un endroit pour vivre —

il attendait un lutin

un elfe une fée Alice

que sais-je

mais au fond du petit terrier

il discernait à peine quelques couleurs

du bleu turquoise du brun roux

du vert sombre du jaune bordé de noir

quelques plumes

un cadeau une couvée

de guêpier d’Europe (Merops apiaster


Cet être devant soi,  Aencrages & Co

Le site de poésie et de littérature de Claude Chambard : un nécessaire malentendu

Du côté de chez Swann, (extraits), de Marcel Proust

 

Monet.jpg

 

Claude monet. Le jardin de Vetheuil. Huile sur toile, 151,4 cmx121 cm Huile sur toille 

National Gallery of art, Washinghton


La haie laissait voir à l'intérieur du parc une allée bordée de jasmins, de pensées et de verveines entre lesquelles des giroflées ouvraient leurs bourses fraîches du rose odorant et passé d'un cuir ancien de Cordoue, tandis que sur le gravier un long tuyau d'arrosage peint en vert, déroulant ses circuits, dressait aux points où il était percé au-dessus des fleurs, dont il imbibait les parfums, l'éventail vertical et prismatique de ses gouttelettes multicolores. Tout à coup, je m'arrêtai, je ne pus plus bouger, comme il arrive quand une vision ne s'adresse pas seulement à nos regards, mais requiert des perceptions plus profondes et dispose de notre être tout entier. Une fillette d'un blond roux, qui avait l'air de rentrer de promenade et tenait à la main une bêche de jardinage, nous regardait, levant son visage semé de taches roses. Ses yeux noirs brillaient et, comme je ne savais pas alors, ni ne l'ai appris depuis, réduire en ses éléments objectifs une impression forte, comme je n'avais pas, ainsi qu'on dit, assez « d'esprit d'observation » pour dégager la notion de leur couleur, pendant longtemps, chaque fois que je repensai à elle, le souvenir de leur éclat se présentait aussitôt à moi comme celui d'un vif azur, puisqu'elle était blonde : de sorte que, peut-être si elle n'avait pas eu des yeux aussi noirs – ce qui frappait tant la première fois qu'on la voyait – je n'aurais pas été, comme je le fus, plus particulièrement amoureux, en elle, de ses yeux bleus.


A la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann , folio


15/11/2013

Le coeur cousu, de Carole Martinez

 

ANA TERESA BARBOZA.jpg

 Ana Teresa Barboza http://www.ignant.de/2013/09/03/ana-teresa-barboza/  et http://anateresabarboza.blogspot.fr/

 


Le papillon

Commença alors pour ma mère la période des fils de couleurs.
Ils avaient fait irruption dans sa vie, modifiant le regard qu'elle portait sur le monde.
Elle fit le compte : le laurier-rose, la fleur de la passion, la chair des figues, les oranges, les citrons, la terre ocre de l'oliveraie, le bleu du ciel, les crépuscules, l'étole du curé, la robe de la Madone, les images pieuses, les verts poussiéreux des arbres du pays et quelques insaisissables papillons avaient été jusque-là les seuls ingrédients colorés de son quotidien. Il y avait tant de bobines, tant de couleurs dans cette boîte qu'il lui semblait impossible qu'il existât assez de mots pour les qualifier. De nombreuses teintes lui étaient totalement inconnues comme ce fil si brillant qu'il lui paraissait fait de lumière. Elle s'étonnait de voir le bleu devenir vert sans qu'elle y prenne garde, l'orange tourner au rouge, le rose au violet.
Bleu, certes, mais quel bleu ? Le bleu du ciel d'été à midi, le bleu sourd de ce même ciel quelques heures plus tard, le bleu sombre de la nuit avant qu'elle ne soit noire, le bleu passé, si doux, de la robe de la Madone, et tous ces bleus inconnus, étrangers au monde, métissés, plus ou moins mêlés de vert ou de rouge.
Qu'attendait-on d'elle ? Que devait-elle faire de cette nouvelle palette qu'une voix mystérieuse lui avait offerte dans la nuit ?
Bombarder de couleurs le village étouffé par l'hiver. Broder à même la terre gelée des fleurs multicolores. Inonder le ciel vide d'oiseaux bigarrés. Barioler les maisons, rosir les joues olivâtres de la mère et ses lèvres tannées. Elle n'aurait jamais assez de fil, assez de vie, pour mener à bien un tel projet.
Elle se rabattit donc sur l'intérieur de la maison.


Extrait du chapitre Le papillon, Le coeur cousu, édition Folio

Merci à Véronique Denoyel, qui m'a fait découvrir ce texte et cette artiste; véronique est elle même une artiste http://www.veroniquedenoyel.com  et http://www.veronique-denoyel.fr

11/11/2013

Bach en automne, IV, de Jean-Paul de Dadelsen

                          

Pierre Gaudu 22 octobre 2013.jpg

@pierre gaudu 2013,  ne pas partager sans son autorisation, http://pierre-gaudu.over-blog.com/



Le ciel au soir est vert. À la  lisière du bois les chevreuils

Viennent humer au loin les villages roux de feuilles et de fumées.

Bientôt, quand la nuit tombera le vent de Pologne,

La brume montera des prés.

 

Le regard du faon découvre trois lieues de plaine sans refuges.

Autour du sommeil des hameaux les barrières vermoulues n’arrêtent

Ni les reîtres ni la peste.

 

Le monde dans l’espace et la durée étale sa placidité.

J’ai lu longtemps dans ce livre perpétuel. Autrefois j’ai décrit

Les gambades au mois de mai du jeune agneau,

Le vol instable des émouchets.

 

Je ne décrirai plus. Tout est nombre. L’arbre,

Rivière de feuilles ou noir de gel, entre la terre et le ciel instaure

Une figure permanente.

 

Le monde est en repos, dit-on ; les princes sont en paix, peut-être.

Entre la nue basse et l’horizon convexe s’éloigne une gloire exténuée

De lumière inaccessible. Le monde à travers fastes et largesses demeure

Établi dans l’exil.

 

Il faut rentrer. L’haleine de la nuit descend sur nos visages aveugles.

L’âme écoute approcher tes pas ; entre chez nous, Seigneur ;

Il se fait tard.

 

Bach en automne, IV, dans Jonas, préface d’Henri Thomas, Poésie/Gallimard, 1986, p. 28-29.

20/10/2013

Blanc (extrait), d'Octavio Paz

 

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Du jaune au rouge au vert

Pèlerinages aux clartés

La parole se penche sur des tourbillons

Bleus.

        Vire l'anneau ivre,

Virent les cinq sens

Autour de l'améthyste

 

Poésie/Gallimard Versant Est p103

 Tableau de Willem de Kooning (1904-1997)

26/07/2013

Les papillons, de Gérard de Nerval

The Red Sphinx  - Odilon Redon


De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
- Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
- Moi, la moisson blondissante, 
Chevelure des sillons ; 
- Moi, le rossignol qui chante ; 
- Et moi, les beaux papillons !

Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !... 

Quand revient l'été superbe, 
Je m'en vais au bois tout seul :
Je m'étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul. 
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d'eux à son tour,
Passe comme une pensée 
De poésie ou d'amour ! 

Voici le papillon "faune",

Noir et jaune ;
Voici le "mars" azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D'un velours riche et moiré.

Voici le "vulcain" rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! le "soufré", dans l'espace,
Comme un éclair a relui...
Mais le joyeux "nacré" passe,
Et je ne vois plus que lui !

II

Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d'argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D'un or verdâtre et changeant.

Voici le "machaon-zèbre",
De fauve et de noir rayé ;
Le "deuil", en habit funèbre,
Et le "miroir" bleu strié ;
Voici l'"argus", feuille-morte,
Le "morio", le "grand-bleu",
Et le "paon-de-jour" qui porte
Sur chaque aile un oeil de feu !

Mais le soir brunit nos plaines ;
Les "phalènes"
Prennent leur essor bruyant,
Et les "sphinx" aux couleurs sombres,
Dans les ombres
Voltigent en tournoyant.

C'est le "grand-paon" à l'oeil rose
Dessiné sur un fond gris,
Qui ne vole qu'à nuit close,
Comme les chauves-souris ;
Le "bombice" du troëne,
Rayé de jaune et de vent,
Et le "papillon du chêne"
Qui ne meurt pas en hiver !...

Voici le "sphinx" à la tête
De squelette,
Peinte en blanc sur un fond noir,
Que le villageois redoute,
Sur sa route,
De voir voltiger le soir.

Je hais aussi les "phalènes",
Sombres hôtes de la nuit,
Qui voltigent dans nos plaines
De sept heures à minuit ;
Mais vous, papillons que j'aime,
Légers papillons de jour,
Tout en vous est un emblème
De poésie et d'amour !

III

Malheur, papillons que j'aime,
Doux emblème,
A vous pour votre beauté !...
Un doigt, de votre corsage,
Au passage,
Froisse, hélas ! le velouté !...

Une toute jeune fille
Au coeur tendre, au doux souris,
Perçant vos coeurs d'une aiguille,
Vous contemple, l'oeil surpris :
Et vos pattes sont coupées
Par l'ongle blanc qui les mord,
Et vos antennes crispées
Dans les douleurs de la mort !.


Extrait de Odelettes, 

Sylvie suivi de Les chimères et Odelettes, Collection de poche, Librio


Pastel d'Odilon Redon, Collection privée 'le Sphinx rouge", 61 x 49.5 cm

21/07/2013

L'herbe, d'Emily Dickinson

 

Ernst Kreidolf (1863-1956).2.jpg

Que l'herbe a peu de chose à faire!

Simple, verte, et toute ronde :

Pour seul souci les papillons,

Et pour compagnie l'abeille.

 

Suivant au fil du jour les jolis airs

Apportés par les brises,

Tenant le soleil sur son sein,

Elle salue à la ronde.

 

Elle enfile la nuit des perles de rosée,

Revêt de tels atours

Qu'une duchesse, à côté d'elle,

Semblerait trop commune.

 

A sa mort même elle passe

Dans des odeurs divines

D'humbles épices assoupies

Ou de nard qui périt.

 

Puis elle règne sur les granges,

Rêvasse au long du jour.

Que l'herbe a peu de chose à faire :

Je voudrais être foin!

 

Extrait de Poèmes, Editions Belin

Tableau de Ernst Kreidolf (1863-1956).
 

13/07/2013

Toujours je me réveille, de Fernando Pessoa

 

PaulGauguin-Mahana_no_atua-Day_of_the_Gods.jpg

Paul Gauguin- Levée du jour


Toujours je me réveille avant le point du jour,
et j'écris lourd de ce sommeil que j'ai perdu.
Puis dans cette torpeur où le froid gagne l'âme,
je guette l'aurore, tant de fois déjà vue.
                  
Je la fixe sans attention, gris-vert
qui se bleuit du chant des coqs.
Quel mal à ne pas dormir ? Nous perdons
ce que la mort nous donne en avant-goût.
                  
Ô printemps apaisé, aurore,
enseigne à ma torpeur où le froid gagne l'âme,
ce qui en mon âme livide la colore
de ce qui va se passer dans le jour.


Note : Je suis à la recherche des références de ce texte, relevé une nuit sans sommeil...)