15/09/2013
Du silence (extrait), de Georges Rodenbach
Léon Spilliaert , Aquarelle 49x65,2 cm Musée voor Schone Kunsten, Ostende
IV
Seuls les rideaux, tandis que la chambre est obscure,
Tout brodés, restent blancs, d' un blanc mat qui figure
Un printemps blanc parmi l' hiver de la maison.
Sur les vitres, ce sont des fleurs de guérison
Pareilles dans le soir à ces palmes de givre
Que sur les carreaux froids les nuits d' hiver font vivre.
Et dans ces floraisons de guipure on croit voir
Tous les souvenirs blancs parmi le présent noir;
Ce sont les rideaux clairs du berceau ; c' est la bonne
Aïeule aux cheveux blancs en bandeaux de madone;
Ce sont les grands jardins d' enfance où les pommiers
Étaient poudrés ; ce sont les cierges coutumiers
Et les nappes d' autel pour les communiantes ;
C' est l' hostie aux lys purs de leurs lèvres priantes ;
Puis c' est le clair de lune épars comme du lait
Dans la forêt magique où l' art nous appelait
Parmi sa gloire et ses blancheurs éternisées !
Puis la guirlande en fleur au front des épousées
Dont l' espoir doux se fane irréparablement
Parmi cette blancheur vaporeuse qui ment.
Car le leurre est rapide en cette ombre équivoque,
Et tous les autres blancs du passé qu' on évoque
Vont se faner avec les souvenirs d' amour
Quand descendra dans les rideaux la mort du jour.
Du silence, Le règne du silence. Pour en savoir plus, c'est ICI
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14/09/2013
Éblouissements (extrait), d'Anna de Noailles
Jeffrey Ripple, (né en 1962) peinture sur huile
– Aujourd’hui, le coeur las et blessé par le feu,
Je vous bénis encor, o brasier jaune et bleu,
Exaltant univers dont chaque élan m’enivre!
Mourante, je dirai qu’il faut jouir et vivre;
Que, malgré la langueur d’un corps triste et brûlant,
La nuit est généreuse et le jour succulent;
Que les larmes, les cris, la douleur, l’agonie
Ne peuvent pas ternir l’allégresse infinie!
Qu’un moment du désir, qu’un moment de l’été,
Contiennent la suave et chaude éternité.
O sol humide et noir d’ou jaillit la jacinthe!
Qu’importe si dans l’âpre et ténébreuse enceinte
Les morts sont étendus froids et silencieux.
O beauté des tombeaux sous la douceur des cieux!
Marbres posés ainsi que des bornes plaintives,
Rochers mystérieux des incertaines rives,
Horizontale porte accédant à la nuit,
O débris du vaisseau, épave qui reluit,
Comme vous célébrez la joie et l’abondance,
La force du plaisir, l’audace de la danse,
L’universelle arène aux lumineux gradins!…
Et quelquefois, parmi les funèbres jardins,
Je crois voir ses pieds nus appuyés sur les tombes,
Un Eros souriant qui nourrit des colombes…
Parution de l’Oeuvre poétique complète d’Anna de Noailles, aux Éditions du Sandre, 2013, édition présentée et annotée par Thanh-Vân-Ton-That.
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31/08/2013
Midi, de José Maria de Heredia
©pierre gaudu 2013, tous droits réservés, ne pas diffuser sans son accord, http://pierre-gaudu.over-blog.com/
Pas un seul bruit d'insecte ou d'abeille en maraude,
Tout dort sous les grands bois accablés de soleil
Où le feuillage épais tamise un jour pareil
Au velours sombre et doux des mousses d’émeraude.
Criblant le dôme obscur, Midi splendide y rôde
Et, sur mes cils mi-clos alanguis de sommeil,
De mille éclairs furtifs forme un réseau vermeil
Qui s'allonge et se croise à travers l'ombre chaude.
Vers la gaze de feu que trament les rayons
Vole le frêle essaim des riches papillons
Qu'enivrent la lumière et le parfum des sèves ;
Alors mes doigts tremblants saisissent chaque fil,
Et dans les mailles d'or de ce filet subtil,
Chasseur harmonieux, j'emprisonne mes rêves.
Midi, « La Nature et le Rêve », Les Trophées (1893), Orphée La différence
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24/08/2013
Le soleil du matin doucement chauffe et dore, de Paul Verlaine
Claude Monet "Jeanne-Marguerite Lecadre au jardin", Huile sur toile 80 cm x 99 cm,1866-1867, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage
Le soleil du matin doucement chauffe et dore
Les seigles et les blés tout humides encore,
Et l'azur a gardé sa fraîcheur de la nuit.
L'on sort sans autre but que de sortir ; on suit,
Le long de la rivière aux vagues herbes jaunes,
Un chemin de gazon que bordent de vieux aunes.
L'air est vif. Par moment un oiseau vole avec
Quelque fruit de la haie ou quelque paille au bec,
Et son reflet dans l'eau survit à son passage.
C'est tout.
Mais le songeur aime ce paysage
Dont la claire douceur a soudain caressé
Son rêve de bonheur adorable, et bercé
Le souvenir charmant de cette jeune fille,
Blanche apparition qui chante et qui scintille,
Dont rêve le poète et que l'homme chérit,
Évoquant en ses vœux dont peut-être on sourit
La Compagne qu'enfin il a trouvée, et l'âme
Que son âme depuis toujours pleure et réclame.
Extrait de La bonne chanson
Fêtes galantes, la Bonne Chanson, précédées des Amies, éditions: Le livre de poche
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23/08/2013
L'inconnu sur la terre, (extrait), de Jean-Marie Gustave Le Clézio
Sam Francis 2012 Fondation Sam Francis, Californie / Artists Rights Society (ARS), NY
Lithographie de 1971, 88.9 x 200 cm, Fine Arts Museums of San Francisco, San Francisco, CA, USA
J'aime la plus belle des lumières, chaude, jaune, celle qui apparaît quelquefois l'après-midi sur le mur d'une chambre face au sud. C'est en elle que je voudrais habiter, pendant des jours, des mois, des années. Souple, tiède, vivante, douce, jaune comme la paille, jaune comme la flamme des allumettes, elle entre par la fenêtre ouverte sans que je sache d'où elle vient, de quels sables, de quels champs de maïs ou de blé mûr.
Elle entre, pareille à une chevelure de femme, elle se met à bouger entre les murs de la chambre, d'un mouvement continu qui emplit de bonheur, d'un seul long mouvement qui se déploie et rebondit sans cesse, la belle lumière chaude, la lumière d'été.
Je la sens venir, elle m'enveloppe comme l'air, mais sans rien qui trouble , elle regarde chaque parcelle de ma peau, elle me baigne et m'éclaire. Aucune lumière ne sait faire cela comme elle. Elle, elle est venue de tous les points de l'espace, poudre des soleils et des étoiles, parfum des astres. Lumière du tabac et des genêts, lumière du cuir, lumière de la bière, lumière des fleurs, lumière de la peau blonde et claire, elle supporte tout cela avec elle, comme une rivière qui coulerait sur elle-même. On n'entend pas son bruit.
L'inconnu sur la terre, extrait, Collection l'Imaginaire, Gallimard
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26/07/2013
Les papillons, de Gérard de Nerval
De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu'aimez-vous mieux ? - Moi, les roses ;
- Moi, l'aspect d'un beau pré vert ;
- Moi, la moisson blondissante,
Chevelure des sillons ;
- Moi, le rossignol qui chante ;
- Et moi, les beaux papillons !
Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l'on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l'oiseau !...
Quand revient l'été superbe,
Je m'en vais au bois tout seul :
Je m'étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul.
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d'eux à son tour,
Passe comme une pensée
De poésie ou d'amour !
Voici le papillon "faune",
Noir et jaune ;
Voici le "mars" azuré,
Agitant des étincelles
Sur ses ailes
D'un velours riche et moiré.
Voici le "vulcain" rapide,
Qui vole comme un oiseau :
Son aile noire et splendide
Porte un grand ruban ponceau.
Dieux ! le "soufré", dans l'espace,
Comme un éclair a relui...
Mais le joyeux "nacré" passe,
Et je ne vois plus que lui !
II
Comme un éventail de soie,
Il déploie
Son manteau semé d'argent ;
Et sa robe bigarrée
Est dorée
D'un or verdâtre et changeant.
Voici le "machaon-zèbre",
De fauve et de noir rayé ;
Le "deuil", en habit funèbre,
Et le "miroir" bleu strié ;
Voici l'"argus", feuille-morte,
Le "morio", le "grand-bleu",
Et le "paon-de-jour" qui porte
Sur chaque aile un oeil de feu !
Mais le soir brunit nos plaines ;
Les "phalènes"
Prennent leur essor bruyant,
Et les "sphinx" aux couleurs sombres,
Dans les ombres
Voltigent en tournoyant.
C'est le "grand-paon" à l'oeil rose
Dessiné sur un fond gris,
Qui ne vole qu'à nuit close,
Comme les chauves-souris ;
Le "bombice" du troëne,
Rayé de jaune et de vent,
Et le "papillon du chêne"
Qui ne meurt pas en hiver !...
Voici le "sphinx" à la tête
De squelette,
Peinte en blanc sur un fond noir,
Que le villageois redoute,
Sur sa route,
De voir voltiger le soir.
Je hais aussi les "phalènes",
Sombres hôtes de la nuit,
Qui voltigent dans nos plaines
De sept heures à minuit ;
Mais vous, papillons que j'aime,
Légers papillons de jour,
Tout en vous est un emblème
De poésie et d'amour !
III
Malheur, papillons que j'aime,
Doux emblème,
A vous pour votre beauté !...
Un doigt, de votre corsage,
Au passage,
Froisse, hélas ! le velouté !...
Une toute jeune fille
Au coeur tendre, au doux souris,
Perçant vos coeurs d'une aiguille,
Vous contemple, l'oeil surpris :
Et vos pattes sont coupées
Par l'ongle blanc qui les mord,
Et vos antennes crispées
Dans les douleurs de la mort !.
Extrait de Odelettes,
Sylvie suivi de Les chimères et Odelettes, Collection de poche, Librio
Pastel d'Odilon Redon, Collection privée 'le Sphinx rouge", 61 x 49.5 cm
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21/07/2013
L'herbe, d'Emily Dickinson
Que l'herbe a peu de chose à faire!
Simple, verte, et toute ronde :
Pour seul souci les papillons,
Et pour compagnie l'abeille.
Suivant au fil du jour les jolis airs
Apportés par les brises,
Tenant le soleil sur son sein,
Elle salue à la ronde.
Elle enfile la nuit des perles de rosée,
Revêt de tels atours
Qu'une duchesse, à côté d'elle,
Semblerait trop commune.
A sa mort même elle passe
Dans des odeurs divines
D'humbles épices assoupies
Ou de nard qui périt.
Puis elle règne sur les granges,
Rêvasse au long du jour.
Que l'herbe a peu de chose à faire :
Je voudrais être foin!
Extrait de Poèmes, Editions Belin
Tableau de Ernst Kreidolf (1863-1956).
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20/07/2013
56 poèmes (extrait), d'Emily Dickinson
Le Jaune ourlait le Ciel
Coupé dans la quintescence du Jaune
Jusqu'à ce que le Safran vire au Vermillon
Sans qu'on puisse en voir le glissement.
56 poèmes, suivi de Trois Lettres, Editions Le Nouveau Commerce
Tableau de Rothko
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13/07/2013
Toujours je me réveille, de Fernando Pessoa
Paul Gauguin- Levée du jour
Toujours je me réveille avant le point du jour,
et j'écris lourd de ce sommeil que j'ai perdu.
Puis dans cette torpeur où le froid gagne l'âme,
je guette l'aurore, tant de fois déjà vue.
Je la fixe sans attention, gris-vert
qui se bleuit du chant des coqs.
Quel mal à ne pas dormir ? Nous perdons
ce que la mort nous donne en avant-goût.
Ô printemps apaisé, aurore,
enseigne à ma torpeur où le froid gagne l'âme,
ce qui en mon âme livide la colore
de ce qui va se passer dans le jour.
Note : Je suis à la recherche des références de ce texte, relevé une nuit sans sommeil...)
06:27 Publié dans Couleur, Poésie et couleurs, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : toujours je me réveille, de fernando pessoa, paul gauguin, bleu, vert, colore | Facebook | Imprimer | | |
11/07/2013
La fatigue a des couleurs, de Jacques Ancet
Frederick Childe Hassam, Thunderstorm on the Oregon Trail,1908, watercolor on paper mounted on paperboard, Collection privée
La fatigue a des couleurs
comme les saisons. Elle a
ses douceurs et ses éclats,
ses silences. Mais surtout
ce qu’elle permet de voir :
d’une chose à son image,
imperceptible, une sorte
de distance sans distance.
L’incertitude du monde.
Comme un vacillement bref.
Entre corps et pensée, coédition Écrits des Forges / le Dé bleu (l’idée bleue), 2007 p 79
21:50 Publié dans Couleur, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : frederick childe hassam, jacques ancet, la fatigue a des couleurs | Facebook | Imprimer | | |
10/07/2013
Une histoire à suivre, de Claude Roy
Vincent van Gogh – Pelouse Ensoleillée Place Lamartine 1888
Après tout ce blanc vient le vert
Le printemps vient après l'hiver.
Après le grand froid le soleil,
Après la neige vient le nid,
Après le noir vient le réveil,
L'histoire n'est jamais finie.
Après tout ce blanc vient le vert,
Le printemps vient après l'hiver,
Et après la pluie le beau temps.
Farandoles et fariboles, Gallimard Jeunesse
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28/06/2013
Sept amandiers en fleurs ou le retour vers la maison, de Paul Fort
Amandiers en provence, Paul Cezanne, Aquarelle, 58.5 x 47.5 cm, Collection privée
Savais-je aux fins de jour où mon destin chemine que j’aurais pour amis sept amandiers en fleurs ?
Sept amandiers en fleurs, du haut de la colline, se penchent et saluent mes joies et mes douleurs.
Ce soir où des nuées rouges aux lointains voiles se disputent la lune et tout le firmament,
blancs et roses filets à recevoir le vent, sept amandiers en fleurs ont capté mon étoile.
L’Arlequin de plomb.
Extrait de Ballades du beau hasard, p 160, Editions Flammarion
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22/06/2013
La solitude visitée, d'Armel Guerne
Pruniers en fleurs, Claude Monet, 1879 (Origine et Musée NC)
Regarder seulement et enfin ne rien dire,
Noyé dans la beauté vivante du matin
Vernissant tous les verts de la tapisserie
Ou recreusant ses bleus au-dessous des lointains
Tremblants de volupté et frémissants de joie
Sous la caresse imprévisible du soleil.
Le brouillard incertain se relève en panaches
Aux découpes bizarres parmi les coteaux
Qui paressent encore et par endroit se voilent
D'une fine blancheur plus souple que le vent
Virginal et doré, délicieux et clair.
La vue est une ivresse heureuse de se perdre.
Même le cri le plus secret de cette extase
Est refoulé jusqu'aux sources de la parole.
Rhapsodie des fins dernières. Paris, Phébus, 1977
et merci à une de mes lectrices : http://en-paraison.hautetfort.com/archive/2010/12/08/pour...
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08/06/2013
Le devant de la nuit, d'Armel Guerne
Emmanuelle Bollack/Sans titre/peinture à l'huile/60x60 cm/2011 http://www.emmanuellebollack.com
Emmanuelle expose du 6 juin au 6 juillet chez Aroa, à Neuilly (http://www.aroa.fr)
Il y a dans le ciel orageux de ce soir
Des blondeurs sous le gris et des tonalités
Si tendres, tendrement, si tendrement rosées
Qu'on pense à d'improbables cuivres transparents
D'une musique exquisement confidentielle.
Il y a dans le gris comme une mélodie
Ineffable du bleu, des teintes ardoisées
Qui tirent sur le vert ; - et le vent suspendu
Là-bas, à l'horizon, laisse le gris trop lourd
S'écraser sur le sol et le ronger de nuit.
Rhapsodie des fins dernières, Editions Phébus
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25/05/2013
Est-elle aimée? d'Arthur Rimbaud
Edvard Munch, 'Summer Night 1889, huile sur toile, 126x162 cm.
Est-elle almée ?… aux premières heures bleues
Se détruira-t-elle comme les fleurs feues…
Devant la splendide étendue où l’on sente
Souffler la ville énormément florissante !
C’est trop beau ! c’est trop beau ! mais c’est nécessaire
- Pour la Pêcheuse et la chanson du Corsaire,
Et aussi puisque les derniers masques crurent
Encore aux fêtes de nuit sur la mer pure !
Œuvres et lettres (1868-1875) : Œuvres en prose et en vers (1868-1873) - Une Saison en enfer - Illuminations - Lettres de Rimbaud et de quelques correspondants (1870-1875). Vie et documents (1854-1891), La Pléiade, Gallimard
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04/05/2013
Vélimir Khlebnikov, Choix de poèmes
Frederick C.Frieseke. Nude in Dappled Sunlight. Huile sur toile. 1915. 96.52 x 129.86 cm. Collection privée
Des caresses
de seins parmi l'herbe,
vous, tout entière, souffle de chaudes sécheresses,
vous étiez debout, près de l'arbre
et les tresses
tordaient la torsade des torts atroces en toron.
Et les heures bleues
vous enlaçaient de tresses de cuivre.
Leur coulée cuivrée se tord, torride.
Et ton regard — c'est une chaumière
où tournent le rouet deux marâtres — fileuses.
Je vous ai bue à plein verre
durant les heures bleues
lorsque vous regardiez le lointain de fer.
Les pins frappent le bouclier
de leurs aiguilles murmurantes,
clos, les yeux des vieilles ;
et maintenant
m'enserrent, me brûlent les tresses de cuivre.
Vélimir Khlebnikov, Choix de poèmes, traduit du russe et présenté par Luda Schnitzer, Pierre Jean Oswald, 1967, p. 83.
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27/04/2013
La délirée, d'Henry Bauchau
Eau-forte et aquatinte en 5 couleurs originale de Zao Wou Ki , Non signée, 1974. Dimensions : 56 x 76 cm
Que tu es belle, ma délirée, tes joues sont noires
Et sculptées par l'ardent malheur.
Ta bouche est ornée par la lune et tes yeux
Tes yeux ont la couleur perdue.
Ton corps est un grand paysage de colère
Tu es le rouge indéchiffré
Avec le noir
Tu produis des paroles rouges.
Le temps nous a rejoints.
Nous sommes et nous ne sommes rien
Rien que ceux que la terre en tournant délirait.
Henry Bauchau, Heureux les déliants, poèmes 1950-1995
p 198, Editions Labor
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09/04/2013
R comme ROUGE, de Dominique Sorrente
Appel par les cent mille nuits biseautées, appel par le caillot du sang non advenu, appel d'une genèse qui d'un seul cri va nous rendre présents. ( Materia Mater ) À la question banale dans l’enfance, quand ma grand-mère se passionnait du vert, elle répondit qu’elle était ma couleur préférée. Elle, toujours, la couleur rouge, respire là, dans la poussée des commencements. Elle a su en ces heures poser son nez de clown sur le monde, mettre à la bouche la peau très tendre des coquelicots. On dira qu’on lui fera poser un genou à terre pour récolter sa part d’écorchure, ses drapeaux froissés, ses barricades en incendie. On lui montrera même ces deux trous au côté droit qui me parlent de résistance abattue. Mais c’est de vie toujours qu’il s’est agi. Un vol d’oiseau réfractaire qui nous emporte, une salutation avant d’entrer dans l’arène, un habit de lumière écarlate sur tes lèvres qui demandent à s’ouvrir. Bon sang ne saurait mentir, et pardon à ceux qui s’en font du mauvais. Le monde des poèmes est peuplé de bivouacs, d’avant, d’après batailles. On les approche comme au bord d’un brasero de fortune qui veut croire que l’histoire, en quelques mots reçus, trouvés, sera sauvée de son désastre rougeoyant.
(Extrait de Hier les fagots- Abécédaire, in Revue des Archers, n°14, mars 2008)
Merci à Dominique Sorrente de m'avoir communiqué ce texte.
Tableau de Zao Wou-Ki
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30/03/2013
L'oiseau à tire d'ailes, de Pierre Chappuis
"un cygne de reconnaissance", plume et encre de Chine, 50x50 cm - 23.01.2013
© pierre gaudu (image non diffusable sans son accord).http://pierre-gaudu.over-blog.com/
Taillant dans le vif à tire d'aile au plus étroit du défilé comme si, issue des ténèbres, une main donnait — mais dans le vide — de grands coups de ciseaux.
Le bel embrouillamini de cascades, de tourbillons, de remous, plis et replis, de gerbes d'écume qu'il traverse sans dévier!
Joindra-t-il une rive de la nuit à l'autre ? En tout cas sans mettre aucun ordre ni tracer de ligne de démarcation qui vaille. Pour l'avoir frôlée, ne noircira pas l'eau, messager de l'oubli.
Pierre Chappuis, À portée de la voix, José Corti, 2002, p. 7
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27/03/2013
Le sentier, d'Henry Bauchau
Photo © pierre gaudu http://pierre-gaudu.over-blog.com/ Tous droits réservés
Epars dans le sang bleu du rêve
ton sentier s'est perdu dans l'herbe.
Perdu le bel été dans son profond sommeil
portant les matins dénoués.
Henry Bauchau, Heureux les déliants, Poèmes 1950-1995, p 227, Editions Labor
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