07/03/2015
Au printemps, de Jacques Roubaud
Henri Matisse, The riverbank, 1907, Offentliche Kunstsammlung, Basel, Switzerland
Environ le printemps
(le 21 mars, + ou - x jours
(x variable - si x est proche de 365 on dit
« y a plu' d'saizon ! »
ou bien on dit
« printemps pourri ! »))
environ le printemps, disais-je
les arbres
n'ont plus pour seul vêtement
les moineaux
les feuilles
reviennent aux arbres
ou les arbres
retrouvent leurs feuilles
ça verdit
depuis quelques temps on les voyait
hésiter, tâter l'air,
ausculter les nuages
regarder leurs voisins du coin de l'œil
et puis d'un seul coup ça y est
ils se décident
environ le printemps
(ce sont les « à feuilles caduques » qui se lancent
que les Anglais appellent deciduous
à cause de leur esprit de décision
les « à feuilles persistantes »
qui n'ont plus rien à décider
font la gueule
avec leur pelage sale
de toutes les années de suie
urbaine)
sur les arbres
les bébés feuilles frissonnent
les petites feuilles tâtonnantes, fragiles, lentement
déplissées des bourgeons
la brise les retient tendrement sur leur tiges
comme dit le powète
oui !
les feuilles s'élancent, prolifèrent
profuses
les arbres s'étalent, se regardent dans les fontaines
dans les fenêtres
dans les flaques
dans le bleu du ciel
et voilà
le printemps est fait
c'est comme ça que ça s'est passé
cette année-ci (mille neuf cent quatre-vingt -quatorze)
à Paris
au jardin des Tuileries
au jardin du Luxembourg
au parc Montsouris
au square des Blancs-Manteaux
au pied du Sacré-Cœur dans le square Saint-Pierre
j'ai vérifié
et je n'ai aucune raison de penser
qu'il en a été différemment
ailleurs
La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le coeur des humains, Gallimard
06:58 Publié dans Bleu, Poésie et couleurs, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacues roubaud, printemps, moineaux, henri matisse | Facebook | Imprimer | | |
28/02/2015
En forêt, de Germain Nouveau
Paul Klee, Tropische Dämmerung, 33.5 x 23 cm, 1921
Dans la forêt étrange, c'est la nuit ;
C'est comme un noir silence qui bruit ;
Dans la forêt, ici blanche et là brune,
En pleurs de lait filtre le clair de lune.
Un vent d'été, qui souffle on ne sait d'où,
Erre en rêvant comme une âme de fou ;
Et, sous des yeux d'étoile épanouie,
La forêt chante avec un bruit de pluie.
Parfois il vient des gémissements doux
Des lointains bleus pleins d'oiseaux et de loups ;
Il vient aussi des senteurs de repaires ;
C'est l'heure froide où dorment les vipères,
L'heure où l'amour s'épeure au fond du nid,
Où s'élabore en secret l'aconit ;
Où l'être qui garde une chère offense,
Se sentant seul et loin des hommes, pense.
— Pourtant la lune est bonne dans le ciel,
Qui verse, avec un sourire de miel,
Son âme calme et ses pâleurs amies
Au troupeau roux des roches endormies.
L'Amour de l'amour, Choix et présentation par Jacques Brenner, La Différence, 1992
08:16 Publié dans Blanc, Bleu, Noir | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roux, brun, germain nouveau, forêt, nuit, arbres, paul klee | Facebook | Imprimer | | |
30/01/2015
Bleu très bleu, d'Antoine Emaz
Yves Klein, La grande Anthropométrie bleue (ANT 105), 1960 , Pigment et résine synthétique sur papier marouflé sur toile, 280 x 428 cm, Guggenheim Bilbao Museoa
dans le ciel sans fin d'œil
toute histoire engouffrée
rien
quasi lisse vaste couleur quelle
espèce de bleu
sans honte
tant il est sans mémoire
* * *
ciel plein ciel
sans anges
on rêve leurs battements d'ailes
leurs bruits de mouettes folles
d'envol
alors qu'on veut seulement des mots
pour ici
sous l'aplat de l'été
* * *
comme vivant sans mort
face levée face
au vide du bleu
distendu
couleur d'air
jusqu'à la nuit qui croûte
* * *
soleil fixe
dehors s'efface on s'efface
rien que de la lumière
et plus personne
pour voir
limite basse d'être là
l'été mure
* * *
tristesse sans cause
venue comme du bleu du mot trop court
pour trop de ciel
pas sûr que ce soit si simple
cela n'explique pas
cet abattis de fatigue
pas seulement le bleu
ce qui a lieu dessous
aussi
Antoine Emaz, "Bleu très bleu" dans De Peu, Tarabuste, 2014, p. 269-270.
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19/12/2014
Le beau hêtre, Eduard Mörike
TC Steele, 1889, 45.72 x 72.39 cm
Caché au cœur de la forêt je connais un endroit où se dresse
Un hêtre, tel qu’en peinture on n’en peut voir de plus beau.
Lisse et clair, d’un seul trait pur il s’élève, solitaire,
Et nul de ses voisins ne touche à sa parure soyeuse.
Tout autour, si loin que cet arbre imposant étende sa ramure,
La pelouse verdit, afin de rafraîchir l’œil en silence.
De tous côtés également elle ceint le tronc qui en forme le centre :
La Nature elle-même, sans art, a tracé ce cercle adorable.
Des taillis délicats font une première enceinte, puis ce sont les hauts fûts
D’une foule d’arbres serrés qui tiennent éloigné le bleu du ciel.
Près de la sombre épaisseur du chêne, le bouleau berce
Sa tête virginale timidement dans la lumière dorée.
Là seulement où, jonché de roches, le raidillon dévale vers l’abîme,
La clairière me laisse deviner l’étendue des champs.
Quand, dernièrement, solitaire, séduit par les visions nouvelles de l’été
Je quittai le chemin et vins me perdre là dans les taillis,
Ce fut un esprit amical à l’oreille toujours aux aguets, la divinité de ce bois,
Qui soudain m’introduisit ici pour la première fois, moi l’étonné.
Quelles délices ! C’était aux environs de l’heure haute de Midi :
Tout se taisait. Même l’oiseau dans le feuillage restait silencieux.
Et j’hésitais encore à poser le pied sur ce tapis plein de grâce ;
Avec solennité il accueillit mon pas, moi qui ne le foulais que sans bruit.
Puis, une fois adossé au tronc (qui ne porte pas trop haut
Sa large voûte), je laissai mes regards vaguer à la ronde,
Là où les rayons enflammés du soleil traçaient une frange aveuglante,
Presque parfaitement régulière, tout autour du cercle ombragé.
Et je restai là, sans broncher ; au plus intime de moi-même tout mon être
Épiait le démon du silence, toute cette insondable paix.
Enfermé avec toi dans le prodige de cette ceinture solaire,
Je ne sentais que toi, ô Solitude, à toi seule allaient mes pensées.
(1842)
Eduard Mörike, "Chant de Weyla et autres poèmes", traduit de l’allemand et présenté par Jean-Yves Masson, La Différence, collection Orphée 2012
21:07 Publié dans Bleu | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : eduard mörike, tc steele, nature, forêt | Facebook | Imprimer | | |
14/12/2014
Le village à midi, de Francis Jammes
Odilon Redon, technque mixte, 185 x 249.5 cm, Musée d'Orsay,
À Ernest Caillebar.
Le village à midi. La mouche d’or bourdonne
entre les cornes des bœufs.
Nous irons, si tu le veux,
Si tu le veux, dans la campagne monotone.
Entends le coq… Entends la cloche… Entends le paon…
Entends là-bas, là-bas, l’âne…
L’hirondelle noire plane,
Les peupliers au loin s’en vont comme un ruban.
Le puits rongé de mousse ! Écoute sa poulie
qui grince, qui grince encor,
car la fille aux cheveux d’or
tient le vieux seau tout noir d’où l’argent tombe en pluie.
La fillette s’en va d’un pas qui fait pencher
sur sa tête d’or la cruche,
sa tête comme une ruche,
qui se mêle au soleil sous les fleurs du pêcher.
Et dans le bourg voici que les toits noircis lancent
au ciel bleu des flocons bleus ;
et les arbres paresseux
à l’horizon qui vibre à peine se balancent.
Recueil : "De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir", Poésie/Gallimard
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07/12/2014
Car j'aimais tant l'aube (extrait de Sido), de Colette
Harald Sohlberg
À trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d'abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps... J'allais seule, ce pays mal pensant était sans dangers. C'est sur ce chemin, c'est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d'un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion...
06:41 Publié dans Bleu, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bleu, colette, sido, lever du jour, liberté, harald sohlberg | Facebook | Imprimer | | |
31/10/2014
Musique au Mirabell, de Georg Trakl
Nicolas de Staël. huile sur toile 100 x 73 cm collection privée – © J. Hyde © Adagp, Paris, 2014. Exposition Lumières du Nord Lumières du Sud au MuMa (Le Havre)
Une fontaine chante. Les nuages sont
Dans le bleu lumineux, les blancs délicats.
Gravement des hommes silencieux vont
Le soi à travers le jardin vieux.
Le marbre des ancêtres est devenu gris.
Une troupe d’oiseaux trace vers les lointains.
Un faune aux yeux morts regarde
Des ombres qui glissent à l’obscur.
Le feuillage tombe rouge du vieil arbre
Et tourbillonne par la fenêtre ouverte.
Un éclair de feu s’allume dans la pièce
Et peint de tristes spectres d’angoisse.
Un étranger blanc entre dans la maison.
Un chien se jette dans des couloirs délabrés.
La servante éteint une lampe.
L’oreille entend de nuit des accords de sonate.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction de
l’allemand de Marc Petit et Jean-Claude Schneider,
Gallimard, 1972, p. 21.
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25/10/2014
De nuit, de Georg Trakl
Antoine Wiertz, 1847, la Belle Rosine
Le bleu de mes yeux s’est éteint dans cette nuit,
L’or rouge de mon cœur. O ! Le silence de la lampe allumée.
Ton manteau bleu enveloppa celui qui tombait.
Tes lèvres rouges scellèrent l’enténèbrement de l’ami.
Georg Trakl, Poèmes, traduits et présentés par Guillevic, éditions Obsidiane, 1986, réédité (Vingt poèmes de Georg Trakl) en 2006, p. 35.
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18/10/2014
Madame Parisse, (extrait), de Maupassant
Henri Matisse, la baie de Nice, 80x71 cm, Collection privée
Entre l'écume blanche au pied des murs, et la neige blanche au bord du ciel, la petite cité éclatante et debout sur le fond bleuâtre des premières montagnes offrait aux rayons du soleil couchant une pyramide de maisons aux toits roux, dont les façades aussi étaient blanches, et si différentes cependant qu'elles semblaient de toutes les nuances.
Et le ciel, au-dessus des Alpes, était lui-même d'un bleu presque blanc, comme si la neige eût déteint sur lui ; quelques nuages d'argent flottaient tout près des sommets pales ; et de l'autre côté du golfe, Nice couchée au bord de l'eau s'étendait comme un fil blanc entre la mer et la montagne. Deux grandes voiles latines, poussées par une forte brise, semblaient courir sur les flots. Je regardais cela, émerveillé.
C'était une de ces choses si douces, si rares, si délicieuses à voir qu'elles entrent en vous, inoubliables comme des souvenirs de bonheur. On vit, on pense, on souffre, on est ému, on aime par le regard. Celui qui sait sentir par l’œil éprouve, à contempler les choses et les êtres, la même jouissance aiguë, raffinée et profonde, que l'homme à l'oreille délicate et nerveuse dont la musique ravage le cœur.
Madame Parisse. nouvelle de Maupassant
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13/10/2014
Un matin à Neuilly, d'Anna de Noailles
Claude Monet, Les bors de la Seine, Ile de la Grande Jatte, Huile sur toile, 54 x 65 cm, 1878
C'est toujours vous, Printemps, qui me faites du mal…
– Eau légère où le beau soleil baigne son âme,
La Seine, toute molle et glissante, se pâme
Sous les ponts emmêlés d'azur et de métal.
Tout est sonore, et tout est calme et se repose ;
L'air jouit du matin et d'un si doux état.
Dans le bourg de Neuilly que Pascal visita
Un vert figuier s'avance entre deux maisons roses.
On ne sait pas d'où vient cette triste langueur.
L'azur est de plaisir et de jeunesse humide,
Le silence est luisant et la rue est torride,
Et moi j'ai tout un deuil blanc et bleu dans mon cœur…
Anna de Noailles. Les Éblouissements.
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12/10/2014
Les vrilles de la vigne (extrait), de Colette
Tableau de Claire Basler
J'appartiens à un pays que j'ai quitté. Tu ne peux empêcher qu'à cette heure s'y épanouisse au soleil toute une chevelure embaumée de forêts. Rien ne peut empêcher qu'à cette heure l'herbe profonde y noie le pied des arbres, d'un vert délicieux et apaisant dont mon âme a soif...
Viens, toi qui l'ignores, viens que je te dise tout bas : le parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose ! Tu jurerais, quand les taillis de ronces y sont en fleurs qu'un fruit mûrit on ne sait où – là-bas, ici, tout près – un fruit insaisissable qu'on aspire en ouvrant les narines. Tu jurerais, quand l'automne pénètre et meurtrit les feuillages tombés, qu'une pomme trop mûre vient de choir, et tu la cherches et tu la flaires, ici, là-bas, tout près...
Et si tu passais, en juin, entre les prairies fauchées, à l'heure où la lune ruisselle sur les meules rondes qui sont les dunes de mon pays, tu sentirais, à leur parfum, s'ouvrir ton cœur. Tu fermerais les yeux, avec cette fierté grave dont tu voiles ta volupté, et tu laisserais tomber ta tête, avec un muet soupir...
Et si tu arrivais, un jour d'été, dans mon pays, au fond d'un jardin que je connais, un jardin noir de verdure et sans fleurs, si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu m'oublierais, et tu t'assoirais là, pour n'en plus bouger jusqu'au terme de ta vie.
Les vrilles de la vigne, Le livre de Poche
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05/10/2014
L'automne du solitaire, de Georg Trakl
Feuillage d'Automne d'Aurel Cojan.
L’automne sombre s’installe plein de fruits et d’abondance,
Éclat jauni des beaux jours d’été.
Un bleu pur sort d’une enveloppe flétrie ;
Le vol des oiseaux résonne de vieilles légendes.
Le vin est pressé, la douce quiétude
Emplie par la réponse ténue à des sombres questions.
Et, ici et là, une croix sur la colline désolée ;
Un troupeau se perd dans la forêt rousse.
Le nuage émigre au-dessus du miroir de l’étang ;
Le geste posé du paysan se repose.
Très doucement l’aile bleue du soir touche
Un toit de paille sèche, la terre noire.
Bientôt des étoiles nichent dans les sourcils de l’homme las ;
Dans les chambres glacées s’installe un décret silencieux
Et des anges sortent sans bruit des yeux bleus
Des amants, dont la souffrance se fait plus douce.
Le roseau murmure ; assaut d’une peur osseuse
Quand la rosée goutte, noire, des saules dépouillés.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduites de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1972, p. 107.
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27/09/2014
Autour de ma maison, d'Emile Verhaeren,
Jacques de Gheyn, Fleurs et insectes, 1600 © Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris
Avec mon coeur, j’admire tout
Ce qui vibre, travaille et bout
Dans la tendresse humaine et sur la terre auguste.
L’hiver s’en va et voici mars et puis avril
Et puis le prime été, joyeux et puéril.
Sur la glycine en fleurs que la rosée humecte,
Rouges, verts, bleus, jaunes, bistres, vermeils,
Les mille insectes
Bougent et butinent dans le soleil.
Oh la merveille de leurs ailes qui brillent
Et leur corps fin comme une aiguille
Et leurs pattes et leurs antennes
Et leur toilette quotidienne
Sur un brin d’herbe ou de roseau !
Sont-ils précis, sont-ils agiles !
Leur corselet d’émail fragile
Est plus changeant que les courants de l’eau ;
Grâce à mes yeux qui les reflètent
Je les sens vivre et pénétrer en moi
Un peu ;
Oh leurs émeutes et leurs jeux
Et leurs amours et leurs émois
Et leur bataille, autour des grappes violettes !
Mon coeur les suit dans leur essor vers la clarté,
Brins de splendeur, miettes de beauté,
Parcelles d’or et poussière de vie !
J’écarte d’eux l’embûche inassouvie :
La glu, la boue et la poursuite des oiseaux
Pendant des jours entiers, je défends leurs travaux ;
Mon art s’éprend de leurs oeuvres parfaites ;
Je contemple les riens dont leur maison est faite
Leur geste utile et net, leur vol chercheur et sûr,
Leur voyage dans la lumière ample et sans voile
Et quand ils sont perdus quelque part, dans l’azur,
Je crois qu’ils sont partis se mêler aux étoiles.
Mais voici l’ombre et le soleil sur le jardin
Et des guêpes vibrant là-bas, dans la lumière ;
Voici les longs et clairs et sinueux chemins
Bordés de lourds pavots et de roses trémières ;
Aujourd’hui même, à l’heure où l’été blond s’épand
Sur les gazons lustrés et les collines fauves,
Chaque pétale est comme une paupière mauve
Que la clarté pénètre et réchauffe en tremblant.
Les moins fiers des pistils, les plus humbles des feuilles
Sont d’un dessin si pur, si ferme et si nerveux
Qu’en eux
Tout se précipite et tout accueille
L’hommage clair et amoureux des yeux.
L’heure des juillets roux s’est à son tour enfuie,
Et maintenant
Voici le soleil calme avec la douce pluie
Qui, mollement,
Sans lacérer les fleurs admirables, les touchent ;
Comme eux, sans les cueillir, approchons-en nos bouches
Et que notre coeur croie, en baisant leur beauté
Faite de tant de joie et de tant de mystère,
Baiser, avec ferveur, délice et volupté,
Les lèvres mêmes de la terre.
Les insectes, les fleurs, les feuilles, les rameaux
Tressent leur vie enveloppante et minuscule
Dans mon village, autour des prés et des closeaux.
Ma petite maison est prise en leurs réseaux.
Souvent, l’après-midi, avant le crépuscule,
De fenêtre en fenêtre, au long du pignon droit,
Ils s’agitent et bruissent jusqu’à mon toit ;
Souvent aussi, quand l’astre aux Occidents recule,
J’entends si fort leur fièvre et leur émoi
Que je me sens vivre, avec mon coeur,
Comme au centre de leur ardeur.
Alors les tendres fleurs et les insectes frêles
M’enveloppent comme un million d’ailes
Faites de vent, de pluie et de clarté.
Ma maison semble un nid doucement convoité
Par tout ce qui remue et vit dans la lumière.
J’admire immensément la nature plénière
Depuis l’arbuste nain jusqu’au géant soleil
Un pétale, un pistil, un grain de blé vermeil
Est pris, avec respect, entre mes doigts qui l’aiment ;
Je ne distingue plus le monde de moi-même,
Je suis l’ample feuillage et les rameaux flottants,
Je suis le sol dont je foule les cailloux pâles
Et l’herbe des fossés où soudain je m’affale
Ivre et fervent, hagard, heureux et sanglotant.
La multiple splendeur, Nabu Press
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20/09/2014
Lettera amorosa (Extraits), de René Char
Lunes et nuit, vous êtes un loup de velours noir, village, sur la veillée de mon amour.
L'automne! Le parc compte ses arbres bien distincts. Celui-ci est roux traditionnellement; cet autre fermant le chemin est une bouillie d'épines. Le rouge-gorge est arrivé, le gentil luthier des campagnes. Les gouttes de son chant s'égrenent sur le carreau de la fenêtre. Dans l'herbe de la pelouse grelottent de magiques assassinats d'insectes. Ecoute, mais n'entends pas.
Parfois j'imagine qu'il serait bon de se noyer à la surface d'un étang où nulle barque s'aventurerait. Ensuite, ressusciter dans le courant d'un vrai torrent où tes couleurs bouillonneraient.
L’exercice de la vie, quelques combats au dénouement sans solution mais aux motifs valides, m'ont appris à regarder la personne humaine sous l'angle du ciel dont le bleu d'orage lui est le plus favorable.
Il y a deux iris jaunes dans l'eau verte de la Sorgue. Si le courant les emportaient, c'est qu'ils seraient décapités.
Poèmes publiés dans la collection Poésie de Gallimard. je vous laisse le plaisir de découvrir les illustrations de Georges Braque et de Jean Arp.
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06/06/2014
Les réparties de Nina, d'Arthur Rimbaud
Tableau de Cy Twombly
LUI - Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein ? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons
Du bon matin bleu, qui vous baigne
Du vin de jour ?...
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour
De chaque branche, gouttes vertes,
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Frémir des chairs :
Tu plongerais dans la luzerne
Ton blanc peignoir,
Rosant à l'air ce bleu qui cerne
Ton grand oeil noir,
Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou :
Riant à moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais
Comme cela, - la belle tresse,
Oh ! - qui boirais
Ton goût de framboise et de fraise,
O chair de fleur !
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur ;
Au rose, églantier qui t'embête
Aimablement :
Riant surtout, ô folle tête,
À ton amant !....
........................................................
- Ta poitrine sur ma poitrine,
Mêlant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois !...
Puis, comme une petite morte,
Le coeur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
L'oeil mi-fermé...
Je te porterais, palpitante,
Dans le sentier :
L'oiseau filerait son andante
Au Noisetier...
Je te parlerais dans ta bouche..
J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
Ivre du sang
Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
Aux tons rosés :
Et te parlant la langue franche - .....
Tiens !... - que tu sais...
Nos grands bois sentiraient la sève,
Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand rêve
Vert et vermeil
........................................................
Le soir ?... Nous reprendrons la route
Blanche qui court
Flânant, comme un troupeau qui broute,
Tout à l'entour
Les bons vergers à l'herbe bleue,
Aux pommiers tors !
Comme on les sent tout une lieue
Leurs parfums forts !
Nous regagnerons le village
Au ciel mi-noir ;
Et ça sentira le laitage
Dans l'air du soir ;
Ca sentira l'étable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rythme d'haleine,
Et de grands dos
Blanchissant sous quelque lumière ;
Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
À chaque pas...
- Les lunettes de la grand-mère
Et son nez long
Dans son missel ; le pot de bière
Cerclé de plomb,
Moussant entre les larges pipes
Qui, crânement,
Fument : les effroyables lippes
Qui, tout fumant,
Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus :
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts :
Les fesses luisantes et grasses
Du gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
Son museau blanc
Frôlé par un mufle qui gronde
D'un ton gentil,
Et pourlèche la face ronde
Du cher petit.....
Que de choses verrons-nous, chère,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
Les carreaux gris !...
- Puis, petite et toute nichée,
Dans les lilas
Noirs et frais : la vitre cachée,
Qui rit là-bas....
Tu viendras, tu viendras, je t'aime !
Ce sera beau.
Tu viendras, n'est-ce pas, et même...
Elle - Et mon bureau ?
9ème poème du cahier de Douai écrit alors qu'il n'a pas encore 16 ans
10:11 Publié dans Blanc, Bleu, Noir, Rose, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cy twombly, arthur rimbaud, framboise, vermeil, nature, parfum | Facebook | Imprimer | | |
18/05/2014
La prisonnière (extrait), de Marcel Proust
Miro, Bleu III Centre Pompidou Paris, 1961
Le ciel tout entier était fait de ce bleu radieux et un peu pâle comme le promeneur couché dans un champ le voit parfois au-dessus de sa tête, mais tellement uni, tellement profond, qu’on sent que le bleu dont il est fait a été employé sans aucun alliage, et avec une si inépuisable richesse qu’on pourrait approfondir de plus en plus sa substance sans rencontrer un atome d’autre chose que de ce même bleu. Je pensais à ma grand’mère qui aimait dans l’art humain, dans la nature, la grandeur, et qui se plaisait à regarder monter dans ce même bleu le clocher de Saint-Hilaire. Soudain j’éprouvai de nouveau la nostalgie de ma liberté perdue en entendant un bruit que je ne reconnus pas d’abord et que ma grand’mère eût, lui aussi, tant aimé. C’était comme le bourdonnement d’une guêpe « Tiens, me dit Albertine, il y a un aéroplane, il est très haut, très haut. »
Collection Quarto, Gallimard
Miro, Bleu III Centre Pompidou Paris, 1961
07:00 Publié dans Art et poésie en couleurs, Bleu, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la prisonnière, marcel proust, miro, ciel, bleu | Facebook | Imprimer | | |
09/05/2014
Toit dans l’ombre (ou lampe) et le temps, de James Sacré
Tableau de Caroline Bailey
Le jardin (ou verger) nourrit l’air du printemps.
J’y travaille un poème où disparaît le temps
(Je le veux), je regarde un village patient.
Mais les pivoines sang, les pommes que j’attends ?
Cœur, l’espace est léger : jardin qui se détend ;
Il faut pour un automne oublier le printemps.
Mais pourtant je l’espère ! ah, pourtant je l’entends
Dans le cœur de l’hiver comme un oiseau content ;
J’y bondis ! mais trop tard ! je le vois dans le temps.
Pommes ridées, les fleurs se défont dans le vent.
Rien, ni printemps, ni poème !
Et pourtant, ah, comme on l’entend !
*
Ce n’est qu’un jeu (peut-être), un poème, un peu
De rime et des mots, un alexandrin, un peu
De couleur, un été rêvé, un rouge, un feu
À peine qui brille, un feu
Où ? Le cœur est rouge, il voit des oiseaux peureux.
Ah ! beaux oiseaux (perdrix, cailles tendres)) ! je veux
Courir dans les guérets (mottes, chiendents terreux) !
Beaux oiseaux, c’est vrai, tel poème est un jeu :
J’y reste pauvre (encre, papier), un peu honteux.
Mais peut-être, ah ! peut-être encore un rouge, un feu
Pourra paraître ! j’apprends quel oiseau douloureux,
Poème à brûler (cœur peut-être) dans le jeu.
*
Maladroit (mais plaisir, mais le cœur sur les toits)
Je marche, le poème en perd des tuiles, moi
Je respire où le ciel est un jardin : je vois
Des arbres, la lumière où les anges guerroient,
Et l’aubépine en fleur, fêtes printemps pavois :
J’y grimpe, enfant, mais tombe en la vie maladroit.
Le temps paraît, mauvais ; il apporte l’effroi
Et des carnassiers gris, frileux, et les yeux froids.
Où les vergers chanteurs ! où les anges, les toits !
Le cœur s’effare, où les rouges, la fête ! où moi ?
Patience, il faut patience et mémoire, et je vois
peu de tuiles (mais rouge et promesse d’un toit).
*
Le jardin brille, ouvert, l’espace est dans sa fleur
Et porte avec sa fleur le temps le plus léger
À travers la lumière ; quelque chose a souri…
Mais rien, que le vent, rien, le bleu du paysage :
C’est pour la pauvreté (mais tignasse) d’un lierre.
Que les arbres soient beaux et grands pour le retour !
Ah ! cœur naïf, dans tes rosiers, dans ta garance !
Et ton paradis rouge où dorment les miroirs,
Je bondis ! mais trop tard : je le vois dans le temps.
Mais peut-être, ah ! peut-être encore un rouge, un feu,
Peu de tuile (mais rouge et promesse d’un toit)
Va briller (poème ou lampe) ; l’ombre est complice.
J
« Toit dans l’ombre (ou lampe) et le temps », in Affaires d’écriture (Ancrits divers), Tarabuste, 2012, pp. 33 et 34.
07:10 Publié dans Bleu, Gris, Peintres et couleurs, Rouge | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : james sacré, caroline bailey, rouge, jardin, nature, souvenirs, enfance | Facebook | Imprimer | | |
21/03/2014
A travers un verger, de Philippe Jaccottet
Pierre bonnard, La Côte d’Azur, The Phillips collection, Washington DC. © Adagp, Paris 2011
A chaque fois que je suis passé, en cette fin d'hiver, devant le verger d'amandiers de la colline, je me suis dit qu'il fallait en retenir la leçon, qu'ils auraient tôt fait de se taire comme chaque année; sans cesse autre chose m'a distrait de cette tâche, de sorte qu'à présent je ne peux plus me fier qu'au souvenir que j'en ai, déjà trop vague, presque effacé, incontrôlable. néanmoins, je ne me déroberai pas.
C'était comme si je découvrais une espèce différente d'amandiers (probablement du seul fait de leur nombre, ou de leur répartition, du lieu ou même la couleur du ciel ces jours-là). Leur floraison semblait plus confuse, plus insaisissable; et surtout d'un blanc moins pur et moins éclatant que celui d'une fleur isolée, observée de près. Aurais-je dû regarder mieux, m'arrêter, réfléchir? De toute façon, à présent, c'est trop tard. Il ne me reste dans la mémoire qu'un brouillard à peine blanc, en suspension au dessus de la terre encore terreuse, devant les sombres chênes-verts, en ce bas de pente; ce bourdonnement de blanc...Mais "blanc" est déjà trop dire, qui évoque une surface nette renvoyant un éclat blanc. Là c'était sans aucun éclat (et pas transparent pour autant). Timide, gris, terne? Pas d'avantage. Quelque chose de multiple, cela oui, un essaim, de multiplié: des milliers de petites choses, ou présences, ou taches, ou ailes, légères - en suspens, de nouveau, comme à chaque printemps; une sorte d'ébullition fraîche; un brouillard, s'il existait un brouillard sans humidité, sans mélancolie, où l'on ne risque pas de se perdre; quelque chose, à peine quelque chose...
Essaim, écume, neige: les vieilles images reviennent, elles sont pour les moins disparates. Rien de mieux.
A travers un verger, p 9 et 10, Gallimard
22:24 Publié dans Blanc, Bleu, Gris, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bleu, gris, blanc philippe jaccottet, amandiers, verger pierre | Facebook | Imprimer | | |
14/03/2014
Ce qu'on voit c'est aussi les mots, de James Sacré
Tableau de Marc Leonard, " La baie", à retrouver sur son site http://marcleonard.fr/
On est dans la couleur comme avec un visage. Un visage qui brille à cause du verbe aimer. C'est difficile de bien comprendre comment le verbe aimer paraît dans la couleur. On dirait que c'est toujours à côté de ce qu'on regarde (comme un silence, l'idée d'un sourire dans les aubépines, d'un sous-vêtement qui sèche entre un pré et le bleu du ciel). La couleur fait qu'on a le cœur et les yeux qui bougent. Comme un désir. La couleur vient aux joues.
Extrait de Ce qu'on voit c'est aussi les mots, à des peintures d'Olivier Debré,
Recueil "La peinture du Poème s'en va, Edition Tarabuste, p 15
07:11 Publié dans Bleu, Couleur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : james sacré, marc leonard, peinture, couleur | Facebook | Imprimer | | |
22/02/2014
Aujourd'hui c'est dimanche, de Nazim Hikmet
Serge Poliakoff, Composition abstraite 1968, © Photo Daniel Mille, Monaco © ADAGP, Paris 2013
Aujourd'hui c'est dimanche
Aujourd'hui c'est la première fois qu'ils m'emmènent au soleil.
Et moi pour la première fois de ma vie
stupéfait de voir le ciel si loin de moi
si bleu
si vaste
je suis resté sans bouger.
Ensuite je me suis assis par terre avec respect.
J'ai appuyé mon dos contre le mur blanc
En cet instant pas de jeux dans les vagues
En cet instant, pas de liberté, pas d'épouse.
Juste la terre, le soleil et moi...
Je suis heureux.
in Jean Pinquié, Levent Yilmaz, Anthologie de la poésie turque contemporaine,
Préface de Nedim Gürsel, Publisud, Paris 1991, pages 34-35. A retrouver ICI
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