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09/04/2013

R comme ROUGE, de Dominique Sorrente

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Appel par les cent mille nuits biseautées, appel par le caillot du sang non advenu, appel d'une genèse qui d'un seul cri va nous rendre présents. ( Materia Mater ) À la question banale dans l’enfance, quand ma grand-mère se passionnait du vert, elle répondit qu’elle était ma couleur préférée. Elle, toujours, la couleur rouge, respire là, dans la poussée des commencements. Elle a su en ces heures poser son nez de clown sur le monde, mettre à la bouche la peau très tendre des coquelicots. On dira qu’on lui fera poser un genou à terre pour récolter sa part d’écorchure, ses drapeaux froissés, ses barricades en incendie. On lui montrera même ces deux trous au côté droit qui me parlent de résistance abattue. Mais c’est de vie toujours qu’il s’est agi. Un vol d’oiseau réfractaire qui nous emporte, une salutation avant d’entrer dans l’arène, un habit de lumière écarlate sur tes lèvres qui demandent à s’ouvrir. Bon sang ne saurait mentir, et pardon à ceux qui s’en font du mauvais. Le monde des poèmes est peuplé de bivouacs, d’avant, d’après batailles. On les approche comme au bord d’un brasero de fortune qui veut croire que l’histoire, en quelques mots reçus, trouvés, sera sauvée de son désastre rougeoyant.

 

(Extrait de Hier les fagots- Abécédaire, in Revue des Archers, n°14, mars 2008)

Merci à Dominique Sorrente de m'avoir communiqué ce texte.

Tableau de Zao Wou-Ki

01/06/2012

Malentendu entre deux surréalistes, d'Erich Fried

 

 

(pour Katja Hajek)

 

« il pleut »

disait-elle

« des hommes en manteau noir

passent »

 

disait-elle

Mais Magritte

ne l’entendait

plus très bien

(puisqu’elle ne le dit que des années

après sa mort)

.

Il n’entendit donc pas

le dernier mot

et comprit seulement

« il pleut des hommes en manteau noir »

C’est cela qu’il a peint

 



(traduit de l'allemand par Chantal Tanet et Michael Hohmann)

D'autres poèmes du même auteur sur les sites http://droitdecites.org/2010/11/28/erich-fried-choix-de-p...http://terresdefemmes.blog s.com/mon_weblog/2010/12/erich-fried-das-richtige-wort.html
 http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/

Tableau de Magritte Golconde (1953).

 

 

08/06/2011

Soupir, de Stéphane Mallarmé

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Mon âme vers ton front où rêve, ô calme soeur,
Un automne jonché de taches de rousseur,
Et vers le ciel errant de ton oeil angélique
Monte, comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d’eau soupire vers l'Azur.

Vers l’Azur attendri d’Octobre pâle et pur
Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie
Et laisse, sur l’eau morte où la fauve agonie
Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon,
Se traîner le soleil jaune d’un long rayon.

 

 

Album de vers et de prose (1887)

 

Bonnard, Marthe dans son lit 

18/03/2011

Horizon, de Jacques Garelli

 

 

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Cette brume de chaleur et sa poussée multicolore plus lointaine que ce qui scintille dans une débâcle de micas, comme un poumon solaire absorbant les plus austères respirations, qui les transfère et les transfigure, je les vois, les autarciques, comme le mauve tend vers l'indigo des mers, dans une fugitive conspiration.

 
 
Fragments d'un corps en archipel, 2008, éd. José Corti
Tableau Dominique Hordé

07/02/2011

L'île, d'Andrée Chedid

 

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Pour un coin d’eau de traces et d’herbe verte
Où l’œil serait nu le cœur de rosée
Les mains         feuilles ouvertes

Je vais
Aile au soleil
Marchant pour l’étoile
Son odeur de résine et de rêve d’enfant

C’est la route des fables la route des genêts
Que bordent les noirs sourires d’enracinés


Voici l’île la fleur la découverte

Voici l’oiseau chanteur
Voici les lendemains

Les mensonges aux yeux de mouettes.




Andrée Chedid, Textes pour un poème, 1949-1970 in Andrée Chedid, Au cœur du cœur, Poèmes choisis et présentés par Matthieu Chedid et Jean-Pierre Siméon, Librio Poésie, 2009, page 19.

Tableau de Nicolas de Stael

06/02/2011

Corps de femme, de Pablo Neruda

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Corps de femme, blanches collines, cuisses blanches,
l'attitude du don te rend pareil au monde.
Mon corps de laboureur sauvage, de son soc
a fait jaillir le fils du profond de la terre.

Je fus comme un tunnel déserté des oiseaux,
la nuit m'envahissait de toute sa puissance.
Pour survivre j'ai dû te forger comme une arme
et tu es la flèche à mon arc, tu es la pierre dans ma fronde.

Mais passe l'heure de la vengeance, et je t'aime.
Corps de peau et de mousse, de lait avide et ferme.
Ah ! Le vase des seins ! Ah ! Les yeux de l'absence !
Ah ! Roses du pubis ! Ah, ta voix lente et triste !

Corps de femme, je persisterai dans ta grâce.
Ô soif, désir illimité, chemin sans but !
Courants obscurs où coule une soif éternelle
et la fatigue y coule, et l'infinie douleur.               


Pablo Neruda, Les vingt poèmes d’amour, Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée, Gallimard, Collection Poésie, pp. 9-11.

Tableau D'Edouard Manet: Olympia

22/01/2011

Nouvelles notes pour la semaison, de Philippe Jaccottet

Maintenant la terre s’est dévoilée
et la lumière du soleil en tournant comme un phare
fait les arbres tantôt roses tantôts noirs.
Puis elle écrit sur l’herbe avec une encre légère.

Un soir, le ciel resta plus longtemps clair
sur les grands jardins verts et noirs
couleur des pluies de la veille.
Les globes luirent trop tôt.
Alors dans le nid des branches
apparut le chant du merle
et ce fut comme si l'huile de la lumière
brûlait doucement dans cette faible lampe noire,
ou la voix même de la lune
venue prédire la nuit de mars aux passagers...

Philippe Jaccottet ("L'ignorant", Gallimard, 1957 - réédité en Poésie/Gallimard, 1971 sous le titre "Poésie, 1946-1967")

18/01/2011

Inspiration(I), d'Octavio Paz

 

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Ombres du jour blanc

Contre mes yeux. Je ne vois

Rien hormis le blanc.

L'heure blanche.L'âme

Affranchie du désir et de l'heure.

 

Blancheur des eaux mortes,

L'oeil ouvert, heure aveugle

Frotte ton silex, mémoire, flambe

Contre l'heure et son ressac,

Mémoire, flamme nageant.

 

Extrait d'Inspiration, recueil "Versant Est" Poésie Gallimard p 38

Tableau de Jean Fautrier

15/01/2011

Matin, de Charles Cros

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Voici le matin bleu. Ma rose et blonde amie 
 Lasse d'amour, sous mes baisers, s'est endormie. 
 Voici le matin bleu qui vient sur l'oreiller 
 Éteindre les lueurs oranges du foyer. 

 
L'insoucieuse dort. La fatigue a fait taire 
Le babil de cristal, les soupirs de panthère. 
Les voraces baisers et les rires perlés. 
Et l'or capricieux des cheveux déroulés 
Fait un cadre ondoyant à la tête qui penche. 
Nue et fière de ses contours, la gorge blanche 
Où, sur les deux sommets, fleurit le sang vermeil, 
Se soulève et s'abaisse au rythme du sommeil. 
 
La robe, nid de soie, à terre est affaissée. 
Hier, sous des blancheurs de batiste froissée 
La forme en a jailli libre, papillon blanc. 
Qui sort de son cocon, l'aile collée au flanc. 
 
A côté, sur leurs hauts talons, sont les bottines 
Qui font aux petits pieds ces allures mutines, 
Et les bas, faits de fils de la vierge croisés, 
Qui prennent sur la peau des chatoiements rosés. 
 
Epars dans tous les coins de la chambre muette 
Je revois les débris de la fière toilette 
Qu'elle portait, quand elle est arrivée hier 
Tout imprégnée encor des senteurs de l'hiver.

 

 

 

Charles CROS (1842-1888) (Recueil : Le coffret de santal)
Tableau de Pierre Bonnard

13/01/2011

Entre nuit et soleil, de Lionel Ray

Avec tes forêts, tes 
gémissements, tes orages, 
à l’autre bout du chemin  
tu t’inclines. 
 
Comment cela a-t-il pu 
être ? terre à secrets, 
accidents, effrois,  
ces obscurs silences, 
ces visages déchirés ? 
 
Et l’eau qui tout emporte, 
vive et mortelle. 
Les morts qu’on a aimés 
ne boivent à nulle source, 
inapaisés. 
 
Reste seulement 
le cri bleu des hirondelles 
entre toits et clochers.  
 
|•| 
 
tu n’es rien d’autre que 
ce que tu cherches. 
Souviens-toi de l’imprévisible. 
 
La couleur de vivre, 
celle de fin novembre, 
l’oubli. 
 
Chemine en toi lentement 
la langue du temps perdu. 
Mots en écho, cris et balbutiements, 
toutes les joies dispersées 
dans l’ombre 
comme feuilles jaunies. 
 
Il y a cette brûlure 
au creux des mains, 
l’inscription d’un vertige 
qui n’a pas de nom 
 
Entre Nuit et soleil, Gallimard, 2010, pp. 45 et 46. 
 

11/01/2011

Laurence endormie, de Patrice de LA TOUR DU PIN

 

 

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Cette odeur sur les pieds de narcisse et de menthe,
Parce qu'ils ont foulé dans leur course légère
Fraîches écloses, les fleurs des nuits printanières,
Remplira tout mon cœur de ses vagues dormantes ;

Et peut-être très loin sur ses jambes polies,
Tremblant de la caresse encor de l'herbe haute,
Ce parfum végétal qui monte, lorsque j'ôte
Tes bas éclaboussés de rosée et de pluie ;

Jusqu'à cette rancœur du ventre pâle et lisse
Où l'ambre et la sueur divinement se mêlent
Aux pétales séchées au milieu des dentelles
Quand sur les pentes d'ombre inerte mes mains glissent,

Laurence... Jusqu'aux flux brûlants de ta poitrine,
Gonflée et toute crépitante de lumière
Hors de la fauve floraison des primevères
Où s'épuisent en vain ma bouche et mes narines,

Jusqu'à la senteur lourde de ta chevelure,
Éparse sur le sol comme une étoile blonde,
Où tu as répandu tous les parfums du monde
Pour assouvir enfin la soif qui me torture !

1942, La Quête de joie

Tableau de Cranach, 1518

08/01/2011

La cousine, de Gérard de Nerval

L'hiver a ses plaisirs; et souvent, le dimanche,
Quand un peu de soleil jaunit la terre blanche,
Avec une cousine on sort se promener...
- Et ne vous faites pas attendre pour dîner,

Dit la mère.Et quand on a bien, aux Tuileries,
Vu sous les arbres noirs les toilettes fleuries,
La jeune fille a froid... et vous fait observer
Que le brouillard du soir commence à se lever.

Et l'on revient, parlant du beau jour qu'on regrette,
Qui s'est passé si vite... et de flamme discrète :
Et l'on sent en rentrant, avec grand appétit,
Du bas de l'escalier, - le dindon qui rôtit.

02/01/2011

Sous la déferlante des voeux, de Dominique Sorrente

wassily kandinsky ciel bleu.jpgSous la déferlante des vœux,

je vous souhaite

 

 

la liesse de la bulle,

la grandeur d’âme de la goutte d’eau,

les honneurs rendus à la flamme

pour l’ensemble de son œuvre,

 

le beau geste et l’instant décisif

d’une page de vent à l’écriture sympathique,

 

je vous souhaite aussi

des histoires fabuleuses de limaces

qui laisseront des traces après l’oubli,

un oiseau de toutes couleurs à ne plus avoir peur du noir,

des adieux

en forme d’antichambres de vie,

 

je vous souhaite de rencontrer

le souffle épique du papillon, la bonhomie cajolante du gouffre,

 

je vous souhaite des rires d’enfants si purs

que les ennemis ne pourront les atteindre,

une mélodie de pierres à feu

à offrir au chant fatigué de la terre,

 

je vous souhaite d’heureux midis

à loger la part nécessaire de l’ombre,

 

je vous souhaite des tournesols cherchant leur astre, toute la nuit,

et encore des danses qui virevoltent sous terre

à la bonne fortune du pot,

et des pensées d’amour qui auront si bon dos

qu’il leur poussera des ailes,

 

je vous souhaite de tendre l’arc en ciel

en plein milieu de la saison des pluies,

 

mais par dessus tout, je vous souhaite

de faire de votre rêve

le vrai héros irréprochable

qui vous tiendra compagnie, jours fériés

et même jours ouvrables.

 

Texte à retrouver sur le site qu'anime Dominique Sorrente http://www.scriptorium-marseille.fr/

Tableau de Wassily Kandinsky

16/12/2010

Le Christ voilé (extrait), de Patrice de la Tour du Pin

C'est un jardin secret et tranquille où s'amassent
Les iris blancs et les hautes touffes d'asters
Et les tapis serrés de campanules basses.

Aucun vent n'y pénètre du ciel grand ouvert ;
Les voix mêmes des oiseaux passants se sont tues
Qui volent vite et très haut dans le ciel clair.

Ombrée, et finement travaillée, et vêtue
De la seule caresse amoureuse des fleurs,
Une femme, de la chair froide des statues.

Et le maître ancien qui fut son ciseleur,
A l'étrange figure ajouta son mystère,
Le signe de l'ellipse inscrit dans sa pâleur.

Un mur de pierre enclôt cette Eve solitaire
Qui ne tend pas l'oreille aux rumeurs d'au-delà,
Mais à celles, sourdes et profondes, de la terre.

Ce serait la plus haute des fleurs, si son bras
Le long d'un corps gonflé de sève végétale,
Sur son ventre de nacre ne descendait pas ;

Si ses deux seins n'étaient striés de veines pâles,
S'ils ne se gonflaient pas soudain de volupté,
Caressés seulement en rêve par un mâle.

C'est un jardin secret, cerclé d'un mur, hanté
Comme un damier, d'oiseaux noirs et blancs qui reposent :
On leur a coupé les ailes par cruauté.

Dehors le ciel est tout enluminé de rose,
Sur les collines, des nuages clairsemés,
Et "Quête de joie" est inscrit sur toutes choses :

L'archange noir, veillant sur ce jardin fermé.

13/12/2010

Le lendemain du jour, d'Ariane Dreyfus

Comme une femme se glisse sous un homme
Je lis votre écriture

 Ou alors c’est moi qui écris couchée
La page blanche fait cette lumière où j’oublie de me voir
Toujours commencée
Il y a un côté où l’encre n’est pas sèche
qui mène jusqu’à vous

Quand vous me lisez vous le dites
Ou jamais
Je prends toutes les étoffes selon la chaleur
Les morceaux de vie selon
Ma bien future mort

 Je n’étais pas penchée sur le vide
Une femme sur un homme

Qui écrit n’est pas longtemps une jeune fille
Plutôt souvent

Il faut des mots pour se glisser entre eux
Y voir
Aucun n’est vrai tout seul
Heureusement le tumulte ne refuse pas la main

 Tant de poèmes que je suis cachée dans toute la forêt ?
C’est vous qui choisissez

 L’écorce que vous dites que j’ai touchée.

 Les Compagnies silencieuses, Flammarion, 2001, p. 27.

09/12/2010

Le temps de vivre, de Boris vian

Il a dévalé la colline
Ses pas faisaient rouler les pierres
Là-haut entre les quatre murs
La sirène chantait sans joie

Il respirait l’odeur des arbres
Avec son corps comme une forge
La lumière l’accompagnait
Et lui faisait danser son ombre

Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il sautait à travers les herbes
Il a cueilli deux feuilles jaunes
Gorgées de sève et de soleil

Les canons d’acier bleu crachaient
De courtes flammes de feu sec
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il est arrivé près de l’eau

Il y a plongé son visage
Il riait de joie il a bu
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il s’est relevé pour sauter

Pourvu qu’ils me laissent le temps
Une abeille de cuivre chaud
L’a foudroyé sur l’autre rive
Le sang et l’eau se sont mêlés

Il avait eu le temps de voir
Le temps de boire à ce ruisseau
Le temps de porter à sa bouche
Deux feuilles gorgées de soleil

Le temps d’atteindre l’autre rive
Le temps de rire aux assassins
Le temps de courir vers la femme

Il avait eu le temps de vivre.

Boris Vian (1920 - 1959)

08/12/2010

Rêve pour l'hiver, d'Arthur Rimbaud

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L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue égratignée…
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…

Et tu me diras : "Cherche !", en inclinant la tête,
- Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
- Qui voyage beaucoup...



7 octobre 1870
tableau de Caspar David Friedrich, né le 5 septembre 1774 à Greifswald enPoméranie suédoise et mort le7 mai 1840 à Dresde

07/12/2010

Bleu, bleu surtout, de Claude Esteban

 

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Ce matin, je ne voudrais écrire que la clarté du ciel et tous les mots qui me viennent en mémoire sont encore lourds de la nuit passée et me trahissent. On imagine les signes verbaux comme une sorte de réserve toujours disponible où l'on puise à son gré et qu'il ne reste donc qu'à les assembler avec plus ou moins de justesse, selon ses goûts et peut-être la force de son génie. Mais c'est ne rien savoir de la nature propre du langage, des énergies qui le traversent, de cette vie mystérieuse dont il est le réceptacle et qui ne s'accorde à nous que par instants. Car les mots, et les plus familiers, dès lors qu'on les sollicite à des fins précises, résistent et parfois se refusent. Ils ont mille façons surprises, et si nous feignons de l'ignorer et de poursuivre, ils nous entraînent alors dans leurs labyrinthes et nous abandonnent aux ports du silence. Je voulais dire seulement cette clarté du ciel, et, sans que je puisse en déterminer le motif, s'interpose, tel un écran, une myriade de notions noires. Et que brouillards, ténèbres, murailles, carapaces prennent le dessus, investissent mon esprit, paralysent mon désir d'écrire simplement la pure luminosité du ciel, et ce n'est que plus tard, quand j'aurai renoncé à ma tâche, que je discernerai, très loin dans mon souvenir, la trace des mots perdus : cristal, fenêtre, arbre, bruyère, bleu, bleu surtout.




Claude Esteban, La Mort à distance, poèmes, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2007, page 73.
Tableau de Wassily Kandinsky




06/12/2010

Extraits d'America Solitudes, de James Sacré

Un volume de nuée (comme une dorne tendue) 
Mélange du rouge et du bleu dans le sombre de la nuit venue 
Au-dessus du Rio Grande entre Bernalillo et Albuquerque.  
On pourrait se demander si c’est à cause de l’éclairage urbain  
Ou s’il s’agit des couleurs d’un orage contenu.  
Le Rio Grande à des endroits n’est plus  
Que de longues flaques d’eau quand même encore vivantes  
Entre des bancs de sable et de galets, des herbes très vertes  
Puis la ligne forte et tourmentée des peupliers cottonwoods 
Qui marque le parcours du fleuve.  

Et maintenant, loin dans la nuit, la grande forme en triangle de la montagne Sandia 
 
Cet emmêlement de rouge et de bleu sombre a touché 
Au minuscule moment où j’ai ramassé un caillou 
Mal roulé avec des cassures lisses 
Et des couleurs de feu et de verre brûlé dans la masse de pierre :  
Fugitif rapport entre l’immensité du ciel dans une attente  
Et le temps d’un geste pour tenir un caillou dans mon cœur.  
 
De quoi parlent ces mots maintenant venus,  
Et si, comme une plus vraie nuit, ils n’effacent pas tout ?   

Edition André Dimanche (p. 340) 

03/12/2010

A l'aplomb du mur blanc, d'Angèle Paoli

Pas un crayon ici pas une lime pas
une lame seulement des
mots sans rime            en attente
de déraison — attente
veillée entrecoupée de
sommeil sans rêve ombres au bord
des voix diffuses dans le feu
attente — de réveil — enroulée je dessine
les cercles du matin dans la lumière blonde
funambule des deux rives du temps
couchée à même le sol
onglet du mètre — en attente de —
sa hauteur 34 fois 6
2 fois 17
éclairages sur rampe

l’araignée du soir
divague à l’aplomb
du mur blanc

porte étroite fermée
sur sa transparence (même)
rumeur sombre mugissement des vagues
encre minérale ciel — Ô — noire
toute chose dérobée invisible
vaste vaisseau de nuit              en attente d’étoiles
éclats diffractés dans la flamme
le froid me prend au rebours du réveil
bris de mots avalés par le feu

Au matin les derniers brûlages de l’hiver
montent dans l’air enneigé du
printemps.



Angèle Paoli

   Angèle Paoli anime un magnifique site de poèsie http://terresdefemmes.blogs.com/