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23/01/2013

Répétition, de Valérie Rouzeau

valérie rouzeau,quand je me deux,marc leonard,noir

 Tableau de Marc Leonard - Séance n°286 - Bienvenue - Acrylique - 146x114 cm.  Lien sur son site

 

On ne connaît pas le cœur des gens

Il est tant mal visible que parfois

On cogne dedans

Quelle misère de prendre le train

Quand au bout i n'y a personne rien

On ne sait pas l'avais des anges

Non plus que des moulins à eau

On se sert un grand verre de vent

De source de pluie des yeux

On ignore comment vivre comme eux

On se sert un grand verre de vin

Dans une maison avec enfants avenir chien

Le quai fait des bruits de chaussures

Le quai fait des bruits de valises à roulettes et des

      bruits d'avant

Le quai est vide vide vide on bute dans l'air

Pardon messieurs dames j'ai cru à un nuage

Vous êtes innombrables qui ne m'êtes personne

Je suis innombrable et comme vous presque rien

Prenons donc un pot amical au lieu d'un pot au noir

       d'un mauvais coup

On ne connaît pas d'autre cœur dans le noir que le

        nôtre et encore

Ni dans le jour non plus alors à la bonne vôtre

Et nous débarquerons sous le soleil battant.

 


Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Le temps qu'il fait,2009, p. 45-46.

Merci à Marc Léonard pour sa confiance.

Merci à Tristan Hordé et à son blog litteraturedepartout.hautetfort.com

30/12/2012

Le désir de peindre, de Charles Baudelaire

 

Edouard-Manet-La-Viennoise-Portrait-dIrma-Brunner-843x1024.jpg

Edouard Manet (1832-1883) Portrait d'Irma Brunner Vers 1880, Pastel sur toile, H. 53,5 ; H. 44,1 cm
© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Jean-Gilles Berizzi

Malheureux peut-être l’homme, mais heureux l’artiste que le désir déchire !

Je brûle de peindre celle qui m’est apparue si rarement et qui a fui si vite, comme une belle chose regrettable derrière le voyageur emporté dans la nuit. Comme il y a longtemps déjà qu’elle a disparu !

Elle est belle, et plus que belle ; elle est surprenante. En elle le noir abonde : et tout ce qu’elle inspire est nocturne et profond. Ses yeux sont deux antres où scintille vaguement le mystère, et son regard illumine comme l’éclair : c’est une explosion dans les ténèbres.

Je la comparerais à un soleil noir, si l’on pouvait concevoir un astre noir versant la lumière et le bonheur. Mais elle fait plus volontiers penser à la lune, qui sans doute l’a marquée de sa redoutable influence ; non pas la lune blanche des idylles, qui ressemble à une froide mariée, mais la lune sinistre et enivrante, suspendue au fond d’une nuit orageuse et bousculée par les nuées qui courent ; non pas la lune paisible et discrète visitant le sommeil des hommes purs, mais la lune arrachée du ciel, vaincue et révoltée, que les Sorcières thessaliennes contraignent durement à danser sur l’herbe terrifiée !

Dans son petit front habitent la volonté tenace et l’amour de la proie. Cependant, au bas de ce visage inquiétant, où des narines mobiles aspirent l’inconnu et l’impossible, éclate, avec une grâce inexprimable, le rire d’une grande bouche, rouge et blanche, et délicieuse, qui fait rêver au miracle d’une superbe fleur éclose dans un terrain volcanique.

Il y a des femmes qui inspirent l’envie de les vaincre et de jouir d’elles ; mais celle-ci donne le désir de mourir lentement sous son regard.


Petits Poèmes en proses

27/12/2012

Larme, d'Arthur Rimbaud

 

ZAO WOU-KI, GRAVURE ET AQUATINTE N ° 252.jpg

ZAO WOU-KI, Eau-forte et aquatinte numéro 252, 56 x 76 cm, 1974 

 

Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Je buvais, accroupi dans quelque bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d’après-midi tiède et vert.

Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,
Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert.
Que tirais-je à la gourde de colocase ?
Quelque liqueur d’or, fade et qui fait suer.

Tel, j’eusse été mauvaise enseigne d’auberge.
Puis l’orage changea le ciel, jusqu’au soir.
Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches,
Des colonnades sous la nuit bleue, des gares.

L’eau des bois se perdait sur des sables vierges,
Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares…
Or ! tel qu’un pêcheur d’or ou de coquillages,
Dire que je n’ai pas eu souci de boire !

Mai 1872

Arthur Rimbaud, Derniers vers

 

09/12/2012

Le tramway, de Claude Simon

                      P1040450

                             

Personne ne ramassait les olives tombées de l’arbre et dont les pulpes écrasées parsemaient de taches noires les trois marches de brique par lesquelles, tournant brusquement à droite, se terminait la première rampe du sentier bordé de ces buissons d’un bleu pâle, personne non plus, sauf les enfants, ne faisait attention aux figues trop mûres, à la peau ratatinée et ridée, presque noire, à la chair éclatée, pourpre, granuleuse et sucrée, éparpillées quelques mètres plus loin parmi les touffes d’herbe encore vertes du pré roussi par l’été et qu’il fallait dans l’odorant et lourd parfum des feuilles disputer aux fourmis. Au bout de l’allée bordée de mûriers, le tramway s’arrêtait au pied du grand pin parasol dont le tronc penché par le vent, presque couché à sa base, était recouvert non pas exactement d’écorce mais d’épaisses écailles encastrées l’une dans l’autre en losanges, d’un gris soyeux, légèrement teinté de rose en leur centre et bordées d’un rugueux bourrelet brun. Entre deux d’entre elles sourdait en permanence une coulée de résine qui formait d’abord une grosse bulle, à peu près de la taille d’une groseille, d’un jaune d’or étincelant au soleil et dont la base se couvrait d’une sorte de taie avant de finir par s’écouler en une longue traînée de larmes grises, peu à peu blanchâtre, comme une fiente d’oiseau. 

Claude Simon, Le tramway, les éditions de Minuit, 2001, p. 139-140

Photographie non libres de droit : © Coline Termash  http://colinetermash.canalblog.com/  que je remercie.

 


17/11/2012

Noir: ton doigt sur ma lèvre, de Michel Gerbal

Paul Gauguin, Te Arii Vahine (La femme du roi), 1896, Huile sur toile, 139 cm x 100 cm,  Te Arii Vahine/P.Gauguin/1896, Moscou, Musée Pouchkine

 

Noir: ton doigt sur ma lèvre.
Rouge, la miette: de piment sur ta lèvre.
Noire, noire, ta lèvre.
Natifs: l'or et l'argent à tes doigts.
Blanches tes dents et terre tes tresses.
Femme: ton ventre.
Vert: le fruit dedans.
Orange ta langue: ta langue.
Sombre, violette, ta lagune, la parole, lancéolée à chacun de tes doigts, la caresse.
Nous avons décrit ce que nous savions décrire,
- et le reste, n'est-ce pas cela qui nous écrit:
le bien, le mal, et la caresse.
Et maintenant, nous émigrons à l'intérieur de toi.

 

Texte de Michel Gerbal, inédit  © 2012 Michel Gerbal - TOUS DROITS RÉSERVÉS (que je remercie).

http://feudesouffles.blogspot.com/

 

23/10/2012

Confections, de Paul Eluard

 

lesser ury.jpg

Les arbres blancs les arbres noirs

Sont plus jeunes que la nature

Il faut pour retrouver ce hasard de naissance

Vieillir

 

A toute épreuve, Gérald Cramer éditeur édition de 1958

Tableau de Lesser Ury (1861-1931)

19/10/2012

La rose noire, Zbigniew Herbert

 [brett walker]


elle apparaît

noire

aux yeux aveuglés

par la chaux

 

elle effleure l'air

et se fige

diamant

rose noire

dans le chaos des planètes

 

jouant

du pipeau de l'imagination

fais sortir

les couleurs

de la rose

noire

comme un souvenir

de la ville calcinée

 

le violet — pour le poison et la cathédrale

le rouge — pour le bifteck et le roi

l'azur — pour l'horloge

le jaune — pour l'os et l'océan

le vert — pour la jeune fille changée en arbre

le blanc — pour le blanc

 

Zbigniew Herbert,  Corde de lumière, Œuvres poétiques complètes I, édition bilingue, traduit du polonais par Brigitte Gautier, Le Bruit du temps, 2011, p. 393.

Photo de Brett Walker

16/09/2012

Ophélie, d'Arthur Rimbaud

ophelia-millais.jpg

 
Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte trés lentement, couchée en ses longs voiles...
On entend dans les bois lointains des hallalis.
 
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.
 
Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.
 
Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile:
Un chant mystérieux tombe des astres d'or.
 
ô pale Ophélia! belle comme la neige!
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté!
C'est que les vents tombant des grands monts de Norvège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté;
 
C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rêveur portait d'étranges bruits;
Que ton coeur écoutait le chant de la nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits;
 
C'est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux!
 
Ciel! Amour! Liberté! Quel rêve, ô pauvre folle!
Tu te fondais à lui comme une neige au feu:
Tes grandes visions étranglaient ta parole
Et l'infini terrible effara ton oeil bleu !
 
Et le poète dit qu'aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.


Arthur Rimbaud, Poésies, Livre de poche
Tableau de John Everett Millais, Ophelia (1852), Canvas 76 x 102 cm, Tate Gallery, London.  

15/09/2012

La vie fragile, de Pierre Reverdy

 

_pierre gaudu.jpg

Le 2 septembre 2012, à I.&H ses amis @pierre gaudu


Plus loin entre la plante grasse et le ride

Dresser l'échelle

Les formes qui remuent dans le fond du jardin

d'autres noires

Selon le mouvement brutal du réflecteur

              Les maillots des arbres sont roses

Mais au premier plan une main tient la clef du cœur

Un couple ailé marche dans des couleurs qui changent

                     Celui qui vole bas c'est l'homme

                          Celui qui va à pied c'est l'ange

Les yeux luttent dans la lumière

                      La lampe fraîche du matin

Un fil cassé descend derrière

                      La tête nue s'incline et barre le chemin

                      Tout le reste est recouvert de feuilles mortes

Quant au ciel il s'ouvre par le fond et de côté mais en triangle

 

Pierre Reverdy, La Guitare endormie. [1919], dans Œuvres complètes I, édition préparée, présentée et annotée par Étienne-Alain Hubert, "Mille&unepages", Flammarion, 2010, p. 262.

Photo  @pierre gaudu . Cette photo est propriété de son auteur et toute reproduction est interdite sans le consentement explicite de l'auteur. 

http://www.artnova-connect.com/

http://pierre-gaudu.over-blog.com/


 

 


08/09/2012

Coin de tableau, de Charles Cros

 

 

Tiède et blanc était le sein.
Toute blanche était la chatte.
Le sein soulevait la chatte.
La chatte griffait le sein.

Les oreilles de la chatte
Faisaient ombre sur le sein.
Rose était le bout du sein,
Comme le nez de la chatte.

Un signe noir sur le sein
Intrigua longtemps la chatte ;
Puis, vers d’autres jeux, la chatte
Courut, laissant nu le sein.


Le coffret de santal, Gallimard Poésie

Félix Vallotton. La paresse. Xylogravure, 1897.

07/07/2012

Testament, de Maria Elena VIEIRA DA SILVA


" Je lègue à mes amis
un bleu céruléum pour voler haut
un bleu de cobalt pour le bonheur
un bleu d'outremer pour stimuler l'esprit
un vermillon pour faire circuler le sang allègrement
un vert mouse pour apaiser les nerfs
un jaune d'or : richesse
un violet de cobalt pour la rêverie
une garance qui fait entendre le violoncelle
un jaune barite : science-fiction, brillance, éclat
un ocre jaune pour accepter la terre
un vert Véronèse pour la mémoire du printemps
un indigo pour pouvoir accorder l'esprit à l'orage
un orange pour exercer la vue d'un citronnier au loin
un jaune citron pour la grâce
un blanc pur : pureté
terre de sienne naturelle : la transmission de l'or
un noir somptueux pour voir Titien
une terre d'ombre naturelle pour mieux accepter la mélancolie noire
une terre de sienne brûlée pour le sentiment de la durée. "

Née à Lisbonne en 1908, l’artiste portugaise s’est exilée en France dès 1928 où elle a été une des fondatrices de l’école de Paris. En 1930, elle épouse le peintre hongrois Arpad Szenes (mort en 1985). D’abord figurative, au milieu des années 1930, Maria Helena Vieira da Silva ébauche son style en forme de patchwork qui la rendra mondialement célèbre. En 1938, elle accueille dans son atelier parisien le jeune peintres, Nicolas de Staël. C’est dans les années 1950 qu’elle se positionne comme un peintre de premier plan. Elle est morte à paris en 1992.

Oil on marouflaged cardboard on canvas Size: 31 x 46,5 cm. 1949

01/06/2012

Malentendu entre deux surréalistes, d'Erich Fried

 

 

(pour Katja Hajek)

 

« il pleut »

disait-elle

« des hommes en manteau noir

passent »

 

disait-elle

Mais Magritte

ne l’entendait

plus très bien

(puisqu’elle ne le dit que des années

après sa mort)

.

Il n’entendit donc pas

le dernier mot

et comprit seulement

« il pleut des hommes en manteau noir »

C’est cela qu’il a peint

 



(traduit de l'allemand par Chantal Tanet et Michael Hohmann)

D'autres poèmes du même auteur sur les sites http://droitdecites.org/2010/11/28/erich-fried-choix-de-p...http://terresdefemmes.blog s.com/mon_weblog/2010/12/erich-fried-das-richtige-wort.html
 http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/

Tableau de Magritte Golconde (1953).

 

 

26/05/2012

Les Poésies, de Georges Schehadé


Quand tremblera l'automne sur la montagne
Mets à ton cou l'oeil des cygnes
Les beautés sont dans le vent et l'heure est noire
Je t'aime on me l'a dit.


Les Poésies XIV (Poésie/Gallimard)

Tableau de Laurence-Amelie Schneider dont vous pouvez retrouver le travail sur http://laurence-amelie.com

 

31/03/2012

Une lampe dans la lumière aride, d'André du Bouchet

 

emmmanuelle bollack 2.jpeg

Je me suis assis sur un rocher habituellement écrasé par le jour. Rocher trempé d’aurore. Maculé de ces taches de bleu vif orange qui éclaboussaient l’horizon. Lichen encore visible le jour, comme ces végétations marines, adhérant aux roches qui attendent l’heure de la marée pour s’épanouir. Un champ de nuages collait aux mêmes rochers, de disques noirs et blancs enchevêtrés, durement échoués comme ces tas de nuages pavés, durement tassés, écrasés les uns contre les autres, très bas. Le plafond bas du ciel. L ‘écorce du ciel qui se fendille. Le rocher brillait extraordinairement. Comme un bloc de ciel. Criblé de lichen orange. Dans le village, au départ. Pierraille.

Pan de pierres écroulées. Mur dur sourd aveugle au-dessus du bol de feu, muet, de la grande tasse d’eau de l’aube.

Le soc rougi qui laboure la terre.


 

 

Une lampe dans la lumière aride, Le Bruit du temps, 2011, p. 91.

Huile d'Emmanuelle Bollack 120 x 60 cm, 2011 http://bollack.carbonmade.com/

 

 

24/03/2012

Soulages et le Noir


« J’aime l’autorité du noir. C’est une couleur qui ne transige pas. Une couleur violente mais qui incite pourtant à l’intériorisation. A la fois couleur et non-couleur. Quand la lumière s’y reflète, il la transforme, la transmute. Il ouvre un champ mental qui lui est propre. »


Pierre Soulages(cité par Françoise Jaunin, art. cit.)

Tableau du 3 Novembre 1958

18/03/2012

L'affiche rouge, d'Aragon



Vous n'aviez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants.
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents

Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement 
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses,
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui va demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient La France en s'abattant 


Louis Aragon, Le Roman Inachevé, Gallimard, 1955
Musique de Léo Ferré, 1959

Plus d'information sur cette affiche de propagande allemande: http://www.culture.lyon.fr/static/culture/contenu/pdf/mus...

21/02/2012

Pays sous les continents (extrait), de Dominique Sorrente

Seul,
ce pourrait être cette pierre à partage.

Le souffle du non-retour
du vent,
le premier logement du soleil
au sommet,
à rendre rose la montagne.

Ou bien seul,
la transparence d’un pas perdu, gagné,
tout blanc sur noir
comme une voyelle intermittente.

( extrait de Pays sous les continents, MLD, 2009 )


On peut aussi retrouver Dominique Sorrente sur www.scriptorium-marseille.fr , blog de l'association qu'il anime.

 Photo de Pierre Gaudu . Autoportrait Février 2012 .

17/02/2012

Colloque sentimental, de Paul Verlaine

Frida Kahlo
The Dream 1940
oil on masonite
via Olga’s Gallery

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.

- Te souvient-il de notre extase ancienne?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?

- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve? - Non.

Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.

- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.



Les Fêtes galantes

Illustration: Frida Kahlo, The Dream 1940

 


28/01/2012

La mélancolie (1532) de Lucas Cranach

 

(à propos de ce tableau La mélancolie (1532) de Lucas Cranach

"Vêtue de rouge, une femme ailée s'emploie à tailler une baguette. Pourquoi cette couleur, dans une œuvre placée sous le signe de la bile noire ? Je soutiens, après d'autres, que le peintre adopte une position anti-humaniste : loin de valoriser la mélancolie, il rejette l'idée ficinienne d'un mélancolique inspiré et génial. Son point de vue est religieux : nous sommes en pleine Réforme, et Cranach (comme Melanchthon ou Luther ) voit dans la mélancolie un péché. Plus qu'au génie, il faut penser au salut. À cette fin, l'artiste met en scène une séduction : sa Mélancolie est séductrice, ravissante et dangereuse, parce qu'elle nous détourne du droit chemin. Dans sa robe couleur de sang, la coquette nous fait de l'œil, avant de nous expédier – par un dispositif génial ! – au fond du tableau, vers un nuage noir qui préfigure l'enfer. La mélancolie, nous dit en somme Cranach, est une traîtresse qui se déguise en son contraire. Le rouge et le noir jouent ici, comme souvent, des rôles opposés et complémentaires.

 

Exttrait d'un entretien d' Yves Hersant dans Mag Philo  http://www2.cndp.fr/magphilo/philo16/hersant.htm

06/12/2011

L'automne du solitaire, de GeorgTrakl

 Pour Tristan Hordé


Eaux

 

L’automne sombre s’installe plein de fruits et d’abondance,

Éclat jauni des beaux jours d’été.

Un bleu pur sort d’une enveloppe flétrie ;

Le vol des oiseaux résonne de vieilles légendes.

Le vin est pressé, la douce quiétude

Emplie par la réponse ténue à des sombres questions.

 

Et, ici et là, une croix sur la colline désolée ;

Un troupeau se perd dans la forêt rousse.

Le nuage émigre au-dessus du miroir de l’étang ;

Le geste posé du paysan se repose.

Très doucement l’aile bleue du soir touche

Un toit de paille sèche, la terre noire.

 

Bientôt des étoiles nichent dans les sourcils de l’homme las ;

Dans les chambres glacées s’installe un décret silencieux

Et des anges sortent sans bruit des yeux bleus

Des amants, dont la souffrance se fait plus douce.

Le roseau murmure ; assaut d’une peur osseuse

Quand la rosée goutte, noire, des saules dépouillés.

 

Georg Trakl, Œuvres complètes, traduites de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1972, p. 107.

 Photo de Chantal Tanet,  Tout droit réservé.