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12/12/2011

Je suis né un jour bleu, de Daniel Tammet

 

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Je suis né le 31 janvier 1979 – un mercredi. Je sais que c’était un mercredi, parce que la date est bleue, dans mon esprit et les mercredis sont toujours bleus, comme le nombreneuf ou le son des voix bruyantes en train de se disputer. […] 

Les nombres sont mes amis et ils sont toujours présents autour de moi. Chacun est unique et a sa propre personnalité. Onze est amical et cinq est bruyant, alors que quatre est à la fois timide et silencieux – c’est mon nombre préféré. […] Certains nombres sont très beaux, comme trois cent trente-trois. […] Quatre-vingt-neuf me rappelle la neige qui tombe. […] 

Les émotions peuvent être difficiles pour moi, elles peuvent être difficile à comprendre alors j’utilise souvent les chiffres pour m’aider. Si un ami me dit qu’il se sent triste, je l’imagine en train d’être assis dans l’obscurité du nombre six et ça m’aide à ressentir ce même sentiment de tristesse. […] Les nombres m’aident à mieux comprendre les autres. […] 

Quand je regarde une séquence de chiffres, ma tête commence à se remplir de couleurs, de formes et de textures, qui se tissent ensemble spontanément pour former un paysage visuel. Ils sont toujours très beaux pour moi ; quand j’étais enfant je passais des heures à explorer les paysages de nombres dans mon esprit. 


Je suis né un jour bleu , édition J'ai lu (Plus d'information sur Daniel Tammet :   http://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Tammet 

Illustration d' Elisabeth Coulognier," Panorama végetal", que je remercie .A retrouver sur ses  sites

 http://l-ivredematieresetdecouleurs.blogspot.com/ 

 http://l-ivredelettresetdecouleurs.blogspot.com/


'ai découvert ce texte en écoutant  l'émission de Jean-Claude Ameisen, Sur les épaules de Darwin du 10 décembre 2011, consacrée à la synesthésie :http://www.franceinter.fr/emission-sur-les-epaules-de-dar...

08/12/2011

« Des mots comme du rouge qui respire », d'Angèle Paoli

 

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Que reste-t-il ce soir de tout ce vécu de mots qu’on a engrangé
Chacun pour soi ?

Un peu de poème « avec toute sa guenille de mots ».

« Des mots
comme du rouge qui respire ».


.Le rouge des bleus de Matisse      intérieurs et jardins
qui viennent à la rencontre
et le rouge du feu qui poudroie dans les mots.

.des mots comme du rouge qui respire
dans le vieux broc tout émaillé
comme posé là en attente d’un bouquet de cicindèles
ou même des flammes anacoluptères
que les mots grésillent
d’une bûche à l’autre
la respiration comme un souffle de vie à peine
retenu dans le silence gris du jour
et la promesse de la neige peut-être sous la vitre.

.et devant moi encore le rouge d’une étole
en jeté sur l’épaule et autour de la nuque aussi
comme un abandon de plis qu’on ne saurait dire.

.et celui plus carminé de la passion
d’un pendentif au lobe d’une oreille
que tellement ça bouge pour un rien
pour un mot qui passe tout au plus.

qui saura dire un jour quel fleuve
traverse le géant christophore
surgi à la croisée des rues dans le blanc de la roche rongée
et pourquoi au bou du bou du bou
le nom du village interrompu coupé
par qui pourquoi le sait-on ?
panneau sans fléchage et il faut inventer le chemin taillé
dans le gris lent de l’encoule
dans l’à-vif de la montagne blanche mêlé aux ocres chaudes
des pisés forteresses du Maroc.


.Sidi Slimane n’est jamais bien loin.


.le vieux campanile monte dans le peu de lumière derrière la vitre
au plus serré de la rencontre de ce jour


et le mot rouge un peu plus rouge pris dans les nappes et les tentures
et soudain dans celui plus doré du pain d’épices de Noël
qui effrite ses tranches sous les doigts
le rouge des couleurs mélange de bleu et d’oranger
la couleur rouge dans quel mot la retrouver
la rendre à sa rondeur première
à son origine dans la rouille
rouge pâle des tuiles sur les toits qui étirent
leur feuilleté dans la fraîcheur
et les murets décrépis
à quel temps abandonné depuis tant.


.le feu crépite rouge sang d’elfe chaude et d’éventail
que dis-tu en écrivant ces mots sinon le vide des images
qui ne parlent à personne
que lisent les regards sous les paupières closes
derrière la pluie des mots qui tombe en gouttes
de pétales rouges


quelque chose se vit comme un peu de souvenir
effacé que chacun garde au creux de sa propre chaleur
quelque chose se dit de l’intime
coule sa langue douce sous la langue autre
comme une odeur d’enfance à cueillir sous les mots
dans un jardin d’hier une langue d’avant
de Vendée ou d’ailleurs tendue aux quatre coins
d’une lessive fraîche.



crire comme une affaire de désir
comme une affaire de rencontre
un désir de poussière
et de paradis minuscule
quelque chose du rouge dans le grain de la voix.





Angèle Paoli   D.R

Merci à Angèle Paoli, qui anime un blog de poésie très riche,  Terres de Femmes

Tableau d'Henri Matisse. Statuette et pichet roses sur un coffre des tiroirs rouge. 1910. Huile sur la toile. L'Ermitage, Rue Petersburg, Russie.

06/12/2011

L'automne du solitaire, de GeorgTrakl

 Pour Tristan Hordé


Eaux

 

L’automne sombre s’installe plein de fruits et d’abondance,

Éclat jauni des beaux jours d’été.

Un bleu pur sort d’une enveloppe flétrie ;

Le vol des oiseaux résonne de vieilles légendes.

Le vin est pressé, la douce quiétude

Emplie par la réponse ténue à des sombres questions.

 

Et, ici et là, une croix sur la colline désolée ;

Un troupeau se perd dans la forêt rousse.

Le nuage émigre au-dessus du miroir de l’étang ;

Le geste posé du paysan se repose.

Très doucement l’aile bleue du soir touche

Un toit de paille sèche, la terre noire.

 

Bientôt des étoiles nichent dans les sourcils de l’homme las ;

Dans les chambres glacées s’installe un décret silencieux

Et des anges sortent sans bruit des yeux bleus

Des amants, dont la souffrance se fait plus douce.

Le roseau murmure ; assaut d’une peur osseuse

Quand la rosée goutte, noire, des saules dépouillés.

 

Georg Trakl, Œuvres complètes, traduites de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1972, p. 107.

 Photo de Chantal Tanet,  Tout droit réservé.


23/11/2011

Le bateau ivre, d'Arthur Rimbaud

poème;poésie,le bateau ivre,arthur rimbaud

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.


Rimbaud, 1871

Zemmyō se jette à la mer par le peintre japonais Enichibō Jōnin (XIIIe siècle). Kegonshū-soshi-eden (Vie de Gishō et Gengyō, moines de la secte Kegon en Corée), attribué à Enichibō Jōnin: Zemmyō se jette à la mer à la poursuite de Gishō (scène du troisième rouleau de la Légende de Gishō)- première moitié du XIIIe siècle - rouleau horizontal, couleurs sur papier - (H. 31,6cm). Au (Temple Kōzan-ji)-Kyōto.

11/11/2011

Matière de Bretagne, de Paul Celan

 

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Lumière de genêt, jaune, les pentes
suppurent vers le ciel, l'épine
courtise la plaie, cela
sonne là-dedans, c'est le soir, le néant
roule ses mers à la prière,
la voile de sang fait route vers toi.

Sec, envasé,
le lit derrière toi, enjonque
son heure, en haut,
près de l'étoile, les ruisselets
laiteux babillent dans la boue, datte de pierre
en contrebas, buissonnante, bée dans le bleu,
un arbrisseau d'éphémère, superbe,
salue ta mémoire.

(Me connaissiez-vous,
mains ? J'allai
le chemin fourchu que vous marquiez, ma
bouche crachait ses galets, j'allai,
mon temps, surplomb neigeux en marche,
jetait son ombre – me connaissez-vous ?)

Mains, la plaie
courtisée par l'épine, cela sonne,
mains, le néant, ses mers,
mains, dans la lumière de genêt, la
voile de sang
fait route vers toi.


Poèmes, traduction par john E Jackson Editions José Corti

Jean Duquoc 73x92 cm. Acrylique .Lumière et Solitude.

08/11/2011

La terre est bleue, de Paul Eluard

poème;poésie,la terre est bleue,paul eluard

La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s’entendre
Les fous et les amours
Elle sa bouche d’alliance
Tous les secrets tous les sourires
Et quels vêtements d’indulgence
À la croire toute nue.

Les guêpes fleurissent vert
L’aube se passe autour du cou
Un collier de fenêtres
Des ailes couvrent les feuilles
Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté.
 


L'Amour la poésie, (1929)

La métamorphose de la femme,d'André Masson, lithographie de 76x52 cm

19/10/2011

Les fleurs, de Stéphane Mallarmé

 

Reinhold Callmander (1840-1922) - Le bain.jpg

 

Des avalanches d’or du vieil azur, au jour
Premier et de la neige éternelle des astres
Jadis tu détachas les grands calices pour
La terre jeune encore et vierge de désastres,

Le glaïeul fauve, avec les cygnes au col fin,
Et ce divin laurier des âmes exilées
Vermeil comme le pur orteil du séraphin
Que rougit la pudeur des aurores foulées,


L’hyacinthe, le myrte à l’adorable éclair
Et, pareille à la chair de la femme, la rose
Cruelle, Hérodiade en fleur du jardin clair,
Celle qu’un sang farouche et radieux arrose !

Et tu fis la blancheur sanglotante des lys
Qui roulant sur des mers de soupirs qu’elle effleure
À travers l’encens bleu des horizons pâlis
Monte rêveusement vers la lune qui pleure !

Hosannah sur le cistre et dans les encensoirs,
Notre dame, hosannah du jardin de nos limbes !
Et finisse l’écho par les célestes soirs,
Extase des regards, scintillement des nimbes !

Ô Mère, qui créas en ton sein juste et fort,
Calices balançant la future fiole,
De grandes fleurs avec la balsamique Mort
Pour le poëte las que la vie étiole.



Poésies de Mallarmé,

Tableau de Reinhold Callmender (1840,1922) "Le bain"


 

18/10/2011

Le dormeur du val, d'Arthur Rimbaud

poème;poésie,le dormeur du val,arthur rimbaud
C'est un trou de verdure où chante une rivière,

Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.



Premier poème du second Cahier de Douai (le recueil Demeny). Ecrit en  octobre 1870 

Tableau de Gustave Courbet, L'homme blessé, 1844-54

huile sur toile, 81 x 97 cm
  

13/10/2011

Strophes en méditation (extrait), de Gertrude Stein

strophes en méditation,gertrude stein,claude rutault

 

il peut y avoir du rose avec du blanc ou du blanc avec une

    rose

ou bien il peut y avoir du blanc avec une rose et du rose avec 

    du mauve

ou bien même il peut y avoir du blanc avec du jaune et du jaune et du

    jaune avec du bleu

ou même si même il y a une rose avec du blanc et du bleu 

  et ainsi il n'y a de jaune là que par accident

 

 

Cinquième partie strophe treize, traduction de Jacques Roubaud, Vingt poètes américains, , édition bilingue, Gallimard

Création/photo de Claude Rutault

29/09/2011

Un peu de bleu dans le paysage, (extrait) de Pierre Bergounioux

 

Pierre Gaudu, carnet de pierre.jpg

 

Pierre Gaudu Carnet de pierre 2.JPG

Montaigne, qui était un seigneur disert de la riche Aquitaine, dit que philosopher, c'est apprendre à mourir. C'est donc que mourir s'apprend, que nous ne savons pas. Nous devons accéder, pour partir, pour accepter, à une vérité qui nous est d'abord dérobée. Ce long chemin a nom philosophie. J'en connais un autre. Il n'est que de s'engager sur la route tortueuse qui s'élève entre les sapinières. Quand elle débouche sur le plateau, que les arbres, pris de crainte, s'arrêtent, et qu'on voit la bruyère et l'ajonc, le roc, le dôme vertigineux de la nue, qu'on entre dans le silence, on sait. Le sensible est intelligible, l'essence et le phénomène se confondent. On est dispensé des incertitudes et des longueurs de l'étude, des abstractions et du raisonnement, des doutes qui assaillent le penseur méditant, à l'étroit, dans une chambre. 
Le granit qu'on peut toucher du doigt, a mille millions d'années. Le ciel est le même, d'un bleu trop pur, vide et glacé, le silence éternel. Nous ne sommes jamais sur cette scène immuable, intemporelle, qu'un accident passager, un émoi négligeable. Cela force l'évidence. Il n'y a pas lieu d'argumenter.  
 
 Un peu de bleu dans le paysage, Verdier 2001, p. 78.  Texte à retrouver également sur le site http://poezibao.typepad.com/ 

llustration: photos de Pierre Gaudu, carnet de pierres.  http://gauduphoto.blogspot.com/  

22/09/2011

Pavois du bleu, de Jacques Izoard

 

Le premier bavard touche la fleur 
dont le parfum fend la langue 
d'un dormeur déjà voué au rêve. 
Et c'est l'été, l'hiver. 
Le linge très blanc touche encore 
la joue, la jambe, le bras. 
Linges liquides ou ténèbres. 

Dans ce vide où le bleu corrompt 
tout regard et tout vertige, 
dans ce vide où s'allument 
clartés de feuilles et de foins, 
dans ce vide très doux, 
le corps n'est qu'un désir 
qui cache sa propre mort. 

(Pavois du bleu) 
 

Poésie I, 1951-1978, sous le direction de Gérald Purnelle,  Editions de la Différence  845 p., 

Illustration de Delphine Priollaud-Stoclet "Andy is swimming "Technique mixtes sur toile 54x65 à retrouver sur son site http://www.delplphinepriollaud.com

Autres sites de Delphine

14/09/2011

La coccinelle, de Victor Hugo

 

 

 

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Elle me dit: «Quelque chose
Me tourmente.» Et j'aperçus

Son cou de neige, et dessus,
Un petit insecte rose.

 

 

 

J'aurais dû, mais, sage ou fou,
A seize ans, on est farouche, 
Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l'insecte à son cou.

 

 

 

On eût dit un coquillage;
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.

 

 

 

Sa bouche fraîche était là;
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle;
Mais le baiser s'envola.

 

 

 

«Fils, apprends comme on me nomme»,
Dit l'insecte du ciel bleu,
«Les bêtes sont au bon Dieu;
Mais la bêtise est à l'homme.»

 

 

 

 

Les Contemplations (1856)

 

Tableau de Berthe MORISOT 1841-189 "Jeune femme se levant", Huile sur toile 68 cm x 65 cm, Peint en 1886,  collection privée

28/08/2011

Pour un herbier (extrait), de Colette

 

 

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À part le grand aconit, une scille, un lupin, une nigelle, la véronique petit-chêne, le lobélia, et le convolvulus qui triomphe de tous les bleus, le Créateur de toutes choses s’est montré un peu regardant quand il a distribué chez nous les fleurs bleues. On sait que je ne triche pas avec le bleu, mais je ne veux pas qu’il m’abuse. Le muscari n’est pas plus bleu que n’est bleue la prune de Monsieur… Le myosotis ? Il ne se gêne pas pour incliner, à mesure qu’il fleurit, vers le rose. L’iris ? Peuh… Son bleu ne se hausse guère qu’à un très joli mauve, et je ne parle pas de celui qu’on nomme « flamme », dont le violet liturgique et le profane parfum envahissent au printemps les montagnettes, autour de La Garde-Freinet. L’iris des jardins s’habitue docilement à tous les sols, se baigne les pieds dans les petits canaux de Bagatelle, se mêle à ses cousins les tigridias, embrasés et éphémères. Il a six pétales, trois langues nettes, étroites, et trois larges un peu chargées de jaune — le foie, sans doute — et il passe pour bleu, grâce à l’unanimité d’une foule de personnes qui n’entendent rien à la couleur bleue.

       Il y a des connaisseurs de bleu comme il y a des amateurs de crus. Quinze étés consécutifs à Saint-Tropez ne me furent pas seulement une cure d’azur, mais une étude aussi, qui ne se bornait pas à la contemplation du ciel provençal et négligeait parfois la Méditerranée. Je n’allais pas mendier le bleu aux clairs lits de sable fin où la vague se repose, sachant bien qu’à peine né de l’aurore, le bleu de la mer serait mordu cruellement par le vert insidieux qui éteint au ciel la dernière étoile, et que chaque point cardinal, quittant le bleu instable, choisit sa couleur céleste : l’est est violacé, le nord d’un rose glacial, l’ouest rougeoyant et gris le sud. Au plus fort du jour provençal le zénith se coiffe de cendre. Ombres courtes réfugiées sous l’arbre et tapies au pied du mur, oiseaux muets, la chatte cueillant une à une les gouttes au bec de la fontaine, l’heure de midi nous chicanait à tous notre ration vitale de bleu et de sérénité.

       Nous attendions qu’une petite aile de poussière voletante aux coudes de la route, une frisure blanche à la lèvre du golfe marquassent la résurrection de tous les bleus. Une couleur de dur lapis, rendue à la mer, bondissait réverbérée sous la tonnelle, et chacun des gobelets de verre berçait un dé de glace soudain teinté de saphir.

       Au-dessus des Alpes encore dorées, une pelote orageuse, bleue comme un ramier, touchait les cimes. Dans peu d’heures, la pleine lune cheminerait parmi la neige d’étoiles, et jusqu’à l’aube les blancs lys des sables, qui se ferment pendant le jour, seraient bleus.

 

Colette, Pour un herbier, Œuvres, IV, édition publiée sous la direction de Claude Pichois et Alain Brunet, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2001, p. 900-901.

Tableau de Van Gogh (les Iris). Vous pouvez également retrouver cet extrait sur le site http://litteraturedepartout.hautetfort.com (Merci à Tristan Hordé)

 

20/08/2011

Griffe, extrait de Commune présence, de René Char

 

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Marcheur voûté, le ciel s'essouffle vite;

Médiateur, il n'est pas entendu;

Moi je peins bleu sur bleu, or sur noir.

Le ciel est un cartable d'écolier

Tâché de mûres.

 

Commune présence, p 71, Gallimard (édition 78)

Collage de Dominique Hordé

28/06/2011

Contumace, de Jacques Dupin

 

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le réel en retour, offre toutes ses faces, 
ensemble, à ta seule étreinte fixe, 
nulle prise tenue, retenue, mais l’excavation blanche, 
la lettre volée, le rapt éclairant, 
 
 
    un chavirement de l’étendue dans la lumière, 
seule à répercuter 
                     l’embolie du ciel 
 
à donner espace à ce bleu désuni qui s’allège 
ce bleu de fonte, béant, de substance musicale, 
comme d’un mur de terre et de fleurs 
 
s’écroulant contre nos genoux 
 
et resurgissant, lavé, bleu, sans nom 
 


Contumace, in Ballast, Poésie/Gallimard, 2009, p. 101. 

Illustration; Elisabeth Couloignier, Dimensions : 60x40

Collage au lait de marbre de feuilles de papier chinois, dont un monotype. Ponçage. Application de pigments en liaison acrylique, lavés, frottés.

 http://l-ivredematieresetdecouleurs.blogspot.com

21/06/2011

Du jaune au violet : inspiration florentine

palette violet et jaune.jpgComment choisir les couleurs d'une pièce? Comment faire "circuler" les couleurs de tous les éléments du décor? Il ne s'agit pas que des murs, mais des sols, des tapis, des meubles, objets...Parfois on choisit les couleurs de manière très intuitive, d'autres fois par défaut...

Quand un conseil en couleurs intervient, il s'inspire de mille détails pour constituer la palette d'une pièce.

Il est préférable de connaître la personnalité, les goûts et les rêves de ceux qui habitent cette pièce...

La palette, c'est la charte couleur de la pièce, un ensemble de couleurs qui fonctionnent ensemble, parce qu'elles ont un lien entre elles. 

Pour cette palette, je suis partie de tableaux de peintres italiens des XV/XVI èmes siècles. Pour exemple, la photo d'un tableau de Piero della Francesca, La résurrection,peint vers 1450.piero_della_francesca-_la_resurrection-_1450-1463-_fresque_pinacoteca_comunale_sansepolcro_italy-_jpeg.jpg

 

Ce qui m'intéressait, c'était d'utiliser des couleurs contrastées, en particulier le violet et le jaune, couleurs complémentaires et les verts et les bleus. J'ai laissé de côté les rouges.

 

Les couleurs utilisées ne sont pas "pures" et contiennent un peu de blanc et de noir en proportion égale.

Dans la palette proposée, les couleurs ont toutes la même intensité, avec un côté laiteux, lié à la présence du blanc. Le jaune doré sublime les autres couleurs mais pour qu'il trouve sa pleine expression, il  ne doit pas être utilisé en trop grande quantité. Le violet très doux peut être aisement utilisé pour les murs.

Les bleus et les verts font le lien entre le violet et le jaune.

Cependant, nul besoin d'utiliser toutes les couleurs de la palette ainsi déterminée... De multiples combinaisons sont en effet possibles, sachant que les couleurs constituant la palette se valoriseront les unes les autres dans tous les cas. Et celà, même s'il n'en reste que trois ou quatre.

Mais la démarche initiale ne sera pas perdue, bien au contraire. La création d'un univers-couleurs passe en effet d'abord par le choix de la palette, avant de faire le choix final.

26/05/2011

Spleen, de Paul Verlaine


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Les roses étaient toutes rouges,
Et les lierres étaient tout noirs.

Chère, pour peu que tu te bouges,
Renaissent tous mes désespoirs.

Le ciel était trop bleu, trop tendre
La mer trop verte et l’air trop doux.

Je crains toujours,- ce qu’est d’attendre!
Quelque fuite atroce de vous.

Du houx à la feuille vernie
Et du luisant buis je suis las,

Et de la campagne infinie
Et de tout, fors de vous, hélas!

 

Aquarelles, Romances sans paroles

Tableau Egon Schiele

21/05/2011

Histoire de bleu, (extrait) de Jean-Michel Maulpoix

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Le bleu ne fait pas de bruit.

 

C'est une couleur timide, sans arrière-pensée, présage, ni projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge, mais qui l'attire à soi, l'apprivoise peu à peu, le laisse venir sans le presser, de sorte qu'en elle il s'enfonce et se noie sans se rendre compte de rien.

 

Le bleu est une couleur propice à la disparition.

 

Une couleur où mourir, une couleur qui délivre, la couleur même  de l'âme après qu'elle s'est déshabillée du corps,  après qu'a giclé tout le sang et que se sont vidées les viscères, les poches de toutes sortes, déménageant une fois pour toutes le mobilier de ses pensées.

 

Indéfiniment, le bleu s'évade.

 

Ce n'est pas, à vrai dire, une couleur. Plutôt une tonalité, un climat, une résonance spéciale de l'air. Un empilement de clarté, une teinte qui naît du vide ajouté au vide, aussi changeante et transparente dans la tête de l'homme que dans les cieux.

 

L'air que nous respirons, l'apparence de vide sur laquelle remuent nos figures, l'espace que nous traversons n'est rien d'autre que ce bleu terrestre, invisible tant il est proche et fait corps avec nous, habillant nos gestes et nos voix. Présent jusque dans la chambre, tous volets tirés et toutes lampes éteintes, insensible vêtement de notre vie.

 

 

Histoire de bleu, collection poésie Gallimard

Tableau d'Elisabeth Couloignier que je remercie. Vous pouvez retrouver son travail:

15/05/2011

Orient, de Nizar Kabbani

 

 

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Brisées les jarres

Les jarres de couleurs

Notre rendez-vous

Est dans les nuages

Sous les fenêtres de l'Orient.

 

Notre voyage

Dans les ports de turquoise

Et sur les stores bleus

De l'Occident.

 

Avec les parfums

Notre couche voyage

Rose

Changeante aux horizons.

 

Nourrissons-nous

Aux surplis de la rose

A tout ce que la nuit recèle

De rythmes et d'amour.

 

Extrait du Poème Orient, Anthologie de la littérature arabe contemporaine, éditions du seuil, p150

Tableau de Matisse (L'escargot, 1952)

20/04/2011

Le bleu IKB, d’Yves Klein (1928- 1962)

bleu yves klein.jpg Les monochromes de différentes couleurs sont à l’origine de l’œuvre entière d’Yves Klein car, en choisissant une seule couleur pour recouvrir entièrement la surface de la toile, il cherche à éviter d’introduire dans la peinture un élément qui lui est extérieur, comme l’interprétation psychologique d’une forme.
Mais surtout, la couleur est pour lui le moyen, comme pour Delacroix auquel il ne cesse de se référer, d’atteindre la sensibilité :

"Jamais par la ligne, on n’a pu créer dans la peinture une quatrième, cinquième ou une quelconque autre dimension ; seule la couleur peut tenter de réussir cet exploit" ("Sur la monochromie", in Yves Klein, Centre Georges Pompidou, Paris, 1983, p.194).
Le format allongé et déroutant de ce monochrome, ainsi que l’épaisseur du panneau qui met la couleur en relief, contribuent à exprimer cette exigence.

Si, par la suite, Klein réduit ses monochromes à la seule couleur bleue, c’est parce qu’étant la plus abstraite des couleurs, elle lui permet mieux que toute autre de réaliser son programme artistique :

 "Le bleu n'a pas de dimension, il est hors dimension, tandis que les autres couleurs, elles, en ont. Ce sont des espaces pré-psychologiques (…). Toutes les couleurs amènent des associations d'idées concrètes (…) tandis que le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel, ce qu'il y a après tout de plus abstrait dans la nature tangible et visible".

(in L’architecture de l’air, Conférence de la Sorbonne, 1959).

Entre 1955 et 1962, Klein a réalisé quelque 194 monochromes, d’une variété de supports, de formats, de textures, mais qu’il réduit à la couleur bleue à partir de 1957. IKB 3 fait partie d’une série, peinte entre 1960 et 1961, de quinze de ces monochromes dont la spécificité réside dans leurs dimensions symboliques de 2m x 1m50, "à peine plus hautes que la moyenne des spectateurs et d'une largeur inférieure à l'envergure des bras". Conçus à la mesure du corps humain, ces monochromes, tout comme les anthropométries, signifient chez Klein le lien intime qui unit la peinture au corps et à la chair.

Le bleu d'IKB 3 a pour autre particularité d’atteindre, par son degré de pulvérulence pigmentaire, à des phosphorescences violacées qui lui procurent une profondeur mystérieuse, matérialisant la "couleur de l'espace-même".

Yves Klein a fait enregistrer en 1960 ce bleu sous le nom IKB (International Klein Blue) à l’Institut National de la Propriété industrielle, sous la forme d’une « enveloppe Soleau . Elle décrit un médium fixatif (une pâte fluide originale substituée à l'huile, liant utilisé traditionnellement en peinture) qui fixe du pigment bleu outremer N° 1311.