23/11/2013
Love song III, de Nicolas Bouvier
©pierre gaudu (image non libre de droit) "ciel ouvert" , plume et encre de Chine 50x50 cm, http://pierre-gaudu.over-blog.com/
Quand tisonner les mots pour un peu de couleur
ne sera plus ton affaire
quand le rouge du sorbier et la cambrure des filles
ne te feront plus regretter ta jeunesse
quand un nouveau visage tout écorné d'absence
ne fera plus trembler ce que tu croyais solide
quand le froid aura pris congé du froid
et l'oubli dit adieu à l'oubli
quand tout aura revêtu la silencieuse opacité du
houx ce jour-là
quelqu'un t'attendra au bord du chemin
pour te dire que c'était bien ainsi
que tu devais terminer ton voyage
démuni
tout à fait démuni
alors peut-être...
mais que la neige tombée cette nuit
soit aussi comme un doigt sur ta bouche
Genève, décembre 1977
Le dehors et le dedans » aux éditions Zoé
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15/11/2013
Le coeur cousu, de Carole Martinez
Ana Teresa Barboza http://www.ignant.de/2013/09/03/ana-teresa-barboza/ et http://anateresabarboza.blogspot.fr/
Le papillon
Commença alors pour ma mère la période des fils de couleurs.
Ils avaient fait irruption dans sa vie, modifiant le regard qu'elle portait sur le monde.
Elle fit le compte : le laurier-rose, la fleur de la passion, la chair des figues, les oranges, les citrons, la terre ocre de l'oliveraie, le bleu du ciel, les crépuscules, l'étole du curé, la robe de la Madone, les images pieuses, les verts poussiéreux des arbres du pays et quelques insaisissables papillons avaient été jusque-là les seuls ingrédients colorés de son quotidien. Il y avait tant de bobines, tant de couleurs dans cette boîte qu'il lui semblait impossible qu'il existât assez de mots pour les qualifier. De nombreuses teintes lui étaient totalement inconnues comme ce fil si brillant qu'il lui paraissait fait de lumière. Elle s'étonnait de voir le bleu devenir vert sans qu'elle y prenne garde, l'orange tourner au rouge, le rose au violet.
Bleu, certes, mais quel bleu ? Le bleu du ciel d'été à midi, le bleu sourd de ce même ciel quelques heures plus tard, le bleu sombre de la nuit avant qu'elle ne soit noire, le bleu passé, si doux, de la robe de la Madone, et tous ces bleus inconnus, étrangers au monde, métissés, plus ou moins mêlés de vert ou de rouge.
Qu'attendait-on d'elle ? Que devait-elle faire de cette nouvelle palette qu'une voix mystérieuse lui avait offerte dans la nuit ?
Bombarder de couleurs le village étouffé par l'hiver. Broder à même la terre gelée des fleurs multicolores. Inonder le ciel vide d'oiseaux bigarrés. Barioler les maisons, rosir les joues olivâtres de la mère et ses lèvres tannées. Elle n'aurait jamais assez de fil, assez de vie, pour mener à bien un tel projet.
Elle se rabattit donc sur l'intérieur de la maison.
Extrait du chapitre Le papillon, Le coeur cousu, édition Folio
Merci à Véronique Denoyel, qui m'a fait découvrir ce texte et cette artiste; véronique est elle même une artiste http://www.veroniquedenoyel.com et http://www.veronique-denoyel.fr
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25/10/2013
Fin, d'Antoine Emaz
on ne sait quel paysage bouge rouge
au fond de l’œil
un peu comme un battement assourdi
une houle née loin venue rouler tomber
encore
ici
la nuit
tremble
//
malgré tout
cela s’écoule sale peut-être mal mais finit par trouver un chemin une veine à travers la bouche la mémoire la radio les images
passant le bruit les mots
une sale seule couleur
s’établit
fait fond
rideau
on descend
là
c’est fini
//
demain
de nouveau on ira sans doute vers rien que ce pays encore bien sûr on ira de l’avant dans le même jusqu’à quoi au bout de la ressemblance du même forcé jusqu’à quoi
d’autre
Antoine Émaz, Fin, dans Fond d’œil, Théodore Balmoral, 1995, repris dans Caisse claire, Poèmes 1990-1997, Points/Seuil, 2007, p. 97-98
Tableau de 1948 de Jakson Pollock
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20/10/2013
Blanc (extrait), d'Octavio Paz
Du jaune au rouge au vert
Pèlerinages aux clartés
La parole se penche sur des tourbillons
Bleus.
Vire l'anneau ivre,
Virent les cinq sens
Autour de l'améthyste
Poésie/Gallimard Versant Est p103
Tableau de Willem de Kooning (1904-1997)
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05/10/2013
Entre, de Jean-Pierre Duprey
Tableau de Jean-Pierre Duprey
Entre le ballon noir et l’épine du blanc
Ce qui est, ce qui fait : je suis au balancement
Ce qu’est l’horizontale à la verticale.
C’est l’Epineuse noire au gonflement du blanc.
Chimère, machine au bloc de la mer
C’est ici que se courbe
Le serpent lié au mât
Par un soleil au verbe rouge.
Voici alors qu’un bleu étale
Comme un pétale sans fin
S’est creusé d’une fleur
Qui n’est ni bleu ni rouge.
Qui n’est ni blanche ni noire.
C’est l’Epineuse de voir, l’Effeuillement-fermoir
La bouche s’est fermée : c’est un rire éclatant.
(Poème non daté).
Collection Poètes d’aujourd’hui, numéro 212, Éditions Seghers, 1973, page 153.
A retrouver sur le site Terres de femmes
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28/09/2013
Train rapide, de Gottfried Benn
Marc Leonard, Paysage grande vitesse, à retrouver sur son site http://marcleonard.fr
D'un brun de cognac. D'un brun de feuillage. Brun-rouge.
Jaune malais.
Train rapide Berlin-Trelleborg et les stations de la Baltique.
Chair qui allait nue.
Jusque dans la bouche brunie par la mer.
Plénitude inclinée vers le bonheur grec.
Nostalgie de faucille : comme l'été est avancé!
L'avant-dernier jour déjà du neuvième mois!
Chaume et dernière meule languissent en nous.
Épanouissements, le sang, les lassitudes,
la présence des dahlias nous bouleverse.
Le brun des hommes se précipite sur le brun des femmes :
Une femme c'est l'affaire d'une nuit.
et encore d'une autre si cela était bien!
Oh! et puis de nouveau cet Être-face-à-soi-même!
Ces mutismes! Cet engrenage!
Une femme c'est une odeur.
Un ineffable! Dépéris, réséda.
C'est le Sud, le berger et la mer.
Sur chaque pente pèse un bonheur.
Le brun clair des femmes s'affole au brun sombre des hommes .
Retiens moi! Oh, toi! Je tombe!
Ma nuque est si lasse.
Oh, ce dernier parfum
doux et fiévreux qui monte des jardins.
Choix de poèmes, traduction de Jean-Charles Lombard, Seghers, Paris, 1965.
Collection : Poètes d'aujourd'hui, n° 134 (épuisé)
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21/09/2013
Jardins, de Francis Carco
Hiroshige
Il a plu. Le jardin, dans l'ombre, se recueille.
Les chrysanthèmes vont mourir sans qu'on les cueille.
Dans les sentiers mouillés, effeuillaisons de fleurs
Trop pâles ; sur le sable, où pas un bruit ne bouge,
Évanouissement des grands dahlias rouges.
Murmure indéfini de toutes ces douleurs
De choses écoutant agoniser les fleurs.
Et de blancs pigeonniers veillent le crépuscule...
Mon enfance, de moi, comme tu te recules,
Parmi ce soir qui tombe et ce jardin qui meurt !
Tu pars et tu ne reviendras jamais, peut-être :
Ton souvenir, déjà, n'est plus qu'une rumeur
Dans un halo, et qui, bientôt, va disparaître.
Et je reste à rêver, tout seul, à la fenêtre...
La Bohême et mon cœur, Albin Michel
06:55 Publié dans Blanc, Rouge | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jardins, francis carco, hiroshige, lune, enfance, souvenir, blanc, rouge | Facebook | Imprimer | | |
21/07/2013
Voyages parmi les couleurs de terre
Voici l'exemple d'une palette intemporelle, qui évoque de multiples univers, et nous invite au voyage.
Évocation des couleurs de terre. Les ocres jaunes, les rouges , les oxydes rouges et les terres brûlées des villages de Provence, de Roussillon par exemple.
Couleurs chaudes des terres africaines, australiennes mais aussi d'Amérique du Nord.
Ces couleurs sont aussi des couleurs d'épices: curcuma, curry, safran, piments, cumin, fenouil, gingembre, citronnelle...Nous sommes alors invités à un voyage des sens et du goût. Nos papilles sont toutes émoustillées et notre odorat sollicité!
Mais ce sont aussi des couleurs de l'industrie, de la modernité, des chantiers. Rouge et brun rouge de la rouille, des peintures industrielles. Jaune cadmium des engins de construction. Les couleurs de sables et de ciment.
A chacun son voyage, ses références; et si vous prenez deux minutes pour réfléchir à ce que vous évoquent ces couleurs, vous continuerez à voyager dans le temps et l'espace, les odeurs et le goût...
Les couleurs, c'est la vie!
06:58 Publié dans Conseil en couleurs, Jaune, Rouge | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : conseil en couleurs, couleurs de terre, rouge, jaune, safran | Facebook | Imprimer | | |
28/06/2013
Sept amandiers en fleurs ou le retour vers la maison, de Paul Fort
Amandiers en provence, Paul Cezanne, Aquarelle, 58.5 x 47.5 cm, Collection privée
Savais-je aux fins de jour où mon destin chemine que j’aurais pour amis sept amandiers en fleurs ?
Sept amandiers en fleurs, du haut de la colline, se penchent et saluent mes joies et mes douleurs.
Ce soir où des nuées rouges aux lointains voiles se disputent la lune et tout le firmament,
blancs et roses filets à recevoir le vent, sept amandiers en fleurs ont capté mon étoile.
L’Arlequin de plomb.
Extrait de Ballades du beau hasard, p 160, Editions Flammarion
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20/06/2013
Aquarelliste, de Guillaume Apollinaire
Papiers collés/50x70 cm/Dominique Hordé
À Mademoiselle Yvonne M…
Yvonne sérieuse au visage pâlot
A pris du papier blanc et des couleurs à l’eau
Puis rempli ses godets d’eau claire à la cuisine.
Yvonnette aujourd’hui veut peindre. Elle imagine
De quoi serait capable un peintre de sept ans.
Ferait-elle un portrait ? Il faudrait trop de temps
Et puis la ressemblance est un point difficile
À saisir, il vaut mieux peindre de l’immobile
Et parmi l’immobile inclus dans sa raison
Yvonnette a fait choix d’une belle maison
Et la peint toute une heure en enfant douce et sage.
Derrière la maison s’étend un paysage
Paisible comme un front pensif d’enfant heureux,
Un paysage vert avec des monts ocreux.
Or plus haut que le toit d’un rouge de blessure
Monte un ciel de cinabre où nul jour ne s’azure.
Quand j’étais tout petit aux cheveux longs rêvant,
Quand je stellais le ciel de mes ballons d’enfant,
Je peignais comme toi, ma mignonne Yvonnette,
Des paysages verts avec la maisonnette,
Mais au lieu d’un ciel triste et jamais azuré
J’ai peint toujours le ciel très bleu comme le vrai.
Alcools, Collection Poésie, Galimard
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27/04/2013
La délirée, d'Henry Bauchau
Eau-forte et aquatinte en 5 couleurs originale de Zao Wou Ki , Non signée, 1974. Dimensions : 56 x 76 cm
Que tu es belle, ma délirée, tes joues sont noires
Et sculptées par l'ardent malheur.
Ta bouche est ornée par la lune et tes yeux
Tes yeux ont la couleur perdue.
Ton corps est un grand paysage de colère
Tu es le rouge indéchiffré
Avec le noir
Tu produis des paroles rouges.
Le temps nous a rejoints.
Nous sommes et nous ne sommes rien
Rien que ceux que la terre en tournant délirait.
Henry Bauchau, Heureux les déliants, poèmes 1950-1995
p 198, Editions Labor
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20/04/2013
Au bois, de Victor Hugo
Tableau de Laurence Amélie à retrouver sur http://laurence-amelie.com/
Nous étions, elle et moi, dans cet avril charmant
De l'amour qui commence, en éblouissement.
O souvenirs ! ô temps ! heures évanouies !
Nous allions, le coeur plein d'extases inouïes,
Ensemble dans les bois, et la main dans la main.
Pour prendre le sentier nous quittions le chemin,
Nous quittions le sentier pour marcher, dans les herbes.
Le ciel resplendissait dans ses regards superbes ;
Elle disait : Je t'aime et je me sentais dieu.
Parfois, près d'une source, on s'asseyait un peu.
Que de fois j'ai montré sa gorge aux branches d'arbre !
Rougissante et pareille aux naïades de marbre,
Tu baignais tes pieds nus et blancs comme le lait.
Puis nous nous en allions rêveurs. Il me semblait,
En regardant autour de nous les pâquerettes,
Les boutons d'or joyeux, les pervenches secrètes,
Et les frais liserons d'une eau pure arrosés,
Que ces petites fleurs étaient tous les baisers
Tombés dans le trajet de ma bouche à ta bouche
Pendant que nous marchions ; et la grotte farouche,
Et la ronce sauvage et le roc chauve et noir,
Envieux, murmuraient : Que va dire ce soir
Diane aux chastes yeux, la déesse étoilée,
En voyant toute l'herbe au fond du bois foulée ?
Extrait de Toute la lyre, Oeuvres complètes, T4, collection Bouquins, Robert Laffont.
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09/04/2013
R comme ROUGE, de Dominique Sorrente
Appel par les cent mille nuits biseautées, appel par le caillot du sang non advenu, appel d'une genèse qui d'un seul cri va nous rendre présents. ( Materia Mater ) À la question banale dans l’enfance, quand ma grand-mère se passionnait du vert, elle répondit qu’elle était ma couleur préférée. Elle, toujours, la couleur rouge, respire là, dans la poussée des commencements. Elle a su en ces heures poser son nez de clown sur le monde, mettre à la bouche la peau très tendre des coquelicots. On dira qu’on lui fera poser un genou à terre pour récolter sa part d’écorchure, ses drapeaux froissés, ses barricades en incendie. On lui montrera même ces deux trous au côté droit qui me parlent de résistance abattue. Mais c’est de vie toujours qu’il s’est agi. Un vol d’oiseau réfractaire qui nous emporte, une salutation avant d’entrer dans l’arène, un habit de lumière écarlate sur tes lèvres qui demandent à s’ouvrir. Bon sang ne saurait mentir, et pardon à ceux qui s’en font du mauvais. Le monde des poèmes est peuplé de bivouacs, d’avant, d’après batailles. On les approche comme au bord d’un brasero de fortune qui veut croire que l’histoire, en quelques mots reçus, trouvés, sera sauvée de son désastre rougeoyant.
(Extrait de Hier les fagots- Abécédaire, in Revue des Archers, n°14, mars 2008)
Merci à Dominique Sorrente de m'avoir communiqué ce texte.
Tableau de Zao Wou-Ki
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09/03/2013
Attente, partition, de Sereine Berlottier
15 mars
l’œil qui s’ouvre dans le noir, avant même que la farine de l’ aube ne s’éparpille aux fenêtres
la peau sait peut-être des choses que tu ignores
les seins laineux, noués et doux
tout bouge et se déplie maintenant
fleurs et balancement dans la tranchée sombre
on continue à vivre
hameçonnée
et l’espoir
et tous les lieux où se cacher mal pour dire
ton corps dedans
ce puits de rouge
sur l’émail blanc
et sa fraîcheur de fraise
écrasée
sa pulpe douce
tu n’es pas triste s’il y a à voir, à reconnaître
Attente, partition, éditions Argol, 2011, p. 119
Tableau de Cy Twombly
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12/02/2013
Le rouge et le vert (Le café la nuit), de Vincent Van Gogh
Le café la nuit, huile sur toile, 70x89, Yale University Art Gallery
"J’ai essayé d’exprimer les terribles passions de l’humanité au moyen du rouge et du vert."
"Dans mon tableau Le Café la nuit, j’ai cherché à exprimer l’idée que le café est un endroit où l’on peut se ruiner, devenir fou, commettre des crimes. Alors j’ai cherché, par des contrastes de rose tendre et de rouge sang, de doux vert Louis XV et Véronèse, contrastant avec les jaune et les vert-bleu durs, tout cela dans une atmosphère de fournaise infernale, de soufre pâle, à exprimer comme la puissance des ténèbres d’un assommoir.
Et en même temps, avec un apparence de gaieté japonaise et la bonhomie du Tartarin…"
Lettre de Vincent Van Gogh à Théo Van Gogh, du 8 et 9 septembre 1888
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13/01/2013
Madonna mia, d'Oscar Wilde
Jane Morris, la robe de soie bleue, peint en 1868 par Dante Gabriel Rossetti, huile sur toile (110,5 x 90,2 cm), Musée d'Orsay,The Society of Antiquaries, Londres,Kelmscott Manor Collection
Une fillette, un lis, inapte à la douleur du monde,
Cheveux bruns et soyeux tressés autour de ses oreilles,
Aux yeux charmeurs voilés de larmes folles,
Telle une eau d'un bleu pur dans un brouillard de pluie,
Et des joues pâles ignorantes des baisers,
Lèvres rouges qui ont toujours craint l'amour,
Gorge aussi blanche que gorge de colombe,
Sur le marbre de laquelle s'inscrit une veine de pourpre.
Pourtant, bien que mes lèvres ne cessent de te louer,
Je n'ose même pas embrasser ton pied,
Tant je suis assombri par les ailes de la peur,
Tel Dante, se tenant auprès de Béatrice,
Sous le poitrail en feu du Lion, lorsqu'il vit
La septième splendeur et l'escalier d'or (1).
Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard Delvaille, dans op. cité., p. 13.
1 Allusion à un passage de Dante (Le Paradis, XXI, 13-15) : « Nous sommes élevés à la septième splendeur, / qui, sous le poitrail du lion ardent, / mêle maintenant ses rayons au siens » (traduction de Jacqueline Risset, Flammarion, 1996) [Note de la Pléiade, p. 1576].
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05/01/2013
La petite sirène, de Hans Christian Andersen
Aquarelle d'Emil Nolde
Tout le ciel, disait-elle à son retour, ressemblait à de l’or, et la beauté des nuages était au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. Ils passaient devant moi, rouges et violets, et au milieu d’eux volait vers le soleil, comme un long voile blanc, une bande de cygnes sauvages. Moi aussi j’ai voulu nager vers le grand astre rouge ; mais tout à coup il a disparu, et la lueur rose qui teignait la surface de la mer ainsi que les nuages s’évanouit bientôt.
Contes d'Andersen, traduction par David Solti
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30/12/2012
Le désir de peindre, de Charles Baudelaire
Edouard Manet (1832-1883) Portrait d'Irma Brunner Vers 1880, Pastel sur toile, H. 53,5 ; H. 44,1 cm
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Jean-Gilles Berizzi
Malheureux peut-être l’homme, mais heureux l’artiste que le désir déchire !
Je brûle de peindre celle qui m’est apparue si rarement et qui a fui si vite, comme une belle chose regrettable derrière le voyageur emporté dans la nuit. Comme il y a longtemps déjà qu’elle a disparu !
Elle est belle, et plus que belle ; elle est surprenante. En elle le noir abonde : et tout ce qu’elle inspire est nocturne et profond. Ses yeux sont deux antres où scintille vaguement le mystère, et son regard illumine comme l’éclair : c’est une explosion dans les ténèbres.
Je la comparerais à un soleil noir, si l’on pouvait concevoir un astre noir versant la lumière et le bonheur. Mais elle fait plus volontiers penser à la lune, qui sans doute l’a marquée de sa redoutable influence ; non pas la lune blanche des idylles, qui ressemble à une froide mariée, mais la lune sinistre et enivrante, suspendue au fond d’une nuit orageuse et bousculée par les nuées qui courent ; non pas la lune paisible et discrète visitant le sommeil des hommes purs, mais la lune arrachée du ciel, vaincue et révoltée, que les Sorcières thessaliennes contraignent durement à danser sur l’herbe terrifiée !
Dans son petit front habitent la volonté tenace et l’amour de la proie. Cependant, au bas de ce visage inquiétant, où des narines mobiles aspirent l’inconnu et l’impossible, éclate, avec une grâce inexprimable, le rire d’une grande bouche, rouge et blanche, et délicieuse, qui fait rêver au miracle d’une superbe fleur éclose dans un terrain volcanique.
Il y a des femmes qui inspirent l’envie de les vaincre et de jouir d’elles ; mais celle-ci donne le désir de mourir lentement sous son regard.
Petits Poèmes en proses
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01/12/2012
Gauguin (Lettre à Jacques Brel), de Barbara
Il pleut sur l'île d'Hiva-Oa.
Le vent, sur les longs arbres verts
Jette des sables d'ocre mouillés.
Il pleut sur un ciel de corail
Comme une pluie venue du Nord
Qui délave les ocres rouges
Et les bleus-violets de Gauguin.
Il pleut.
Les Marquises sont devenues grises.
Le Zéphir est un vent du Nord,
Ce matin-là,
Sur l'île qui sommeille encore.
Il a dû s'étonner, Gauguin,
Quand ses femmes aux yeux de velours
Ont pleuré des larmes de pluie
Qui venaient de la mer du Nord.
Il a dû s'étonner, Gauguin,
Comme un grand danseur fatigué
Avec ton regard de l'enfance.
Bonjour monsieur Gauguin.
Faites-moi place.
Je suis un voyageur lointain.
J'arrive des brumes du Nord
Et je viens dormir au soleil.
Faites-moi place.
Tu sais,
Ce n'est pas que tu sois parti
Qui m'importe.
D'ailleurs, tu n'es jamais parti.
Ce n'est pas que tu ne chantes plus
Qui m'importe.
D'ailleurs, pour moi, tu chantes encore,
Mais penser qu'un jour,
Les vents que tu aimais
Te devenaient contraire,
Penser
Que plus jamais
Tu ne navigueras
Ni le ciel ni la mer,
Plus jamais, en avril,
Toucher le lilas blanc,
Plus jamais voir le ciel
Au-dessus du canal.
Mais qui peut dire ?
Moi qui te connais bien,
Je suis sûre qu'aujourd'hui
Tu caresses les seins
Des femmes de Gauguin
Et qu'il peint Amsterdam.
Vous regardez ensemble
Se lever le soleil
Au-dessus des lagunes
Où galopent des chevaux blancs
Et ton rire me parvient,
En cascade, en torrent
Et traverse la mer
Et le ciel et les vents
Et ta voix chante encore.
Il a dû s'étonner, Gauguin,
Quand ses femmes aux yeux de velours
Ont pleuré des larmes de pluie
Qui venaient de la mer du Nord.
Il a dû s'étonner, Gauguin.
Souvent, je pense à toi
Qui a longé les dunes
Et traversé le Nord
Pour aller dormir au soleil,
Là-bas, sous un ciel de corail.
C'était ta volonté.
Sois bien.
Dors bien.
Souvent, je pense à toi.
Je signe Léonie.
Toi, tu sais qui je suis,
Dors bien.
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04/11/2012
De nuit, de Georges Trakl
Le bleu de mes yeux s’est éteint dans cette nuit,
L’or rouge de mon cœur. O ! Le silence de la lampe allumée.
Ton manteau bleu enveloppa celui qui tombait.
Tes lèvres rouges scellèrent l’enténèbrement de l’ami.
Poèmes, traduits et présentés par Guillevic, éditions Obsidiane, 1986, réédité (Vingt poèmes de Georg Trakl) en 2006, p. 35.
Pastel de 1879 de Giuseppe de Nittis (1846-1884)
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