23/11/2013
Cet être devant soi (extrait) de Claude Chambard
Alexandre Calder, Spirals and petals, sérigraphie, 80x60 cm
Une fois
l’enfant a trouvé
dans la Montée des Couardes
une façon de grotte
où il s’est faufilé
à peine un trou de lapin
tapissé de mousse & de feuilles
— est-ce un endroit pour vivre —
il attendait un lutin
un elfe une fée Alice
que sais-je
mais au fond du petit terrier
il discernait à peine quelques couleurs
du bleu turquoise du brun roux
du vert sombre du jaune bordé de noir
quelques plumes
un cadeau une couvée
de guêpier d’Europe (Merops apiaster)
Cet être devant soi, Aencrages & Co
Le site de poésie et de littérature de Claude Chambard : un nécessaire malentendu
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15/11/2013
Éclats de sel, de Sylvie Germain
Constance Fulda , Hêtre pourpre, Les grandes empreintes 98 cm x 44 cm http://constance.fulda.pagesperso-orange.fr
Un hêtre isolé se dressait, là-bas, au milieu d’un paysage plat surplombé par un ciel en remous aux tons d’ardoise et de lavande. Il se tenait très droit au cœur de cette double immensité de terre rase et de froide lumière, de cette double nudité, et il portait très haut dans le bleu du silence sa cime globuleuse couleur d’ambre et de rouille. Un hêtre en sobre majesté qui conversait avec le vent, avec le vide, avec sa propre ombre, dans le déclin du jour.
Le lieu était banal, et pourtant insolite. Nul relief, un chromatisme pauvre, un ciel démesuré, une ligne d’horizon tirée d’un trait austère, et bas. Mais il y avait l’arbre, son tronc cendré, comme une entaille dans le bleu sourd du ciel, sa ramure arrondie, comme un défi à tant de nivelage, son feuillage cuivré, comme un gong recelant d’obscures résonances. Il y avait ce hêtre planté en sentinelle dans la tombée du jour, dru comme un corps d’attente et de longue endurance. Il habitait l’espace avec simplicité, avec puissance, tout concentré sur soi, sur son invisible cœur d’arbre, sa solitude d’arbre. Il habitait le temps avec ténacité, avec patience, tramant sans fin des songes sous son écorce grise, tissant et enlaçant les fils ligneux de sa mémoire séculaire.
Extrait d'Eclats de sel, collection Folio
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Le coeur cousu, de Carole Martinez
Ana Teresa Barboza http://www.ignant.de/2013/09/03/ana-teresa-barboza/ et http://anateresabarboza.blogspot.fr/
Le papillon
Commença alors pour ma mère la période des fils de couleurs.
Ils avaient fait irruption dans sa vie, modifiant le regard qu'elle portait sur le monde.
Elle fit le compte : le laurier-rose, la fleur de la passion, la chair des figues, les oranges, les citrons, la terre ocre de l'oliveraie, le bleu du ciel, les crépuscules, l'étole du curé, la robe de la Madone, les images pieuses, les verts poussiéreux des arbres du pays et quelques insaisissables papillons avaient été jusque-là les seuls ingrédients colorés de son quotidien. Il y avait tant de bobines, tant de couleurs dans cette boîte qu'il lui semblait impossible qu'il existât assez de mots pour les qualifier. De nombreuses teintes lui étaient totalement inconnues comme ce fil si brillant qu'il lui paraissait fait de lumière. Elle s'étonnait de voir le bleu devenir vert sans qu'elle y prenne garde, l'orange tourner au rouge, le rose au violet.
Bleu, certes, mais quel bleu ? Le bleu du ciel d'été à midi, le bleu sourd de ce même ciel quelques heures plus tard, le bleu sombre de la nuit avant qu'elle ne soit noire, le bleu passé, si doux, de la robe de la Madone, et tous ces bleus inconnus, étrangers au monde, métissés, plus ou moins mêlés de vert ou de rouge.
Qu'attendait-on d'elle ? Que devait-elle faire de cette nouvelle palette qu'une voix mystérieuse lui avait offerte dans la nuit ?
Bombarder de couleurs le village étouffé par l'hiver. Broder à même la terre gelée des fleurs multicolores. Inonder le ciel vide d'oiseaux bigarrés. Barioler les maisons, rosir les joues olivâtres de la mère et ses lèvres tannées. Elle n'aurait jamais assez de fil, assez de vie, pour mener à bien un tel projet.
Elle se rabattit donc sur l'intérieur de la maison.
Extrait du chapitre Le papillon, Le coeur cousu, édition Folio
Merci à Véronique Denoyel, qui m'a fait découvrir ce texte et cette artiste; véronique est elle même une artiste http://www.veroniquedenoyel.com et http://www.veronique-denoyel.fr
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11/11/2013
Bach en automne, IV, de Jean-Paul de Dadelsen
@pierre gaudu 2013, ne pas partager sans son autorisation, http://pierre-gaudu.over-blog.com/
Le ciel au soir est vert. À la lisière du bois les chevreuils
Viennent humer au loin les villages roux de feuilles et de fumées.
Bientôt, quand la nuit tombera le vent de Pologne,
La brume montera des prés.
Le regard du faon découvre trois lieues de plaine sans refuges.
Autour du sommeil des hameaux les barrières vermoulues n’arrêtent
Ni les reîtres ni la peste.
Le monde dans l’espace et la durée étale sa placidité.
J’ai lu longtemps dans ce livre perpétuel. Autrefois j’ai décrit
Les gambades au mois de mai du jeune agneau,
Le vol instable des émouchets.
Je ne décrirai plus. Tout est nombre. L’arbre,
Rivière de feuilles ou noir de gel, entre la terre et le ciel instaure
Une figure permanente.
Le monde est en repos, dit-on ; les princes sont en paix, peut-être.
Entre la nue basse et l’horizon convexe s’éloigne une gloire exténuée
De lumière inaccessible. Le monde à travers fastes et largesses demeure
Établi dans l’exil.
Il faut rentrer. L’haleine de la nuit descend sur nos visages aveugles.
L’âme écoute approcher tes pas ; entre chez nous, Seigneur ;
Il se fait tard.
Bach en automne, IV, dans Jonas, préface d’Henri Thomas, Poésie/Gallimard, 1986, p. 28-29.
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09/11/2013
L'été, d'Albert Camus
J’ai grandi dans la mer et la pauvreté m’a été fastueuse, puis j’ai perdu la mer, tous les luxes alors m’ont paru gris, la misère intolérable. Depuis, j’attends. J’attends les navires du retour, la maison des eaux, le jour limpide. Je patiente, je suis poli de toutes mes forces. On me voit passer dans de belles rues savantes, j’admire les paysages, j’applaudis comme tout le monde, je donne la main, ce n’est pas moi qui parle. On me loue, je rêve un peu, on m’offense, je m’étonne à peine. Puis j’oublie et souris à qui m’outrage, ou je salue trop courtoisement celui que j’aime. Que faire si je n’ai de mémoire que pour une seule image ? On me somme enfin de dire qui je suis. « Rien encore, rien encore... »
C’est aux enterrements que je me surpasse. J’excelle vraiment. Je marche d’un pas lent dans des banlieues fleuries de ferrailles, j’emprunte de larges allées, plantées d’arbres de ciment, et qui conduisent à des trous de terre froide. Là, sous le pansement à peine rougi du ciel, je regarde de hardis compagnons inhumer mes amis par trois mètres de fond. La fleur qu’une main glaiseuse me tend alors, si je la jette, elle ne manque jamais la fosse. J’ai la piété précise, l’émotion exacte, la nuque convenablement inclinée. On admire que mes paroles soient justes. Mais je n’ai pas de mérite : j’attends.
J’attends longtemps. Parfois, je trébuche, je perds la main, la réussite me fuit. Qu’importe, je suis seul alors. Je me réveille ainsi, dans la nuit, et, à demi endormi, je crois entendre un bruit de vagues, la respiration des eaux. Réveillé tout à fait, je reconnais le vent dans les feuillages et la rumeur malheureuse de la ville déserte. Ensuite, je n’ai pas trop de tout mon art pour cacher ma détresse ou l’habiller à la mode.
D’autres fois, au contraire, je suis aidé. À New York, certains jours, perdu au fond de ces puits de pierre et d’acier où errent des millions d’hommes, je courais de l’un à l’autre, sans en voir la fin, épuisé, jusqu’à ce que je ne fusse plus soutenu que par la masse humaine qui cherchait son issue. J’étouffais alors, ma panique allait crier. Mais, chaque fois, un appel lointain de remorqueur venait me rappeler que cette ville, citerne sèche, était une île, et qu’à la pointe de la Battery l’eau de mon baptême m’attendait, noire et pourrie, couverte de lièges creux.
Ainsi, moi qui ne possède rien, qui ai donné ma fortune, qui campe auprès de toutes mes maisons, je suis pourtant comblé quand je le veux, j’appareille à toute heure, le désespoir m’ignore. Point de patrie pour le désespéré et moi, je sais que la mer me précède et me suit, j’ai une folie toute prête. Ceux qui s’aiment et qui sont séparés peuvent vivre dans la douleur, mais ce n’est pas le désespoir : ils savent que l’amour existe. Voilà pourquoi je souffre, les yeux secs, de l’exil. J’attends encore. Un jour vient, enfin...
L’Été, « La mer au plus près (Journal de bord) », Gallimard - folio n°4388, pages 115-117)
Odilon Redon , Collection privée, Bateau rouge avec des voiles bleues
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01/11/2013
Les oies sauvages, de Mary Oliver
Huit Oies rieuses en vol, la pleine lune derrière, de Ohara Koson
Vous n’avez pas à traverser à genoux
Vous n’avez pas à être sages.
des centaines de kilomètres de désert, en repentance.
Vous avez juste à laisser le doux animal de votre corps
aimer ce qu’il aime.
Parlez-moi du désespoir, le vôtre, je vous parlerai du mien.
Pendant ce temps le monde avance.
Pendant ce temps le soleil et les limpides galets de pluie
traversent les paysages,
survolent les plaines et les forêts profondes,
les montagnes et les rivières.
Pendant ce temps les oies sauvages, là-haut dans le pur air bleu,
sont sur le chemin du retour.
Qui que vous soyez, en quelque solitude,
le monde s’offre à votre imagination,
vous appelle comme les oies sauvages, rude et passionnant —
et indéfiniment signale votre place
dans la famille des choses.
*
Wild Geese
You do not have to be good.
You do not have to walk on your knees
for a hundred miles through the desert, repenting.
You only have to let the soft animal of your body
love what it loves.
Tell me about despair, yours, and I will tell you mine.
Meanwhile the world goes on.
Meanwhile the sun and the clear pebbles of the rain
are moving across the landscapes,
over the prairies and the deep trees,
the mountains and the rivers.
Meanwhile the wild geese, high in the clean blue air,
are heading home again.
Whoever you are, no matter how lonely,
the world offers itself to your imagination,
calls to you like the wild geese, harsh and exciting —
over and over announcing your place
in the family of things.
Mary Oliver, "Wild Geese", extrait de Dream Work, The Atlantic Monthly Press, 1986, p. 14. Traduction inédite de Chantal Tanet et Melissa Nickerson.
Texte à retrouver sur le blog Littératuredepartout
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25/10/2013
Fin, d'Antoine Emaz
on ne sait quel paysage bouge rouge
au fond de l’œil
un peu comme un battement assourdi
une houle née loin venue rouler tomber
encore
ici
la nuit
tremble
//
malgré tout
cela s’écoule sale peut-être mal mais finit par trouver un chemin une veine à travers la bouche la mémoire la radio les images
passant le bruit les mots
une sale seule couleur
s’établit
fait fond
rideau
on descend
là
c’est fini
//
demain
de nouveau on ira sans doute vers rien que ce pays encore bien sûr on ira de l’avant dans le même jusqu’à quoi au bout de la ressemblance du même forcé jusqu’à quoi
d’autre
Antoine Émaz, Fin, dans Fond d’œil, Théodore Balmoral, 1995, repris dans Caisse claire, Poèmes 1990-1997, Points/Seuil, 2007, p. 97-98
Tableau de 1948 de Jakson Pollock
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20/10/2013
Blanc (extrait), d'Octavio Paz
Du jaune au rouge au vert
Pèlerinages aux clartés
La parole se penche sur des tourbillons
Bleus.
Vire l'anneau ivre,
Virent les cinq sens
Autour de l'améthyste
Poésie/Gallimard Versant Est p103
Tableau de Willem de Kooning (1904-1997)
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05/10/2013
Entre, de Jean-Pierre Duprey
Tableau de Jean-Pierre Duprey
Entre le ballon noir et l’épine du blanc
Ce qui est, ce qui fait : je suis au balancement
Ce qu’est l’horizontale à la verticale.
C’est l’Epineuse noire au gonflement du blanc.
Chimère, machine au bloc de la mer
C’est ici que se courbe
Le serpent lié au mât
Par un soleil au verbe rouge.
Voici alors qu’un bleu étale
Comme un pétale sans fin
S’est creusé d’une fleur
Qui n’est ni bleu ni rouge.
Qui n’est ni blanche ni noire.
C’est l’Epineuse de voir, l’Effeuillement-fermoir
La bouche s’est fermée : c’est un rire éclatant.
(Poème non daté).
Collection Poètes d’aujourd’hui, numéro 212, Éditions Seghers, 1973, page 153.
A retrouver sur le site Terres de femmes
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15/09/2013
Du silence (extrait), de Georges Rodenbach
Léon Spilliaert , Aquarelle 49x65,2 cm Musée voor Schone Kunsten, Ostende
IV
Seuls les rideaux, tandis que la chambre est obscure,
Tout brodés, restent blancs, d' un blanc mat qui figure
Un printemps blanc parmi l' hiver de la maison.
Sur les vitres, ce sont des fleurs de guérison
Pareilles dans le soir à ces palmes de givre
Que sur les carreaux froids les nuits d' hiver font vivre.
Et dans ces floraisons de guipure on croit voir
Tous les souvenirs blancs parmi le présent noir;
Ce sont les rideaux clairs du berceau ; c' est la bonne
Aïeule aux cheveux blancs en bandeaux de madone;
Ce sont les grands jardins d' enfance où les pommiers
Étaient poudrés ; ce sont les cierges coutumiers
Et les nappes d' autel pour les communiantes ;
C' est l' hostie aux lys purs de leurs lèvres priantes ;
Puis c' est le clair de lune épars comme du lait
Dans la forêt magique où l' art nous appelait
Parmi sa gloire et ses blancheurs éternisées !
Puis la guirlande en fleur au front des épousées
Dont l' espoir doux se fane irréparablement
Parmi cette blancheur vaporeuse qui ment.
Car le leurre est rapide en cette ombre équivoque,
Et tous les autres blancs du passé qu' on évoque
Vont se faner avec les souvenirs d' amour
Quand descendra dans les rideaux la mort du jour.
Du silence, Le règne du silence. Pour en savoir plus, c'est ICI
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14/09/2013
Éblouissements (extrait), d'Anna de Noailles
Jeffrey Ripple, (né en 1962) peinture sur huile
– Aujourd’hui, le coeur las et blessé par le feu,
Je vous bénis encor, o brasier jaune et bleu,
Exaltant univers dont chaque élan m’enivre!
Mourante, je dirai qu’il faut jouir et vivre;
Que, malgré la langueur d’un corps triste et brûlant,
La nuit est généreuse et le jour succulent;
Que les larmes, les cris, la douleur, l’agonie
Ne peuvent pas ternir l’allégresse infinie!
Qu’un moment du désir, qu’un moment de l’été,
Contiennent la suave et chaude éternité.
O sol humide et noir d’ou jaillit la jacinthe!
Qu’importe si dans l’âpre et ténébreuse enceinte
Les morts sont étendus froids et silencieux.
O beauté des tombeaux sous la douceur des cieux!
Marbres posés ainsi que des bornes plaintives,
Rochers mystérieux des incertaines rives,
Horizontale porte accédant à la nuit,
O débris du vaisseau, épave qui reluit,
Comme vous célébrez la joie et l’abondance,
La force du plaisir, l’audace de la danse,
L’universelle arène aux lumineux gradins!…
Et quelquefois, parmi les funèbres jardins,
Je crois voir ses pieds nus appuyés sur les tombes,
Un Eros souriant qui nourrit des colombes…
Parution de l’Oeuvre poétique complète d’Anna de Noailles, aux Éditions du Sandre, 2013, édition présentée et annotée par Thanh-Vân-Ton-That.
08:09 Publié dans Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anna de noailles, jeffrey ripple, noir, bleu, jaune | Facebook | Imprimer | | |
31/08/2013
Midi, de José Maria de Heredia
©pierre gaudu 2013, tous droits réservés, ne pas diffuser sans son accord, http://pierre-gaudu.over-blog.com/
Pas un seul bruit d'insecte ou d'abeille en maraude,
Tout dort sous les grands bois accablés de soleil
Où le feuillage épais tamise un jour pareil
Au velours sombre et doux des mousses d’émeraude.
Criblant le dôme obscur, Midi splendide y rôde
Et, sur mes cils mi-clos alanguis de sommeil,
De mille éclairs furtifs forme un réseau vermeil
Qui s'allonge et se croise à travers l'ombre chaude.
Vers la gaze de feu que trament les rayons
Vole le frêle essaim des riches papillons
Qu'enivrent la lumière et le parfum des sèves ;
Alors mes doigts tremblants saisissent chaque fil,
Et dans les mailles d'or de ce filet subtil,
Chasseur harmonieux, j'emprisonne mes rêves.
Midi, « La Nature et le Rêve », Les Trophées (1893), Orphée La différence
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24/08/2013
Le soleil du matin doucement chauffe et dore, de Paul Verlaine
Claude Monet "Jeanne-Marguerite Lecadre au jardin", Huile sur toile 80 cm x 99 cm,1866-1867, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage
Le soleil du matin doucement chauffe et dore
Les seigles et les blés tout humides encore,
Et l'azur a gardé sa fraîcheur de la nuit.
L'on sort sans autre but que de sortir ; on suit,
Le long de la rivière aux vagues herbes jaunes,
Un chemin de gazon que bordent de vieux aunes.
L'air est vif. Par moment un oiseau vole avec
Quelque fruit de la haie ou quelque paille au bec,
Et son reflet dans l'eau survit à son passage.
C'est tout.
Mais le songeur aime ce paysage
Dont la claire douceur a soudain caressé
Son rêve de bonheur adorable, et bercé
Le souvenir charmant de cette jeune fille,
Blanche apparition qui chante et qui scintille,
Dont rêve le poète et que l'homme chérit,
Évoquant en ses vœux dont peut-être on sourit
La Compagne qu'enfin il a trouvée, et l'âme
Que son âme depuis toujours pleure et réclame.
Extrait de La bonne chanson
Fêtes galantes, la Bonne Chanson, précédées des Amies, éditions: Le livre de poche
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23/08/2013
L'inconnu sur la terre, (extrait), de Jean-Marie Gustave Le Clézio
Sam Francis 2012 Fondation Sam Francis, Californie / Artists Rights Society (ARS), NY
Lithographie de 1971, 88.9 x 200 cm, Fine Arts Museums of San Francisco, San Francisco, CA, USA
J'aime la plus belle des lumières, chaude, jaune, celle qui apparaît quelquefois l'après-midi sur le mur d'une chambre face au sud. C'est en elle que je voudrais habiter, pendant des jours, des mois, des années. Souple, tiède, vivante, douce, jaune comme la paille, jaune comme la flamme des allumettes, elle entre par la fenêtre ouverte sans que je sache d'où elle vient, de quels sables, de quels champs de maïs ou de blé mûr.
Elle entre, pareille à une chevelure de femme, elle se met à bouger entre les murs de la chambre, d'un mouvement continu qui emplit de bonheur, d'un seul long mouvement qui se déploie et rebondit sans cesse, la belle lumière chaude, la lumière d'été.
Je la sens venir, elle m'enveloppe comme l'air, mais sans rien qui trouble , elle regarde chaque parcelle de ma peau, elle me baigne et m'éclaire. Aucune lumière ne sait faire cela comme elle. Elle, elle est venue de tous les points de l'espace, poudre des soleils et des étoiles, parfum des astres. Lumière du tabac et des genêts, lumière du cuir, lumière de la bière, lumière des fleurs, lumière de la peau blonde et claire, elle supporte tout cela avec elle, comme une rivière qui coulerait sur elle-même. On n'entend pas son bruit.
L'inconnu sur la terre, extrait, Collection l'Imaginaire, Gallimard
06:25 Publié dans Jaune, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : l'inconnu sur la terre, (extrait), de jean-marie gustave le clézio, sam francis, jaune, lumière | Facebook | Imprimer | | |
26/07/2013
Les papillons, de Gérard de Nerval
De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
- Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
- Moi, la moisson blondissante,
Chevelure des sillons ;
- Moi, le rossignol qui chante ;
- Et moi, les beaux papillons !
Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !...
Quand revient l'été superbe,
Je m'en vais au bois tout seul :
Je m'étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul.
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d'eux à son tour,
Passe comme une pensée
De poésie ou d'amour !
Voici le papillon "faune",
Noir et jaune ;
Voici le "mars" azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D'un velours riche et moiré.
Voici le "vulcain" rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! le "soufré", dans l'espace,
Comme un éclair a relui...
Mais le joyeux "nacré" passe,
Et je ne vois plus que lui !
II
Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d'argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D'un or verdâtre et changeant.
Voici le "machaon-zèbre",
De fauve et de noir rayé ;
Le "deuil", en habit funèbre,
Et le "miroir" bleu strié ;
Voici l'"argus", feuille-morte,
Le "morio", le "grand-bleu",
Et le "paon-de-jour" qui porte
Sur chaque aile un oeil de feu !
Mais le soir brunit nos plaines ;
Les "phalènes"
Prennent leur essor bruyant,
Et les "sphinx" aux couleurs sombres,
Dans les ombres
Voltigent en tournoyant.
C'est le "grand-paon" à l'oeil rose
Dessiné sur un fond gris,
Qui ne vole qu'à nuit close,
Comme les chauves-souris ;
Le "bombice" du troëne,
Rayé de jaune et de vent,
Et le "papillon du chêne"
Qui ne meurt pas en hiver !...
Voici le "sphinx" à la tête
De squelette,
Peinte en blanc sur un fond noir,
Que le villageois redoute,
Sur sa route,
De voir voltiger le soir.
Je hais aussi les "phalènes",
Sombres hôtes de la nuit,
Qui voltigent dans nos plaines
De sept heures à minuit ;
Mais vous, papillons que j'aime,
Légers papillons de jour,
Tout en vous est un emblème
De poésie et d'amour !
III
Malheur, papillons que j'aime,
Doux emblème,
A vous pour votre beauté !...
Un doigt, de votre corsage,
Au passage,
Froisse, hélas ! le velouté !...
Une toute jeune fille
Au coeur tendre, au doux souris,
Perçant vos coeurs d'une aiguille,
Vous contemple, l'oeil surpris :
Et vos pattes sont coupées
Par l'ongle blanc qui les mord,
Et vos antennes crispées
Dans les douleurs de la mort !.
Extrait de Odelettes,
Sylvie suivi de Les chimères et Odelettes, Collection de poche, Librio
Pastel d'Odilon Redon, Collection privée 'le Sphinx rouge", 61 x 49.5 cm
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21/07/2013
L'herbe, d'Emily Dickinson
Que l'herbe a peu de chose à faire!
Simple, verte, et toute ronde :
Pour seul souci les papillons,
Et pour compagnie l'abeille.
Suivant au fil du jour les jolis airs
Apportés par les brises,
Tenant le soleil sur son sein,
Elle salue à la ronde.
Elle enfile la nuit des perles de rosée,
Revêt de tels atours
Qu'une duchesse, à côté d'elle,
Semblerait trop commune.
A sa mort même elle passe
Dans des odeurs divines
D'humbles épices assoupies
Ou de nard qui périt.
Puis elle règne sur les granges,
Rêvasse au long du jour.
Que l'herbe a peu de chose à faire :
Je voudrais être foin!
Extrait de Poèmes, Editions Belin
Tableau de Ernst Kreidolf (1863-1956).
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20/07/2013
56 poèmes (extrait), d'Emily Dickinson
Le Jaune ourlait le Ciel
Coupé dans la quintescence du Jaune
Jusqu'à ce que le Safran vire au Vermillon
Sans qu'on puisse en voir le glissement.
56 poèmes, suivi de Trois Lettres, Editions Le Nouveau Commerce
Tableau de Rothko
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13/07/2013
Toujours je me réveille, de Fernando Pessoa
Paul Gauguin- Levée du jour
Toujours je me réveille avant le point du jour,
et j'écris lourd de ce sommeil que j'ai perdu.
Puis dans cette torpeur où le froid gagne l'âme,
je guette l'aurore, tant de fois déjà vue.
Je la fixe sans attention, gris-vert
qui se bleuit du chant des coqs.
Quel mal à ne pas dormir ? Nous perdons
ce que la mort nous donne en avant-goût.
Ô printemps apaisé, aurore,
enseigne à ma torpeur où le froid gagne l'âme,
ce qui en mon âme livide la colore
de ce qui va se passer dans le jour.
Note : Je suis à la recherche des références de ce texte, relevé une nuit sans sommeil...)
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11/07/2013
La fatigue a des couleurs, de Jacques Ancet
Frederick Childe Hassam, Thunderstorm on the Oregon Trail,1908, watercolor on paper mounted on paperboard, Collection privée
La fatigue a des couleurs
comme les saisons. Elle a
ses douceurs et ses éclats,
ses silences. Mais surtout
ce qu’elle permet de voir :
d’une chose à son image,
imperceptible, une sorte
de distance sans distance.
L’incertitude du monde.
Comme un vacillement bref.
Entre corps et pensée, coédition Écrits des Forges / le Dé bleu (l’idée bleue), 2007 p 79
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10/07/2013
Une histoire à suivre, de Claude Roy
Vincent van Gogh – Pelouse Ensoleillée Place Lamartine 1888
Après tout ce blanc vient le vert
Le printemps vient après l'hiver.
Après le grand froid le soleil,
Après la neige vient le nid,
Après le noir vient le réveil,
L'histoire n'est jamais finie.
Après tout ce blanc vient le vert,
Le printemps vient après l'hiver,
Et après la pluie le beau temps.
Farandoles et fariboles, Gallimard Jeunesse
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