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31/10/2014

Musique au Mirabell, de Georg Trakl

Nicolas de Staël. Lumières du Nord Lumières du Sud.jpg

Nicolas de Staël. huile sur toile 100 x 73 cm collection privée – © J. Hyde © Adagp, Paris, 2014. Exposition Lumières du Nord Lumières du Sud au MuMa (Le Havre)

Une fontaine chante. Les nuages sont
Dans le bleu lumineux, les blancs délicats.
Gravement des hommes silencieux vont
Le soi à travers le jardin vieux.

Le marbre des ancêtres est devenu gris.
Une troupe d’oiseaux trace vers les lointains.
Un faune aux yeux morts regarde
Des ombres qui glissent à l’obscur.

Le feuillage tombe rouge du vieil arbre
Et tourbillonne par la fenêtre ouverte.
Un éclair de feu s’allume dans la pièce
Et peint de tristes spectres d’angoisse.

Un étranger blanc entre dans la maison.
Un chien se jette dans des couloirs délabrés.
La servante éteint une lampe.
L’oreille entend de nuit des accords de sonate.

Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction de 
l’allemand de Marc Petit et Jean-Claude Schneider,
Gallimard, 1972, p. 21.

18/10/2014

Madame Parisse, (extrait), de Maupassant

Henri Matisse Nice.jpg

Henri Matisse, la baie de Nice, 80x71 cm, Collection privée

 

 

Entre l'écume blanche au pied des murs, et la neige blanche au bord du ciel, la petite cité éclatante et debout sur le fond bleuâtre des premières montagnes offrait aux rayons du soleil couchant une pyramide de maisons aux toits roux, dont les façades aussi étaient blanches, et si différentes cependant qu'elles semblaient de toutes les nuances.
Et le ciel, au-dessus des Alpes, était lui-même d'un bleu presque blanc, comme si la neige eût déteint sur lui ; quelques nuages d'argent flottaient tout près des sommets pales ; et de l'autre côté du golfe, Nice couchée au bord de l'eau s'étendait comme un fil blanc entre la mer et la montagne. Deux grandes voiles latines, poussées par une forte brise, semblaient courir sur les flots. Je regardais cela, émerveillé.


C'était une de ces choses si douces, si rares, si délicieuses à voir qu'elles entrent en vous, inoubliables comme des souvenirs de bonheur. On vit, on pense, on souffre, on est ému, on aime par le regard. Celui qui sait sentir par l’œil éprouve, à contempler les choses et les êtres, la même jouissance aiguë, raffinée et profonde, que l'homme à l'oreille délicate et nerveuse dont la musique ravage le cœur.

 

Madame Parisse. nouvelle de Maupassant

13/10/2014

Un matin à Neuilly, d'Anna de Noailles

 

Monet les bords de la seine ile de la grande Jatte.jpg

Claude Monet,  Les bors de la Seine, Ile de la Grande Jatte, Huile sur toile, 54 x 65 cm, 1878

 

C'est toujours vous, Printemps, qui me faites du mal…
 – Eau légère où le beau soleil baigne son âme,
La Seine, toute molle et glissante, se pâme
Sous les ponts emmêlés d'azur et de métal.

Tout est sonore, et tout est calme et se repose ;
L'air jouit du matin et d'un si doux état.
Dans le bourg de Neuilly que Pascal visita
Un vert figuier s'avance entre deux maisons roses.

On ne sait pas d'où vient cette triste langueur.
L'azur est de plaisir et de jeunesse humide,
Le silence est luisant et la rue est torride,
Et moi j'ai tout un deuil blanc et bleu dans mon cœur…

Anna de Noailles. Les Éblouissements. 

06/06/2014

Les réparties de Nina, d'Arthur Rimbaud

CY TWOMBLY.jpg

Tableau de Cy Twombly

 

 

 

LUI - Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein ? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons

Du bon matin bleu, qui vous baigne
Du vin de jour ?...
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour

De chaque branche, gouttes vertes,
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Frémir des chairs :

Tu plongerais dans la luzerne
Ton blanc peignoir,
Rosant à l'air ce bleu qui cerne
Ton grand oeil noir,

Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou :

Riant à moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais
Comme cela, - la belle tresse,
Oh ! - qui boirais

Ton goût de framboise et de fraise,
O chair de fleur !
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur ;

Au rose, églantier qui t'embête
Aimablement :
Riant surtout, ô folle tête,
À ton amant !....

........................................................

- Ta poitrine sur ma poitrine,
Mêlant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois !...

Puis, comme une petite morte,
Le coeur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
L'oeil mi-fermé...

Je te porterais, palpitante,
Dans le sentier :
L'oiseau filerait son andante
Au Noisetier...

Je te parlerais dans ta bouche..
J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
Ivre du sang

Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
Aux tons rosés :
Et te parlant la langue franche - .....
Tiens !... - que tu sais...

Nos grands bois sentiraient la sève,
Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand rêve
Vert et vermeil

........................................................

Le soir ?... Nous reprendrons la route
Blanche qui court
Flânant, comme un troupeau qui broute,
Tout à l'entour

Les bons vergers à l'herbe bleue,
Aux pommiers tors !
Comme on les sent tout une lieue
Leurs parfums forts !

Nous regagnerons le village
Au ciel mi-noir ;
Et ça sentira le laitage
Dans l'air du soir ;

Ca sentira l'étable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rythme d'haleine,
Et de grands dos

Blanchissant sous quelque lumière ;
Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
À chaque pas...

- Les lunettes de la grand-mère
Et son nez long
Dans son missel ; le pot de bière
Cerclé de plomb,

Moussant entre les larges pipes
Qui, crânement,
Fument : les effroyables lippes
Qui, tout fumant,

Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus :
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts :

Les fesses luisantes et grasses
Du gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
Son museau blanc

Frôlé par un mufle qui gronde
D'un ton gentil,
Et pourlèche la face ronde
Du cher petit.....

Que de choses verrons-nous, chère,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
Les carreaux gris !...

- Puis, petite et toute nichée,
Dans les lilas
Noirs et frais : la vitre cachée,
Qui rit là-bas....

Tu viendras, tu viendras, je t'aime !
Ce sera beau.
Tu viendras, n'est-ce pas, et même...

Elle - Et mon bureau ?

 

 9ème poème du cahier de Douai écrit alors qu'il n'a pas encore 16 ans

21/04/2014

vestige d'une vieille haie de jardin, de Reiner Kunze

 

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Rothko

 

 

Aubépine et rouge-épine 
branches entremêlées 

Rameaux d’écume 
rouge dans le blanc 
blanc dans le rouge 
 
Bois fleurissant  
à la vie à la mort 

 

Reiner Kunze, Nuit des tilleuls, (Lindennacht, édition bilingue),traduction de Mireille Gansel & Gwenn Darras, Calligrammes/Bernard Guillemot, 2009, pp. 107 et 75,  à la vie à la mort 


 

 

02/04/2014

Chanson des escargots qui vont à un enterrement, de Jacques Prévert

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David BurliukArrivée du printemps et de l'été, 1914, Collection de AMBeckerman, États-Unis

 

 

A l'enterrement d'une feuille morte

Deux escargots s'en vont

Ils ont la coquille noire

Du crêpe autour des cornes

Ils s'en vont dans le soir

Un très beau soir d'automne

Hélas quand ils arrivent

C'est déjà le printemps

Les feuilles qui étaient mortes

Sont toutes ressuscitées

Et les deux escargots

Sont très désappointés

Mais voilà le soleil

Le soleil qui leur dit

Prenez prenez la peine

La peine de vous asseoir

Prenez un verre de bière

Si le coeur vous en dit

Prenez si ça vous plaît

L'autocar pour Paris

Il partira ce soir

Vous verrez du pays

Mais ne prenez pas le deuil

C'est moi qui vous le dis

Ça noircit le blanc de l’œil

Et puis ça enlaidit

Les histoires de cercueil

C'est triste et pas joli

Reprenez vos couleurs

Les couleurs de la vie

Alors toutes les bêtes

Les arbres et les plantes

Se mettent à chanter

A  chanter à tue-tête

La vraie chanson vivante

La chanson de l'été

Et tout le monde de boire

Tout le monde de trinquer

C'est un très joli soir

Un joli soir d'été

Et les deux escargots

S'en retournent chez eux

Ils s'en vont très émus

Ils s'en vont très heureux

Comme ils ont beaucoup bu

Ils titubent un p'tit peu

Mais là-haut dans le ciel

La lune veille sur eux.

 

Extrait de Paroles, Folio

 

21/03/2014

A travers un verger, de Philippe Jaccottet

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Pierre bonnard, La Côte d’Azur, The Phillips collection, Washington DC. © Adagp, Paris 2011

 

A chaque fois que je suis passé, en cette fin d'hiver, devant le verger d'amandiers de la colline, je me suis dit qu'il fallait en retenir la leçon, qu'ils auraient tôt fait de se taire comme chaque année; sans cesse autre chose m'a distrait de cette tâche, de sorte qu'à présent je ne peux plus me fier qu'au souvenir que j'en ai, déjà trop vague, presque effacé, incontrôlable. néanmoins, je ne me déroberai pas.

C'était comme si je découvrais une espèce différente d'amandiers (probablement du seul fait de leur nombre, ou de leur répartition, du lieu ou même la couleur du ciel ces jours-là). Leur floraison semblait plus confuse, plus insaisissable; et surtout d'un blanc moins pur et moins éclatant que celui d'une fleur isolée, observée de près. Aurais-je dû regarder mieux, m'arrêter, réfléchir? De toute façon, à présent, c'est trop tard. Il ne me reste dans la mémoire qu'un brouillard à peine blanc, en suspension au dessus de la terre encore terreuse, devant les sombres chênes-verts, en ce bas de pente; ce bourdonnement de blanc...Mais "blanc" est déjà trop dire, qui évoque une surface nette renvoyant un éclat blanc. Là c'était sans aucun éclat (et pas transparent pour autant). Timide, gris, terne? Pas d'avantage. Quelque chose de multiple, cela oui, un essaim, de multiplié: des milliers de petites choses, ou présences, ou taches, ou ailes, légères - en suspens, de nouveau, comme à chaque printemps; une sorte d'ébullition fraîche; un brouillard, s'il existait un brouillard sans humidité, sans mélancolie, où l'on ne risque pas de se perdre; quelque chose, à peine quelque chose...

Essaim, écume, neige: les vieilles images reviennent, elles sont pour les moins disparates. Rien de mieux.

 

A travers un verger, p 9 et 10, Gallimard

28/02/2014

Que ton âme soit blanche ou noire, de Paul Verlaine

 

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                                                    Toulouse Lautrec, (vers 1898) Collection privée 

 

Que ton âme soit blanche ou noire,
Que fait ? Ta peau de jeune ivoire
Est rose et blanche et jaune un peu.
Elle sent bon, ta chair, perverse
Ou non, que fait ? puisqu'elle berce
La mienne de chair, nom de Dieu !

Elle la berce, ma chair folle,
Ta folle de chair, ma parole
La plus sacrée ! - et que donc bien !
Et la mienne, grâce à la tienne,
Quelque réserve qui la tienne,
Elle s'en donne, nom d'un chien !

Quant à nos âmes, dis, Madame, 
Tu sais, mon âme et puis ton âme, 
Nous en moquons-nous ? Que non pas !
Seulement nous sommes au monde. 
Ici-bas, sur la terre ronde, 
Et non au ciel, mais ici-bas.

Or, ici-bas, faut qu'on profite 
Du plaisir qui passe si vite 
Et du bonheur de se pâmer. 
Aimons, ma petite méchante, 
Telle l'eau va, tel l'oiseau chante, 
Et tels, nous ne devons qu'aimer.

 

Chansons pour elle et autres poèmes érotiques, Folio, Gallimard

 

 

13/01/2014

Islande, de Delphine Priollaud-Stoclet

 

Delphine Prillaud-Stoclet.jpg

 

Quel pays dessinerait la Terre comme une autre planète ? 
Comment voyager aux confins de l’univers vers ces lieux incertains qui peuplent mes rêves ?
Quelle terre épouserait l’eau pour enfanter le feu et le ciel ? 
Quelle écorce arracherait de ses entrailles fumantes de spectaculaires geysers ?

Vert de gris, bleu céruléen, cramoisi d’alizarine, noir d’ivoire, auréoline. Pigments essentiels pour capturer les quatre éléments réunis, mes inséparables aquarelles. 
De l’eau, de l’encre, le blanc et le grain de la feuille.

Je songe à une île unique où vagabonder au rythme de mes étonnements, l’espace d’un territoire à mille lieux des paysages connus et reconnus.
Mon doigt s’attarde au Nord de la mappemonde dépliée.
Islande, terre de glace au cœur brûlant. Palpitant oxymore.

Les plaines d’Islande chuchotent à l’oreille des cailloux des mots arides aux tonalités soufrées. Des syllabes imprononçables formées de lettres existant nulle part ailleurs ajoutant au mystère d’un pays qui dérive à la lisière du globe.
La toundra frémissante parée de fleurs sauvages et mauves ondule, offerte à la caresse de l’air pur.
Je suis prête à échanger mon cher soleil flamboyant contre le pâle et mystérieux soleil de minuit.
La nuit polaire, couronnée d’aurores boréales phosphorescentes, resplendirait d’une lumière magique pailletée d’or et d’argent.
J’aimerais parcourir à pied ces déserts de pierres ponctués de volcans cracheurs de flammes et de cendres, deviner les eaux bouillantes emprisonnées sous les glaciers, explorer de nouvelles frontières picturales. 
Voir naître le cosmos, jouer avec le feu.
Un retour aux sources.

Peindre les gris colorés et l’éclat du chaud.
Jeter sur le papier la trace de mes pas.
Rapporter le carnet d’un voyage alchimique.
Islande, mon rêve de fin du monde.

 

Illustration et texte de Delphine Priollaud-Stoclet  qui a gagné le second prix (avec 10 autres personnes) au Concours organisé par Nouvelles Frontières sur le thème "Racontez votre voyage de rêve".  Pour en savoir plus: 

http://www.croquis-en-voyage.fr/blog/

http://www.atelier-salamandre.net/

 

05/10/2013

Entre, de Jean-Pierre Duprey

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Tableau de Jean-Pierre Duprey

 



Entre le ballon noir et l’épine du blanc
Ce qui est, ce qui fait : je suis au balancement
Ce qu’est l’horizontale à la verticale.
C’est l’Epineuse noire au gonflement du blanc.

Chimère, machine au bloc de la mer
C’est ici que se courbe
Le serpent lié au mât
Par un soleil au verbe rouge.
Voici alors qu’un bleu étale
Comme un pétale sans fin
S’est creusé d’une fleur
Qui n’est ni bleu ni rouge.
Qui n’est ni blanche ni noire.

C’est l’Epineuse de voir, l’Effeuillement-fermoir
La bouche s’est fermée : c’est un rire éclatant.


(Poème non daté).

 

Collection Poètes d’aujourd’hui, numéro 212, Éditions Seghers, 1973, page 153. 

A retrouver sur le site Terres de femmes 

 

21/09/2013

Chadelet : le bal des chats-huants, d’Héloïse Combes

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Hiroshige 

 
Ô chats-huants, chouettes effraie ou bien hulotte,
Le jour vous a fait fuir ces lieux où vous trahissent
Tels d’étranges cocons, vos nombreuses pelotes,
Coquilles d’escargots, petits os blancs et lisses
 
De rongeurs, recrachés, semblant lavés, frottés,
Polis au suc puissant de vos panses voraces
Comme sont les galets par la mer rejetés.
Le grenier somnolent regorge de vos traces :
 
Élytres bleu acier, pattes des scarabées
Familiers des sous-bois dont vous vous contentez
Aux heures où se dérobent écureuils et mulots,
Jeunes lapins, serpents, belettes et crapauds…
 
Ô chats-huants, chouettes, quand vient la nuit, la lune
Voit renaître vos masques : dames blanches, fantômes,
Têtes blêmes aux yeux ronds où vos pupilles allument
Un feu comme une lame esquivant la pénombre.
 
Votre ballet commence et Chadelet revit :
Vrillent les rayons d’or et valsent les souris,
Les papillons fiévreux tourbillonnent, en transe,
Soleils noirs prisonniers de leur obscure danse.
 
Ô chats-huants, chouettes, grands-ducs aux faces pales,
Quand Deneb pointe, bleue, loin dessus la demeure
Où sévissent les ombres et glissent les lueurs,
Vous, Maîtres de ces lieux, vous dirigez le bal !


Texte inédit d’Héloïse Combes, que je remercie, à retrouver sur son site http://heloise-combes.blogspot.fr

Jardins, de Francis Carco

 

Hirocchigé wind-blown-grass-across-the-moon.jpg

Hiroshige


Il a plu. Le jardin, dans l'ombre, se recueille.

Les chrysanthèmes vont mourir sans qu'on les cueille.

Dans les sentiers mouillés, effeuillaisons de fleurs

Trop pâles ; sur le sable, où pas un bruit ne bouge,

Évanouissement des grands dahlias rouges.

Murmure indéfini de toutes ces douleurs

De choses écoutant agoniser les fleurs.

Et de blancs pigeonniers veillent le crépuscule...

Mon enfance, de moi, comme tu te recules,

Parmi ce soir qui tombe et ce jardin qui meurt !

Tu pars et tu ne reviendras jamais, peut-être :

Ton souvenir, déjà, n'est plus qu'une rumeur 

Dans un halo, et qui, bientôt, va disparaître.

Et je reste à rêver, tout seul, à la fenêtre...

 

 La Bohême et mon cœur, Albin Michel

15/09/2013

Du silence (extrait), de Georges Rodenbach

LEON SPILLIAERT 1907.jpg

Léon Spilliaert , Aquarelle 49x65,2 cm Musée voor Schone Kunsten, Ostende

IV 
Seuls les rideaux, tandis que la chambre est obscure, 
Tout brodés, restent blancs, d' un blanc mat qui figure 
Un printemps blanc parmi l' hiver de la maison. 
Sur les vitres, ce sont des fleurs de guérison 
Pareilles dans le soir à ces palmes de givre 
Que sur les carreaux froids les nuits d' hiver font vivre. 
Et dans ces floraisons de guipure on croit voir 
Tous les souvenirs blancs parmi le présent noir; 
Ce sont les rideaux clairs du berceau ; c' est la bonne 
Aïeule aux cheveux blancs en bandeaux de madone; 
Ce sont les grands jardins d' enfance où les pommiers 
Étaient poudrés ; ce sont les cierges coutumiers 
Et les nappes d' autel pour les communiantes ; 
C' est l' hostie aux lys purs de leurs lèvres priantes ; 
Puis c' est le clair de lune épars comme du lait 
Dans la forêt magique où l' art nous appelait 
Parmi sa gloire et ses blancheurs éternisées ! 

Puis la guirlande en fleur au front des épousées 
Dont l' espoir doux se fane irréparablement 
Parmi cette blancheur vaporeuse qui ment. 
Car le leurre est rapide en cette ombre équivoque, 
Et tous les autres blancs du passé qu' on évoque 
Vont se faner avec les souvenirs d' amour 
Quand descendra dans les rideaux la mort du jour. 
 
Du silence, Le règne du silence. Pour en savoir plus, c'est ICI
 

24/08/2013

Le soleil du matin doucement chauffe et dore, de Paul Verlaine

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 Claude Monet  "Jeanne-Marguerite Lecadre au jardin", Huile sur toile 80 cm x 99 cm,1866-1867, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage


Le soleil du matin doucement chauffe et dore
Les seigles et les blés tout humides encore,
Et l'azur a gardé sa fraîcheur de la nuit.
L'on sort sans autre but que de sortir ; on suit,
Le long de la rivière aux vagues herbes jaunes,
Un chemin de gazon que bordent de vieux aunes.
L'air est vif. Par moment un oiseau vole avec
Quelque fruit de la haie ou quelque paille au bec,
Et son reflet dans l'eau survit à son passage.
C'est tout.

Mais le songeur aime ce paysage
Dont la claire douceur a soudain caressé
Son rêve de bonheur adorable, et bercé
Le souvenir charmant de cette jeune fille,
Blanche apparition qui chante et qui scintille,

Dont rêve le poète et que l'homme chérit,
Évoquant en ses vœux dont peut-être on sourit
La Compagne qu'enfin il a trouvée, et l'âme
Que son âme depuis toujours pleure et réclame.

 

Extrait de La bonne chanson

Fêtes galantes, la Bonne Chanson, précédées des Amies,  éditions: Le livre de poche

26/07/2013

Les papillons, de Gérard de Nerval

The Red Sphinx  - Odilon Redon


De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
- Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
- Moi, la moisson blondissante, 
Chevelure des sillons ; 
- Moi, le rossignol qui chante ; 
- Et moi, les beaux papillons !

Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !... 

Quand revient l'été superbe, 
Je m'en vais au bois tout seul :
Je m'étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul. 
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d'eux à son tour,
Passe comme une pensée 
De poésie ou d'amour ! 

Voici le papillon "faune",

Noir et jaune ;
Voici le "mars" azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D'un velours riche et moiré.

Voici le "vulcain" rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! le "soufré", dans l'espace,
Comme un éclair a relui...
Mais le joyeux "nacré" passe,
Et je ne vois plus que lui !

II

Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d'argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D'un or verdâtre et changeant.

Voici le "machaon-zèbre",
De fauve et de noir rayé ;
Le "deuil", en habit funèbre,
Et le "miroir" bleu strié ;
Voici l'"argus", feuille-morte,
Le "morio", le "grand-bleu",
Et le "paon-de-jour" qui porte
Sur chaque aile un oeil de feu !

Mais le soir brunit nos plaines ;
Les "phalènes"
Prennent leur essor bruyant,
Et les "sphinx" aux couleurs sombres,
Dans les ombres
Voltigent en tournoyant.

C'est le "grand-paon" à l'oeil rose
Dessiné sur un fond gris,
Qui ne vole qu'à nuit close,
Comme les chauves-souris ;
Le "bombice" du troëne,
Rayé de jaune et de vent,
Et le "papillon du chêne"
Qui ne meurt pas en hiver !...

Voici le "sphinx" à la tête
De squelette,
Peinte en blanc sur un fond noir,
Que le villageois redoute,
Sur sa route,
De voir voltiger le soir.

Je hais aussi les "phalènes",
Sombres hôtes de la nuit,
Qui voltigent dans nos plaines
De sept heures à minuit ;
Mais vous, papillons que j'aime,
Légers papillons de jour,
Tout en vous est un emblème
De poésie et d'amour !

III

Malheur, papillons que j'aime,
Doux emblème,
A vous pour votre beauté !...
Un doigt, de votre corsage,
Au passage,
Froisse, hélas ! le velouté !...

Une toute jeune fille
Au coeur tendre, au doux souris,
Perçant vos coeurs d'une aiguille,
Vous contemple, l'oeil surpris :
Et vos pattes sont coupées
Par l'ongle blanc qui les mord,
Et vos antennes crispées
Dans les douleurs de la mort !.


Extrait de Odelettes, 

Sylvie suivi de Les chimères et Odelettes, Collection de poche, Librio


Pastel d'Odilon Redon, Collection privée 'le Sphinx rouge", 61 x 49.5 cm

14/07/2013

Lettre A de l'Alphabet de l'heure bleue, d'Hacen Aymen

Egyptian night - Martiros Saryan

 Martiros Saryan, une nuit égyptienne 1912

 

 

Que le ciel pose son masque de jour

Que cette impénétrable clarté

S’en aille à vau-l’eau

             

Vienne la nuit où les mots

Grumeaux de larmes

S’abyment dans le blanc des yeux

        

Bleu de nuit

Lumière

De l’heure bleue

 

Alphabet de l'heure bleue, Jean-Pierre Huguet Editeur 

 

10/07/2013

Une histoire à suivre, de Claude Roy

 

Vincent-van-Gogh pelouse ensoleillée.jpg

Vincent van Gogh – Pelouse Ensoleillée Place Lamartine 1888


Après tout ce blanc vient le vert

Le printemps vient après l'hiver.

Après le grand froid le soleil,

Après la neige vient le nid,

Après le noir vient le réveil,

L'histoire n'est jamais finie.

Après tout ce blanc vient le vert,

Le printemps vient après l'hiver,

Et après la pluie le beau temps.

 

Farandoles et fariboles, Gallimard Jeunesse

28/06/2013

Sept amandiers en fleurs ou le retour vers la maison, de Paul Fort

 Almond Trees in Provence - Paul Cezanne

Amandiers en provence, Paul Cezanne, Aquarelle, 58.5 x 47.5 cm, Collection privée


Savais-je aux fins de jour où mon destin chemine que j’aurais pour amis sept amandiers en fleurs ?

Sept amandiers en fleurs, du haut de la colline, se penchent et saluent mes joies et mes douleurs.

Ce soir où des nuées rouges aux lointains voiles se disputent la lune et tout le firmament,

blancs et roses filets à recevoir le vent, sept amandiers en fleurs ont capté mon étoile.

 

 L’Arlequin de plomb.

 

 

Extrait de  Ballades du beau hasard, p 160, Editions Flammarion

 

 

Agate 1, de Roger Callois

 

Este MacLeod.jpg

Este Macleod 'fantasy garden' acrylic on canvas. http://www.estemacleod.com/

(…)

Plus rarement, des festons minéraux, des points de dentelle, des éclaboussures de pistils et des projections de pollen ; des explosions de chrysanthèmes, des pyrotechnies immobiles dans une nuit pétrifiée ; la transparence longtemps promise, longtemps différée, et qui surgit à l’improviste comme spectre ou météore ; des larmiers  et leurs pleurs, d’une résine fabuleuse ; l’astre blanc marqué comme au chanfrein de l’arzel ; des fenêtres luisantes couleur cyclamen ou églantine ; des tentures et des rideaux suspendus en pleine pierre à des crochets invisibles et dont les plis retombent avec solennité, à distance les uns des autres tels des cimes de montagnes impraticables, des draperies d’aurore boréale ; des fosses banales, profondes comme poches à bitume, où se sont déposés la lie et les déchets d’anciens fluides quintessenciés ; des rubans donnés à voir sur la mince épaisseur de leur tranche et dont la traîne somptueuse s’étale, ondule dans une opacité de miel ou d’ambre ardent ou de lessive azurée, comme ailes ou nageoires de chauves-souris marines, de raies.

 

 Roger Caillois, Agate I, in Pierres (Poésie/Gallimard)

Merci à Isabelle S.

22/06/2013

La solitude visitée, d'Armel Guerne



claude monet, Paysages, prunes fleurs

Pruniers en fleurs, Claude Monet, 1879 (Origine et Musée NC)


Regarder seulement et enfin ne rien dire,

Noyé dans la beauté vivante du matin

Vernissant tous les verts de la tapisserie

Ou recreusant ses bleus au-dessous des lointains

Tremblants de volupté et frémissants de joie

Sous la caresse imprévisible du soleil.

Le brouillard incertain se relève en panaches

Aux découpes bizarres parmi les coteaux

Qui paressent encore et par endroit se voilent

D'une fine blancheur plus souple que le vent

Virginal et doré, délicieux et clair.

La vue est une ivresse heureuse de se perdre.

Même le cri le plus secret de cette extase

Est refoulé jusqu'aux sources de la parole.

 

Rhapsodie des fins dernières.  Paris, Phébus, 1977

http://www.armelguerne.eu/

et merci à une de mes lectrices : http://en-paraison.hautetfort.com/archive/2010/12/08/pour...