30/03/2011
La petite herbe des mots, de James Sacré
On peut croire qu'un souvenir
Creuse la couleur du mot bleu, à force
Il en reste plus rien, du bleu ;
Et du souvenir pas plus.
Qu'est-ce qu'on raconte ?"
"Une ancienne cour que l'enfance a fermée
Si t'ouvres le portail
Quelques mots reviendront, pas grand-chose.
La couleur d'autrefois c'est pareil qu'aujourd'hui, presque :
De la tôle toute neuve, mais quand même
Encore du vieux bois qui pourrit."
"Un mur s'est éboulé
C'est comme des mots (mais tombés d'où ?)
La douceur du ciel continue son bleu
On dirait qu'on peut rêver
A travers les choses défaites, les trous du poème."
James Sacré, La petite herbe des mots (1986), Si peu de terre, tout - éd. Le Dé bleu (2000), p. 27, 28 et 31.
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27/03/2011
Mes petites amoureuses, d'Arthur Rimbaud
Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou
Sous l'arbre tendronnier qui bave,
Vos caoutchoucs
Blancs de lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons !
Nous nous aimions à cette époque,
Bleu laideron !
On mangeait des oeufs à la coque
Et du mouron !
Un soir, tu me sacras poète,
Blond laideron :
Descends ici, que je te fouette
En mon giron ;
J'ai dégueulé ta bandoline,
Noir laideron ;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.
Pouah ! mes salives desséchées,
Roux laideron,
Infectent encor les tranchées
De ton sein rond !
Ô mes petites amoureuses,
Que je vous hais !
Plaquez de fouffes douloureuses
Vos tétons laids !
Piétinez mes vieilles terrines
De sentiment ;
- Hop donc ! soyez-moi ballerines
Pour un moment !...
Vos omoplates se déboîtent,
Ô mes amours !
Une étoile à vos reins qui boitent
Tournez vos tours !
Et c'est pourtant pour ces éclanches
Que j'ai rimé !
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aimé !
Fade amas d'étoiles ratées,
Comblez les coins !
- Vous crèverez en Dieu, bâtées
D'ignobles soins !
Sous les lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons !
Arthur Rimbaud, Pierre Seghers Editeur, p 94, 95,96
Tableau d'Ilya Zomb
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26/03/2011
A la limite, de Pierre Reverdy
Quand les gens passent la nuit dans l’allée bleue – la nuit d’hiver. Les branches bougent contre les murs, contre la haie qui se retranche – la barrière enchantée dans le gris plus épais – le trou vivant des ombres. Si les lumières courent, si elles naissent et meurent, tout ce qui est devant s’anime et les yeux sont meurtris. Tout ce qui pèse sur cet espace étroit où s’accoude la nuit.
La tête a son rayon qui file loin du monde. Le cœur parti à l’aile et faible au souvenir. S'il fait froid dans l’allée vide où le vent s’arrête aux branches qui déchirent – où l’aile immense touche en remuant la pluie – une larme au rebord du toit luisant, un mot qui plane. Et la lumière fixe dans le cadre des lignes – Tous ces gens qui passent le soir d’hiver dans l’allée bleue et grise qui traverse la nuit.
Pierre Reverdy, Flaques de verre, in Œuvres complètes, tome II, Flammarion, 2010, p. 521
Tableau de Paul Sérusier 1864-1927
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Des yeux pour entendre, (extrait) Oliviers Sacks
Je n’entendais plus les sons, je les voyais. […] L’orchestre était comme un peintre. Il me submergeait de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Quand le violon jouait, j’étais soudain empli d’or et de feu, et de rouge si vif que je ne pouvais me souvenir l’avoir vu auparavant sur aucun objet. Quand c’était le tour du hautbois, un vert clair me traversait, si frais qu’il me semblait percevoir le souffle de la nuit.
Oliver Sacks (citant Jacques Lusseyran). Des yeux pour entendre. Seuil, 1996.
Tableau de Vassily Kandinsky (1866-1944)
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22/03/2011
Chapitre LIII, Vie Secrète, de Pascal Quignard
Les peintres? Les cartons vert épinard. Les musiciens? Les boites noires et luisantes. Les écrivains? Les mains vides.
Les mains invisibles.
La nature communique. Le temps communique. Les animaux communiquent. Les êtres humains aussi communiquent entre eux de façonsingulière et qui n'est pas celle que leur propose le langage qu'ils parlent et qui les assujetis à l'ordre propre de chaque socièté, laquelle n'est pas un ordre mais un réflexe aussi fasciné que carnivore (que perpétuellement sanglant).
Les femmes et les homme ne communiquent pas par les points où ils le croient. Il est possible que notre souffrance ne se confonde jamais tout à fait avec la souffrance de ceux que nous aimons. Nos malheurs ne peuvent toucher entièrement l'autre. Nos douleurs ne pouvent toucher directement l'autre. Nos mains le peuvent. La force traverse la paroi, la pensée la caisse caverneuse de la tête, la volupté le sac de la peau, l'eau et les yeux.
Vie secrète, Gallimard, p 464
Estampe d'Utamaro
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18/03/2011
Horizon, de Jacques Garelli
Cette brume de chaleur et sa poussée multicolore plus lointaine que ce qui scintille dans une débâcle de micas, comme un poumon solaire absorbant les plus austères respirations, qui les transfère et les transfigure, je les vois, les autarciques, comme le mauve tend vers l'indigo des mers, dans une fugitive conspiration.
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12/03/2011
Prière d'acier (extrait), de Carl Sandburg
maitresses.
Que je sois le grand clou qui à travers les nuits bleues cloue
le gratte-ciel sur les étoiles blanches!
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11/03/2011
Couleurs, de Michel Leiris
Mon sang
avant toi
était-il vraiment d'un rouge aussi foncé,
ma pierre polie,
mon eau dormante,
ma mordorée?
Haut Mal Poésie/Gallimard p 223
Tableau Dominique Hordé
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Eugène Leroy, Autoportrait noir, de Ludovic Degroote
autoportrait noir, pas sombre
décrire donc — un visage assez clair se détache ou s’enfonce dans de la couleur pâte agglomérée de tons qui vont de l’orang au noir en passant par la gammes des bruns , bronze et rouges terreux ; le visage, ovale d’amande effilé, contraste par des blancs et des clairs qui en valorisent la moitié gauche, à cause d’une lumière de côté ; la peinture est posée sur la toile au pinceau, à la brosse, peut-être au couteau ; le geste est varié ; parfois le visage comme le fond sont exprimés à l’aide de touches ou de traînées de brosse qui semblent faire glisser la couleur, parfois à l’aide de ruptures de gestes qui font comme des prélèvements de fouilles ; ce geste exploite généreusement la pâte, qui peut s’étaler par couches épaisses, ou successives, ou superposées : lorsque j’ai dit ça, est-ce que j’ai dit quelque chose ?
Ludovic Degroote, Eugène Leroy, Autoportrait noir, éditions invenit, 2011, p. 11.
Tableau d'Eugène Leroy, Autoportrait noir (1910 2000)
Contribution de Tristan Hordé
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09/03/2011
La certitude et la couleur, Jacques Roubaud
Près de la mort écrit : certitude, couleur.
Peut-on douter du rouge ?
Cuve de cuivre et vin vent veiné terrasses au centre
vert. Et toi?
Tu n'étais pas blanche et noire plate. l'étais-tu?
Tu n'étais pas découpée en rectangle dans le monde.
Cette image: tu n'as jamais répondu sur ton regard
quel après fixes-tu? où tu me places seul.
Moi, quelque chose d'entièrement neuf?
Tes yeux dans la clarté testamentaire.
Quelque chose de noir, Jacques Roubaud. Poésie Gallimard, p 55
Tableau de Lucio Fontana (1899 – 1968)
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06/03/2011
Flammes, de Tôge Sankichi
D'une poussée écartant les fumées
depuis la terre à demi obscurcie
par des nuages bas et lourds
suaire déployé
heurtant la voûte céleste
grinçant des dents
se soulevant dansant dans l'air
s'unifiant
noires rouges bleues les flammes
qui soufflent dispersent des étincelles brillantes
sur la ville entière maintenant
sont dressées.
Ondulant comme des algues
des rangs de flammes avancent.
Des troupeaux de vaches qu'on menait à l'abattoir
roulent en avalanche sur les pentes de la rivière;
un pigeon couleur de cendres
ailes crispées tombe sur le pont.
Ceux qui sautillant
sortant de sous des jets de fumée rampent,
avalés dans les flammes,
sont d'innombrables humains à quatre pattes.
Sur un tas de braises effondrées
s'arrachant les cheveux
rigidifiée
la malédiction se consume
après ce temps condensé
explosé
rien que haine incandescente
se répandant palpitante.
Un silence sans rime
s'accumule dans l'espace
les chauds rayons d'uranium
qui ont repoussé le soleil
impriment sur la chair du dos des vierges
le motif fleuri d'une soie fine,
mettent instantanément en feu
la robe noire d'un prêtre
1945, Aug. 6
en ce minuit en plein midi
l'homme à coup sûr a livré Dieu
aux flammes.
Cette nuit
la lumière en flammes de Hiroshima
se reflète sur le lit de l'humanité;
avant longtemps l'histoire
aura tendu une embuscade
à tout ce qui ressemble à Dieu.
Tôge Sankichi, in Poèmes de la bombe atomique, traduits du japonais par Ono Masatsugu et Claude Mouchard et présentés par Claude Mouchard, édition Laurence Teper, 2008. (Collection Bruits du temps), p. 81-82
Tableau de Dominique Hordé
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04/03/2011
Correspondances, de Charles Baudelaire
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
Correspondances, Les Fleurs du Mal.
Tableau de Wassily Kandinsky
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03/03/2011
Carnets de Marche (extrait), d'Angèle Paoli
Un noir intense descend sur la mer. Les eaux brouillées du ciel rejoignent la ligne de crête des vagues, s'y plongent. Le triangle de lumière a encore retréci. Ciel et mer, immergés l'un dans l'autre , broient du noir.
Le petit coquelicot de novembre n'est plus. Il est mort ce matin, broyépar les vents d'hiver. Ses pétales gisent, recroquevillésdans les trous de rocaille. Nulle autre fleur tardive ne l'a remplacé. Météo, météo, météo. Le coquelicot de Zanzotto bat de l'aile dans sa tête. Elle rumine son refrain. Lallation de douleur. Un stylet planté dans le coeur. Rouge sang. Météo, météo, météo.
Carnets de Marche, les Editions du Petit Pois, p 19. Angèle Paoli anime un blog magnifique http://terresdefemmes.blogs.com/
19:33 Publié dans Art et poésie en couleurs, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : noir, rouge, carnets de marche, angèle paoli | Facebook |
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02/03/2011
Choeur d'enfants, de Jean Tardieu
Tout ça qui a commencé
il faut bien que ça finisse
la maison zon sous l'orage
le bateau dans le naufrage
le voyageur chez les sauvages.
Ce qui s'est manifesté
il faut que ça disparaisse
feuilles vertes de l'été
espoir jeunesse et beauté
anciennes vérités.
MORALITÉ
Si vous ne voulez rien finir
évitez de rien commencer.
Si vous ne voulez pas mourir,
quelques mois avant de naître
faites-vous décommander.
Recueil "Monsieur, Monsieur" Gallimard 1951
Tableau de Janda Dzenek
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01/03/2011
Gstaad, de Jude Stefan
Sur un sol en brique des
Hommes en blanc qui jouent
protégés d’arbres verts s’
étirant vers le ciel jouent
cris et gestes
dans les ombres du soir
deux chaises en toile rouge
vives comme les capucines
un oisif en béret sur l’herbe
lentement caresse son chien
auprès de soldats bleus un
asiatique en chapeau porte
lunettes noires
le jeune homme en habit cendré
adossé au sapin paraît sourire
Jude Stefan, Caprices, Gallimard, 2004, p. 23.
Tableau de Maurice Estève (1904 2001)
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28/02/2011
Iris, c'est votre bleu, d'Ariane Dreyfus
Je vois le chemin
À chaque fois
Ligne vive,
Magique un doigt le long d’une main, déjà.
Justesse
De la petite chambre hissant sa seule fenêtre à la montagne.
Tu simplifies mon corps en me tirant à toi.
Les yeux font les doux remous, l’étonnement.
Nous regardons la mer que le soleil plus bas
Fait pâle, elle brille, d’un bleu remué (éclairé) de rose.
Le sable rougit un peu.
De dos si tendrement.
Tout ce qui ne se dit pas
Les yeux le gardent pour les yeux inlassables.
Ils ont tiré assez fort pour que sa tête s’en aille
Shama Rezayee
N’a pas voulu crier ni plier
Malgré l’interminable décapitation d’une, et encore une…
Femmes sous la burqah,
Fantômes bleuissant les rues de leur supplice
Le beau soleil de venu qu’on étouffe durement,
Bleu lourd, couronne d’ensevelissement.
« Et la menthe criait entièrement différente
Et l’herbe chantait comme un velours triste »
Tout à l’heure, assise près de lui j’ai vu
Un gros escargot
Magnifiquement pas écrasé !
Repu, tranquille et bien humide.
Attention.
Je l’ai posé un peu plus loin
Avec sa rondeur de cœur vivant.
Ariane Dreyfus, Iris, c’est votre bleu, Le Castor Astral, 2008, p. 97 et 82.
Tableau de Dominique Hordé
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24/02/2011
Hamlet, de William Shakespeare
Être, ou ne pas être, c’est là la question. Y a-t-il plus de noblesse d’âme à subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante, ou bien à s’armer contre une mer de douleurs et à l’arrêter par une révolte ? Mourir... dormir, rien de plus... et dire que par ce sommeil nous mettons fin aux maux du coeur et aux mille tortures naturelles qui sont le legs de la chair : c’est là un dénouement qu’on doit souhaiter avec ferveur. Mourir... dormir, dormir ! peut-être rêver ! Oui, là est l’embarras. Car quels rêves peut-il nous venir dans ce sommeil de la mort, quand nous sommes débarrassés de l’étreinte de cette vie ? Voilà qui doit nous arrêter. C’est cette réflexion-là qui nous vaut la calamité d’une si longue existence. Qui, en effet, voudrait supporter les flagellations, et les dédains du monde, l’injure de l’oppresseur, l’humiliation de la pauvreté, les angoisses de l’amour méprisé, les lenteurs de la loi, l’insolence du pouvoir, et les rebuffades que le mérite résigné reçoit d’hommes indignes, s’il pouvait en être quitte avec un simple poinçon ? Qui voudrait porter ces fardeaux, grogner et suer sous une vie accablante, si la crainte de quelque chose après la mort, de cette région inexplorée, d’où nul voyageur ne revient, ne troublait la volonté, et ne nous faisait supporter les maux que nous avons par peur de nous lancer dans ceux que nous ne connaissons pas ? Ainsi la conscience fait de nous tous des lâches ; ainsi les couleurs natives de la résolution blêmissent sous les pâles reflets de la pensée ; ainsi les entreprises les plus énergiques et les plus importantes se détournent de leur cours, à cette idée, et perdent le nom d’action... Doucement, maintenant ! Voici la belle Ophélia... Nymphe, dans tes oraisons souviens-toi de tous mes péchés. [...] »
Tableau de Jackson Pollock
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22/02/2011
WESTWEGO, de Philippe Soupault
Je me promenais dans Londres un été
les pieds brûlants et le coeur dans les yeux
près des murs noirs près des murs rouges
près des grands docks
où les policemen géants
sont piqués comme des points d’interrogation
On pouvait jouer avec le soleil
qui se posait comme un oiseau
sur tous les monuments
pigeon voyageur
pigeon quotidien
(…)
Il fait chaud et c’est aujourd’hui dimanche
il fait triste
le fleuve est très malheureux
et les habitants sont restés chez eux
Je me promène près de la Tamise
une seule barque glisse pour atteindre le ciel
le ciel immobile
parce que c’est dimanche
et que le vent ne s’est pas levé
il est midi il est cinq heure
on ne sait plus où aller
(…)
Tableau de Dominique Hordé
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21/02/2011
Toute peinture est un accident (extrait), de Marc Le Bot
« Toute peinture est un accident » Francis Bacon, L’Art de l’impossible.
Par des mouvements en sens inverse, peinture et poésie cherchent à se rejoindre l’une l’autre. Mais chacune vient buter à son tour sur ce qui, pour elle, est l’énigme de l’autre. Ceci touche au cœur de ce qui est l’acquis majeur de la pensée artistique moderne. Les amours faites de bonheurs mais aussi de tensions entre poésie et peinture, aujourd’hui, sont exacerbées par cette dérive tout actuelle qui voudrait réduire la culture à l’information. Cette exacerbation met en lumière, avec une évidence nouvelle, ce qui est l’enjeu des arts de toutes les cultures : l’art est ce mode de la pensée qui nous reconduit inlassablement à considérer en toutes choses, non le savoir que nous pouvons en acquérir, mais cette part d’irréductible énigme qui, précisément, la rend à nos yeux « admirable ». C’est à partir de là qu’on peint et qu’on écrit.
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19/02/2011
Le roman d'un enfant, (extrait) de Pierre Loti
Puis, tout à coup, je m'arrêtai glacé, frissonnant de peur. Devant moi, quelque chose apparaissait, quelque chose de sombre et de bruissant qui avait surgi de tous les côtés en même temps et qui semblait ne pas finir; une étendue en mouvement qui me donnait le vertige mortel... Évidemment c'était ça; pas une minute d'hésitation, ni même d'étonnement que ce fit ainsi, non, rien que de l'épouvante: je reconnaissais et je tremblais. C'était d'un vert obscur presque noir; ça semblait instable, perfide, engloutissant; ça remuait et ça se démenait partout à la fois, avec un air de méchanceté sinistre. Au-dessus, s'étendait un ciel tout d'une pièce, d'un gris foncé, comme un manteau lourd. Très loin, très loin seulement, à d'inappréciables profondeurs d'horizon, on apercevait une déchirure, un jour entre le ciel et les eaux, une longue fente vide, d'une claire pâleur jaune...Pour la reconnaître ainsi, la mer, l'avais-je déjà vue?
Le roman d'un enfant
Une tempête qui se lève, Willem van de Velde (1633-1707); Huile sur toile
08:19 Publié dans Art et poésie en couleurs, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le roman d'un enfant, pierre loti, willem van de velde, vert, noir, jaune | Facebook |
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