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28/12/2011

Sentier du nord, de Kenneth White

 
1.  
Eaux noires, où 
l’oie cendrée, le plongeon gris 
le saumon, la perche, la truite 
sont chez eux…. 
après dix jours sans nuage 
la pluie est revenue 
une bruine grise 
qui assombrit le lac 
et voile les collines 
 
2.  
Air froid de l’aurore 
ce rocher : 
traces de l’époque glaciaire 
et là un tertre 
poste de guet d’un renard 
(l’herbe a verdi  
sous ses excréments) 
 
3.  
Un bosquet de bouleaux 
brouillés de pluie 
le tronc 
blanchi 
d’un pin mort 
sur le sol tourbeux 
l’empreinte d’un cerf 
 
4.  
Un ruisseau gris 
des lichens
agrippés à une pierre 
et, solitaire 
une fleur 
arctique : 
étamines noires 
pétales blancs 
 
5.  
Là-bas 
parmi les rocs et les éboulis 
un ptarmigan 
franchit la crête. 
 

 
 
Kenneth White, Les rives du silence, traduit de l’anglais par Marie-Claude White, édition bilingue, Mercure de France 1997, p. 64 à 67  
 
Poème à retrouver également sur http://poezibao.typepad.com/

Photo de Pierre Gaudu 

 

09/12/2011

La vigne et la maison (Extrait), de Lamartine

       

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         Le mur est gris, la tuile est rousse,

        L’hiver a rongé le ciment;

        Des pierres disjointes la mousse

        Verdit l’humide fondement;

        Les gouttières, que rien n’essuie,

        Laissent, en rigoles de suie,

        S’égoutter le ciel pluvieux,

        Traçant sur la˙ vide demeure

        Ces noirs sillons par où l’on pleure,

        Que les veuves ont sous les yeux.

 

        La porte où file l’araignée,

        Qui n’entend plus le doux accueil,

        Reste immobile et dédaignée

        Et ne tourne plus sur son seuil;

        Les volets que le moineau souille,

        Détachés de leurs gonds de rouille,

        Battent nuit et jour le granit;

        Les vitraux brisés par les grêles

        Livrent aux vieilles hirondelles

        Un libre passage à leur nid.

 

        Leur gazouillement sur les dalles

        Couvertes de duvets flottants

        Est la seule voix de ces salles

        Pleines des silences du temps.

        De la solitaire demeure

        Une ombre lourde d’heure en heure

        Se détache sur le gazon:

        Et cette ombre, couchée et morte,

        Est la seule chose qui sorte

        Tout le jour de cette maison!


La vigne et la maison (1857)

Photo de Coline Termarsh, Photographe et écrivain que je remercie et dont on peut retrouver le travail sur son blog : http://colinetermash.canalblog.com 

 

 

06/12/2011

L'automne du solitaire, de GeorgTrakl

 Pour Tristan Hordé


Eaux

 

L’automne sombre s’installe plein de fruits et d’abondance,

Éclat jauni des beaux jours d’été.

Un bleu pur sort d’une enveloppe flétrie ;

Le vol des oiseaux résonne de vieilles légendes.

Le vin est pressé, la douce quiétude

Emplie par la réponse ténue à des sombres questions.

 

Et, ici et là, une croix sur la colline désolée ;

Un troupeau se perd dans la forêt rousse.

Le nuage émigre au-dessus du miroir de l’étang ;

Le geste posé du paysan se repose.

Très doucement l’aile bleue du soir touche

Un toit de paille sèche, la terre noire.

 

Bientôt des étoiles nichent dans les sourcils de l’homme las ;

Dans les chambres glacées s’installe un décret silencieux

Et des anges sortent sans bruit des yeux bleus

Des amants, dont la souffrance se fait plus douce.

Le roseau murmure ; assaut d’une peur osseuse

Quand la rosée goutte, noire, des saules dépouillés.

 

Georg Trakl, Œuvres complètes, traduites de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1972, p. 107.

 Photo de Chantal Tanet,  Tout droit réservé.


06/11/2011

Les planches courbes, (extraits) d'Yves Bonnefoy

 

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Une autre fois.
Il faisait nuit encore. De l’eau glissait
Silencieusement sur le sol noir,
Et je savais que je n’aurais pour tâche
Que de me souvenir, et je riais,
Je me penchais, je prenais dans la boue
Une brassée de branches et de feuilles,
J’en soulevais la masse, qui ruisselait
Dans mes bras resserrés contre mon cœur.
Que faire de ce bois où de tant d’absence
Montait pourtant le bruit de la couleur,
Peu importe, j’allais en hâte, à la recherche
D’au moins quelque hangar, sous cette charge
De branches qui avaient de toute part
Des angles, des élancements, des pointes, des cris.

Et des voix, qui jetaient des ombres sur la route,
Ou m’appelaient, et je me retournais,
Le cœur précipité sur la route vide.


Les planches courbes, Poésies Gallimard

Photo de Pierre Gaudu 

23/09/2011

Je l'ayme bien, d'Olivier de Magny

 

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Je l'ayme bien, parce qu'elle a les yeux 

Et les sourcils de couleur toute noire,

Le teint de rose et l'estomac d'yvoire,

L'aleine douce et le ris gracieux.

 

Je l'ayme bien pour son front spacieux,

Où l'amour tient le siège de sa gloire,

Pour sa faconde et sa riche mémoire.

Et son esprit plus qu'autre industrieux.

 

Je l'ayme bien pour ce qu'elle est humaine.

Pour ce qu'elle est de sçavoir toute pleine.

Et que son coeur d'avarice n'est poingt.

 

Mais ce qui me fait l'aymer d'une amour telle

C'est pour autant qu'ell' me tient bien en point

Et que je dors quand je veux avec elle.

 

Les soupirs (XVI ème siècle). Duos d'amour, éditions Seguers .

Portrait de Cecilia Galleran vers 1490, Leonard de Vinci 

 

14/09/2011

La coccinelle, de Victor Hugo

 

 

 

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Elle me dit: «Quelque chose
Me tourmente.» Et j'aperçus

Son cou de neige, et dessus,
Un petit insecte rose.

 

 

 

J'aurais dû, mais, sage ou fou,
A seize ans, on est farouche, 
Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l'insecte à son cou.

 

 

 

On eût dit un coquillage;
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.

 

 

 

Sa bouche fraîche était là;
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle;
Mais le baiser s'envola.

 

 

 

«Fils, apprends comme on me nomme»,
Dit l'insecte du ciel bleu,
«Les bêtes sont au bon Dieu;
Mais la bêtise est à l'homme.»

 

 

 

 

Les Contemplations (1856)

 

Tableau de Berthe MORISOT 1841-189 "Jeune femme se levant", Huile sur toile 68 cm x 65 cm, Peint en 1886,  collection privée

26/08/2011

Cinéma muet (extrait) de Jacques Ancet

pierre gaudu.jpg

 

La lumière se nourrit du noir. Il la révèle. Comme le sang révèle la vie et son envers, la voix, le silence qui l'engendre. Ce qui commence est sa propre fin et l'immuable le devenir. Il n'y a d'autre au-delà que le seul mouvement d'une même matière. Ca vient, ça s'en va, c'est toujours là.

 

Cinéma muet, Journal de l'air, p 82, Editions Arfuyen

Dessin de Pierre Gaudu à retrouver sur 

20/08/2011

Griffe, extrait de Commune présence, de René Char

 

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Marcheur voûté, le ciel s'essouffle vite;

Médiateur, il n'est pas entendu;

Moi je peins bleu sur bleu, or sur noir.

Le ciel est un cartable d'écolier

Tâché de mûres.

 

Commune présence, p 71, Gallimard (édition 78)

Collage de Dominique Hordé

12/07/2011

Une histoire de la lecture, d'Alberto Manguel

 

 

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Et puis un jour, par la fenêtre d’une voiture, […] j’ai aperçu un panneau publicitaire au bord de la route. […] Peut-être la voiture a-t-elle ralenti juste assez longtemps pour que je voie surgir de grandes formes, des formes semblables à celles de mon livre, mais des formes que je n’avais jamais vues. Et pourtant, tout à coup, j’ai su ce qu’elles étaient : j’entendais dans ma tête ces traits noirs et ces espaces blancs métamorphosés en une réalité solide, sonore, pleine de sens. J’avais fait cela tout seul. Personne n’avait exécuté pour moi ce tour de magie. Moi et les formes, nous étions seuls, la révélation avait eu lieu en un dialogue respectueusement silencieux. Puisque je pouvais transformer des traits nus en réalité vivante, j’étais tout puissant. Je savais lire.

[…] Cette impression de me trouver soudain capable de comprendre ce qu’auparavant je ne pouvais que contempler est demeurée aussi flamboyante aujourd’hui qu’elle doit l’avoir été alors. C’était comme l’acquisition d’un sens nouveau, de sorte que désormais certaines choses ne consistaient plus seulement en ce que mes yeux pouvaient voir, mes oreilles entendre, ma langue goûter, mon nez sentir ou mes doigts palper, mais en ce que mon corps entier pouvait déchiffrer, traduire, énoncer, lire.

 

 

 

Une histoire de la lecture. (Actes Sud, 1998).

 

Eau-forte de Richard Serra (101x128 cm)

   

 

02/06/2011

Eloge du lointain, de Paul Celan

 

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Dans la source de tes yeux
vivent les nasses des pêcheurs de la mer délirante.
Dans la source de tes yeux
la mer tient sa parole.

J’y jette,
cœur qui a séjourné chez des humains,
les vêtements que je portais et l’éclat d’un serment :

Plus noir au fond du noir, je suis plus nu.
Je ne suis, qu’une fois renégat, fidèle.
Je suis toi, quand je suis moi.

Dans la source de tes yeux
je dérive et rêve de pillage.

Une nasse a capturé dans ses mailles une nasse :
nous nous séparons enlacés.

Dans la source de tes yeux
un pendu étrangle la corde.


Paul Celan, Pavot et mémoire in Choix de poèmes réunis par l’auteur (édition bilingue), Gallimard, Collection Poésie, 1998, page 43. Traduction de Jean-Pierre Lefebvre.

Dessin de Federico Garcia Lorca

26/05/2011

Spleen, de Paul Verlaine


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Les roses étaient toutes rouges,
Et les lierres étaient tout noirs.

Chère, pour peu que tu te bouges,
Renaissent tous mes désespoirs.

Le ciel était trop bleu, trop tendre
La mer trop verte et l’air trop doux.

Je crains toujours,- ce qu’est d’attendre!
Quelque fuite atroce de vous.

Du houx à la feuille vernie
Et du luisant buis je suis las,

Et de la campagne infinie
Et de tout, fors de vous, hélas!

 

Aquarelles, Romances sans paroles

Tableau Egon Schiele

03/04/2011

Par une nuit nouvelle, de Paul Eluard

 

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Femme avec laquelle j’ai vécu
Femme avec laquelle je vis
Femme avec laquelle je vivrai
Toujours la même
Il te faut un manteau rouge
Des gants rouges un masque rouge
Et des bas noirs
Des raisons des preuves
De te voir toute nue
Nudité pure ô parure parée
Seins ô mon coeur

 

Recueil La vie immédiate, 1932

Tableau de Gustave Courbet

01/03/2011

Gstaad, de Jude Stefan

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Sur un sol en brique des

Hommes en blanc qui jouent

protégés d’arbres verts s’

étirant vers le ciel jouent

cris et gestes

dans les ombres du soir

deux chaises en toile rouge

vives comme les capucines

un oisif en béret sur l’herbe

lentement caresse son chien

auprès de soldats bleus un

asiatique en chapeau porte

lunettes noires

le jeune homme en habit cendré

adossé au sapin paraît sourire

 

Jude Stefan, Caprices, Gallimard, 2004, p. 23.

 

Tableau de Maurice Estève (1904 2001)


17/02/2011

Nuit à Londres, d'Erich Fried

 

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Garder les mains

devant le visage

et laisser clos

les yeux                       

ne voir qu’un paysage

montagnes et torrent

et dans la prairie deux animaux

bruns sur le versant vert clair 

qui monte jusqu’à la forêt plus sombre

 

Et commencer à sentir

l’herbe fauchée

et tout en haut au-dessus des pins

en cercles lents un oiseau

petit et noir

sur le bleu du ciel

 

Et tout

absolument paisible

et si beau

que l’on sait

que cette vie vaut la peine

parce que l’on peut croire

que tout ça existe

 

 

 

Poèmes extraits du recueil Es ist was es ist (1983)

Traduits de l’allemand par Chantal Tanet et Michael Hohmann

On peut également trouver des traductions d'autres poèmes d'Erich Fried sur les sites  Les Carnets d'eucharis (le site de Nathalie Riera) et Droit de Cités

Tableau de Félix Valloton (1865 1935)

11/11/2010

Princesse qu'on rentre, d'Eve Roland

princesse rouge dans ta cuisine rêvant
mariée pas en blanc tu préférais l'amour
oubliées les années manifs et Tombouctou
à présent tu choues vert tu torchonnes à carreaux
tu troues dans la chaussette et tu mercurochromes
ils vécurent à deux et eurent certains enfants

tu chantais la vie large et le vent et le vent
mais lui levant — les yeux au ciel qu'est-ce que t'attends
(peut-être qu'il faudrait changer une roue au carosse, il va branlant)
toi
tu penses à cet oiseau qui bat
des ailes dans ton coeur
à la lumière d'avril tu penses
au hérisson près de l'étang l'été dernier au crépuscule
tu penses
aux ruades d'une jument verte
(parce que bleue n'en a plus depuis longtemps)
tu penses
aux bris de verre dans la rue le soir
aux cris d'enfants seuls dans le noir
tu penses
à Cendrillon tu touilles
dans le pot au noir la citrouille (…)

Extrait de Princesse qu'on rentre, éditions Mémoire Vivante (2010)

06/06/2010

La désillusion, de René Daumal

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Blanc et noir et blanc et noir,
attention, je vais vous apprendre à mourir,
fermez les yeux, serrez les dents,
clac ! vous voyez, ce n'est pas difficile,
il n'y a là rien d'étonnant.

- Je vous parle sans passion,
noir et blanc et noir et blanc,
clac ! vous voyez qu'on s'y fait vite, je vous parle sans amour, et pourtant vous savez bien...
il faut être évident jusqu'à l'absurde -

 Blanc et noir et blanc et noir et noir et blanc,
si nos âmes échangeaient leur corps,
il n'y aurait rien de changé,
alors ne parlez plus de corps ni d'âmes.

 Blanc, noir, clac ! c'est la seule chose
qu'ensemble nous pouvons comprendre,
(mais n'est-ce pas qu'il n'y a là rien de tragique ?)

Je vous parle sans passion,
blanc, noir, blanc, noir, clac,
et c'est mon éternel cri de mourant,
ce cri blanc, ce trou noir...
Oh ! Vous n'entendez pas,
vous n'existez pas,
je suis seul à mourir.

 René Daumal, Le contre-ciel, suivi de Les dernières paroles du poète, Poésie/Gallimard, 1970, p. 73-74.

Tableau de Hans HARTUNG (1904-1989)