17/05/2016
Chaleur, d'Anna de Noailles
Henri Matisse, 38 x 46 cm, huile, collection privée
Tout luit, tout bleuit, tout bruit,
Le jour est brûlant comme un fruit
Que le soleil fendille et cuit.
Chaque petite feuille est chaude
Et miroite dans l'air où rôde
Comme un parfum de reine-claude.
Du soleil comme de l'eau pleut
Sur tout le pays jaune et bleu
Qui grésille et oscille un peu.
Un infini plaisir de vivre
S'élance de la forêt ivre,
Des blés roses comme du cuivre.
http://www.annadenoailles.org/bibliographie/poesie/
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07/05/2016
La vie profonde, d'Anna de Noailles
Alice Baber, 1965, Noble Numbers
Être dans la nature ainsi qu'un arbre humain,
Étendre ses désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par la nuit paisible et par l'orage,
La sève universelle affluer dans ses mains !
Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,
Boire le sel ardent des embruns et des pleurs,
Et goûter chaudement la joie et la douleur
Qui font une buée humaine dans l'espace !
Sentir, dans son coeur vif, l'air, le feu et le sang
Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre.
- S'élever au réel et pencher au mystère,
Être le jour qui monte et l'ombre qui descend.
Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du coeur vermeil couler la flamme et l'eau,
Et comme l'aube claire appuyée au coteau
Avoir l'âme qui rêve, au bord du monde assise...
http://www.annadenoailles.org/bibliographie/poesie/
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06/02/2016
Forêt blonde, de Rémy de Gourmont
gerda steiner & jörg lenzlinger : the connection, paul klee centre bern, 2008
Falling Garden by Gerda Steiner and Jörg Lenzlinger
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse,
Mes herbes sont des cils trempés de larmes claires
Et mes liserons blancs s'ouvrent comme des paupières.
Voici les bourraches bleues dont les yeux doux fleurissent
Pareils à des étoiles, à des désirs, à des sourires,
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse.
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse,
Mes lierres sont les lourds cheveux et mes viournes
Contournent leurs ourlets, ainsi que des oreilles.
Ô muguets, blanches dents ! églantines, narines !
Ô gentianes roses, plus roses que les lèvres !
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse.
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse,
Mes saules ont le profil des tombantes épaules,
Mes trembles sont des bras tremblants de convoitise,
Mes digitales sont les doigts frêles, et les oves
Des ongles sont moins fins que la fleur de mes mauves,
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse.
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse,
Mes sveltes peupliers ont des tailles flexibles,
Mes hêtres blancs et durs sont de fermes poitrines
Et mes larges platanes courbent comme des ventres
L'orgueilleux bouclier de leurs écorces fauves,
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse.
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse,
Boutons rouges, boutons sanglants des pâquerettes,
Vous êtes les fleurons purs et vierges des mamelles.
Anémones, nombrils ! Pommeroles, aréoles !
Mûres, grains de beauté ! Jacinthes, azur des veines !
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse.
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse,
Mes ormes ont la grâce des reins creux et des hanches,
Mes jeunes chênes, la forme et le charme des jambes,
Le pied nu de mes aunes se cambre dans les sources
Et j'ai des mousses blondes, des mystères, des ombres,
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse.
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21/12/2015
Lettre à Anton Peschka , d'Egon Schiele
Egon Schiele, 1916, 110.5 x 141 cm, Wolfgang Gurlitt Museum, Linz, Austria
(Vienne)
Peschka ! […] Je brûle d’envie d’aller dans la forêt de Bohême. Mai, juin, juillet, août, septembre : il faut absolument que je voie quelque chose de nouveau, que je l’explore ; je veux déguster les eaux sombres, voir craquer des arbres, des airs sauvages, regarder ébahi des haies de jardin pourrissantes, y surprendre le foisonnement de la vie, entendre bruire les bouquets de bouleaux, frémir les feuilles ; je veux voir la lumière, le soleil, et savourer les humides vallées du soir au vert bleuissant, épier l’éclat fugace des poissons dorés, voir se former les blancs nuages, je voudrais parler aux fleurs. Scruter l’intimité des brins d’herbe, des hommes au teint rose, parler de dignes vieilles églises, de petites chapelles, je veux parcourir sans trêve des collines verdoyantes, parmi de vastes plaines, je veux baiser la terre, humer les tendres, chaudes fleurs des mousses. Alors je donnerai forme à de belles choses : des champs de couleurs…
Au petit matin, je voudrais revoir le soleil se lever, être libre de regarder la terre respirer, dans la lumière vibrante.
Harmoniser le champs qui respirent joie et beauté avec l’air parfumé de roses. De rudes montagnes aux rondeurs matelassées embrument de vastes lointains… Ô toi, terre odorante, devant nous, sous moi, réveille-moi, fais-moi mûrir comme un fruit au soleil ! Toi, sombre, brune terre poussiéreuse, à la rosée odoriférante, parfumée de fleurs, attirant les senteurs. Épanouis-toi au soleil qui, oui, nous donne tout. Joie ! Lumière sans prix, resplendis !
À l’ouvrage, homme actif ! Sois un fleuve inépuisable. Toi, verte vallée, tu me regardes, une verte atmosphère aquatique t’emplit, toi. De mes yeux mi-clos, je pleure de grosses larmes rouges, quand il m’est donné de te voir. Toi, œil douloureux, tu sens le souffle humide de la forêt. Toi qu’assaillent les senteurs, avec quelle ivresse dois-tu respirer l’haleine divine !
Je pleure en riant, ami, je pense à toi ; mieux, tu es en moi !
Egon Schiele, catalogue et documentation par Gianfranco Malafarina, Flammarion, octobre 1983
17/10/2015
Bientôt l'arbre, de René-Louis Cadou
Le bouleau dans la forêt - Gustav Klimt
Verdoyante fumée
Demain je serai l'arbre
Et pour les oiseaux froids
La cage fortunée
Les grandes migrations
Sont parties de ma bouche
De mes yeux pleins d'épis
Les éclairs de santé
Je te suis dans l'air bleu
Flèche douce à la paume
Bel arbre que j'éveille
Au bord de mes genoux
Tronc si blanc qu'il n'est plus
Qu'une neige attentive
Tu courbes vers le toit
Tes brandons de lumière
Ta sève jour et nuit
Chante dans les gouttières
On te fête déjà
Dans les rues de villages
Ainsi qu'une saison
Inconnue de la terre
Et toi dans les sillons
Sans borne où les perdrix
Gaspillent pour la joie
Des poignées de sel gris
Tu marches répondant
De la douceur des pierres.
René Guy Cadou, Comme un oiseau dans la tête, Livre de poche
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07/06/2015
Tout venant, de Jean-Pierre Chambon
© Julien Martin
Le vieux cerisier au fond du jardin
a atteint aujourd’hui même
le degré extrême de la blancheur
attestant à nouveau l’oracle
énoncé par l’ermite zen Ryôkan
le monde
est devenu
un cerisier en fleurs
Jean-Pierre Chambon, Tout venant, Héros-limite, 2014
Merci à Claude Chambard
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31/05/2015
Mer matinale, de Constantin Cavafis
Tableau de Katia Chaix,Terre air, Toile #002, huile sur toile, format 30M, 91cm x 60 cm
©Katia Chaix, à joindre là et là
Que je m'arrête aussi, pour une fois,
contempler la nature. Mauves scintillants
d'une mer matinale, bleu translucide du ciel,
jaune du littoral - noyés de lumière.
Que je m'arrête surtout avec l'illusion
que je les vois vraiment (ils m'ont paru ainsi
l'espace d'un instant) et point encore
les mêmes phantasmes et souvenirs,
mirages de volupté.
http://www.cavafis-pourquoi.eu/mer-matinale.html traduction de François Sommaripas
07:08 Publié dans Bleu, Jaune, Peintres et couleurs, Violet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : constantin cavafis, katia chaix, mer, amour, mauve, bleu, nature | Facebook | Imprimer | | |
05/05/2015
Chant d’un merle captif, de Georg Trakl
Truls Espadal, Le secret, Acrylics on canvas, 2010, 30x30 cm
Souffle obscur dans les branchages verts.
Des fleurettes bleues flottent autour du visage
Du solitaire, du pas doré
Mourant sous l’olivier.
S’envole, à coups d’aile, la nuit.
Si doucement saigne l’humilité,
Rosée qui goutte lentement de l’épine fleurie.
La miséricorde de bras radieux
Enveloppe un cœur qui se brise.
Œuvres complètes, traduites de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1972, p. 130.
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18/04/2015
Fraudeur (extrait) , d'Eugène Savitzkaya
Mais qu’est-ce qu’un verger sans l’herbe, sans la couleur de l’herbe, sans la douceur de l’herbe, l’herbe à sifflets stridents ou adoucis pour imiter le cri de la poule faisane ? Qu’est-ce qu’un verger sans la fétuque, sans le pissenlit, sans la patience ? l’herbe qui amortit les chutes, l’herbe qui nourrit les lapins et les oies. À chaque brin d’herbe, un vœu : que la mère guérisse, que les prunes soient nombreuses, que le pêcher revive, que les cerises brillent de jus frais, que les jambes de Marie-Claire s’ouvrent et se ferment sur son beau sexe rougi, fesses sur la pierre du seuil de sa maison, qu’apparaisse le chevreuil égaré en plaine, que l’ennemi se détourne, que la truite se laisse prendre dans le barrage de fortune sur le ruisseau limpide du parc du château, que le baron ne survienne pas son fusil à l’épaule quand on est bien au frais sous la cascade dans le trou d’eau, que la neige soit abondante, que le père soit moins brutal, que le brouillard de novembre soit épais sur les champs et que le bois des tombes demeure invisible, que les oies s’envolent enfin et disparaissent dans le ciel, que la rhubarbe soit tendre, que les oreilles des lapins soient douces, que l’été soit chaud, que viennent bien les pivoines blanches et les pivoines rouges, que les branches des cassis soient chargées de baies, que l’école s’arrête, que le trésor soit trouvé près de l’antique glacière du parc du château.
Eugène Savitzkaya, Fraudeur, éditions de Minuit, 2015, p. 48-49.
Texte à retrouver également sur le blog de Tristan Hordé litteraturedepartout
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19/12/2014
Le beau hêtre, Eduard Mörike
TC Steele, 1889, 45.72 x 72.39 cm
Caché au cœur de la forêt je connais un endroit où se dresse
Un hêtre, tel qu’en peinture on n’en peut voir de plus beau.
Lisse et clair, d’un seul trait pur il s’élève, solitaire,
Et nul de ses voisins ne touche à sa parure soyeuse.
Tout autour, si loin que cet arbre imposant étende sa ramure,
La pelouse verdit, afin de rafraîchir l’œil en silence.
De tous côtés également elle ceint le tronc qui en forme le centre :
La Nature elle-même, sans art, a tracé ce cercle adorable.
Des taillis délicats font une première enceinte, puis ce sont les hauts fûts
D’une foule d’arbres serrés qui tiennent éloigné le bleu du ciel.
Près de la sombre épaisseur du chêne, le bouleau berce
Sa tête virginale timidement dans la lumière dorée.
Là seulement où, jonché de roches, le raidillon dévale vers l’abîme,
La clairière me laisse deviner l’étendue des champs.
Quand, dernièrement, solitaire, séduit par les visions nouvelles de l’été
Je quittai le chemin et vins me perdre là dans les taillis,
Ce fut un esprit amical à l’oreille toujours aux aguets, la divinité de ce bois,
Qui soudain m’introduisit ici pour la première fois, moi l’étonné.
Quelles délices ! C’était aux environs de l’heure haute de Midi :
Tout se taisait. Même l’oiseau dans le feuillage restait silencieux.
Et j’hésitais encore à poser le pied sur ce tapis plein de grâce ;
Avec solennité il accueillit mon pas, moi qui ne le foulais que sans bruit.
Puis, une fois adossé au tronc (qui ne porte pas trop haut
Sa large voûte), je laissai mes regards vaguer à la ronde,
Là où les rayons enflammés du soleil traçaient une frange aveuglante,
Presque parfaitement régulière, tout autour du cercle ombragé.
Et je restai là, sans broncher ; au plus intime de moi-même tout mon être
Épiait le démon du silence, toute cette insondable paix.
Enfermé avec toi dans le prodige de cette ceinture solaire,
Je ne sentais que toi, ô Solitude, à toi seule allaient mes pensées.
(1842)
Eduard Mörike, "Chant de Weyla et autres poèmes", traduit de l’allemand et présenté par Jean-Yves Masson, La Différence, collection Orphée 2012
21:07 Publié dans Bleu | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : eduard mörike, tc steele, nature, forêt | Facebook | Imprimer | | |
14/12/2014
Le village à midi, de Francis Jammes
Odilon Redon, technque mixte, 185 x 249.5 cm, Musée d'Orsay,
À Ernest Caillebar.
Le village à midi. La mouche d’or bourdonne
entre les cornes des bœufs.
Nous irons, si tu le veux,
Si tu le veux, dans la campagne monotone.
Entends le coq… Entends la cloche… Entends le paon…
Entends là-bas, là-bas, l’âne…
L’hirondelle noire plane,
Les peupliers au loin s’en vont comme un ruban.
Le puits rongé de mousse ! Écoute sa poulie
qui grince, qui grince encor,
car la fille aux cheveux d’or
tient le vieux seau tout noir d’où l’argent tombe en pluie.
La fillette s’en va d’un pas qui fait pencher
sur sa tête d’or la cruche,
sa tête comme une ruche,
qui se mêle au soleil sous les fleurs du pêcher.
Et dans le bourg voici que les toits noircis lancent
au ciel bleu des flocons bleus ;
et les arbres paresseux
à l’horizon qui vibre à peine se balancent.
Recueil : "De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir", Poésie/Gallimard
06:55 Publié dans Bleu, Noir, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bleu, noir, or, nature, francis jammes | Facebook | Imprimer | | |
12/10/2014
Les vrilles de la vigne (extrait), de Colette
Tableau de Claire Basler
J'appartiens à un pays que j'ai quitté. Tu ne peux empêcher qu'à cette heure s'y épanouisse au soleil toute une chevelure embaumée de forêts. Rien ne peut empêcher qu'à cette heure l'herbe profonde y noie le pied des arbres, d'un vert délicieux et apaisant dont mon âme a soif...
Viens, toi qui l'ignores, viens que je te dise tout bas : le parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose ! Tu jurerais, quand les taillis de ronces y sont en fleurs qu'un fruit mûrit on ne sait où – là-bas, ici, tout près – un fruit insaisissable qu'on aspire en ouvrant les narines. Tu jurerais, quand l'automne pénètre et meurtrit les feuillages tombés, qu'une pomme trop mûre vient de choir, et tu la cherches et tu la flaires, ici, là-bas, tout près...
Et si tu passais, en juin, entre les prairies fauchées, à l'heure où la lune ruisselle sur les meules rondes qui sont les dunes de mon pays, tu sentirais, à leur parfum, s'ouvrir ton cœur. Tu fermerais les yeux, avec cette fierté grave dont tu voiles ta volupté, et tu laisserais tomber ta tête, avec un muet soupir...
Et si tu arrivais, un jour d'été, dans mon pays, au fond d'un jardin que je connais, un jardin noir de verdure et sans fleurs, si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu m'oublierais, et tu t'assoirais là, pour n'en plus bouger jusqu'au terme de ta vie.
Les vrilles de la vigne, Le livre de Poche
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06/06/2014
Les réparties de Nina, d'Arthur Rimbaud
Tableau de Cy Twombly
LUI - Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein ? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons
Du bon matin bleu, qui vous baigne
Du vin de jour ?...
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour
De chaque branche, gouttes vertes,
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Frémir des chairs :
Tu plongerais dans la luzerne
Ton blanc peignoir,
Rosant à l'air ce bleu qui cerne
Ton grand oeil noir,
Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou :
Riant à moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais
Comme cela, - la belle tresse,
Oh ! - qui boirais
Ton goût de framboise et de fraise,
O chair de fleur !
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur ;
Au rose, églantier qui t'embête
Aimablement :
Riant surtout, ô folle tête,
À ton amant !....
........................................................
- Ta poitrine sur ma poitrine,
Mêlant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois !...
Puis, comme une petite morte,
Le coeur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
L'oeil mi-fermé...
Je te porterais, palpitante,
Dans le sentier :
L'oiseau filerait son andante
Au Noisetier...
Je te parlerais dans ta bouche..
J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
Ivre du sang
Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
Aux tons rosés :
Et te parlant la langue franche - .....
Tiens !... - que tu sais...
Nos grands bois sentiraient la sève,
Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand rêve
Vert et vermeil
........................................................
Le soir ?... Nous reprendrons la route
Blanche qui court
Flânant, comme un troupeau qui broute,
Tout à l'entour
Les bons vergers à l'herbe bleue,
Aux pommiers tors !
Comme on les sent tout une lieue
Leurs parfums forts !
Nous regagnerons le village
Au ciel mi-noir ;
Et ça sentira le laitage
Dans l'air du soir ;
Ca sentira l'étable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rythme d'haleine,
Et de grands dos
Blanchissant sous quelque lumière ;
Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
À chaque pas...
- Les lunettes de la grand-mère
Et son nez long
Dans son missel ; le pot de bière
Cerclé de plomb,
Moussant entre les larges pipes
Qui, crânement,
Fument : les effroyables lippes
Qui, tout fumant,
Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus :
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts :
Les fesses luisantes et grasses
Du gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
Son museau blanc
Frôlé par un mufle qui gronde
D'un ton gentil,
Et pourlèche la face ronde
Du cher petit.....
Que de choses verrons-nous, chère,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
Les carreaux gris !...
- Puis, petite et toute nichée,
Dans les lilas
Noirs et frais : la vitre cachée,
Qui rit là-bas....
Tu viendras, tu viendras, je t'aime !
Ce sera beau.
Tu viendras, n'est-ce pas, et même...
Elle - Et mon bureau ?
9ème poème du cahier de Douai écrit alors qu'il n'a pas encore 16 ans
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17/05/2014
Avril, de Gérard de Nerval
Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; -
Et rien de vert : - à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !
Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
- Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.
Odelettes
Sylvie, suivi de "Les Chimères" et "Odelettes" , collection librio
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12/05/2014
Verger, d'Anna de Noailles
Un Moucherolle sur le concombre de brousse, 1910, Ohara Koson
Dans le jardin, sucré d’œillets et d’aromates,
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu,
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates,
Chancellent, de rosée et de sève pourvus,
Je viendrai, sous l’azur et la brume flottante,
Ivre du temps vivace et du jour retrouvé ;
Mon cœur se dressera comme le coq qui chante
Insatiablement vers le soleil levé.
L’air chaud sera laiteux sur toute la verdure,
Sur l’effort généreux et prudent des semis,
Sur la salade vive et le buis des bordures,
Sur la cosse qui gonfle et qui s’ouvre à demi ;
La terre labourée où mûrissent les graines
Ondulera, joyeuse et douce, à petits flots,
Heureuse de sentir dans sa chair souterraine
Le destin de la vigne et du froment enclos.
Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement ;
La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement.
Un goût d’éclosion et de choses juteuses
Montera de la courge humide et du melon,
Midi fera flamber l’herbe silencieuse,
Le jour sera tranquille, inépuisable et long.
Et la maison, avec sa toiture d’ardoises,
Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts,
Respirera l’odeur des coings et des framboises
Éparse lourdement autour des buissons verts ;
Mon cœur indifférent et doux aura la pente
Du feuillage flexible et plat des haricots
Sur qui l’eau de la nuit se dépose et serpente
Et coule sans troubler son rêve et son repos.
Je serai libre enfin de crainte et d’amertume,
Lasse comme un jardin sur lequel il a plu,
Calme comme l’étang qui luit dans l’aube et fume,
Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus,
Je ne saurai plus rien des choses de ce monde,
Des peines de ma vie et de ma nation,
J’écouterai chanter dans mon âme profonde
L’harmonieuse paix des germinations.
Je n’aurai pas d’orgueil, et je serai pareille,
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
À mon frère le pampre et ma sœur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été ;
Je serai si sensible et si jointe à la terre
Que je pourrai penser avoir connu la mort,
Et me mêler, vivante, au reposant mystère
Qui nourrit et fleurit les plantes par les corps.
Et ce sera très bon et très juste de croire
Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareils,
Et que mon cœur, ardent et lourd, est cette poire
Qui mûrit doucement sa pelure au soleil...
Anthologie poétique et romanesque, Le livre de poche
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10/05/2014
Printemps, de Victor Hugo
Emil Nolde, huile sur toile
Voici donc les longs jours, lumière, amour, délire !
Voici le printemps ! mars, avril au doux sourire,
Mai fleuri, juin brûlant, tous les beaux mois amis !
Les peupliers, au bord des fleuves endormis,
Se courbent mollement comme de grandes palmes ;
L’oiseau palpite au fond des bois tièdes et calmes ;
Il semble que tout rit, et que les arbres verts
Sont joyeux d’être ensemble et se disent des vers.
Le jour naît couronné d’une aube fraîche et tendre ;
Le soir est plein d’amour ; la nuit, on croit entendre,
A travers l’ombre immense et sous le ciel béni,
Quelque chose d’heureux chanter dans l’infini.
Victor Hugo, Toute la lyre
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09/05/2014
Toit dans l’ombre (ou lampe) et le temps, de James Sacré
Tableau de Caroline Bailey
Le jardin (ou verger) nourrit l’air du printemps.
J’y travaille un poème où disparaît le temps
(Je le veux), je regarde un village patient.
Mais les pivoines sang, les pommes que j’attends ?
Cœur, l’espace est léger : jardin qui se détend ;
Il faut pour un automne oublier le printemps.
Mais pourtant je l’espère ! ah, pourtant je l’entends
Dans le cœur de l’hiver comme un oiseau content ;
J’y bondis ! mais trop tard ! je le vois dans le temps.
Pommes ridées, les fleurs se défont dans le vent.
Rien, ni printemps, ni poème !
Et pourtant, ah, comme on l’entend !
*
Ce n’est qu’un jeu (peut-être), un poème, un peu
De rime et des mots, un alexandrin, un peu
De couleur, un été rêvé, un rouge, un feu
À peine qui brille, un feu
Où ? Le cœur est rouge, il voit des oiseaux peureux.
Ah ! beaux oiseaux (perdrix, cailles tendres)) ! je veux
Courir dans les guérets (mottes, chiendents terreux) !
Beaux oiseaux, c’est vrai, tel poème est un jeu :
J’y reste pauvre (encre, papier), un peu honteux.
Mais peut-être, ah ! peut-être encore un rouge, un feu
Pourra paraître ! j’apprends quel oiseau douloureux,
Poème à brûler (cœur peut-être) dans le jeu.
*
Maladroit (mais plaisir, mais le cœur sur les toits)
Je marche, le poème en perd des tuiles, moi
Je respire où le ciel est un jardin : je vois
Des arbres, la lumière où les anges guerroient,
Et l’aubépine en fleur, fêtes printemps pavois :
J’y grimpe, enfant, mais tombe en la vie maladroit.
Le temps paraît, mauvais ; il apporte l’effroi
Et des carnassiers gris, frileux, et les yeux froids.
Où les vergers chanteurs ! où les anges, les toits !
Le cœur s’effare, où les rouges, la fête ! où moi ?
Patience, il faut patience et mémoire, et je vois
peu de tuiles (mais rouge et promesse d’un toit).
*
Le jardin brille, ouvert, l’espace est dans sa fleur
Et porte avec sa fleur le temps le plus léger
À travers la lumière ; quelque chose a souri…
Mais rien, que le vent, rien, le bleu du paysage :
C’est pour la pauvreté (mais tignasse) d’un lierre.
Que les arbres soient beaux et grands pour le retour !
Ah ! cœur naïf, dans tes rosiers, dans ta garance !
Et ton paradis rouge où dorment les miroirs,
Je bondis ! mais trop tard : je le vois dans le temps.
Mais peut-être, ah ! peut-être encore un rouge, un feu,
Peu de tuile (mais rouge et promesse d’un toit)
Va briller (poème ou lampe) ; l’ombre est complice.
J
« Toit dans l’ombre (ou lampe) et le temps », in Affaires d’écriture (Ancrits divers), Tarabuste, 2012, pp. 33 et 34.
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26/04/2014
Autre cuivre, de Roger Callois
Liz Ward , Vert de gris Glacier 2012, Aquarelle sur papier, 66 x32
Rares dans le détail, quasi clandestins, le vert, les verts, dont le cuivre est foyer, dominent sans qu’il soit aisé de distinguer nettement leurs places fortes et de délimiter leurs zones d’influence. Discrets, d’être divers. Tous sont complices et pourtant chacun accuse sa différence : ici, le vert lustré, presque noir des mousses après la pluie ; là, le satin vert des monnaies de fouilles, attaquées par les carbonates, les sulfites ; plus fréquents, des bleus louches, qui tirent sur le vert, ceux des turquoises, des aigues-marines et des autres pierres bleues quand elles n’ont pas la bonne nuance ; à la limite, le vert tremblé, hésitant, des très jeunes amandes dont le duvet est encore d’argent. Celui-ci, le plus neutre, apprivoise déjà aux surfaces couleur de soie grège qui, bientôt, vont s’élargissant et que paraît innerver un fin relief de basses cloisons.
Autre cuivre, Pierres (Poésie/Gallimard)
08:33 Publié dans Poésie et couleurs, Un monde en couleurs, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roger callois, liz ward, vert, nature | Facebook | Imprimer | | |
21/04/2014
vestige d'une vieille haie de jardin, de Reiner Kunze
Rothko
Aubépine et rouge-épine
branches entremêlées
Rameaux d’écume
rouge dans le blanc
blanc dans le rouge
Bois fleurissant
à la vie à la mort
Reiner Kunze, Nuit des tilleuls, (Lindennacht, édition bilingue),traduction de Mireille Gansel & Gwenn Darras, Calligrammes/Bernard Guillemot, 2009, pp. 107 et 75, à la vie à la mort
08:16 Publié dans Blanc, Poésie et couleurs, Rouge | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : blanc, rouge, nature, aubépine, reiner kunze, rothko | Facebook | Imprimer | | |
15/03/2014
L'éternité, c'est juste à côté (extrait), de James Sacré
Tableau de Claire Basler, à retrouver sur son site
(Ce qui y a d'ingénue santé dans la fleur qui se livre au temps
Se perd pourtant pas dans son pétale qui sèche ;
Mourir continue sa couleur.)
Bout de ferraille, fragment de fleur, ça passe bien
Du fond d'un pré en celui d'un tableau.
La vraie mort d'un coquelicot
Sans doute que c'est dans les mots.
L'éternité, c'est juste à côté, recueil La peinture du Poème s'en va, Edition Tarabuste, p 98
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