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09/12/2011

La vigne et la maison (Extrait), de Lamartine

       

la vigne et la maison,lamartine,corot

         Le mur est gris, la tuile est rousse,

        L’hiver a rongé le ciment;

        Des pierres disjointes la mousse

        Verdit l’humide fondement;

        Les gouttières, que rien n’essuie,

        Laissent, en rigoles de suie,

        S’égoutter le ciel pluvieux,

        Traçant sur la˙ vide demeure

        Ces noirs sillons par où l’on pleure,

        Que les veuves ont sous les yeux.

 

        La porte où file l’araignée,

        Qui n’entend plus le doux accueil,

        Reste immobile et dédaignée

        Et ne tourne plus sur son seuil;

        Les volets que le moineau souille,

        Détachés de leurs gonds de rouille,

        Battent nuit et jour le granit;

        Les vitraux brisés par les grêles

        Livrent aux vieilles hirondelles

        Un libre passage à leur nid.

 

        Leur gazouillement sur les dalles

        Couvertes de duvets flottants

        Est la seule voix de ces salles

        Pleines des silences du temps.

        De la solitaire demeure

        Une ombre lourde d’heure en heure

        Se détache sur le gazon:

        Et cette ombre, couchée et morte,

        Est la seule chose qui sorte

        Tout le jour de cette maison!


La vigne et la maison (1857)

Photo de Coline Termarsh, Photographe et écrivain que je remercie et dont on peut retrouver le travail sur son blog : http://colinetermash.canalblog.com 

 

 

08/12/2011

« Des mots comme du rouge qui respire », d'Angèle Paoli

 

14_matisse145.jpg


Que reste-t-il ce soir de tout ce vécu de mots qu’on a engrangé
Chacun pour soi ?

Un peu de poème « avec toute sa guenille de mots ».

« Des mots
comme du rouge qui respire ».


.Le rouge des bleus de Matisse      intérieurs et jardins
qui viennent à la rencontre
et le rouge du feu qui poudroie dans les mots.

.des mots comme du rouge qui respire
dans le vieux broc tout émaillé
comme posé là en attente d’un bouquet de cicindèles
ou même des flammes anacoluptères
que les mots grésillent
d’une bûche à l’autre
la respiration comme un souffle de vie à peine
retenu dans le silence gris du jour
et la promesse de la neige peut-être sous la vitre.

.et devant moi encore le rouge d’une étole
en jeté sur l’épaule et autour de la nuque aussi
comme un abandon de plis qu’on ne saurait dire.

.et celui plus carminé de la passion
d’un pendentif au lobe d’une oreille
que tellement ça bouge pour un rien
pour un mot qui passe tout au plus.

qui saura dire un jour quel fleuve
traverse le géant christophore
surgi à la croisée des rues dans le blanc de la roche rongée
et pourquoi au bou du bou du bou
le nom du village interrompu coupé
par qui pourquoi le sait-on ?
panneau sans fléchage et il faut inventer le chemin taillé
dans le gris lent de l’encoule
dans l’à-vif de la montagne blanche mêlé aux ocres chaudes
des pisés forteresses du Maroc.


.Sidi Slimane n’est jamais bien loin.


.le vieux campanile monte dans le peu de lumière derrière la vitre
au plus serré de la rencontre de ce jour


et le mot rouge un peu plus rouge pris dans les nappes et les tentures
et soudain dans celui plus doré du pain d’épices de Noël
qui effrite ses tranches sous les doigts
le rouge des couleurs mélange de bleu et d’oranger
la couleur rouge dans quel mot la retrouver
la rendre à sa rondeur première
à son origine dans la rouille
rouge pâle des tuiles sur les toits qui étirent
leur feuilleté dans la fraîcheur
et les murets décrépis
à quel temps abandonné depuis tant.


.le feu crépite rouge sang d’elfe chaude et d’éventail
que dis-tu en écrivant ces mots sinon le vide des images
qui ne parlent à personne
que lisent les regards sous les paupières closes
derrière la pluie des mots qui tombe en gouttes
de pétales rouges


quelque chose se vit comme un peu de souvenir
effacé que chacun garde au creux de sa propre chaleur
quelque chose se dit de l’intime
coule sa langue douce sous la langue autre
comme une odeur d’enfance à cueillir sous les mots
dans un jardin d’hier une langue d’avant
de Vendée ou d’ailleurs tendue aux quatre coins
d’une lessive fraîche.



crire comme une affaire de désir
comme une affaire de rencontre
un désir de poussière
et de paradis minuscule
quelque chose du rouge dans le grain de la voix.





Angèle Paoli   D.R

Merci à Angèle Paoli, qui anime un blog de poésie très riche,  Terres de Femmes

Tableau d'Henri Matisse. Statuette et pichet roses sur un coffre des tiroirs rouge. 1910. Huile sur la toile. L'Ermitage, Rue Petersburg, Russie.

06/12/2011

L'automne du solitaire, de GeorgTrakl

 Pour Tristan Hordé


Eaux

 

L’automne sombre s’installe plein de fruits et d’abondance,

Éclat jauni des beaux jours d’été.

Un bleu pur sort d’une enveloppe flétrie ;

Le vol des oiseaux résonne de vieilles légendes.

Le vin est pressé, la douce quiétude

Emplie par la réponse ténue à des sombres questions.

 

Et, ici et là, une croix sur la colline désolée ;

Un troupeau se perd dans la forêt rousse.

Le nuage émigre au-dessus du miroir de l’étang ;

Le geste posé du paysan se repose.

Très doucement l’aile bleue du soir touche

Un toit de paille sèche, la terre noire.

 

Bientôt des étoiles nichent dans les sourcils de l’homme las ;

Dans les chambres glacées s’installe un décret silencieux

Et des anges sortent sans bruit des yeux bleus

Des amants, dont la souffrance se fait plus douce.

Le roseau murmure ; assaut d’une peur osseuse

Quand la rosée goutte, noire, des saules dépouillés.

 

Georg Trakl, Œuvres complètes, traduites de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1972, p. 107.

 Photo de Chantal Tanet,  Tout droit réservé.


05/12/2011

Les secrets de la mer rouge (extrait), d'Henry de Monfreid

 

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A mesure que le ciel rosit, la couleur de la mer passe du noir au vert bouteille. Un gros soleil rouge apparaît hors de l'eau et monte à travers des bandes horizontales de nuages noirs. La mer prend une couleur inéfinissables, rouge, verdâtre et bleue, mais ça ne dure pas. Elle va avoir désormais sa robe de jour bleue mouchetée de blanc et le vent, un instant contenu pour la cérémonie du lever, repart avec de nouvelles forces.

 

Les secrets de la mer rouge.

 

Tableau de John Turner. Slavers throwing overboard the Dead and Dying - Typhon coming on ("The Slave Ship") 1840; Oil on canvas, 90.8 x 122.6 cm; Museum of Fine Arts, Boston 

 

26/11/2011

A propos de Miklos Bukor, d'Yves Bonnefoy

miklos bokor.jpg

 

Couleurs fertiles; de tous ces sels qui affleurent dans leur écume, en des irisations dont s'éclaire et se simplifie notre conscience du monde.

Couleurs? Non l'expérience du monde, du destin que la couleur a permise; et qu'elle accompagne très loin, de tout son fleurissement de chrysanthème ou d'ombelle, mais laisse à la fin se déployer seule.

Ce n'est pas la passion de la couleur, comme l'on dit, qui anime Miklos Bokor, c'est la passion qui se fait en lui couleur, ombres de couleur, afin de clarifier, de se musicaliser, de se délivrer de sa part d'angoisse, d'augmenter sa part de gaieté divine -- de se transmuter en sagesse.

Celui qui sait retrouver ses sentiments les plus tenus, les plus fugitifs, dans la couleur ou le grain des choses de la nature découvre vite que celle-ci nous propose, dans ses accords de tons, de matière, une solution aux conflits que ses sentiments déchainent dans l'isolement, dans l'esseulement, de l'esprit qui l'a oubliée. il comprend que l'apparence  sensible n'est nullement, par rapport à nous, une indifférence, mais la parole qui va sans mots et n'en est que plus véridique.

Peindre, comme le fait Bokor: passer le langage au tamis de l'eau qui bouge dans l'eau, du soleil qui se lève dans les arbres. ne demeurent des mots que ceux qu'il n'a plus besoin de prononcer, si transparente est leur évidence. 


Récits en rêve, Remarques sur la couleur, A propos de Miklos Bokor (extrait)  p162, 163, 165, 166, Mercure de France

Tableau de Miklos Bukor;

'

25/11/2011

Matisse parle, d'Aragon


Matisse,Aragon, noir, blanc

Je défais dans mes mains toutes les chevelures
Le jour a les couleurs que lui donnent mes mains
Tout ce qu´enfle un soupir dans ma chambre est voilure
Et le rève durable est mon regard demain

Toute fleur d´être nue est semblables aux captives
Qui font trembler les doigts par leur seule beauté
J´attends je vois je songe et le ciel qui dérive
Est simple devant moi comme une robe otée

J´explique sans les mots le pas qui fait la ronde
J´explique le pied nu qu´a le vent effacé
J´explique sans mystère un moment de ce monde
J´explique le soleil sur l´épaule pensée

J´explique un dessin noir à la fenêtre ouverte
J´explique les oiseaux les arbres les saisons
J´explique le bonheur muet des plantes vertes
J´explique le silence étrange des maisons
                                                                               
J´explique infiniment l´ombre et la transparence
J´explique le toucher des femmes leur éclat
J´explique un firmament d´objets par différence
J´explique le rapport des choses que voilà

J´explique le parfum des formes passagères
J´explique ce qui fait chanter le papier blanc
J´explique ce qui fait qu´une feuille est légère
Et les branches qui sont des bras un peu plus lents

Je rends à la lumière un tribut de justice
Immobile au milieu des malheurs de ce temps
Je peins l´espoir des yeux afin qu´Henri Matisse
Témoigne à l´avenir ce que l´homme en attend


Extrait du Crève Coeur, Gallimard, 1957

Figure décorative sur fond oriental

23/11/2011

Le bateau ivre, d'Arthur Rimbaud

poème;poésie,le bateau ivre,arthur rimbaud

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.


Rimbaud, 1871

Zemmyō se jette à la mer par le peintre japonais Enichibō Jōnin (XIIIe siècle). Kegonshū-soshi-eden (Vie de Gishō et Gengyō, moines de la secte Kegon en Corée), attribué à Enichibō Jōnin: Zemmyō se jette à la mer à la poursuite de Gishō (scène du troisième rouleau de la Légende de Gishō)- première moitié du XIIIe siècle - rouleau horizontal, couleurs sur papier - (H. 31,6cm). Au (Temple Kōzan-ji)-Kyōto.

15/11/2011

Feeling is first (senso è primo), de Nathalie Riera

nathalie riera.jpg

IV

 

l'éclair sur la toile nue et pour couleur la mémoire

 

nylon de brume

incises dans la transparence

ne rien savoir que mémoire sans couleur

que langage des rayures

 

 

Extrait de Feeling is first, (Senso è primo), Poèmes de Nathalie Riera, Illustrations de Marie Hercberg 
Collection "1 et 1" : un artiste et un écrivain

Pour se le procurer, contacter la 

Galerie Le Réalgar au 0687602234 ou à lerealgar@gmail.com

Prix: 4€
 

14/11/2011

Le ventre de Paris (extrait) d'Emile Zola

 

Snyers Pieter (1681-1752),.jpg

[...] Le jour se levait lentement, d’un gris très doux, lavant toutes choses d’une teinte claire d’aquarelle. Ces tas moutonnants comme des flots pressés, ce fleuve de verdure qui semblait couler dans l’encaissement de la chaussée, pareil à la débâcle des pluies d’automne, prenaient des ombres délicates et perlées, des violets attendris, des roses teintés de lait, des verts noyés dans des jaunes, toutes les pâleurs qui font du ciel une soie changeante au lever du soleil ; et, à mesure que l’incendie du matin montait en jets de flamme, au fond de la rue Rambuteau, les légumes s’éveillaient davantage, sortaient du grand bleuissement traînant à terre. Les salades, les laitues, les scaroles, les chicorées, ouvertes et grasses encore de terreau, montraient leurs cœurs éclatants ; les paquets d’épinards, les paquets d’oseilles, les bouquets d’artichauts, les entassements de haricots et de pois, les empilements de romaines, liées d’un brin de paille, chantaient toute la gamme du vert, de la laque verte des cosses au gros vert des feuilles ; gamme soutenue qui allaient en se mourant, jusqu’aux panachures des pieds de céleri et des bottes de poireaux. Mais les notes aiguës, ce qui chantait plus haut, c’étaient toujours les taches vives des carottes, les taches pures des navets, semées en quantité prodigieuse le long du marché, l’éclairant du bariolage de leurs deux couleurs. Au carrefour de la rue des Halles, les choux faisaient des montagnes ; les énormes choux blancs, serrés et durs comme des boulets de métal pâle ; les choux frisés, dont les grands feuilles ressemblaient à des vasques de bronze ; les choux rouges, que l’aube changeait en des floraisons superbes, lie de vin, avec des meurtrissures de carmin et de pourpre sombre. À l’autre bout, au carrefour de la pointe Saint-Eustache, l’ouverture de la rue Rambuteau était barrée par une barricade de potirons orangés, sur deux rangs, s’étalant, élargissant leurs ventres. Et le vernis mordoré d’un panier d’oignons, le rouge saignant d’un tas de tomates, l’effacement jaunâtre d’un lot de concombres, le violet sombre d’une grappe d’aubergines, çà et là, s’allumaient ; pendant que de gros radis noirs, rangés en nappes de deuil, laissaient encore quelques trous de ténèbres au milieu des joies vibrantes du réveil.

 

 

Le Ventre de Paris, chapitre 1, dans Les Rougon-Maquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire, I, Bibliothèque de la Pléiade, 1963, p. 626-627.

Tableau de Snyers Pieter (1681-1752)

Contribution de Tristan Hordé

 

11/11/2011

Matière de Bretagne, de Paul Celan

 

duquoc902.jpg


Lumière de genêt, jaune, les pentes
suppurent vers le ciel, l'épine
courtise la plaie, cela
sonne là-dedans, c'est le soir, le néant
roule ses mers à la prière,
la voile de sang fait route vers toi.

Sec, envasé,
le lit derrière toi, enjonque
son heure, en haut,
près de l'étoile, les ruisselets
laiteux babillent dans la boue, datte de pierre
en contrebas, buissonnante, bée dans le bleu,
un arbrisseau d'éphémère, superbe,
salue ta mémoire.

(Me connaissiez-vous,
mains ? J'allai
le chemin fourchu que vous marquiez, ma
bouche crachait ses galets, j'allai,
mon temps, surplomb neigeux en marche,
jetait son ombre – me connaissez-vous ?)

Mains, la plaie
courtisée par l'épine, cela sonne,
mains, le néant, ses mers,
mains, dans la lumière de genêt, la
voile de sang
fait route vers toi.


Poèmes, traduction par john E Jackson Editions José Corti

Jean Duquoc 73x92 cm. Acrylique .Lumière et Solitude.

08/11/2011

La terre est bleue, de Paul Eluard

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La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s’entendre
Les fous et les amours
Elle sa bouche d’alliance
Tous les secrets tous les sourires
Et quels vêtements d’indulgence
À la croire toute nue.

Les guêpes fleurissent vert
L’aube se passe autour du cou
Un collier de fenêtres
Des ailes couvrent les feuilles
Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté.
 


L'Amour la poésie, (1929)

La métamorphose de la femme,d'André Masson, lithographie de 76x52 cm

06/11/2011

Les planches courbes, (extraits) d'Yves Bonnefoy

 

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Une autre fois.
Il faisait nuit encore. De l’eau glissait
Silencieusement sur le sol noir,
Et je savais que je n’aurais pour tâche
Que de me souvenir, et je riais,
Je me penchais, je prenais dans la boue
Une brassée de branches et de feuilles,
J’en soulevais la masse, qui ruisselait
Dans mes bras resserrés contre mon cœur.
Que faire de ce bois où de tant d’absence
Montait pourtant le bruit de la couleur,
Peu importe, j’allais en hâte, à la recherche
D’au moins quelque hangar, sous cette charge
De branches qui avaient de toute part
Des angles, des élancements, des pointes, des cris.

Et des voix, qui jetaient des ombres sur la route,
Ou m’appelaient, et je me retournais,
Le cœur précipité sur la route vide.


Les planches courbes, Poésies Gallimard

Photo de Pierre Gaudu 

30/10/2011

Si je mourais là-bas..., de Guillaume Apollinaire

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Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
U obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleurs.

Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l'étoile qui passe
Les soleils merveilleux murissant dans l'espace
Comme font les fruits d'or autour de Baratier

Souvenir oublié vivant dans toute chose
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieilliras point toutes ces jolies choses
Rajeuniraient toujours pour leur destin galants

Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde
Un amour inouï descendrai sur le monde
L'amant serait plus fort dans ton corps écarté

Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
-Souviens-t'en aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie

Ô mon unique amour et ma grande folie

 

Poèmes à Lou . texte écrit en 1915

Gustav Klimt, Femme à demi nue assise, étude pour l'Epousée, 1917-1918

Merci à Jacques Fauquembergue pour cette suggestion de poème

23/10/2011

Jaune, de Dominique Sorrente

 

 

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Jaune aussi a bruissé de la page, sur carnet d’écriture, 

dans l’entrebâillement  où s’insinue la première lettre, 

à la fenêtre des insectes, le mot « journée » à peine

qui vient en gouttes de sueur d’été après l’amour.

 

Les tournesols auront cherché leur astre toute la nuit,

 

Mais c’est matin qu’un bout de phrase sort en rayon du miel,

puis s’étonne, puis s’échappe.

 

Volets ouverts, le monde en est à l’heure des enfants

 qui rient encore et encore, en trempant leurs brins d’herbe dans l’œuf.

 

 


Merci à Dominique Sorrente pour ce texte inédit. Vous pouvez retrouver Dominique Sorrente sur www.scriptorium-marseille.fr, blog de l'association qu'il anime.

Tableau de Juan Miro

Le sommeil, de Georg Trakl

 

friedrich_arbre.jpg

 Malédiction sur vous, sombres poisons, 
blanc sommeil !  
Ce jardin on ne peut plus bizarre 
d’arbres crépusculaires 
pénétrés de serpent, de phalènes, 
d’araignées, de chauve-souris. 
Étranger ! Ton ombre perdue 
au soleil couchant, 
corsaire lugubre 
dans la mer saline de l’affliction. 
À l’orée de la nuit s’envolent de blancs oiseaux 
sur de croulantes villes 
d’acier.  
 
 
Entre improvisations et compassions, traduction Lionel Richard, édition bilingue, BF Éditions, 2010,

Tableau de Caspard David Friedrich, L'arbre aux corbeaux

19/10/2011

Les fleurs, de Stéphane Mallarmé

 

Reinhold Callmander (1840-1922) - Le bain.jpg

 

Des avalanches d’or du vieil azur, au jour
Premier et de la neige éternelle des astres
Jadis tu détachas les grands calices pour
La terre jeune encore et vierge de désastres,

Le glaïeul fauve, avec les cygnes au col fin,
Et ce divin laurier des âmes exilées
Vermeil comme le pur orteil du séraphin
Que rougit la pudeur des aurores foulées,


L’hyacinthe, le myrte à l’adorable éclair
Et, pareille à la chair de la femme, la rose
Cruelle, Hérodiade en fleur du jardin clair,
Celle qu’un sang farouche et radieux arrose !

Et tu fis la blancheur sanglotante des lys
Qui roulant sur des mers de soupirs qu’elle effleure
À travers l’encens bleu des horizons pâlis
Monte rêveusement vers la lune qui pleure !

Hosannah sur le cistre et dans les encensoirs,
Notre dame, hosannah du jardin de nos limbes !
Et finisse l’écho par les célestes soirs,
Extase des regards, scintillement des nimbes !

Ô Mère, qui créas en ton sein juste et fort,
Calices balançant la future fiole,
De grandes fleurs avec la balsamique Mort
Pour le poëte las que la vie étiole.



Poésies de Mallarmé,

Tableau de Reinhold Callmender (1840,1922) "Le bain"


 

18/10/2011

Le dormeur du val, d'Arthur Rimbaud

poème;poésie,le dormeur du val,arthur rimbaud
C'est un trou de verdure où chante une rivière,

Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.



Premier poème du second Cahier de Douai (le recueil Demeny). Ecrit en  octobre 1870 

Tableau de Gustave Courbet, L'homme blessé, 1844-54

huile sur toile, 81 x 97 cm
  

13/10/2011

Strophes en méditation (extrait), de Gertrude Stein

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il peut y avoir du rose avec du blanc ou du blanc avec une

    rose

ou bien il peut y avoir du blanc avec une rose et du rose avec 

    du mauve

ou bien même il peut y avoir du blanc avec du jaune et du jaune et du

    jaune avec du bleu

ou même si même il y a une rose avec du blanc et du bleu 

  et ainsi il n'y a de jaune là que par accident

 

 

Cinquième partie strophe treize, traduction de Jacques Roubaud, Vingt poètes américains, , édition bilingue, Gallimard

Création/photo de Claude Rutault

11/10/2011

Paysage parlé (Extrait ) de Valère Novarina


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L’artiste ne crée rien du tout : il écoute, assemble, détourne, retrouve, montre ce qui est. C’est un réaliste profond toujours et un observateur tactile du réel par-dedans. Qu’est-ce qu’il fait ? Rien ; il ne crée rien : il dévoile ce qui est là ; il rappelle et désoublie. » 

 

 Paysage parlé, Valère Novarina, Olivier Dubouclez, éditions de La Transparence, collection Esthétique, mars 2011.

 

« Aucun artiste ne crée : il désigne le réel. Bach déploie en fugue et en fuite devant nos yeux la multiplicité du temps ; Oum Kalsoum libère en louanges et en volutes accidentées la voix humaine isolée solitaire-jamais-seule ; Beethoven nous mène profond dans le rythme jusqu’à toucher au croisement du silence et de l’espace ; Marcel Proust développe sur quatre mille pages cette phrase du Baal Chem Tov : « Dans le souvenir est le secret de la rédemption » ; Joyce sème le langage dans l’espace et rend mille fois visibles son éclosion et sa floraison toujours en quatre sens ; Jean Dubuffet peint et célèbre les choses en bas, les choses au sol, humbles, jamais regardées, dans la marge : artiste franciscain, nu, il dit qu’il est « le seul à peindre comme tout le monde ».

 

Extrait de  L’Envers de l’esprit, 

Tableau de Mattijn Fransen 

09/10/2011

La réponse, de Carl August Sandburg

 

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Tu as donné la réponse. 
Un enfant cherche loin parfois 
Dans la poussière rouge 
                    Sur une feuille rose foncée 
Et donc tu es parti loin 
                    Car la réponse est: 
                              Le silence. 
 
     Dans la république 
Des étoiles clignotantes et des cataclysmes taris 
Sûr que nous y sommes la réponse est là-bas 
          cachée et repliée, 
Endormie sous le soleil, se fichant pas mal que 
          l’on soit dimanche ou un autre jour 
          de la semaine, 
 
Sachant que le silence apportera tout d’une façon 
          ou d’une autre. . 
 
N’avons-nous pas vu 
Le pourpre de la pensée 
               sortir du paillis 
               et de l’humus 
               ramper 
               sous un crépuscule 
               de velours ? 
               tache de jaune? 
Nous pensions presque qu’elle venait de nulle part c’était 
          le silence, 
               le futur, 
               à l’oeuvre.
 
 

 
Chicago Poems Le Temps des cerises publient, traduction et présentation de Thierry Gillyboeuf (édition bilingue), Le Temps des cerises, 2001 


Tableau de Franz Kline (1910-1962) ,