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27/09/2014

Autour de ma maison, d'Emile Verhaeren,

 

Fleurs-et-insectes jacques deguin.jpg

Jacques de Gheyn, Fleurs et insectes, 1600 © Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris 

Avec mon coeur, j’admire tout
Ce qui vibre, travaille et bout
Dans la tendresse humaine et sur la terre auguste.

L’hiver s’en va et voici mars et puis avril
Et puis le prime été, joyeux et puéril.
Sur la glycine en fleurs que la rosée humecte,
Rouges, verts, bleus, jaunes, bistres, vermeils,
Les mille insectes
Bougent et butinent dans le soleil.
Oh la merveille de leurs ailes qui brillent
Et leur corps fin comme une aiguille
Et leurs pattes et leurs antennes
Et leur toilette quotidienne
Sur un brin d’herbe ou de roseau !
Sont-ils précis, sont-ils agiles !
Leur corselet d’émail fragile
Est plus changeant que les courants de l’eau ;
Grâce à mes yeux qui les reflètent
Je les sens vivre et pénétrer en moi
Un peu ;
Oh leurs émeutes et leurs jeux
Et leurs amours et leurs émois
Et leur bataille, autour des grappes violettes !
Mon coeur les suit dans leur essor vers la clarté,
Brins de splendeur, miettes de beauté,
Parcelles d’or et poussière de vie !
J’écarte d’eux l’embûche inassouvie :
La glu, la boue et la poursuite des oiseaux
Pendant des jours entiers, je défends leurs travaux ;
Mon art s’éprend de leurs oeuvres parfaites ;
Je contemple les riens dont leur maison est faite
Leur geste utile et net, leur vol chercheur et sûr,
Leur voyage dans la lumière ample et sans voile
Et quand ils sont perdus quelque part, dans l’azur,
Je crois qu’ils sont partis se mêler aux étoiles.

Mais voici l’ombre et le soleil sur le jardin
Et des guêpes vibrant là-bas, dans la lumière ;
Voici les longs et clairs et sinueux chemins
Bordés de lourds pavots et de roses trémières ;
Aujourd’hui même, à l’heure où l’été blond s’épand
Sur les gazons lustrés et les collines fauves,
Chaque pétale est comme une paupière mauve
Que la clarté pénètre et réchauffe en tremblant.
Les moins fiers des pistils, les plus humbles des feuilles
Sont d’un dessin si pur, si ferme et si nerveux
Qu’en eux
Tout se précipite et tout accueille
L’hommage clair et amoureux des yeux.

L’heure des juillets roux s’est à son tour enfuie,
Et maintenant
Voici le soleil calme avec la douce pluie
Qui, mollement,
Sans lacérer les fleurs admirables, les touchent ;
Comme eux, sans les cueillir, approchons-en nos bouches
Et que notre coeur croie, en baisant leur beauté
Faite de tant de joie et de tant de mystère,
Baiser, avec ferveur, délice et volupté,
Les lèvres mêmes de la terre.

Les insectes, les fleurs, les feuilles, les rameaux
Tressent leur vie enveloppante et minuscule
Dans mon village, autour des prés et des closeaux.
Ma petite maison est prise en leurs réseaux.
Souvent, l’après-midi, avant le crépuscule,
De fenêtre en fenêtre, au long du pignon droit,
Ils s’agitent et bruissent jusqu’à mon toit ;
Souvent aussi, quand l’astre aux Occidents recule,
J’entends si fort leur fièvre et leur émoi
Que je me sens vivre, avec mon coeur,
Comme au centre de leur ardeur.

Alors les tendres fleurs et les insectes frêles
M’enveloppent comme un million d’ailes
Faites de vent, de pluie et de clarté.
Ma maison semble un nid doucement convoité
Par tout ce qui remue et vit dans la lumière.
J’admire immensément la nature plénière
Depuis l’arbuste nain jusqu’au géant soleil
Un pétale, un pistil, un grain de blé vermeil
Est pris, avec respect, entre mes doigts qui l’aiment ;
Je ne distingue plus le monde de moi-même,
Je suis l’ample feuillage et les rameaux flottants,
Je suis le sol dont je foule les cailloux pâles
Et l’herbe des fossés où soudain je m’affale
Ivre et fervent, hagard, heureux et sanglotant.

 La multiple splendeur, Nabu Press

20/09/2014

Lettera amorosa (Extraits), de René Char

 

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Lunes et nuit, vous êtes un loup de velours noir, village, sur la veillée de mon amour.

L'automne! Le parc compte ses arbres bien distincts. Celui-ci est roux traditionnellement; cet autre fermant le chemin est une bouillie d'épines. Le rouge-gorge est arrivé, le gentil luthier des campagnes. Les gouttes de son chant s'égrenent sur le carreau de la fenêtre. Dans l'herbe de la pelouse grelottent de magiques assassinats d'insectes. Ecoute, mais n'entends pas.

Parfois j'imagine qu'il serait bon de se noyer à la surface d'un étang où nulle barque s'aventurerait. Ensuite, ressusciter dans le courant d'un vrai torrent où tes couleurs bouillonneraient.

L’exercice de la vie, quelques combats au dénouement sans solution mais aux motifs valides, m'ont appris à regarder la personne humaine sous l'angle du ciel dont le bleu d'orage lui est le plus favorable.

Il y a deux iris jaunes dans l'eau verte de la Sorgue. Si le courant les emportaient, c'est qu'ils seraient décapités.

 

 

Poèmes publiés dans la collection Poésie de Gallimard. je vous laisse le plaisir de découvrir les illustrations de Georges Braque et de Jean Arp.

18/05/2014

La prisonnière (extrait), de Marcel Proust

Miro, Bleu III Centre Pompidou Paris, 1961

 

Le ciel tout entier était fait de ce bleu radieux et un peu pâle comme le promeneur couché dans un champ le voit parfois au-dessus de sa tête, mais tellement uni, tellement profond, qu’on sent que le bleu dont il est fait a été employé sans aucun alliage, et avec une si inépuisable richesse qu’on pourrait approfondir de plus en plus sa substance sans rencontrer un atome d’autre chose que de ce même bleu. Je pensais à ma grand’mère qui aimait dans l’art humain, dans la nature, la grandeur, et qui se plaisait à regarder monter dans ce même bleu le clocher de Saint-Hilaire. Soudain j’éprouvai de nouveau la nostalgie de ma liberté perdue en entendant un bruit que je ne reconnus pas d’abord et que ma grand’mère eût, lui aussi, tant aimé. C’était comme le bourdonnement d’une guêpe « Tiens, me dit Albertine, il y a un aéroplane, il est très haut, très haut. »

 

Collection Quarto, Gallimard

Miro, Bleu III Centre Pompidou Paris, 1961

 

 

17/05/2014

Avril, de Gérard de Nerval

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Laurence Amélie 

Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; -
Et rien de vert : - à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !

Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
- Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.

 

Odelettes

Sylvie, suivi de "Les Chimères" et "Odelettes" , collection librio

12/05/2014

Verger, d'Anna de Noailles

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Un Moucherolle sur le concombre de brousse, 1910, Ohara Koson

 

Dans le jardin, sucré d’œillets et d’aromates,
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu,
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates,
Chancellent, de rosée et de sève pourvus,

Je viendrai, sous l’azur et la brume flottante,
Ivre du temps vivace et du jour retrouvé ;
Mon cœur se dressera comme le coq qui chante
Insatiablement vers le soleil levé.

L’air chaud sera laiteux sur toute la verdure,
Sur l’effort généreux et prudent des semis,
Sur la salade vive et le buis des bordures,
Sur la cosse qui gonfle et qui s’ouvre à demi ;

La terre labourée où mûrissent les graines
Ondulera, joyeuse et douce, à petits flots,
Heureuse de sentir dans sa chair souterraine
Le destin de la vigne et du froment enclos.

Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement ;
La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement.

Un goût d’éclosion et de choses juteuses
Montera de la courge humide et du melon,
Midi fera flamber l’herbe silencieuse,
Le jour sera tranquille, inépuisable et long.

Et la maison, avec sa toiture d’ardoises,
Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts,
Respirera l’odeur des coings et des framboises
Éparse lourdement autour des buissons verts ;

Mon cœur indifférent et doux aura la pente
Du feuillage flexible et plat des haricots
Sur qui l’eau de la nuit se dépose et serpente
Et coule sans troubler son rêve et son repos.

Je serai libre enfin de crainte et d’amertume,
Lasse comme un jardin sur lequel il a plu,
Calme comme l’étang qui luit dans l’aube et fume,
Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus,

Je ne saurai plus rien des choses de ce monde,
Des peines de ma vie et de ma nation,
J’écouterai chanter dans mon âme profonde
L’harmonieuse paix des germinations.

Je n’aurai pas d’orgueil, et je serai pareille,
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
À mon frère le pampre et ma sœur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été ;

Je serai si sensible et si jointe à la terre
Que je pourrai penser avoir connu la mort,
Et me mêler, vivante, au reposant mystère
Qui nourrit et fleurit les plantes par les corps.

Et ce sera très bon et très juste de croire
Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareils,
Et que mon cœur, ardent et lourd, est cette poire
Qui mûrit doucement sa pelure au soleil...

 

Anthologie poétique et romanesque, Le livre de poche

10/05/2014

Printemps, de Victor Hugo

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Emil Nolde, huile sur toile

 

 

 

Voici donc les longs jours, lumière, amour, délire !

Voici le printemps ! mars, avril au doux sourire,

Mai fleuri, juin brûlant, tous les beaux mois amis !
Les peupliers, au bord des fleuves endormis,
Se courbent mollement comme de grandes palmes ;
L’oiseau palpite au fond des bois tièdes et calmes ;
Il semble que tout rit, et que les arbres verts
Sont joyeux d’être ensemble et se disent des vers.
Le jour naît couronné d’une aube fraîche et tendre ;
Le soir est plein d’amour ; la nuit, on croit entendre,
A travers l’ombre immense et sous le ciel béni,
Quelque chose d’heureux chanter dans l’infini.

Victor Hugo, Toute la lyre

 

09/05/2014

Toit dans l’ombre (ou lampe) et le temps, de James Sacré

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Tableau de Caroline Bailey 

 

Le jardin (ou verger) nourrit l’air du printemps. 
J’y travaille un poème où disparaît le temps 
(Je le veux), je regarde un village patient. 
Mais les pivoines sang, les pommes que j’attends ? 
Cœur, l’espace est léger : jardin qui se détend ;  
Il faut pour un automne oublier le printemps. 
Mais pourtant je l’espère ! ah, pourtant je l’entends 
Dans le cœur de l’hiver comme un oiseau content ; 
J’y bondis ! mais trop tard ! je le vois dans le temps. 
Pommes ridées, les fleurs se défont dans le vent. 
Rien, ni printemps, ni poème !  
Et pourtant, ah, comme on l’entend !  
 
*  
 
Ce n’est qu’un jeu (peut-être), un poème, un peu 
De rime et des mots, un alexandrin, un peu 
De couleur, un été rêvé, un rouge, un feu 
À peine qui brille, un feu 
Où ? Le cœur est rouge, il voit des oiseaux peureux. 
Ah ! beaux oiseaux (perdrix, cailles tendres)) ! je veux 
Courir dans les guérets (mottes, chiendents terreux) ! 
Beaux oiseaux, c’est vrai, tel poème est un jeu : 
J’y reste pauvre (encre, papier), un peu honteux. 
Mais peut-être, ah ! peut-être encore un rouge, un feu 
Pourra paraître ! j’apprends quel oiseau douloureux, 
Poème à brûler (cœur peut-être) dans le jeu. 
 

 
Maladroit (mais plaisir, mais le cœur sur les toits) 
Je marche, le poème en perd des tuiles, moi 
Je respire où le ciel est un jardin : je vois 
Des arbres, la lumière où les anges guerroient, 
Et l’aubépine en fleur, fêtes printemps pavois : 
J’y grimpe, enfant, mais tombe en la vie maladroit. 
Le temps paraît, mauvais ; il apporte l’effroi 
Et des carnassiers gris, frileux, et les yeux froids. 
Où les vergers chanteurs ! où les anges, les toits ! 
Le cœur s’effare, où les rouges, la fête ! où moi ?  
Patience, il faut patience et mémoire, et je vois 
peu de tuiles (mais rouge et promesse d’un toit).  
 

 
Le jardin brille, ouvert, l’espace est dans sa fleur 
Et porte avec sa fleur le temps le plus léger 
À travers la lumière ; quelque chose a souri… 
Mais rien, que le vent, rien, le bleu du paysage :  
C’est pour la pauvreté (mais tignasse) d’un lierre. 
Que les arbres soient beaux et grands pour le retour ! 
Ah ! cœur naïf, dans tes rosiers, dans ta garance ! 
Et ton paradis rouge où  dorment les miroirs, 
Je bondis ! mais trop tard : je le vois dans le temps. 
Mais peut-être, ah ! peut-être encore un rouge, un feu, 
Peu de tuile (mais rouge et promesse d’un toit) 
Va briller (poème ou lampe) ; l’ombre est complice.  
 
J

 

« Toit dans l’ombre (ou lampe) et le temps », in Affaires d’écriture (Ancrits divers), Tarabuste, 2012, pp. 33 et 34.  
 

03/05/2014

Ballade de la vie en rouge, de Verlaine

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Gérard Fromanger (1939 - ) , Le Rouge, 1968, Sérigraphie sur bristol 320 g, 60 x 89 cm

Don de l'artiste, 2006, Centre Pompidou

 

L’un toujours vit la vie en rose, 
Jeunesse qui n’en finit plus, 
Seconde enfance moins morose, 
Ni vœux, ni regrets superflus. 
Ignorant tout flux et reflux, 
Ce sage pour qui rien ne bouge 
Règne instinctif : tel un phallus. 
Mais moi je vois la vie en rouge. 
  
L’autre ratiocine et glose 
Sur des modes irrésolus, 
Soupesant, pesant chaque chose 
De mains gourdes aux lourds calus. 
Lui faudrait du temps tant et plus 
Pour se risquer hors de son bouge. 
Le monde est gris à ce reclus. 
Mais moi je vois la vie en rouge. 
  
Lui, cet autre, alentour il ose 
Jeter des regards bien voulus, 
Mais, sur quoi que son œil se pose, 
Il s’exaspère où tu te plus, 
Œil des philanthropes joufflus ; 
Tout lui semble noir, vierge ou gouge, 
Les hommes, vins bus, livres lus. 
Mais moi je vois la vie en rouge. 
  
              Envoi 
  
Prince et princesse, allez, élus, 
En triomphe par la route où je 
Trime d’ornières en talus. 
Mais moi, je vois la vie en rouge. 

 

Sagesse Amour Bonheur, Poésie/Gallimard

26/04/2014

Autre cuivre, de Roger Callois

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Liz Ward , Vert de gris Glacier 2012, Aquarelle sur papier, 66 x32  

 

 

Rares dans le détail, quasi clandestins, le vert, les verts, dont le cuivre est foyer, dominent sans qu’il soit aisé de distinguer nettement leurs places fortes et de délimiter leurs zones d’influence. Discrets, d’être divers. Tous sont complices et pourtant chacun accuse sa différence : ici, le vert lustré, presque noir des mousses après la pluie ; là, le satin vert des monnaies de fouilles, attaquées par les carbonates, les sulfites ; plus fréquents, des bleus louches, qui tirent sur le vert, ceux des turquoises, des aigues-marines et des autres pierres bleues quand elles n’ont pas la bonne nuance ; à la limite, le vert tremblé, hésitant, des très jeunes amandes dont le duvet est encore d’argent. Celui-ci, le plus neutre, apprivoise déjà aux surfaces couleur de soie grège qui, bientôt, vont s’élargissant et que paraît innerver un fin relief de basses cloisons.

 

 Autre cuivre,  Pierres (Poésie/Gallimard)

21/04/2014

vestige d'une vieille haie de jardin, de Reiner Kunze

 

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Rothko

 

 

Aubépine et rouge-épine 
branches entremêlées 

Rameaux d’écume 
rouge dans le blanc 
blanc dans le rouge 
 
Bois fleurissant  
à la vie à la mort 

 

Reiner Kunze, Nuit des tilleuls, (Lindennacht, édition bilingue),traduction de Mireille Gansel & Gwenn Darras, Calligrammes/Bernard Guillemot, 2009, pp. 107 et 75,  à la vie à la mort 


 

 

02/04/2014

Chanson des escargots qui vont à un enterrement, de Jacques Prévert

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David BurliukArrivée du printemps et de l'été, 1914, Collection de AMBeckerman, États-Unis

 

 

A l'enterrement d'une feuille morte

Deux escargots s'en vont

Ils ont la coquille noire

Du crêpe autour des cornes

Ils s'en vont dans le soir

Un très beau soir d'automne

Hélas quand ils arrivent

C'est déjà le printemps

Les feuilles qui étaient mortes

Sont toutes ressuscitées

Et les deux escargots

Sont très désappointés

Mais voilà le soleil

Le soleil qui leur dit

Prenez prenez la peine

La peine de vous asseoir

Prenez un verre de bière

Si le coeur vous en dit

Prenez si ça vous plaît

L'autocar pour Paris

Il partira ce soir

Vous verrez du pays

Mais ne prenez pas le deuil

C'est moi qui vous le dis

Ça noircit le blanc de l’œil

Et puis ça enlaidit

Les histoires de cercueil

C'est triste et pas joli

Reprenez vos couleurs

Les couleurs de la vie

Alors toutes les bêtes

Les arbres et les plantes

Se mettent à chanter

A  chanter à tue-tête

La vraie chanson vivante

La chanson de l'été

Et tout le monde de boire

Tout le monde de trinquer

C'est un très joli soir

Un joli soir d'été

Et les deux escargots

S'en retournent chez eux

Ils s'en vont très émus

Ils s'en vont très heureux

Comme ils ont beaucoup bu

Ils titubent un p'tit peu

Mais là-haut dans le ciel

La lune veille sur eux.

 

Extrait de Paroles, Folio

 

21/03/2014

A travers un verger, de Philippe Jaccottet

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Pierre bonnard, La Côte d’Azur, The Phillips collection, Washington DC. © Adagp, Paris 2011

 

A chaque fois que je suis passé, en cette fin d'hiver, devant le verger d'amandiers de la colline, je me suis dit qu'il fallait en retenir la leçon, qu'ils auraient tôt fait de se taire comme chaque année; sans cesse autre chose m'a distrait de cette tâche, de sorte qu'à présent je ne peux plus me fier qu'au souvenir que j'en ai, déjà trop vague, presque effacé, incontrôlable. néanmoins, je ne me déroberai pas.

C'était comme si je découvrais une espèce différente d'amandiers (probablement du seul fait de leur nombre, ou de leur répartition, du lieu ou même la couleur du ciel ces jours-là). Leur floraison semblait plus confuse, plus insaisissable; et surtout d'un blanc moins pur et moins éclatant que celui d'une fleur isolée, observée de près. Aurais-je dû regarder mieux, m'arrêter, réfléchir? De toute façon, à présent, c'est trop tard. Il ne me reste dans la mémoire qu'un brouillard à peine blanc, en suspension au dessus de la terre encore terreuse, devant les sombres chênes-verts, en ce bas de pente; ce bourdonnement de blanc...Mais "blanc" est déjà trop dire, qui évoque une surface nette renvoyant un éclat blanc. Là c'était sans aucun éclat (et pas transparent pour autant). Timide, gris, terne? Pas d'avantage. Quelque chose de multiple, cela oui, un essaim, de multiplié: des milliers de petites choses, ou présences, ou taches, ou ailes, légères - en suspens, de nouveau, comme à chaque printemps; une sorte d'ébullition fraîche; un brouillard, s'il existait un brouillard sans humidité, sans mélancolie, où l'on ne risque pas de se perdre; quelque chose, à peine quelque chose...

Essaim, écume, neige: les vieilles images reviennent, elles sont pour les moins disparates. Rien de mieux.

 

A travers un verger, p 9 et 10, Gallimard

15/03/2014

L'éternité, c'est juste à côté (extrait), de James Sacré

Claire Basler.jpg

Tableau de Claire Basler, à retrouver sur son site

 

 

(Ce qui y a d'ingénue santé dans la fleur qui se livre au temps

Se perd pourtant pas dans son pétale qui sèche ;

Mourir continue sa couleur.)

 

Bout de ferraille, fragment de fleur, ça passe bien

Du fond d'un pré en celui d'un tableau.

La vraie mort d'un coquelicot

Sans doute que c'est dans les mots.

 

 

L'éternité, c'est juste à côté, recueil La peinture du Poème s'en va, Edition Tarabuste, p 98

08/03/2014

Sido (Extrait), de Colette

 

Claire Basler. Fleurs rouges.jpg

Claire Basler à découvrir sur son site

 

O géraniums, ô digitales… Celles-ci fusant des bois-taillis, ceux-là en rampe allumée au long de la terrasse, c'est de votre reflet que ma joue d'enfant reçue un don vermeil. Car « Sido » aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la croix-de-Malte, des hortensias et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge, encore qu'elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou de veau frais... A contre-cœur, elle faisait parte avec l'Est : « Je m'arrange avec ..lui, » disait-elle . Mais elle demeurait pleine de suspicion et surveillait, entre tous les cardinaux et collatéraux, ce point glacé, traître, aux jeux meurtriers. Elle lui confiait des bulbes de muguet, quelques bégonias, et des crocus mauves, veilleuses des froids crépuscules.

Hors une corne de terre, hors un bosquet de lauriers-cerises dominés par un junko-biloba - je donnais ses feuilles, en forme de raie, à mes camarades d'école, qui les séchaient entre les pages de l'atlas - tout le chaud jardin se nourrissait d'une lumière jaune, à tremblements rouges et violets mais je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet dépendaient, dépendent encore d'un sentimental bonheur ou d'un éblouissement optique. Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de mes grands chapeaux, étés presque sans nuits... 

 

Sido, suivi des vrilles de la vigne, Livre de poche

26/02/2014

Une brique, de Paul de Roux

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Simon Hantaï, Mariale m.c.3, 1962, Huile sur toile, 223 x 213 cm, Collection particulière

 

 

Encore une infusion de soleil 
alors que tout est si noir dans l'âme 
las, souffrant et comme à bout. 
Alors mieux vaut peut-être ne rien faire 
rester comme une brique qui attend: 
les souffles de l'air sont sur elle de toutes parts 
le soleil parfois, et le froid aussi. 
Elle est seule dans son coin. 
Mais un jour le maçon, d'un seul coup 
lui trouvera sa place au sein du mur.  
 

 

 Les Pas, l'Alphée 1984, page 10. 

25/02/2014

Les cerisiers, d'Alphonse Daudet

Cueillette de cerises. Pierre Bonnard, Collection privée, huile, 128 x 152 cm

I

Vous souvient-il un peu de ce que vous disiez,
Mignonne, au temps des cerisiers ?

Ce qui tombait du bout de votre lèvre rose,
Ce que vous chantiez, ô mon doux bengali,
Vous l’avez oublié, c’était si peu de chose,
Et pourtant, c’était bien joli…
Mais moi je me souviens (et n’en soyez pas surprise),
Je me souviens pour vous de ce que vous disiez.
Vous disiez (à quoi bon rougir ?)…donc vous disiez…
Que vous aimiez fort la cerise,
La cerise et les cerisiers.

II

Vous souvient-il un peu de ce que vous faisiez,
Mignonne, au temps des cerisiers ?

Plus grands sont les amours, plus courte est la mémoire
Vous l’avez oublié, nous en sommes tous là ;
Le cœur le plus aimant n’est qu’une vaste armoire.
On fait deux tours, et puis voilà.
Mais moi je me souviens (et n’en soyez surprise),
Je me souviens pour vous de ce que vous faisiez…
Vous faisiez (à quoi bon rougir ?)…donc vous faisiez…
Des boucles d’oreille en cerise,
En cerise de cerisiers.

III

Vous souvient-il d’un soir où vous vous reposiez,
Mignonne, sous les cerisiers ?

Seule dans ton repos ! Seule, ô femme, ô nature !
De l’ombre, du silence, et toi…quel souvenir !
Vous l’avez oublié, maudite créature,
Moi je ne puis y parvenir.
Voyez, je me souviens (et n’en soyez surprise),
Je me souviens du soir où vous vous reposiez…
Vous reposiez (pourquoi rougir ?)…vous reposiez…
Je vous pris pour une cerise ;
C’était la faute aux cerisiers.

 

 

Les Amoureuses; Poèmes Et Fantaisies, 1857-1861 

22/02/2014

Aujourd'hui c'est dimanche, de Nazim Hikmet

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Serge Poliakoff, Composition abstraite 1968, © Photo Daniel Mille, Monaco © ADAGP, Paris 2013

 

Aujourd'hui c'est dimanche
Aujourd'hui c'est la première fois qu'ils m'emmènent au soleil.
Et moi pour la première fois de ma vie
stupéfait de voir le ciel si loin de moi
si bleu
si vaste
je suis resté sans bouger.
Ensuite je me suis assis par terre avec respect.
J'ai appuyé mon dos contre le mur blanc
En cet instant pas de jeux dans les vagues
En cet instant, pas de liberté, pas d'épouse.
Juste la terre, le soleil et moi...
Je suis heureux.


iJean Pinquié, Levent Yilmaz, Anthologie de la poésie turque contemporaine,
Préface de Nedim Gürsel, Publisud, Paris 1991, pages 34-35. A retrouver ICI

 

16/02/2014

La descente (extrait de Connaissance de l'est), de Paul Claudel

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 William Turner, huile sur toile, 91 x 122 cm National Gallery, Londres

 

Ah ! que ces gens continuent à dormir ! que le bateau n’arrive pas présentement à l’escale ! que ce malheur soit conjuré d’entendre ou de l’avoir proférée, une parole !

Sortant du sommeil de la nuit, je me suis réveillé dans les flammes.

Tant de beauté me force à rire ! Quel luxe ! quel éclat ! quelle vigueur de la couleur inextinguible ! C’est l’Aurore. O Dieu, que ce bleu a donc pour moi de la nouveauté ! que ce vert est tendre ! qu’il est frais ! et, regardant vers le ciel ultérieur, quelle paix, de le voir si noir encore que les étoiles y clignent. Mais que tu sais bien, ami, de quel côté te tourner, et ce qui t’est réservé, si, levant les yeux, tu ne rougis point d’envisager les clartés célestes. Oh ! que ce soit précisément cette couleur qu’il me soit donné de considérer ! Ce n’est point du rouge, et ce n’est point la couleur du soleil ; c’est la fusion du sang dans l’or ! c’est la vie consommée dans la victoire, c’est, dans l’éternité, la ressource de la jeunesse ! La pensée que c’est le jour qui se lève ne diminue point mon exultation. Mais ce qui me trouble comme un amant, ce qui me fait frémir dans ma chair, c’est l’intention de gloire de ceci, c’est mon admission, c’est l’avancement à ma rencontre de cette joie !

Bois, ô mon cœur, à ces délices inépuisables !

Que crains-tu ? ne vois-tu pas de quel côté le courant, accélérant la poussée de notre bateau, nous entraîne ? Pourquoi douter que nous n’arrivions, et qu’un immense jour ne réponde à l’éclat d’une telle promesse ? Je prévois que le soleil se lèvera et qu’il faut me préparer à en soutenir la force. O lumière ! noie toutes les choses transitoires au sein de ton abîme. Vienne midi, et il me sera donné de considérer ton règne, Été, et de consommer, consolidé dans ma joie, le jour, — assis parmi la paix de toute la terre, dans la solitude céréale.

 

 

Connaissance de l'est, Poésie/Gallimard

15/02/2014

Pensefable, de Joë Bousquet

 

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Terre labours, Toile #019, huile sur toile, format 10F, 55 cm x 46 cm, ©Katia Chaix à retrouver sur son site 

 

 

Le ciel est un songe innocent
Qui meurt des clartés qu’il s’ajoute
Quand le soleil jaunit la route
Dont il est le dernier passant

A force de rire avec elle
L’espoir nous a pris la raison
Dans la nuit qui sort des maisons
Nos étoiles battent des ailes

La terre s’ouvre et sent le pain
Quand la mort des feuilles l’embaume
Le vent ne sait où vont les hommes
Et conte aux ailes de moulins

Que sous des iris d’azur sombre
La mort a caché les yeux noirs
Où chaque larme est le miroir
D’un monde trop lourd pour des ombres

 

La connaissance du Soir , Poésie/Gallimard

14/02/2014

Le peintre, de José-Maria de Heredia

 

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 Série Terre air huile sur toile format 195 x 97 cm ©Katia Chaix à retrouver sur son site 

 

À Emmanuel Lansyer

 

Il a compris la race antique aux yeux pensifs
Qui foule le sol dur de la terre bretonne,
La lande rase, rose et grise et monotone
Où croulent les manoirs sous le lierre et les ifs.

Des hauts talus plantés de hêtres convulsifs,
Il a vu, par les soirs tempétueux d'automne,
Sombrer le soleil rouge en la mer qui moutonne ;
Sa lèvre s'est salée à l'embrun des récifs.

Il a peint l'Océan splendide, immense et triste,
Où le nuage laisse un reflet d'améthyste,
L'émeraude écumante et le calme saphir ;

Et fixant l'eau, l'air, l'ombre et l'heure insaisissables,
Sur une toile étroite il a fait réfléchir
Le ciel occidental dans le miroir des sables.

 

Recueil Les trophées, Poésie/Gallimard

Emmanuel Lansyer est un peintre, mais j'ai préféré à l'un de ses tableaux celui de Katia Chaix.