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26/05/2012

Les Poésies, de Georges Schehadé


Quand tremblera l'automne sur la montagne
Mets à ton cou l'oeil des cygnes
Les beautés sont dans le vent et l'heure est noire
Je t'aime on me l'a dit.


Les Poésies XIV (Poésie/Gallimard)

Tableau de Laurence-Amelie Schneider dont vous pouvez retrouver le travail sur http://laurence-amelie.com

 

25/05/2012

Mobile de camions couleurs (extrait), de James Sacré

        

Blanc à bas orange, caisse blanche - rouge à

longue ligne rouge dans le bas de la caisse. Le mot

"Central", à l'avant en haut - bleu et blanc à charge-

gement à claire-voie, grande masse grise -

"National Carries" en bleu sur la caisse blanche

j'oublie quelle couleur emporte le tout - noir et

caisse blanche la cabine motrice en escalier ramassé

collé à la caisse -

 

       Toute une gamme de couleurs fortes som-

bres : dans les bleus, verts, violets, des rouges, des

marrons riches, les noirs ;

        Toute une gamme de couleurs claires, bleu

beige, jaune et tant de blanc, ocre, violet clair;

         D'autres : bistre, ocre beige, gris métalliques

gris- blanc

         Un bleu-vert avec caisse orange

         Petit nez bleu pétrole suivi d'une volumi-

neuse élévation de tôle même couleur et la caisse

blanche

 

Extrait de : Mobile de camions couleurs, p 49 , photographies de Michel Butor, éditons Virgile, 2010.

Eric Tabuchi, Alphabet Truck., Paris, 2008, 26 cartes sous étui, 15,5 x 19,2 cm.

Avril, de Gérard de Nerval

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Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d'azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ;
- Et rien de vert : - à peine encore

Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !
Ce beau temps me pèse et m'ennuie.
- Ce n'est qu'après des jours de pluie

Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l'eau.

 

 

Extrait du recueil "Odelettes"

Tableau d'Emmanuelle Bollack à retrouver sur son site http://bollack.carbonmade.com/about

22/05/2012

Pourquoi je vis, de Boris Vian

   
 

Pourquoi que je vis
Pourquoi que je vis
Pour la jambe jaune
D'une femme blonde
Appuyée au mur
Sous le plein soleil
Pour la voile ronde
D'un pointu du port
Pour l'ombre des stores
Le café glacé
Qu'on boit dans un tube
Pour toucher le sable
Voir le fond de l'eau
Qui devient si bleu
Qui descend si bas
Avec les poissons
Les calmes poissons
Ils paissent le fond
Volent au-dessus
Des algues cheveux
Comme zoizeaux lents
Comme zoizeaux bleus
Pourquoi que je vis
Parce que c'est joli

Extrait du recueil "Je ne voudrais pas crever" Editions des Allusifs

Summer Evening - Edward Hopper. 1947, Collection privée

16/05/2012

Il n'y a que la voix qui reste, de Forough Farrokhzâd

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Pourquoi m'arrêterai-je, pourquoi ?

Les oiseaux sont partis en quête d'un chemin bleu

L'horizon est vertical

L'horizon est vertical et le mouvement : jaillissant

et dans les tréfonds du regard

Les planètes lumineuses tournoient

La terre dans les hauteurs se répète

Et les puits emplis d'air

Se transforment en galeries de liaison

Et le jour est une étendue

Que ne saurait contenir le rêve étroit

Du vermisseau qui ronge le journal

 

Pourquoi m'arrêterai-je ?

Le chemin passe à travers les vaisseaux de la vie

L'atmosphère de la matrice lunaire

Tuera les humeurs

Et dans l'espace chimique après le lever du soleil

Il n'y aura que la voix

Infiltrée par les particules du temps

Pourquoi m'arrêterai-je ?

[...]

 

Forough Farrokhzâd (1933-1968), traduction Sara Saïdi Boroujeni, dans Europe, "Littérature d'Iran", n° 997, mai 2012, p. 286."le poids de l'absence""

                             acrylique 30x40 de Pierre Gaudu, 1 juin 2010, (collection particulière Paris)

                             http://www.artnova-connect.com/
                             http://pierre-gaudu.over-blog.com/

                             http://gauduphoto.blogspot.fr/


12/05/2012

Le coeur marin, de Raymond Queneau

 

Regrets perdus dans la marée

crêtes abîmées par le vent

ceux-là sans cesse ramenés

et celles-ci disparaissant

nul effluve nulle rosée

ne vient calmer le palpitant

la vague verte abandonnée

s'abat perpétuellement

tandis que chaque jour rapporte

tous ces regrets devant la porte

 

Raymond Queneau, Fendre les flots, Gallimard,

1968, p. 61.

Carton enduit de 15x15 d'Elisabeth Coulognier à retrouver sur http://l-ivredematieresetdecouleurs.blogspot.fr/p/petits-...

08/05/2012

Le plaisir, de Paul Louis Rossi

 

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(donnez-nous des plaisirs aigus
                croisés comme des fers d'épées)
 
Il l'embrasse il la vénère
Elle a des cheveux roux et fous
Ils semblent dire une prière
L'un pour l'autre et contre tous
 
(ah ! donnez-nous des plaisirs aigus
                l'odeur des œillet sauvages)
 
Elle sourit au fond de la salle
Une légère moue sur les lèvres
Un col blanc comme une voile
Tendue sur la mer tranquille
 
(des aiguilles de pins
            criblées des feux de l'été)
 
Elle penche la tête pour cacher
Le trouble de son regard
Son désir et sa chasteté
Pareils au vin à l'eau mêlés
 
(violet couleur de la mer
            violet couleur de la mort)
 
Pris d'une passion ingénue
Il s'agite devant ses yeux
Les prestiges de sa bouche
Rêvant son image nue
 
(comme une bête furieuse
            un taureau ivre de rouge)
 
L'orage gronde sur la côte
Ils sentent venir le désir
De mesurer côte à côte
Le vertige du plaisir
 
(un paysage endormi
            lassé de couleurs et de cris)
 
Ils reposent ensommeillés
Sur le sable d'une plage
Abandonnés contre les épaves
Seuls et las de s'être enlacés
 
 
 
 
 
Quand Anna Murmurait, Anthologie des poésies, 1953-1999, pages 178, 179
Dessin d'Egon Shiele
        

06/05/2012

Spleen, de Charles Baudelaire

 

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle 
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, 
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle 
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.


Les Fleurs du Mal, 1857

Pentti Sammallahti, Koriyama City, Fukushima, Japan, 2005

29/04/2012

La repasseuse, de Pierre Reverdy


 

Autrefois ses mains faisaient des taches roses sur le linge éclatant qu'elle repassait. Mais dans la boutique où le poêle est trop rouge son sang s'est peu à peu évaporé. Elle devient de plus en plus blanche et dans la vapeur qui monte on la distingue à peine au milieu des vagues luisantes de dentelles.

   Ses cheveux blonds forment dans l'air des boucles de rayons et le fer continue sa route en soulevant du linge des nuages — et autour de la table son âme qui résiste encore, son âme de repasseuse court et pie le linge en fredonnant une chanson — sans que personne y prenne garde.

 

Pierre Reverdy, Poèmes en prose (1915), dans Les Épaves du ciel, Gallimard, 1924, p. 22.

La repasseuse, de Picasso (1904) . Huile sur toile.  Musée Guggenheim, à New York

Contribution de Tristan Hordé

28/04/2012

Beau papillon près du sol, Rainer Maria RILKE (1875-1926)

 

 

 

Beau papillon près du sol,
à l'attentive nature
montrant les enluminures
de son livre de vol.

Un autre se ferme au bord
de la fleur qu'on respire - :
ce n'est pas le moment de lire.
Et tant d'autres encor,

de menus bleus, s'éparpillent,
flottants et voletants,
comme de bleues brindilles
d'une lettre d'amour au vent,

d'une lettre déchirée
qu'on était en train de faire
pendant que la destinataire
hésitait à l'entrée.


Extrait du recueil Les quatrains Valaisins

Tableau d'Odilon Redon, Papillons, huile, 1910

17/04/2012

L'amoureuse, de Paul Eluard

 




Elle est debout sur mes paupières

Et ses cheveux sont dans les miens,

Elle a la forme de mes mains,

Elle a la couleur de mes yeux,

Elle s'engloutit dans mon ombre

Comme une pierre sur le ciel.

 

Elle a toujours les yeux ouverts

Et ne me laisse pas dormir.

Ses rêves en pleine lumière

Font s'évaporer les soleils,

Me font rire, pleurer et rire,

Parler sans avoir rien à dire.



Mourir de ne pas mourir, dans Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 140

Tableau de Catrin Welz-Stein http://www.redbubble.com/people/catrinarno/portfolio/art


09/04/2012

Swiftizzall, de Fabienne Raphoz

 

 

 

Comment remplir le ciel ?

 

                                                    ne jamais se poser

 

le bleu fantôme les écrit partout

mains noires des shamans aiguilleurs


À quelques pics blancs près

serait l'esprit de l'air sillonné

sillon d'ailleurs dirait tous les traits

                                                       fuiterait l'air

               aéronaute


le creuserait


si le regard filtrait

ce bleu

ce bleu-là tourneboulé


de leurs cieux



Fabienne Raphoz, Jeux d'oiseaux dans un ciel vide augures,

Genève, éditions Héros-Limite, 2011, p. 40.


                Tableau de Ross Bleckner, BIRDLAND, 2000, OIL ON LINEN, 96" X 96",         http://www.rbleckner.com

07/04/2012

Viens, je te mettrai..., de Francis Jammes


Viens, je te mettrai des boucles d’oreilles
de cerises
et je te montrerai les longues treilles
où volent des merles bleus et des grives.
Viens, c’est la saison des grandes chaleurs
et des fleurs.
Sur les fossés poudreux les carottes blanches
poussent : il y a encor deux ou trois pervenches.
Dans le fond des bois frais les oiseaux crient.
Le ciel cuit.
Dans les mares il y a des joncs longs,
et les grenouilles grises font des bonds.
Dans les endroits chauds et frais, vois les sources
qui sont douces.
Dans le terrain rouge, ou bien sur la mousse,
elles coulent près des abeilles rousses.



Recueil : "De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir"

Estampe d'Hokusai

31/03/2012

La maison serait pleine de roses…, de Francis Jammes

 

 

<p><strong>Panneau rouge</strong>, 1905<br />
huile et détrempe sur toile, 159,5 x 113,5 cm<br />
collection particulière © François Doury</p>

La maison serait pleine de roses et de guêpes.
On y entendrait, l’après-midi, sonner les vêpres ;
et les raisins couleurs de pierre transparente
sembleraient dormir au soleil sous l’ombre lente.
Comme je t’y aimerais ! Je te donne tout mon cœur
qui a vingt-quatre ans, et mon esprit moqueur,
mon orgueil et ma poésie de roses blanches ;
et pourtant je ne te connais pas, tu n’existes pas.
Je sais seulement que, si tu étais vivante,
et si tu étais comme moi au fond de la prairie,
nous nous baiserions en riant sous les abeilles blondes,
près du ruisseau frais, sous les feuilles profondes.
On n’entendrait que la chaleur du soleil.
Tu aurais l’ombre des noisetiers sur ton oreille,
puis nous mêlerions nos bouches, cessant de rire,
pour dire notre amour que l’on ne peut pas dire ;
et je trouverais, sur le rouge de tes lèvres,
le goût des raisins blonds, des roses rouges et des guêpes.


Recueil : "De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir"

Tableau d'Odilon Redon, Panneau rouge, 1905, huile et détrempe sur toile, 159,5 x 113,5 cm, collection particulière © François Doury

Une lampe dans la lumière aride, d'André du Bouchet

 

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Je me suis assis sur un rocher habituellement écrasé par le jour. Rocher trempé d’aurore. Maculé de ces taches de bleu vif orange qui éclaboussaient l’horizon. Lichen encore visible le jour, comme ces végétations marines, adhérant aux roches qui attendent l’heure de la marée pour s’épanouir. Un champ de nuages collait aux mêmes rochers, de disques noirs et blancs enchevêtrés, durement échoués comme ces tas de nuages pavés, durement tassés, écrasés les uns contre les autres, très bas. Le plafond bas du ciel. L ‘écorce du ciel qui se fendille. Le rocher brillait extraordinairement. Comme un bloc de ciel. Criblé de lichen orange. Dans le village, au départ. Pierraille.

Pan de pierres écroulées. Mur dur sourd aveugle au-dessus du bol de feu, muet, de la grande tasse d’eau de l’aube.

Le soc rougi qui laboure la terre.


 

 

Une lampe dans la lumière aride, Le Bruit du temps, 2011, p. 91.

Huile d'Emmanuelle Bollack 120 x 60 cm, 2011 http://bollack.carbonmade.com/

 

 

23/03/2012

De la couleur (extrait), de Charles Baudelaire



"L’harmonie est la base de la théorie de la couleur.

La mélodie est l’unité dans la couleur, ou la couleur générale.

La mélodie veut une conclusion ; c’est un ensemble où tous les effets concourent à un effet général.

Ainsi la mélodie laisse dans l’esprit un souvenir profond.

La plupart de nos jeunes coloristes manquent de mélodie.

La bonne manière de savoir si un tableau est mélodieux est de le regarder d’assez loin pour n’en comprendre ni le sujet si les lignes. S’il est mélodieux, il a déjà un sens, et il a déjà pris sa place dans le répertoire des souvenirs.

Le style et le sentiment dans la couleur viennent du choix, et le choix vient du tempérament.

Il y a des tons gais et folâtres, folâtres et tristes, riches et gais, riches et tristes, de communs et d’originaux."

....

"Les coloristes dessinent comme la nature ; leurs figures sont naturellement délimitées par la lutte harmonieuse des masses colorées.

Les purs dessinateurs sont des philosophes et des abstracteurs de quintessence.

Les coloristes sont des poëtes épiques."

 

Œuvres complètes de Charles Baudelaire, Michel Lévy frères, 1868 (II. Curiosités esthétiques,Salon    de 1846)

Tableau de Vassily Kandinsky

18/03/2012

L'affiche rouge, d'Aragon



Vous n'aviez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants.
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents

Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement 
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses,
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui va demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient La France en s'abattant 


Louis Aragon, Le Roman Inachevé, Gallimard, 1955
Musique de Léo Ferré, 1959

Plus d'information sur cette affiche de propagande allemande: http://www.culture.lyon.fr/static/culture/contenu/pdf/mus...

14/03/2012

Roman, d'Arthur Rimbaud


On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
− Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, 
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
− On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin ! 
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits, − la ville n’est pas loin, 
A des parfums de vigne et des parfums de bière... 

− Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon 
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond 
Avec de doux frissons, petite et toute blanche... 

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête... 
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser 
Qui palpite là, comme une petite bête... 

Le cœur fou Robinsonne à travers les romans,
− Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère, 
Passe une demoiselle aux petits airs charmants, 
Sous l’ombre du faux-col effrayant de son père... 

Et, comme elle vous trouve immensément naïf, 
Tout en faisant trotter ses petites bottines, 
Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif... 
− Sur vos lèvres alors meurent les cavatines... 

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’à mois d’août. 
Vous êtes amoureux. − Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût. 
− Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire... !

− Ce soir-là,... − vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade... 
− On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.


Poème de 1870.

Tableau de Van Gogh, Arles, Terrases de café, la nuit, 1888


10/03/2012

La lettre à Louis, de Jean-Michel Maulpoix

A mon fils Louis, né le 14 juillet 2006

Le jour et la nuit ont changé d’horloge. Le temps de ma vie bat dans le tien.
Ta vie à petits bruits. Tes soucis de lait. Ton front qui se plisse. Tes façons comiques de Bouddha sévère. Ton savoir, ta sagesse immense. Et cette moue sans appel qui se moque des affaires publiques.
Ta tête de porcelaine, si petite et si lourde au creux de mon bras gauche. Tes yeux encore emplis de nuit. Qui cherchent et qui s’étonnent. 
A l’affût d’un cri, je tiens ton sommeil contre moi. J’aime ce pouvoir dont je dispose de calmer tes pleurs.
Ton poing de colère parfois serré si blanc. Tes matchs de boxe, tes trépignements. 
Le chant du biberon. Tes tétées goulues. Ton bonheur de bulles et de gloussements. Tes gazouillis et tes crottes d’or. Ton odeur de bébé tout neuf. Tes sourires aux anges et tes petits pets.
Voici le monde et le jardin : des couleurs, des fruits et des fleurs !
Nous avons commencé notre conversation future : tous les mots sont pour toi. 

Poème de Jean-Michel Maulpoix, lu dans le cadre du Printemps des poètes, que je dédie aussi à mon fils Julien, 21 ans

 Journal d'un enfant sage (Mercure de France, 2010)

Photo de Julien, encore dans l'enfance.

08/03/2012

La solitude est verte, de Louise de Vilmorin

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Chasseresse ou dévote ou porteuse de dons
La solitude est verte en des landes hantées
Comme chansons du vent aux provinces chantées
Comme le souvenir lié à l’abandon.

La solitude est verte.

Verte comme verveine au parfum jardinier
Comme mousse crépue au bord de la fontaine
Et comme le poisson messager des sirènes,
Verte comme la science au front de l’écolier.

La solitude est verte.

Verte comme la pomme en sa simplicité,
Comme la grenouille, cœur glacé des vacances,
Verte comme tes yeux de désobéissance,
Verte comme l’exil où l’amour m’a jeté.

La solitude est verte.

 


Le Sable du sablier, 1945

Maurice Denis,  Les arbres verts, 1893, musée d’Orsay