20/09/2014
Lettera amorosa (Extraits), de René Char
Lunes et nuit, vous êtes un loup de velours noir, village, sur la veillée de mon amour.
L'automne! Le parc compte ses arbres bien distincts. Celui-ci est roux traditionnellement; cet autre fermant le chemin est une bouillie d'épines. Le rouge-gorge est arrivé, le gentil luthier des campagnes. Les gouttes de son chant s'égrenent sur le carreau de la fenêtre. Dans l'herbe de la pelouse grelottent de magiques assassinats d'insectes. Ecoute, mais n'entends pas.
Parfois j'imagine qu'il serait bon de se noyer à la surface d'un étang où nulle barque s'aventurerait. Ensuite, ressusciter dans le courant d'un vrai torrent où tes couleurs bouillonneraient.
L’exercice de la vie, quelques combats au dénouement sans solution mais aux motifs valides, m'ont appris à regarder la personne humaine sous l'angle du ciel dont le bleu d'orage lui est le plus favorable.
Il y a deux iris jaunes dans l'eau verte de la Sorgue. Si le courant les emportaient, c'est qu'ils seraient décapités.
Poèmes publiés dans la collection Poésie de Gallimard. je vous laisse le plaisir de découvrir les illustrations de Georges Braque et de Jean Arp.
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06/06/2014
Les réparties de Nina, d'Arthur Rimbaud
Tableau de Cy Twombly
LUI - Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein ? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons
Du bon matin bleu, qui vous baigne
Du vin de jour ?...
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour
De chaque branche, gouttes vertes,
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Frémir des chairs :
Tu plongerais dans la luzerne
Ton blanc peignoir,
Rosant à l'air ce bleu qui cerne
Ton grand oeil noir,
Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou :
Riant à moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais
Comme cela, - la belle tresse,
Oh ! - qui boirais
Ton goût de framboise et de fraise,
O chair de fleur !
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur ;
Au rose, églantier qui t'embête
Aimablement :
Riant surtout, ô folle tête,
À ton amant !....
........................................................
- Ta poitrine sur ma poitrine,
Mêlant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois !...
Puis, comme une petite morte,
Le coeur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
L'oeil mi-fermé...
Je te porterais, palpitante,
Dans le sentier :
L'oiseau filerait son andante
Au Noisetier...
Je te parlerais dans ta bouche..
J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
Ivre du sang
Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
Aux tons rosés :
Et te parlant la langue franche - .....
Tiens !... - que tu sais...
Nos grands bois sentiraient la sève,
Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand rêve
Vert et vermeil
........................................................
Le soir ?... Nous reprendrons la route
Blanche qui court
Flânant, comme un troupeau qui broute,
Tout à l'entour
Les bons vergers à l'herbe bleue,
Aux pommiers tors !
Comme on les sent tout une lieue
Leurs parfums forts !
Nous regagnerons le village
Au ciel mi-noir ;
Et ça sentira le laitage
Dans l'air du soir ;
Ca sentira l'étable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rythme d'haleine,
Et de grands dos
Blanchissant sous quelque lumière ;
Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
À chaque pas...
- Les lunettes de la grand-mère
Et son nez long
Dans son missel ; le pot de bière
Cerclé de plomb,
Moussant entre les larges pipes
Qui, crânement,
Fument : les effroyables lippes
Qui, tout fumant,
Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus :
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts :
Les fesses luisantes et grasses
Du gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
Son museau blanc
Frôlé par un mufle qui gronde
D'un ton gentil,
Et pourlèche la face ronde
Du cher petit.....
Que de choses verrons-nous, chère,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
Les carreaux gris !...
- Puis, petite et toute nichée,
Dans les lilas
Noirs et frais : la vitre cachée,
Qui rit là-bas....
Tu viendras, tu viendras, je t'aime !
Ce sera beau.
Tu viendras, n'est-ce pas, et même...
Elle - Et mon bureau ?
9ème poème du cahier de Douai écrit alors qu'il n'a pas encore 16 ans
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17/05/2014
Avril, de Gérard de Nerval
Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; -
Et rien de vert : - à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !
Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
- Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.
Odelettes
Sylvie, suivi de "Les Chimères" et "Odelettes" , collection librio
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02/04/2014
Chanson des escargots qui vont à un enterrement, de Jacques Prévert
David Burliuk, Arrivée du printemps et de l'été, 1914, Collection de AMBeckerman, États-Unis
A l'enterrement d'une feuille morte
Deux escargots s'en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s'en vont dans le soir
Un très beau soir d'automne
Hélas quand ils arrivent
C'est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voilà le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le coeur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L'autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C'est moi qui vous le dis
Ça noircit le blanc de l’œil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueil
C'est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent à chanter
A chanter à tue-tête
La vraie chanson vivante
La chanson de l'été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C'est un très joli soir
Un joli soir d'été
Et les deux escargots
S'en retournent chez eux
Ils s'en vont très émus
Ils s'en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un p'tit peu
Mais là-haut dans le ciel
La lune veille sur eux.
Extrait de Paroles, Folio
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28/02/2014
Que ton âme soit blanche ou noire, de Paul Verlaine
Toulouse Lautrec, (vers 1898) Collection privée
Que ton âme soit blanche ou noire,
Que fait ? Ta peau de jeune ivoire
Est rose et blanche et jaune un peu.
Elle sent bon, ta chair, perverse
Ou non, que fait ? puisqu'elle berce
La mienne de chair, nom de Dieu !
Elle la berce, ma chair folle,
Ta folle de chair, ma parole
La plus sacrée ! - et que donc bien !
Et la mienne, grâce à la tienne,
Quelque réserve qui la tienne,
Elle s'en donne, nom d'un chien !
Quant à nos âmes, dis, Madame,
Tu sais, mon âme et puis ton âme,
Nous en moquons-nous ? Que non pas !
Seulement nous sommes au monde.
Ici-bas, sur la terre ronde,
Et non au ciel, mais ici-bas.
Or, ici-bas, faut qu'on profite
Du plaisir qui passe si vite
Et du bonheur de se pâmer.
Aimons, ma petite méchante,
Telle l'eau va, tel l'oiseau chante,
Et tels, nous ne devons qu'aimer.
Chansons pour elle et autres poèmes érotiques, Folio, Gallimard
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26/02/2014
Une brique, de Paul de Roux
Simon Hantaï, Mariale m.c.3, 1962, Huile sur toile, 223 x 213 cm, Collection particulière
Encore une infusion de soleil
alors que tout est si noir dans l'âme
las, souffrant et comme à bout.
Alors mieux vaut peut-être ne rien faire
rester comme une brique qui attend:
les souffles de l'air sont sur elle de toutes parts
le soleil parfois, et le froid aussi.
Elle est seule dans son coin.
Mais un jour le maçon, d'un seul coup
lui trouvera sa place au sein du mur.
Les Pas, l'Alphée 1984, page 10.
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16/02/2014
La descente (extrait de Connaissance de l'est), de Paul Claudel
William Turner, huile sur toile, 91 x 122 cm National Gallery, Londres
Ah ! que ces gens continuent à dormir ! que le bateau n’arrive pas présentement à l’escale ! que ce malheur soit conjuré d’entendre ou de l’avoir proférée, une parole !
Sortant du sommeil de la nuit, je me suis réveillé dans les flammes.
Tant de beauté me force à rire ! Quel luxe ! quel éclat ! quelle vigueur de la couleur inextinguible ! C’est l’Aurore. O Dieu, que ce bleu a donc pour moi de la nouveauté ! que ce vert est tendre ! qu’il est frais ! et, regardant vers le ciel ultérieur, quelle paix, de le voir si noir encore que les étoiles y clignent. Mais que tu sais bien, ami, de quel côté te tourner, et ce qui t’est réservé, si, levant les yeux, tu ne rougis point d’envisager les clartés célestes. Oh ! que ce soit précisément cette couleur qu’il me soit donné de considérer ! Ce n’est point du rouge, et ce n’est point la couleur du soleil ; c’est la fusion du sang dans l’or ! c’est la vie consommée dans la victoire, c’est, dans l’éternité, la ressource de la jeunesse ! La pensée que c’est le jour qui se lève ne diminue point mon exultation. Mais ce qui me trouble comme un amant, ce qui me fait frémir dans ma chair, c’est l’intention de gloire de ceci, c’est mon admission, c’est l’avancement à ma rencontre de cette joie !
Bois, ô mon cœur, à ces délices inépuisables !
Que crains-tu ? ne vois-tu pas de quel côté le courant, accélérant la poussée de notre bateau, nous entraîne ? Pourquoi douter que nous n’arrivions, et qu’un immense jour ne réponde à l’éclat d’une telle promesse ? Je prévois que le soleil se lèvera et qu’il faut me préparer à en soutenir la force. O lumière ! noie toutes les choses transitoires au sein de ton abîme. Vienne midi, et il me sera donné de considérer ton règne, Été, et de consommer, consolidé dans ma joie, le jour, — assis parmi la paix de toute la terre, dans la solitude céréale.
Connaissance de l'est, Poésie/Gallimard
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15/02/2014
Pensefable, de Joë Bousquet
Terre labours, Toile #019, huile sur toile, format 10F, 55 cm x 46 cm, ©Katia Chaix à retrouver sur son site
Le ciel est un songe innocent
Qui meurt des clartés qu’il s’ajoute
Quand le soleil jaunit la route
Dont il est le dernier passant
A force de rire avec elle
L’espoir nous a pris la raison
Dans la nuit qui sort des maisons
Nos étoiles battent des ailes
La terre s’ouvre et sent le pain
Quand la mort des feuilles l’embaume
Le vent ne sait où vont les hommes
Et conte aux ailes de moulins
Que sous des iris d’azur sombre
La mort a caché les yeux noirs
Où chaque larme est le miroir
D’un monde trop lourd pour des ombres
La connaissance du Soir , Poésie/Gallimard
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11/02/2014
Les Soucis du Ciel, de Claude Roy
Source de cette illustration
Le ciel apprend par coeur les couleurs du matin
Le toit gris l’arbre vert le blé blond le chat noir
Il n’a pas de mémoire il compte sur ses mains
Le toit blond l’arbre gris le blé noir le chat vert
Le ciel bleu est chargé de dire à la nuit noire
comment était le jour tout frais débarbouillé
Mais il perd en chemin ses soucis la mémoire
il rentre à la maison il a tout embrouillé.
Le toit vert l’arbre noir le chat blond le blé gris
Le ciel plie ses draps bleus tentant de retrouver
ce qu’il couvrait le jour d’un grand regard surpris
le monde très précis qu’il croit avoir rêvé
Le toit noir l’arbre blond le chat gris le blé vert
Le ciel n’en finit plus d’imaginer le jour
Il cherche dans la nuit songeant les yeux ouverts
Aux couleurs que le noir évapore toujours.
Erreur sur la personne,Poésie/Gallimard
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13/01/2014
Islande, de Delphine Priollaud-Stoclet
Quel pays dessinerait la Terre comme une autre planète ?
Comment voyager aux confins de l’univers vers ces lieux incertains qui peuplent mes rêves ?
Quelle terre épouserait l’eau pour enfanter le feu et le ciel ?
Quelle écorce arracherait de ses entrailles fumantes de spectaculaires geysers ?
Vert de gris, bleu céruléen, cramoisi d’alizarine, noir d’ivoire, auréoline. Pigments essentiels pour capturer les quatre éléments réunis, mes inséparables aquarelles.
De l’eau, de l’encre, le blanc et le grain de la feuille.
Je songe à une île unique où vagabonder au rythme de mes étonnements, l’espace d’un territoire à mille lieux des paysages connus et reconnus.
Mon doigt s’attarde au Nord de la mappemonde dépliée.
Islande, terre de glace au cœur brûlant. Palpitant oxymore.
Les plaines d’Islande chuchotent à l’oreille des cailloux des mots arides aux tonalités soufrées. Des syllabes imprononçables formées de lettres existant nulle part ailleurs ajoutant au mystère d’un pays qui dérive à la lisière du globe.
La toundra frémissante parée de fleurs sauvages et mauves ondule, offerte à la caresse de l’air pur.
Je suis prête à échanger mon cher soleil flamboyant contre le pâle et mystérieux soleil de minuit.
La nuit polaire, couronnée d’aurores boréales phosphorescentes, resplendirait d’une lumière magique pailletée d’or et d’argent.
J’aimerais parcourir à pied ces déserts de pierres ponctués de volcans cracheurs de flammes et de cendres, deviner les eaux bouillantes emprisonnées sous les glaciers, explorer de nouvelles frontières picturales.
Voir naître le cosmos, jouer avec le feu.
Un retour aux sources.
Peindre les gris colorés et l’éclat du chaud.
Jeter sur le papier la trace de mes pas.
Rapporter le carnet d’un voyage alchimique.
Islande, mon rêve de fin du monde.
Illustration et texte de Delphine Priollaud-Stoclet qui a gagné le second prix (avec 10 autres personnes) au Concours organisé par Nouvelles Frontières sur le thème "Racontez votre voyage de rêve". Pour en savoir plus:
http://www.croquis-en-voyage.fr/blog/
http://www.atelier-salamandre.net/
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23/11/2013
Cet être devant soi (extrait) de Claude Chambard
Alexandre Calder, Spirals and petals, sérigraphie, 80x60 cm
Une fois
l’enfant a trouvé
dans la Montée des Couardes
une façon de grotte
où il s’est faufilé
à peine un trou de lapin
tapissé de mousse & de feuilles
— est-ce un endroit pour vivre —
il attendait un lutin
un elfe une fée Alice
que sais-je
mais au fond du petit terrier
il discernait à peine quelques couleurs
du bleu turquoise du brun roux
du vert sombre du jaune bordé de noir
quelques plumes
un cadeau une couvée
de guêpier d’Europe (Merops apiaster)
Cet être devant soi, Aencrages & Co
Le site de poésie et de littérature de Claude Chambard : un nécessaire malentendu
07:27 Publié dans Bleu, Jaune, Noir, Poésie et couleurs, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cet être devant soi, claude chambard, alexandre calder, bleu turquoise, vert sombre | Facebook | Imprimer | | |
Du côté de chez Swann, (extraits), de Marcel Proust
Claude monet. Le jardin de Vetheuil. Huile sur toile, 151,4 cmx121 cm Huile sur toille
National Gallery of art, Washinghton
La haie laissait voir à l'intérieur du parc une allée bordée de jasmins, de pensées et de verveines entre lesquelles des giroflées ouvraient leurs bourses fraîches du rose odorant et passé d'un cuir ancien de Cordoue, tandis que sur le gravier un long tuyau d'arrosage peint en vert, déroulant ses circuits, dressait aux points où il était percé au-dessus des fleurs, dont il imbibait les parfums, l'éventail vertical et prismatique de ses gouttelettes multicolores. Tout à coup, je m'arrêtai, je ne pus plus bouger, comme il arrive quand une vision ne s'adresse pas seulement à nos regards, mais requiert des perceptions plus profondes et dispose de notre être tout entier. Une fillette d'un blond roux, qui avait l'air de rentrer de promenade et tenait à la main une bêche de jardinage, nous regardait, levant son visage semé de taches roses. Ses yeux noirs brillaient et, comme je ne savais pas alors, ni ne l'ai appris depuis, réduire en ses éléments objectifs une impression forte, comme je n'avais pas, ainsi qu'on dit, assez « d'esprit d'observation » pour dégager la notion de leur couleur, pendant longtemps, chaque fois que je repensai à elle, le souvenir de leur éclat se présentait aussitôt à moi comme celui d'un vif azur, puisqu'elle était blonde : de sorte que, peut-être si elle n'avait pas eu des yeux aussi noirs – ce qui frappait tant la première fois qu'on la voyait – je n'aurais pas été, comme je le fus, plus particulièrement amoureux, en elle, de ses yeux bleus.
A la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann , folio
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11/11/2013
Bach en automne, IV, de Jean-Paul de Dadelsen
@pierre gaudu 2013, ne pas partager sans son autorisation, http://pierre-gaudu.over-blog.com/
Le ciel au soir est vert. À la lisière du bois les chevreuils
Viennent humer au loin les villages roux de feuilles et de fumées.
Bientôt, quand la nuit tombera le vent de Pologne,
La brume montera des prés.
Le regard du faon découvre trois lieues de plaine sans refuges.
Autour du sommeil des hameaux les barrières vermoulues n’arrêtent
Ni les reîtres ni la peste.
Le monde dans l’espace et la durée étale sa placidité.
J’ai lu longtemps dans ce livre perpétuel. Autrefois j’ai décrit
Les gambades au mois de mai du jeune agneau,
Le vol instable des émouchets.
Je ne décrirai plus. Tout est nombre. L’arbre,
Rivière de feuilles ou noir de gel, entre la terre et le ciel instaure
Une figure permanente.
Le monde est en repos, dit-on ; les princes sont en paix, peut-être.
Entre la nue basse et l’horizon convexe s’éloigne une gloire exténuée
De lumière inaccessible. Le monde à travers fastes et largesses demeure
Établi dans l’exil.
Il faut rentrer. L’haleine de la nuit descend sur nos visages aveugles.
L’âme écoute approcher tes pas ; entre chez nous, Seigneur ;
Il se fait tard.
Bach en automne, IV, dans Jonas, préface d’Henri Thomas, Poésie/Gallimard, 1986, p. 28-29.
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09/11/2013
L'été, d'Albert Camus
J’ai grandi dans la mer et la pauvreté m’a été fastueuse, puis j’ai perdu la mer, tous les luxes alors m’ont paru gris, la misère intolérable. Depuis, j’attends. J’attends les navires du retour, la maison des eaux, le jour limpide. Je patiente, je suis poli de toutes mes forces. On me voit passer dans de belles rues savantes, j’admire les paysages, j’applaudis comme tout le monde, je donne la main, ce n’est pas moi qui parle. On me loue, je rêve un peu, on m’offense, je m’étonne à peine. Puis j’oublie et souris à qui m’outrage, ou je salue trop courtoisement celui que j’aime. Que faire si je n’ai de mémoire que pour une seule image ? On me somme enfin de dire qui je suis. « Rien encore, rien encore... »
C’est aux enterrements que je me surpasse. J’excelle vraiment. Je marche d’un pas lent dans des banlieues fleuries de ferrailles, j’emprunte de larges allées, plantées d’arbres de ciment, et qui conduisent à des trous de terre froide. Là, sous le pansement à peine rougi du ciel, je regarde de hardis compagnons inhumer mes amis par trois mètres de fond. La fleur qu’une main glaiseuse me tend alors, si je la jette, elle ne manque jamais la fosse. J’ai la piété précise, l’émotion exacte, la nuque convenablement inclinée. On admire que mes paroles soient justes. Mais je n’ai pas de mérite : j’attends.
J’attends longtemps. Parfois, je trébuche, je perds la main, la réussite me fuit. Qu’importe, je suis seul alors. Je me réveille ainsi, dans la nuit, et, à demi endormi, je crois entendre un bruit de vagues, la respiration des eaux. Réveillé tout à fait, je reconnais le vent dans les feuillages et la rumeur malheureuse de la ville déserte. Ensuite, je n’ai pas trop de tout mon art pour cacher ma détresse ou l’habiller à la mode.
D’autres fois, au contraire, je suis aidé. À New York, certains jours, perdu au fond de ces puits de pierre et d’acier où errent des millions d’hommes, je courais de l’un à l’autre, sans en voir la fin, épuisé, jusqu’à ce que je ne fusse plus soutenu que par la masse humaine qui cherchait son issue. J’étouffais alors, ma panique allait crier. Mais, chaque fois, un appel lointain de remorqueur venait me rappeler que cette ville, citerne sèche, était une île, et qu’à la pointe de la Battery l’eau de mon baptême m’attendait, noire et pourrie, couverte de lièges creux.
Ainsi, moi qui ne possède rien, qui ai donné ma fortune, qui campe auprès de toutes mes maisons, je suis pourtant comblé quand je le veux, j’appareille à toute heure, le désespoir m’ignore. Point de patrie pour le désespéré et moi, je sais que la mer me précède et me suit, j’ai une folie toute prête. Ceux qui s’aiment et qui sont séparés peuvent vivre dans la douleur, mais ce n’est pas le désespoir : ils savent que l’amour existe. Voilà pourquoi je souffre, les yeux secs, de l’exil. J’attends encore. Un jour vient, enfin...
L’Été, « La mer au plus près (Journal de bord) », Gallimard - folio n°4388, pages 115-117)
Odilon Redon , Collection privée, Bateau rouge avec des voiles bleues
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05/10/2013
Entre, de Jean-Pierre Duprey
Tableau de Jean-Pierre Duprey
Entre le ballon noir et l’épine du blanc
Ce qui est, ce qui fait : je suis au balancement
Ce qu’est l’horizontale à la verticale.
C’est l’Epineuse noire au gonflement du blanc.
Chimère, machine au bloc de la mer
C’est ici que se courbe
Le serpent lié au mât
Par un soleil au verbe rouge.
Voici alors qu’un bleu étale
Comme un pétale sans fin
S’est creusé d’une fleur
Qui n’est ni bleu ni rouge.
Qui n’est ni blanche ni noire.
C’est l’Epineuse de voir, l’Effeuillement-fermoir
La bouche s’est fermée : c’est un rire éclatant.
(Poème non daté).
Collection Poètes d’aujourd’hui, numéro 212, Éditions Seghers, 1973, page 153.
A retrouver sur le site Terres de femmes
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21/09/2013
Chadelet : le bal des chats-huants, d’Héloïse Combes
Hiroshige
08:08 Publié dans Blanc, Bleu, Noir | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chadelet : le bal des chats-huants, d’héloïse combes, bleu, blanc, noir, or, hiroshige | Facebook | Imprimer | | |
15/09/2013
Du silence (extrait), de Georges Rodenbach
Léon Spilliaert , Aquarelle 49x65,2 cm Musée voor Schone Kunsten, Ostende
IV
Seuls les rideaux, tandis que la chambre est obscure,
Tout brodés, restent blancs, d' un blanc mat qui figure
Un printemps blanc parmi l' hiver de la maison.
Sur les vitres, ce sont des fleurs de guérison
Pareilles dans le soir à ces palmes de givre
Que sur les carreaux froids les nuits d' hiver font vivre.
Et dans ces floraisons de guipure on croit voir
Tous les souvenirs blancs parmi le présent noir;
Ce sont les rideaux clairs du berceau ; c' est la bonne
Aïeule aux cheveux blancs en bandeaux de madone;
Ce sont les grands jardins d' enfance où les pommiers
Étaient poudrés ; ce sont les cierges coutumiers
Et les nappes d' autel pour les communiantes ;
C' est l' hostie aux lys purs de leurs lèvres priantes ;
Puis c' est le clair de lune épars comme du lait
Dans la forêt magique où l' art nous appelait
Parmi sa gloire et ses blancheurs éternisées !
Puis la guirlande en fleur au front des épousées
Dont l' espoir doux se fane irréparablement
Parmi cette blancheur vaporeuse qui ment.
Car le leurre est rapide en cette ombre équivoque,
Et tous les autres blancs du passé qu' on évoque
Vont se faner avec les souvenirs d' amour
Quand descendra dans les rideaux la mort du jour.
Du silence, Le règne du silence. Pour en savoir plus, c'est ICI
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07/09/2013
Traversée de la Bretagne un jour de janvier, de Kenneth White
Dominique Hordé, chaux et pigment sur toile, 30x30 cm
Vendredi matin
allant vers l'ouest
déchaîné le temps
vent fort, pluie violente
enflé le torrent
Guingamp, Carhaix
les montagnes noires
perdues dans la tourmente
la forêt du Beffou
trempée et torturée
heure après heure
la tempête rageuse
puis, soudain
ciel bleu et serein
la clameur des goélands
et ce fut Lorient.
Extrait des Archives du littoral (Mercure de France)
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26/07/2013
Les papillons, de Gérard de Nerval
De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
- Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
- Moi, la moisson blondissante,
Chevelure des sillons ;
- Moi, le rossignol qui chante ;
- Et moi, les beaux papillons !
Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !...
Quand revient l'été superbe,
Je m'en vais au bois tout seul :
Je m'étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul.
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d'eux à son tour,
Passe comme une pensée
De poésie ou d'amour !
Voici le papillon "faune",
Noir et jaune ;
Voici le "mars" azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D'un velours riche et moiré.
Voici le "vulcain" rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! le "soufré", dans l'espace,
Comme un éclair a relui...
Mais le joyeux "nacré" passe,
Et je ne vois plus que lui !
II
Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d'argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D'un or verdâtre et changeant.
Voici le "machaon-zèbre",
De fauve et de noir rayé ;
Le "deuil", en habit funèbre,
Et le "miroir" bleu strié ;
Voici l'"argus", feuille-morte,
Le "morio", le "grand-bleu",
Et le "paon-de-jour" qui porte
Sur chaque aile un oeil de feu !
Mais le soir brunit nos plaines ;
Les "phalènes"
Prennent leur essor bruyant,
Et les "sphinx" aux couleurs sombres,
Dans les ombres
Voltigent en tournoyant.
C'est le "grand-paon" à l'oeil rose
Dessiné sur un fond gris,
Qui ne vole qu'à nuit close,
Comme les chauves-souris ;
Le "bombice" du troëne,
Rayé de jaune et de vent,
Et le "papillon du chêne"
Qui ne meurt pas en hiver !...
Voici le "sphinx" à la tête
De squelette,
Peinte en blanc sur un fond noir,
Que le villageois redoute,
Sur sa route,
De voir voltiger le soir.
Je hais aussi les "phalènes",
Sombres hôtes de la nuit,
Qui voltigent dans nos plaines
De sept heures à minuit ;
Mais vous, papillons que j'aime,
Légers papillons de jour,
Tout en vous est un emblème
De poésie et d'amour !
III
Malheur, papillons que j'aime,
Doux emblème,
A vous pour votre beauté !...
Un doigt, de votre corsage,
Au passage,
Froisse, hélas ! le velouté !...
Une toute jeune fille
Au coeur tendre, au doux souris,
Perçant vos coeurs d'une aiguille,
Vous contemple, l'oeil surpris :
Et vos pattes sont coupées
Par l'ongle blanc qui les mord,
Et vos antennes crispées
Dans les douleurs de la mort !.
Extrait de Odelettes,
Sylvie suivi de Les chimères et Odelettes, Collection de poche, Librio
Pastel d'Odilon Redon, Collection privée 'le Sphinx rouge", 61 x 49.5 cm
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10/07/2013
Une histoire à suivre, de Claude Roy
Vincent van Gogh – Pelouse Ensoleillée Place Lamartine 1888
Après tout ce blanc vient le vert
Le printemps vient après l'hiver.
Après le grand froid le soleil,
Après la neige vient le nid,
Après le noir vient le réveil,
L'histoire n'est jamais finie.
Après tout ce blanc vient le vert,
Le printemps vient après l'hiver,
Et après la pluie le beau temps.
Farandoles et fariboles, Gallimard Jeunesse
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