Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/02/2016

Forêt blonde, de Rémy de Gourmont

 

9ccb69ba2c51d9befbe5c6f56a2ef3af.jpg

gerda steiner & jörg lenzlinger : the connection, paul klee centre bern, 2008

 

rémy de gourmont,amour,mfleurs,nature,mauve,gfauve,bleu,blanc

Falling Garden by Gerda Steiner and Jörg Lenzlinger

 

Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse,
Mes herbes sont des cils trempés de larmes claires
Et mes liserons blancs s'ouvrent comme des paupières.
Voici les bourraches bleues dont les yeux doux fleurissent
Pareils à des étoiles, à des désirs, à des sourires,
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse.

Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse,
Mes lierres sont les lourds cheveux et mes viournes
Contournent leurs ourlets, ainsi que des oreilles.
Ô muguets, blanches dents ! églantines, narines !
Ô gentianes roses, plus roses que les lèvres !
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse.

Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse,
Mes saules ont le profil des tombantes épaules,
Mes trembles sont des bras tremblants de convoitise,
Mes digitales sont les doigts frêles, et les oves
Des ongles sont moins fins que la fleur de mes mauves,
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse.

Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse,
Mes sveltes peupliers ont des tailles flexibles,
Mes hêtres blancs et durs sont de fermes poitrines
Et mes larges platanes courbent comme des ventres
L'orgueilleux bouclier de leurs écorces fauves,
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse.

Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse,
Boutons rouges, boutons sanglants des pâquerettes,
Vous êtes les fleurons purs et vierges des mamelles.
Anémones, nombrils ! Pommeroles, aréoles !
Mûres, grains de beauté ! Jacinthes, azur des veines !
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse.

Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse,
Mes ormes ont la grâce des reins creux et des hanches,
Mes jeunes chênes, la forme et le charme des jambes,
Le pied nu de mes aunes se cambre dans les sources
Et j'ai des mousses blondes, des mystères, des ombres,
Je suis le corps tout plein d'amour d'une amoureuse.

06/02/2014

Inversnaid, de Gerard Manley Hopkins

 

 

inversnaid,gerard manley hopkins,pierre gaudu,fauve

Ma Yuan (Song Dynasty), 12 views of water, Palace Museum, Beijing

 

 

Ce ruisseau sombre d'un brun croupe-de-cheval

qui dévale sa grand'route et rugissant roule des rocs,

dans la crique et la combe plisse sa toison d'écume

et, tout en bas, au creux du lac, tombe en sa demeure.

 

Un béret de mousse fauve bourré-de-vent

virevolte et se défait à la surface du brouet

d'un étang si noir-de-poix, farouche et menaçant,

qu'il touille et touille le Désespoir pour le noyer.

 

Imbibés de rosée, bariolés de rosée, voici

les replis des coteaux où le torrent s'encaisse,

les rêches touffes de bruyère, les bosquets de fougères,

et le joli frêne perlé penché sur le ruisseau.

 

Qu'arriverait-il au monde s'il se voyait ravir

l'humide et le sauvage ?Qu'ils nous soient donc laissés –

oh ! qu'ils nous soient laissés - le sauvage et l'humide !

Que vivent encor longtemps herbes folles et lieux sauvages !

 

 

Traduction de Jean Mambrino, L'Angleterre en poésie, folio junior, p18

 

15/11/2013

Éclats de sel, de Sylvie Germain

 

Hetre pourpre_2Les grandes empreintes 98 cm x 44 cm.jpg

                                          Constance Fulda ,  Hêtre pourpre, Les grandes empreintes 98 cm x 44 cm  http://constance.fulda.pagesperso-orange.fr


Un hêtre isolé se dressait, là-bas, au milieu d’un paysage plat surplombé par un ciel en remous aux tons d’ardoise et de lavande. Il se tenait très droit au cœur de cette double immensité de terre rase et de froide lumière, de cette double nudité, et il portait très haut dans le bleu du silence sa cime globuleuse couleur d’ambre et de rouille. Un hêtre en sobre majesté qui conversait avec le vent, avec le vide, avec sa propre ombre, dans le déclin du jour.

Le lieu était banal, et pourtant insolite. Nul relief, un chromatisme pauvre, un ciel démesuré, une ligne d’horizon tirée d’un trait austère, et bas. Mais il y avait l’arbre, son tronc cendré, comme une entaille dans le bleu sourd du ciel, sa ramure arrondie, comme un défi à tant de nivelage, son feuillage cuivré, comme un gong recelant d’obscures résonances. Il y avait ce hêtre planté en sentinelle dans la tombée du jour, dru comme un corps d’attente et de longue endurance. Il habitait l’espace avec simplicité, avec puissance, tout concentré sur soi, sur son invisible cœur d’arbre, sa solitude d’arbre. Il habitait le temps avec ténacité, avec patience, tramant sans fin des songes sous son écorce grise, tissant et enlaçant les fils ligneux de sa mémoire séculaire.


Extrait d'Eclats de sel, collection Folio

24/11/2012

Le ventre de Paris, (extrait 2), d'Emile Zola

 

BYJ1009.jpg

Jan Brueghel le Jeune  1601-1678  Une corbeille de fleurs -  - Metropolitan Museum of Art- Huile sur panneau 53 x 80,5 cm.

Comme ils longeaient toujours la grande rue, ils marchèrent dans une odeur exquise qui traînait autour d’eux et semblait les suivre. Ils étaient au milieu du marché des fleurs coupées. Sur le carreau, à droite et à gauche, des femmes assises avaient devant elles des corbeilles carrées, pleines de bottes de roses, de violettes, de dahlias, de marguerites. Les bottes s’assombrissaient, pareilles à des taches de sang, pâlissaient doucement avec des gris argentés d’une grande délicatesse. Près d’une corbeille, une bougie allumée mettait là, sur tout le noir d’alentour, une chanson aiguë de couleur, les panachures vives des marguerites, le rouge saignant des dahlias, le bleuissement des violettes, les chairs vivantes des roses. Et rien n’était plus doux ni plus printanier que les tendresses de ce parfum rencontrées sur un trottoir, au sortir des souffles âpres de la marée et de la senteur pestilentielle des beurres et des fromages.

 

Le ventre de Paris, Emie Zola. Livre de poche.

02/09/2012

Speak, Memory, de Vladimir Nabokov

kandinsky.jpg

« Aussi loin que je me souvienne […] j’étais un cas intéressant d’audition colorée. Peut-être qu’entendre n’est pas le terme tout à fait exact, étant donné que la sensation de couleur semble être produite par l’acte même par lequel je prononce une lettre particulière, pendant que j’imagine sa forme. La lettre […] est, pour moi, de la couleur du bois usé par les intempéries, mais, [dans une autre police de caractère] le a évoque l’ébène poli. Ce groupe de couleur noire inclut aussi les durs (du caoutchouc vulcanisé) et le (des guenilles noires en train d’être déchirées). Le farine […] et le petit miroir au manche d’ivoire s’occupent des blancs. […] Si nous passons au groupe bleu, il y a le bleu acier, le nuage d’orage, et le myrtille. Comme il existe une subtile interaction entre la sonorité et la forme, […] le n’est pas du même bleu pâle que c, mais un curieux mélange d’azur et de nacre. Les teintes adjacentes ne se mélangent pas […]. 

Je me presse de compléter ma liste avant que je sois interrompu. Dans le groupe vert, il y a la feuille de l’aulne du f, la pomme pas mûre du p, et le pistache t. Un vert terne, combiné je ne sais trop pourquoi à du violet, est le mieux que je puisse faire pour le w. Les jaunes comportent des et des variés, le d crémeux, le doré vif, et le u, dont je ne peux exprimer la valeur alphabétique que par ‘cuivré avec un reflet olive’. Dans le groupe des marrons, il y a les tons caoutchouteux riches du doux g, du j plus pâle encore, rouges, le b a la tonalité que les peintres appellent Sienne brûlé, le m est un pli de flanelle rose, et aujourd’hui j’ai enfin apparié le v avec la teinte ‘Rose Quartz’ dans le Dictionnaire des Couleurs de Maerz et Paul.Le mot pour arc-en-ciel, un arc-en-ciel véritable, mais décidemment brouillé, est dans mon langage personnel le mot difficilement prononçable : kzspygv.  

Les confessions d’un synesthète doivent sembler fastidieuses et prétentieuses à ceux qui sont protégés de telles brèches et de telles évasions par des murs plus solides que ne sont les miens. A ma mère, pourtant, tout cela semblait normal. Le sujet fut abordé, un jour durant ma septième année, alors que j’utilisais un tas de vieux cubes d’alphabet pour construire une tour.

Je fis à ma mère, en passant, la remarque que les couleurs des lettres étaient toutes fausses. Nous avons alors découvert que certaines de ses lettres à elle avaient la même teinte que les miennes, et qu’en plus, elle entendait les notes de musique en couleurs. En moi, les notes de musique n’évoquaient aucune sorte de couleur. […] 

Ma mère fit tout pour encourager la sensibilité générale que j’avais aux stimulations visuelles. Combien d’aquarelles elle a peintes pour moi.  Quelle révélation ce fut quand elle me montra l’arbre-lilas qui pousse à partir d’un mélange de bleu et de rouge ! » 


Speak, Memory.( en livre de poche)

Tableau de kandinsky, datée de 1912 ,Le dernier jugement

'ai découvert ce texte en écoutant  l'émission de Jean-Claude Ameisen, Sur les épaules de Darwin du 10 décembre 2011, consacrée à la synesthésie :http://www.franceinter.fr/emission-sur-les-epaules-de-dar...

27/07/2012

La vagabonde (extrait), de Colette

 

393210_329364273750137_134278533258713_1341254_1364941317_n.jpg

 

 

Je palpe amoureusement la pierre chaude au temple ruiné, et la feuille vernie des fusains, qui semble mouillée. Les bains de Diane, où je me penche, mirent encore et toujours des arbres de Judée, de térébinthes, des pins, des paulownias fleuris de mauve et des épines doubles purpurines. Tout un jardin de reflets se renverse au-dessus de moi et tourne décomposé dans l'eau d'aigue-marine au bleu obscur, au violet de pêche meurtrie, au marron de sang sec...Le beau jardin, le beau silence, où seule se débat sourdement l'eau impérieuse et verte, transparente, sombre, bleue et brillante comme un vif dragon!...

Une double allée harmonieuse monte vers la tour Magne entre les murailles ciselée d'ifs, et je me repose une minute au bord d'une auge de pierre, où l'eau ternie est verte de cresson fin et de rainettes bavardes aux petites mains délicates...Là haut, tout en haut, un lit sec d'aiguilles nous reçoit, moi et mon tourment.


La vagabonde, Collection Bouquins, page 929

Photo de Coline Termash

 

18/07/2012

L'amoureuse, de Paul Eluard

 

poésie,poèmes,l'amoureuse de paul eluard

Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s’engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.

 

Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s’évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.

 

Paul Éluard, Mourir de ne pas mourir, 1924, repris dans Capitale de la douleur, Gallimard, 1926, p. 55, et Pléiade, Gallimard, 1968, tome I, p. 140.               Encre "Incomplétude boréale" de Pierre Gaudu, que je remercie. Vous pouvez retrouver son travail sur les sites suivants:

07/07/2012

Testament, de Maria Elena VIEIRA DA SILVA


" Je lègue à mes amis
un bleu céruléum pour voler haut
un bleu de cobalt pour le bonheur
un bleu d'outremer pour stimuler l'esprit
un vermillon pour faire circuler le sang allègrement
un vert mouse pour apaiser les nerfs
un jaune d'or : richesse
un violet de cobalt pour la rêverie
une garance qui fait entendre le violoncelle
un jaune barite : science-fiction, brillance, éclat
un ocre jaune pour accepter la terre
un vert Véronèse pour la mémoire du printemps
un indigo pour pouvoir accorder l'esprit à l'orage
un orange pour exercer la vue d'un citronnier au loin
un jaune citron pour la grâce
un blanc pur : pureté
terre de sienne naturelle : la transmission de l'or
un noir somptueux pour voir Titien
une terre d'ombre naturelle pour mieux accepter la mélancolie noire
une terre de sienne brûlée pour le sentiment de la durée. "

Née à Lisbonne en 1908, l’artiste portugaise s’est exilée en France dès 1928 où elle a été une des fondatrices de l’école de Paris. En 1930, elle épouse le peintre hongrois Arpad Szenes (mort en 1985). D’abord figurative, au milieu des années 1930, Maria Helena Vieira da Silva ébauche son style en forme de patchwork qui la rendra mondialement célèbre. En 1938, elle accueille dans son atelier parisien le jeune peintres, Nicolas de Staël. C’est dans les années 1950 qu’elle se positionne comme un peintre de premier plan. Elle est morte à paris en 1992.

Oil on marouflaged cardboard on canvas Size: 31 x 46,5 cm. 1949

01/06/2012

L'influence des couleurs sur le web

L’importance du choix des couleurs est importante sur le Web, qu'il s'agisse de  retenir ou d'attirer l’attention des internautes.   (source : http://www.creanum.fr/news/toutes-les-news/id/1390/l-infl...)

En règle générale, en print comme sur le Web, les couleurs ont une importance cruciale car elles véhiculent implicitement une idée, un sentiment, etc.  Plusieurs études comportementales révèlent que la charte colorimétrique d’un site Internet a de l’influence sur la perception de l’internaute.

85% des internautes estiment que les couleurs sont un facteur décisionnel avant un achat sur un site de e-commerce par exemple. 

Les marques sont souvent associées à des couleurs, ce qui crée une sorte d’habitude chez les consommateurs. Chaque couleur étant donc elle-même associée à un sentiment. Quelques pistes d'exploration...

Autre élément de référence: l’infographie réalisée par Kiss Metrics, intitulée « Comment les couleurs influent les achats ? ».

L’étude montre aussi que 42% des internautes basent leur opinion uniquement sur le design d’un site, que le temps de chargement est déterminant et que 60% des internautes sont plus sensibles à l’achat si un mot qui les rassure (garantie, etc.) est présent sur la page Web. 

Voici l’infographie :


25/05/2012

Mobile de camions couleurs (extrait), de James Sacré

        

Blanc à bas orange, caisse blanche - rouge à

longue ligne rouge dans le bas de la caisse. Le mot

"Central", à l'avant en haut - bleu et blanc à charge-

gement à claire-voie, grande masse grise -

"National Carries" en bleu sur la caisse blanche

j'oublie quelle couleur emporte le tout - noir et

caisse blanche la cabine motrice en escalier ramassé

collé à la caisse -

 

       Toute une gamme de couleurs fortes som-

bres : dans les bleus, verts, violets, des rouges, des

marrons riches, les noirs ;

        Toute une gamme de couleurs claires, bleu

beige, jaune et tant de blanc, ocre, violet clair;

         D'autres : bistre, ocre beige, gris métalliques

gris- blanc

         Un bleu-vert avec caisse orange

         Petit nez bleu pétrole suivi d'une volumi-

neuse élévation de tôle même couleur et la caisse

blanche

 

Extrait de : Mobile de camions couleurs, p 49 , photographies de Michel Butor, éditons Virgile, 2010.

Eric Tabuchi, Alphabet Truck., Paris, 2008, 26 cartes sous étui, 15,5 x 19,2 cm.

08/05/2012

Le plaisir, de Paul Louis Rossi

 

egon_schiele_gallery_12_large.jpg

(donnez-nous des plaisirs aigus
                croisés comme des fers d'épées)
 
Il l'embrasse il la vénère
Elle a des cheveux roux et fous
Ils semblent dire une prière
L'un pour l'autre et contre tous
 
(ah ! donnez-nous des plaisirs aigus
                l'odeur des œillet sauvages)
 
Elle sourit au fond de la salle
Une légère moue sur les lèvres
Un col blanc comme une voile
Tendue sur la mer tranquille
 
(des aiguilles de pins
            criblées des feux de l'été)
 
Elle penche la tête pour cacher
Le trouble de son regard
Son désir et sa chasteté
Pareils au vin à l'eau mêlés
 
(violet couleur de la mer
            violet couleur de la mort)
 
Pris d'une passion ingénue
Il s'agite devant ses yeux
Les prestiges de sa bouche
Rêvant son image nue
 
(comme une bête furieuse
            un taureau ivre de rouge)
 
L'orage gronde sur la côte
Ils sentent venir le désir
De mesurer côte à côte
Le vertige du plaisir
 
(un paysage endormi
            lassé de couleurs et de cris)
 
Ils reposent ensommeillés
Sur le sable d'une plage
Abandonnés contre les épaves
Seuls et las de s'être enlacés
 
 
 
 
 
Quand Anna Murmurait, Anthologie des poésies, 1953-1999, pages 178, 179
Dessin d'Egon Shiele
        

31/03/2012

Une lampe dans la lumière aride, d'André du Bouchet

 

emmmanuelle bollack 2.jpeg

Je me suis assis sur un rocher habituellement écrasé par le jour. Rocher trempé d’aurore. Maculé de ces taches de bleu vif orange qui éclaboussaient l’horizon. Lichen encore visible le jour, comme ces végétations marines, adhérant aux roches qui attendent l’heure de la marée pour s’épanouir. Un champ de nuages collait aux mêmes rochers, de disques noirs et blancs enchevêtrés, durement échoués comme ces tas de nuages pavés, durement tassés, écrasés les uns contre les autres, très bas. Le plafond bas du ciel. L ‘écorce du ciel qui se fendille. Le rocher brillait extraordinairement. Comme un bloc de ciel. Criblé de lichen orange. Dans le village, au départ. Pierraille.

Pan de pierres écroulées. Mur dur sourd aveugle au-dessus du bol de feu, muet, de la grande tasse d’eau de l’aube.

Le soc rougi qui laboure la terre.


 

 

Une lampe dans la lumière aride, Le Bruit du temps, 2011, p. 91.

Huile d'Emmanuelle Bollack 120 x 60 cm, 2011 http://bollack.carbonmade.com/

 

 

26/01/2012

Proust et la couleur....


Geisha Walk


« Il n' y a que les femmes qui ne savent pas s'habiller qui craignent la couleur. On peut être éclatante sans vulgarité et douce sans fadeur.  »

Citation extraite de Sodome et Gomorrhe

Auteur de l'illustration inconnu...


02/01/2012

Fleurs, d'Arthur Rimbaud

 

Alexis Anne Mackenzie.jpg

D'un gradin d'or, - parmi les cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil, - je vois la digitale s'ouvrir sur un tapis de filigranes d'argent, d'yeux et de chevelures.

Des pièces d'or jaune semées sur l'agate, des piliers d'acajou supportant un dôme d'émeraudes, des bouquets de satin blanc et de fines verges de rubis entourent la rose d'eau.

Tels qu'un dieu aux énormes yeux bleus et aux formes de neige, la mer et le ciel attirent aux terrasses de marbre la foule des jeunes et fortes roses.

 

Recueil Illuminations (1874)

Collage d''Alexis Anne Mackenzie. "Short Night of the Glass Dolls" (2010). Hand-cut collage on found paper, 12 x 14 inches.  Site internet : http://news.alexisanne.com/

 

 

05/12/2011

Les secrets de la mer rouge (extrait), d'Henry de Monfreid

 

turner soleil.jpg

A mesure que le ciel rosit, la couleur de la mer passe du noir au vert bouteille. Un gros soleil rouge apparaît hors de l'eau et monte à travers des bandes horizontales de nuages noirs. La mer prend une couleur inéfinissables, rouge, verdâtre et bleue, mais ça ne dure pas. Elle va avoir désormais sa robe de jour bleue mouchetée de blanc et le vent, un instant contenu pour la cérémonie du lever, repart avec de nouvelles forces.

 

Les secrets de la mer rouge.

 

Tableau de John Turner. Slavers throwing overboard the Dead and Dying - Typhon coming on ("The Slave Ship") 1840; Oil on canvas, 90.8 x 122.6 cm; Museum of Fine Arts, Boston 

 

23/11/2011

Le bateau ivre, d'Arthur Rimbaud

poème;poésie,le bateau ivre,arthur rimbaud

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.


Rimbaud, 1871

Zemmyō se jette à la mer par le peintre japonais Enichibō Jōnin (XIIIe siècle). Kegonshū-soshi-eden (Vie de Gishō et Gengyō, moines de la secte Kegon en Corée), attribué à Enichibō Jōnin: Zemmyō se jette à la mer à la poursuite de Gishō (scène du troisième rouleau de la Légende de Gishō)- première moitié du XIIIe siècle - rouleau horizontal, couleurs sur papier - (H. 31,6cm). Au (Temple Kōzan-ji)-Kyōto.

14/11/2011

Le ventre de Paris (extrait) d'Emile Zola

 

Snyers Pieter (1681-1752),.jpg

[...] Le jour se levait lentement, d’un gris très doux, lavant toutes choses d’une teinte claire d’aquarelle. Ces tas moutonnants comme des flots pressés, ce fleuve de verdure qui semblait couler dans l’encaissement de la chaussée, pareil à la débâcle des pluies d’automne, prenaient des ombres délicates et perlées, des violets attendris, des roses teintés de lait, des verts noyés dans des jaunes, toutes les pâleurs qui font du ciel une soie changeante au lever du soleil ; et, à mesure que l’incendie du matin montait en jets de flamme, au fond de la rue Rambuteau, les légumes s’éveillaient davantage, sortaient du grand bleuissement traînant à terre. Les salades, les laitues, les scaroles, les chicorées, ouvertes et grasses encore de terreau, montraient leurs cœurs éclatants ; les paquets d’épinards, les paquets d’oseilles, les bouquets d’artichauts, les entassements de haricots et de pois, les empilements de romaines, liées d’un brin de paille, chantaient toute la gamme du vert, de la laque verte des cosses au gros vert des feuilles ; gamme soutenue qui allaient en se mourant, jusqu’aux panachures des pieds de céleri et des bottes de poireaux. Mais les notes aiguës, ce qui chantait plus haut, c’étaient toujours les taches vives des carottes, les taches pures des navets, semées en quantité prodigieuse le long du marché, l’éclairant du bariolage de leurs deux couleurs. Au carrefour de la rue des Halles, les choux faisaient des montagnes ; les énormes choux blancs, serrés et durs comme des boulets de métal pâle ; les choux frisés, dont les grands feuilles ressemblaient à des vasques de bronze ; les choux rouges, que l’aube changeait en des floraisons superbes, lie de vin, avec des meurtrissures de carmin et de pourpre sombre. À l’autre bout, au carrefour de la pointe Saint-Eustache, l’ouverture de la rue Rambuteau était barrée par une barricade de potirons orangés, sur deux rangs, s’étalant, élargissant leurs ventres. Et le vernis mordoré d’un panier d’oignons, le rouge saignant d’un tas de tomates, l’effacement jaunâtre d’un lot de concombres, le violet sombre d’une grappe d’aubergines, çà et là, s’allumaient ; pendant que de gros radis noirs, rangés en nappes de deuil, laissaient encore quelques trous de ténèbres au milieu des joies vibrantes du réveil.

 

 

Le Ventre de Paris, chapitre 1, dans Les Rougon-Maquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire, I, Bibliothèque de la Pléiade, 1963, p. 626-627.

Tableau de Snyers Pieter (1681-1752)

Contribution de Tristan Hordé

 

08/07/2011

Trois anciens poèmes mis ensemble pour lui redire je t’aime, de James Sacré

 

 

poème;poésie,trois anciens poèmes mis ensemble pour lui redire je t’aime,james sacré



Le sexe rose et roux veille dans les jambes longues

 

C'est cela la lumière du visage; la hanche dessine autour

le voulume doux, le renflement du ventre

 

Le coeur du violencelle est noir! Oh! mes broussailles,

mes vipères! et l'argile!

 

 

 Extraits de La femme et le violoncelle

 

Passage d'une pluie sur le sexe vert irrigué

des jardins; l'air est tout gonflé comme

une poitrine d'oiseau

 

Extrait de la Transparence du prénom elle

 

 

 

 

Trois anciens poèmes mis ensemble pour lui redire je t’aime, James Sacré, poèmes, vignette de Yvon Vey, coll. Marine, 14x21.5, 60 p., 2006

Tableau de Pierre Bonnard . La sieste 1899

04/07/2011

Les ziaux, de Raymond Queneau

 

les ziaux,raymond queneau,john atkinson grimshaw


les eaux bruns, les eaux noirs, les eaux de merveille

les eaux de mer, d'océan, les eaux d'étincelles
nuitent le jour, jurent la nuit
chants de dimanche à samedi

les yeux vertes, les yeux bleues, les yeux de succelle
les yeux de passante au cours de la vie
les yeux noirs, yeux d'estanchelle
silencent les mots, ouatent le bruit

eau de ces yeux penché sur tout miroir
gouttes secrets au bord des veilles
tout miroir, tout veille en ces ziaux bleues ou vertes
les ziaux bruns, les ziaux noirs, les ziaux de merveille

                                                                          

Raymond Queneau, Les Ziaux, collection Métamorphoses, XVII, Gallimard, 1943, p. 74.

Tableau de Francis Picabia



02/06/2011

L'escale portugaise, de Jules Supervielle

 

poème;poésie,l'escale portugaise,jules supervielle

L'escale fait sécher ses blancheurs aux terrasses
où le vent s'évertue
Les maisons roses eu soleil qui les enlace
Sentent l'algue et la rue.

Les femmes de la mer, des paniers de poissons
Irisés sur la tête,
Exposent au soleil bruyant de la saison
La sous-marine fête.

Le feuillage strident a débordé le vert
Sous la crue de la lumière
Les roses printanières
Ont fait irruption par les grilles de fer.

Le plaisir matinal des boutiques ouvertes
Au maritime été
Et des fenêtres vertes
Qui se livrent au ciel, les volets écartés.

S'écoule vers la Place où stagnent les passants
Jusqu'à ce que soit ronde
L'ombre des orangers qui simule un cadran
Où le doux midi grogne.

 Extrait de Gravitations

Tableau de Nicolas de Stael