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08/01/2011

La cousine, de Gérard de Nerval

L'hiver a ses plaisirs; et souvent, le dimanche,
Quand un peu de soleil jaunit la terre blanche,
Avec une cousine on sort se promener...
- Et ne vous faites pas attendre pour dîner,

Dit la mère.Et quand on a bien, aux Tuileries,
Vu sous les arbres noirs les toilettes fleuries,
La jeune fille a froid... et vous fait observer
Que le brouillard du soir commence à se lever.

Et l'on revient, parlant du beau jour qu'on regrette,
Qui s'est passé si vite... et de flamme discrète :
Et l'on sent en rentrant, avec grand appétit,
Du bas de l'escalier, - le dindon qui rôtit.

07/01/2011

C'est le printemps, de Léo Ferré

Y a la nature qu'est tout en sueur
Dans les hectares y a du bonheur

C'est l'printemps

Y a des lilas qu'ont même plus l'temps
De s'faire tout mauves ou bien tout blancs

C'est l'printemps

Y a du blé qui s'fait du mouron
Les oiseaux eux ils disent pas non

C'est l'printemps

y a nos chagrins qu'ont des couleurs
Y a même du printemps chez l'malheur

Y a la mer qui s'prend pour Monet
Ou pour Gauguin ou pour Manet

C'est l'printemps

Y a des nuages qui n'ont plus d'quoi
On dirait d'la barbe à papa

C'est l'printemps

Y a l'vent du nord qu'a pris l'accent
Avec Mistral il passe son temps

C'est l'printemps

Y a la pluie qu'est passée chez Dior
Pour s'payer l'modèle Soleil d'Or

Y a la route qui s'fait nationale
Et des fourmis qui s'font la malle

C'est l'printemps

Y a d'la luzerne au fond des lits
Et puis l'faucheur qui lui sourit

C'est l'printemps

Y a des souris qui s'font les dents
Sur les matous par conséquent

C'est l'printemps

Y a des voix d'or dans un seul cri
C'est la Sixtine qui sort la nuit

Y a la nature qui s'tape un bol
A la santé du rossignol

C'est l'printemps

Y a l'beaujolais qui la ramène
Et Mimi qui s'prend pour Carmen

C'est l'printemps

Y a l'île Saint-Louis qui rentre en Seine
Et puis Paris qui s'y promène

C'est l'printemps

Y a l'été qui s'pointe dans la rue
Et des ballots qui n'ont pas vu

Qu'c'était l'printemps

 

06/01/2011

Poésie V, de Goerges Schéhadé

Si Jamais tu reviens en terre natale
A pas lents comme un cheval dont le soir accroît la fatigue
Oh va dans ce jardin
Retrouver la rose méconnaissable
Le chrysanthème à la crinière de lion
- D'immenses araignées volent avec des papillons
Comme dans les fièvres de l'enfance
Souris ou pleure mais ne crains rien
C'est l'ombre qui remue avant d'être nuit claire"

 Poésies V, Gallimard (1972), Estampe  d'Hokusai

04/01/2011

L'or et la cendre (extraits), de Jean-Damien Roumieu

     

Je m’emplis, et aussitôt m’anéantis. Clef du poème à ma portée. En alerte, les filiations de l’impossible, arbres dressés, une force tôt rassemblée pour affronter les forfaitures.

     Privilège, le peu instruit, le peu nourrit. Je ne désire qu’une neige douce sur l’épaule, un feu conjoint, une flûte dans la vallée, une allégresse à pas humains.

     Don, premier pas sur une terre de vivants. Va de l’avant sans t’essouffler. Le sang d’aurore s’infusera dans le ressac de ta poitrine, dans l’oubli de tes essaims.

     Dire le bleu de ce nuage. La nuit s’apprête, en un instant, à l’engloutir. Dire le murmure à peine audible de ce train que l’on devine empli de vie dans le lointain.

     Roses d'hiver, amies de l'ombre, étincelantes, êtes parcelles de ma peau. Allégeance au front du monde sous le vent. Je puis combattre l'insolence, expier l'irréparable de vos nuits.

     Impassible visage à tous les vents des continents. Bouclier du simple dans la foule. Écho solaire dans les chambres. La nuit qui vient n'altérera le fleuve lent.

     Sillage de femme, une cicatrice de lumière, un fil tendu vers l'au-devant. L'exultation et la gésine du silence effleurent mon tourment.

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Jean-Damien Roumieu, L’Or et la Cendre, Éditions Jacques Brémond, 2008, pp. 30, 32. Encres de Marcel Robelin

 Tableau de Tapiès.

02/01/2011

Quand je pense à ma propre mort, de Charles Bukowski

je pense à des voitures garées dans
un parking
 
quand je pense à ma propre mort
je pense à des poêles à frire
 
quand je pense à ma propre mort
je pense à quelqu'un te faisant l'amour
en mon absence
 
quand je pense à ma propre mort
j'ai de la peine à respirer
 
quand je pense à ma propre mort
je pense à tous les autres qui attendent la leur
 
quand je pense à ma propre mort
je pense que je ne pourrai plus
jamais boire de l'eau
 
quand je pense à ma propre mort
l'air devient tout blanc
 
et les cafards dans la cuisine
se mettent à trembler
et quelqu'un devra jeter
mes sous-vêtements propres ou sales
à la poubelle.

 

Sous la déferlante des voeux, de Dominique Sorrente

wassily kandinsky ciel bleu.jpgSous la déferlante des vœux,

je vous souhaite

 

 

la liesse de la bulle,

la grandeur d’âme de la goutte d’eau,

les honneurs rendus à la flamme

pour l’ensemble de son œuvre,

 

le beau geste et l’instant décisif

d’une page de vent à l’écriture sympathique,

 

je vous souhaite aussi

des histoires fabuleuses de limaces

qui laisseront des traces après l’oubli,

un oiseau de toutes couleurs à ne plus avoir peur du noir,

des adieux

en forme d’antichambres de vie,

 

je vous souhaite de rencontrer

le souffle épique du papillon, la bonhomie cajolante du gouffre,

 

je vous souhaite des rires d’enfants si purs

que les ennemis ne pourront les atteindre,

une mélodie de pierres à feu

à offrir au chant fatigué de la terre,

 

je vous souhaite d’heureux midis

à loger la part nécessaire de l’ombre,

 

je vous souhaite des tournesols cherchant leur astre, toute la nuit,

et encore des danses qui virevoltent sous terre

à la bonne fortune du pot,

et des pensées d’amour qui auront si bon dos

qu’il leur poussera des ailes,

 

je vous souhaite de tendre l’arc en ciel

en plein milieu de la saison des pluies,

 

mais par dessus tout, je vous souhaite

de faire de votre rêve

le vrai héros irréprochable

qui vous tiendra compagnie, jours fériés

et même jours ouvrables.

 

Texte à retrouver sur le site qu'anime Dominique Sorrente http://www.scriptorium-marseille.fr/

Tableau de Wassily Kandinsky

29/12/2010

Pinceau lumineux, de Jacques Roubaud

Dans la couleur inatteignable

Dans l'attente     inatteignable    de la couleur

De la ligne qui fraye    le visage 

Dans le gel    blanc    le gel noir

L'attente d'argent    de l'oeil de sels d'argent

Platine    sépias

Le battement des mouettes du blanc et du noir

La ligne    fumant de la lumière     terreur   écrite à

la lumière    s'arrête     exacte     là

Où tu deviens noire  

 

Quelque chose noir,  Jacques Roubaud, Poésie Gallimard, p 96

Pierre Soulages, 1985

 

 

 

PierreSoulagesPolyptyqueC1985.png

19/12/2010

Chanson pour les enfants, l'hiver de Jacques Prévert

HiroshigeHorizKanbara.jpg

 

Dans la nuit de l’hiver

galope un grand homme blanc

C’est un bonhomme de neige,

avec une pipe en bois

Un grand bonhomme de neige

poursuivi pas le froid

Il arrive au village,

le voilà rassuré

Dans une petite maison

il entre sans frapper

Et pour se réchauffer

s’assoit sur le poêle rouge

Et d’un coup , il disparaît

Ne laissant que sa pipe

au milieu d’une flaque d’eau

Ne laissant que sa pipe

et puis son vieux chapeau

16/12/2010

Le Christ voilé (extrait), de Patrice de la Tour du Pin

C'est un jardin secret et tranquille où s'amassent
Les iris blancs et les hautes touffes d'asters
Et les tapis serrés de campanules basses.

Aucun vent n'y pénètre du ciel grand ouvert ;
Les voix mêmes des oiseaux passants se sont tues
Qui volent vite et très haut dans le ciel clair.

Ombrée, et finement travaillée, et vêtue
De la seule caresse amoureuse des fleurs,
Une femme, de la chair froide des statues.

Et le maître ancien qui fut son ciseleur,
A l'étrange figure ajouta son mystère,
Le signe de l'ellipse inscrit dans sa pâleur.

Un mur de pierre enclôt cette Eve solitaire
Qui ne tend pas l'oreille aux rumeurs d'au-delà,
Mais à celles, sourdes et profondes, de la terre.

Ce serait la plus haute des fleurs, si son bras
Le long d'un corps gonflé de sève végétale,
Sur son ventre de nacre ne descendait pas ;

Si ses deux seins n'étaient striés de veines pâles,
S'ils ne se gonflaient pas soudain de volupté,
Caressés seulement en rêve par un mâle.

C'est un jardin secret, cerclé d'un mur, hanté
Comme un damier, d'oiseaux noirs et blancs qui reposent :
On leur a coupé les ailes par cruauté.

Dehors le ciel est tout enluminé de rose,
Sur les collines, des nuages clairsemés,
Et "Quête de joie" est inscrit sur toutes choses :

L'archange noir, veillant sur ce jardin fermé.

13/12/2010

Le lendemain du jour, d'Ariane Dreyfus

Comme une femme se glisse sous un homme
Je lis votre écriture

 Ou alors c’est moi qui écris couchée
La page blanche fait cette lumière où j’oublie de me voir
Toujours commencée
Il y a un côté où l’encre n’est pas sèche
qui mène jusqu’à vous

Quand vous me lisez vous le dites
Ou jamais
Je prends toutes les étoffes selon la chaleur
Les morceaux de vie selon
Ma bien future mort

 Je n’étais pas penchée sur le vide
Une femme sur un homme

Qui écrit n’est pas longtemps une jeune fille
Plutôt souvent

Il faut des mots pour se glisser entre eux
Y voir
Aucun n’est vrai tout seul
Heureusement le tumulte ne refuse pas la main

 Tant de poèmes que je suis cachée dans toute la forêt ?
C’est vous qui choisissez

 L’écorce que vous dites que j’ai touchée.

 Les Compagnies silencieuses, Flammarion, 2001, p. 27.

09/12/2010

Le temps de vivre, de Boris vian

Il a dévalé la colline
Ses pas faisaient rouler les pierres
Là-haut entre les quatre murs
La sirène chantait sans joie

Il respirait l’odeur des arbres
Avec son corps comme une forge
La lumière l’accompagnait
Et lui faisait danser son ombre

Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il sautait à travers les herbes
Il a cueilli deux feuilles jaunes
Gorgées de sève et de soleil

Les canons d’acier bleu crachaient
De courtes flammes de feu sec
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il est arrivé près de l’eau

Il y a plongé son visage
Il riait de joie il a bu
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il s’est relevé pour sauter

Pourvu qu’ils me laissent le temps
Une abeille de cuivre chaud
L’a foudroyé sur l’autre rive
Le sang et l’eau se sont mêlés

Il avait eu le temps de voir
Le temps de boire à ce ruisseau
Le temps de porter à sa bouche
Deux feuilles gorgées de soleil

Le temps d’atteindre l’autre rive
Le temps de rire aux assassins
Le temps de courir vers la femme

Il avait eu le temps de vivre.

Boris Vian (1920 - 1959)

08/12/2010

Rêve pour l'hiver, d'Arthur Rimbaud

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L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue égratignée…
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…

Et tu me diras : "Cherche !", en inclinant la tête,
- Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
- Qui voyage beaucoup...



7 octobre 1870
tableau de Caspar David Friedrich, né le 5 septembre 1774 à Greifswald enPoméranie suédoise et mort le7 mai 1840 à Dresde

07/12/2010

Bleu, bleu surtout, de Claude Esteban

 

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Ce matin, je ne voudrais écrire que la clarté du ciel et tous les mots qui me viennent en mémoire sont encore lourds de la nuit passée et me trahissent. On imagine les signes verbaux comme une sorte de réserve toujours disponible où l'on puise à son gré et qu'il ne reste donc qu'à les assembler avec plus ou moins de justesse, selon ses goûts et peut-être la force de son génie. Mais c'est ne rien savoir de la nature propre du langage, des énergies qui le traversent, de cette vie mystérieuse dont il est le réceptacle et qui ne s'accorde à nous que par instants. Car les mots, et les plus familiers, dès lors qu'on les sollicite à des fins précises, résistent et parfois se refusent. Ils ont mille façons surprises, et si nous feignons de l'ignorer et de poursuivre, ils nous entraînent alors dans leurs labyrinthes et nous abandonnent aux ports du silence. Je voulais dire seulement cette clarté du ciel, et, sans que je puisse en déterminer le motif, s'interpose, tel un écran, une myriade de notions noires. Et que brouillards, ténèbres, murailles, carapaces prennent le dessus, investissent mon esprit, paralysent mon désir d'écrire simplement la pure luminosité du ciel, et ce n'est que plus tard, quand j'aurai renoncé à ma tâche, que je discernerai, très loin dans mon souvenir, la trace des mots perdus : cristal, fenêtre, arbre, bruyère, bleu, bleu surtout.




Claude Esteban, La Mort à distance, poèmes, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2007, page 73.
Tableau de Wassily Kandinsky




06/12/2010

Extraits d'America Solitudes, de James Sacré

Un volume de nuée (comme une dorne tendue) 
Mélange du rouge et du bleu dans le sombre de la nuit venue 
Au-dessus du Rio Grande entre Bernalillo et Albuquerque.  
On pourrait se demander si c’est à cause de l’éclairage urbain  
Ou s’il s’agit des couleurs d’un orage contenu.  
Le Rio Grande à des endroits n’est plus  
Que de longues flaques d’eau quand même encore vivantes  
Entre des bancs de sable et de galets, des herbes très vertes  
Puis la ligne forte et tourmentée des peupliers cottonwoods 
Qui marque le parcours du fleuve.  

Et maintenant, loin dans la nuit, la grande forme en triangle de la montagne Sandia 
 
Cet emmêlement de rouge et de bleu sombre a touché 
Au minuscule moment où j’ai ramassé un caillou 
Mal roulé avec des cassures lisses 
Et des couleurs de feu et de verre brûlé dans la masse de pierre :  
Fugitif rapport entre l’immensité du ciel dans une attente  
Et le temps d’un geste pour tenir un caillou dans mon cœur.  
 
De quoi parlent ces mots maintenant venus,  
Et si, comme une plus vraie nuit, ils n’effacent pas tout ?   

Edition André Dimanche (p. 340) 

05/12/2010

Mi-route, de Robert Desnos

Il y a un moment précis dans le temps
Où l’homme atteint le milieu de sa vie,
Un fragment de seconde,
Une fugitive parcelle de temps plus rapide qu’un regard,
Plus rapide que le sommet des pâmoisons amoureuses,
Plus rapide que la lumière,
Et l’homme est sensible à ce moment.

De longues avenues entre des frondaisons
S’allongent vers la tour où sommeille une dame
Dont la beauté résiste aux baisers, aux saisons,
Comme une étoile au vent, comme un rocher aux lames.

Un bateau frémissant s’enfonce et gueule.
Au sommet d’un arbre claque un drapeau.
Une femme bien peignée, mais dont les bas tombent sur les souliers
Apparaît au coin d’une rue,
Exaltée, frémissante,
Protégeant de sa main une lampe surannée et qui fume.

Et encore un débardeur ivre chante au coin d’un pont,
Et encore une amante mord les lèvres de son amant,
Et encore un pétale de rose tombe sur un lit vide,
Et encore trois pendules sonnent la même heure
À quelques minutes d’intervalle,
Et encore un homme qui passe dans une rue se retourne
Parce que l’on a crié son prénom,
Mais ce n’est pas lui que cette femme appelle,
Et encore, un ministre en grande tenue,
Désagréablement gêné par le pan de sa chemise coincé entre son pantalon et son caleçon,
Inaugure un orphelinat,
Et encore un camion lancé à toute vitesse
Dans les rues vides de la nuit
Tombe une tomate merveilleuse qui roule dans le ruisseau
Et qui sera balayée plus tard,
Et encore un incendie s’allume au sixième étage d’une maison
Qui flambe au cœur de la ville silencieuse et indifférente,
Et encore un homme entend une chanson
Oubliée depuis longtemps, et l’oubliera de nouveau,
Et encore maintes choses,
Maintes autres choses que l’homme voit à l’instant précis du milieu de sa vie,
Maintes autres choses se déroulent longuement dans le plus court des plus courts instants de la terre,
Il pressent le mystère de cette seconde, de ce fragment de seconde,

Mais il dit «  Chassons ces idées noires »,
Et il chasse ces idées noires,
Et que pourrait-il dire,
Et que pourrait-il faire
De mieux ?

 

Robert Desnos, Domaine public, Gallimard, 1953, p. 249-250.

 

03/12/2010

A l'aplomb du mur blanc, d'Angèle Paoli

Pas un crayon ici pas une lime pas
une lame seulement des
mots sans rime            en attente
de déraison — attente
veillée entrecoupée de
sommeil sans rêve ombres au bord
des voix diffuses dans le feu
attente — de réveil — enroulée je dessine
les cercles du matin dans la lumière blonde
funambule des deux rives du temps
couchée à même le sol
onglet du mètre — en attente de —
sa hauteur 34 fois 6
2 fois 17
éclairages sur rampe

l’araignée du soir
divague à l’aplomb
du mur blanc

porte étroite fermée
sur sa transparence (même)
rumeur sombre mugissement des vagues
encre minérale ciel — Ô — noire
toute chose dérobée invisible
vaste vaisseau de nuit              en attente d’étoiles
éclats diffractés dans la flamme
le froid me prend au rebours du réveil
bris de mots avalés par le feu

Au matin les derniers brûlages de l’hiver
montent dans l’air enneigé du
printemps.



Angèle Paoli

   Angèle Paoli anime un magnifique site de poèsie http://terresdefemmes.blogs.com/

02/12/2010

Au cabaret-vert, d'Arthur Rimbaud

Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi.
- Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.

Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table
Verte : je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. - Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,

- Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure ! -
Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,

Du jambon rose et blanc parfumé d'une gousse
D'ail, - et m'emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.

27/11/2010

Mon rêve familier, de Paul Verlaine

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur transparent
Pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l'ignore.
Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.

Paul Verlaine (Poèmes saturniens) 

21/11/2010

Dis-moi si ta vie a la couleur de l'ombre (extraits) d'Eve Roland

tuiles

sous le soleil

changeantes

tantôt grises, tantôt roses

 

la mer, au loin

marées

de tes ans fait le compte

de ta vie suit les plis

tantôt bleus, tantôt gris

 

enfant

dans ton jardin

ciel serein ciel marin

tantôt vert, tantôt bleu

planté mât de cocagne

voile à l’horizon s’éloigne

 

la vie passe, soudaine

 

Editions Mémoire Vivante 

19/11/2010

Un grand sommeil noir, de Paul Verlaine

Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie :
Dormez, tout espoir,
Dormez, toute envie !

Je ne vois plus rien,
Je perds la mémoire
Du mal et du bien...
O la triste histoire !

Je suis un berceau
Qu'une main balance
Au creux d'un caveau :
Silence, silence !