02/11/2015
Le ventre de Paris (extrait chapitre 1), d'Emile Zola
Léon Lhermitte, Les Halles, 1895, Huile sur toile, H. : 404 ; L. : 635 cm
Il leva une dernière fois les yeux, il regarda les Halles. Elles flambaient dans le soleil. Un grand rayon entrait par le bout de la rue couverte, au fond, trouant la masse des pavillons d’un portique de lumière ; et, battant la nappe des toitures, une pluie ardente tombait. L’énorme charpente de fonte se noyait, bleuissait, n’était plus qu’un profil sombre sur les flammes d’incendie du levant. En haut, une vitre s’allumait, une goutte de clarté roulait jusqu’aux gouttières, le long de la pente des larges plaques de zinc. Ce fut alors une cité tumultueuse dans une poussière d’or volante. Le réveil avait grandi, du ronflement des maraîchers, couchés sous leurs limousines, au roulement plus vif des arrivages. Maintenant, la ville entière repliait ses griffes ; les carreaux bourdonnaient, les pavillons grondaient ; toutes les voix donnaient, et l’on eût dit l’épanouissement magistral de cette phrase que Florent, depuis quatre heures du matin, entendait traîner et se grossir dans l’ombre. A droite, à gauche, de tous côtés, des glapissements de criée mettaient des notes aiguës de petite flûte, au milieu des basses sourdes de la foule. C’était la marée, c’étaient les beurres, c’était la volaille, c’était la viande. Des volées de cloche passaient, secouant derrière elles le murmure des marchés qui s’ouvraient. Autour de lui, le soleil enflammait les légumes. Il ne reconnaissait plus l’aquarelle tendre des pâleurs de l’aube. Les coeurs élargis des salades brûlaient, la gamme du vert éclatait en vigueurs superbes, les carottes saignaient, les navets devenaient incandescents, dans ce brasier triomphal. A sa gauche, des tomberaux de choux s’éboulaient encore. Il tourna les yeux, il vit , au loin, des camions qui débouchaient toujours de la rue Turbigo. La mer continuait à monter. Il l’avait sentie à ses chevilles, puis à son ventre ; elle menaçait , à cette heure, de passer par-dessus sa tête. Aveuglé, noyé, les oreilles sonnantes, l’estomac écrasé par tout ce qu’il avait vu, devinant de nouvelles et incessantes profondeurs de nourriture, il demanda grâce , et une douleur folle le prit, de mourir ainsi de faim, dans Paris gorgé, dans ce réveil fulgurant des Halles. De grosses larmes chaudes jaillirent de ses yeux.
Le ventre de Paris, Emile Zola, Livre de Poche
08:01 Publié dans Bleu, Poésie et couleurs, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : emile zola, leon lhermitte, les halles, bleu, vert, or | Facebook | Imprimer | | |
01/11/2015
Du côté de chez Swann, de Marcel Proust
Adriaen Coorte, Still Life with Asparagus, Cherries and a Butterfly , 1693/95, collection privée
À cette heure où je descendais apprendre le menu, le dîner était déjà commencé, et Françoise, commandant aux forces de la nature devenues ses aides, comme dans les féeries où les géants se font engager comme cuisiniers, frappait la houille, donnait à la vapeur des pommes de terre à étuver et faisait finir à point par le feu les chefs-d’œuvre culinaires d’abord préparés dans des récipients de céramistes qui allaient des grandes cuves, marmites, chaudrons et poissonnières, aux terrines pour le gibier, moules à pâtisserie et petits pots de crème, en passant par une collection complète de casseroles de toutes dimensions. Je m’arrêtais à voir sur la table, où la fille de cuisine venait de les écosser, les petits pois alignés et nombrés comme des billes vertes dans un jeu ; mais mon ravissement était devant les asperges, trempées d’outre-mer et de rose et dont l’épi, finement pignoché de mauve et d’azur, se dégrade insensiblement jusqu’au pied — encore souillé pourtant du sol de leur plant — par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s’étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d’aurore, en ces ébauches d’arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j’en avais mangé, elles jouaient, dans leur farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum.
Extrait du Côté de chez Swann, Marcel Proust.
06:46 Publié dans Bleu, Rose, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marcel proust, adriaen coorte, vert, bleu, rose, arc en ciel, irisé, légumes, plaisir table | Facebook | Imprimer | | |
29/10/2015
Lettre en Novembre, de Sylvia Plath
La balle orange, Silvia Bar-am
Mon amour, le monde
Tourne, le monde se colore. Le réverbère
Déchire sa lumière à travers les cosses
Du cytise ébouriffé à neuf heures du matin.
C’est l’Arctique,
Ce petit cercle noir,
Ses herbes fauves et soyeuses — des cheveux de
bébé.
L’air devient vert, un vert
Très doux et délicieux.
Sa tendresse me réconforte comme un bon édre-
don.
Je suis ivre, bien au chaud.
Je suis peut-être énorme,
Si bêtement heureuse
Dans mes bottes en caoutchouc,
A patauger dans ce rouge si beau, à l’écraser.
Je suis ici chez moi
Deux fois par jour
J’arpente ma terre, je flaire
Le houx barbare,
Son fer viride et pur,
Et le mur des vieux cadavres
Je les aime.
Je les aime comme l’histoire.
Puis les pommes d’or,
Imagine —
Imagine mes soixante-dix arbres
Dans une épaisse et funèbre soupe grise
Occupés à retenir leurs balles d’or éclatant,
Leur million
De feuilles métalliques haletantes.
Ô amour, ô célibat.
Je suis seule avec moi,
Trempée jusqu’à la taille.
L’or irremplaçable
Saigne et s’assombrit, gorge des Thermopyles.
Ariel, p 62 et 63, présentation et traduction de Valérie Rouzeau, Collection Poésie, Editions Gallimard
22:41 Publié dans Gris, Noir, Poésie et couleurs, Rouge, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lettre en novembre, sylvia plath, valérie rouzeau, vert, gris, rouge, noir, or | Facebook | Imprimer | | |
19/10/2015
Gris lumière, de Jean-Claude Burgart
Cy Twombly, la peinture de Nini (1971)
Courtesy Gagosian Gallery. Photographie par Robert McKeever
Ignorant de ma fin et de mon commencement, j’écris aveuglément
pour apprendre de l’encre des signes
ce qui ordonne et croise
la trame des images et la chaîne des mots
J’écris pour que la blancheur irrévocable
qui ajoure et cerne les mots saisis par l’encre
se souvienne du souffle qui les assemble
en les mêlant à l’air qui me traverse.
Je veux qu’entraîné par la nappe de silence
qui sourd et s’étend quand la page se détache de moi
soient abolis regrets, désirs, attente
et que, même fragment, l’écrit s’achève
dans le deuil blanc qui le suit, alors
je serai libre, écrire serait naître.
Jean-Pierre Burgart, Gris lumière, La Lettre volée, 2014, p 46.
07:30 Publié dans Art et poésie en couleurs, Blanc, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : blanc, mort, vie, écriture, cy twombly, jean-claude burgart | Facebook | Imprimer | | |
18/10/2015
L'âme est un souffle, d'Armel Guerne
Tableau de Francis Gimgembre. à retrouver sur son site
Innocent paysage alangui sous les larmes,
Avec tes bleus attendrissants et incertains
Qui restent suspendus, comme en attente
Sous la crête des verts acides ; avec les mousses
Silencieuses et chagrines, qui rouillent
Sur le bord des chemins ; avec ces lourdes feuilles
Que hante la mélancolie au souvenir
Des peuples du printemps : quel est ce vent fourchu
Qui vous prend à revers et vous redresse,
Brossant brutalement de beaux étangs de paix ?
II Suite bénédictine, Testament de la perdition, Desclée De Brouwer, 1961
07:05 Publié dans Bleu, Poésie et couleurs, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : armel guerne, francis gimgembre, paysage, vert, bleu | Facebook | Imprimer | | |
17/10/2015
Bientôt l'arbre, de René-Louis Cadou
Le bouleau dans la forêt - Gustav Klimt
Verdoyante fumée
Demain je serai l'arbre
Et pour les oiseaux froids
La cage fortunée
Les grandes migrations
Sont parties de ma bouche
De mes yeux pleins d'épis
Les éclairs de santé
Je te suis dans l'air bleu
Flèche douce à la paume
Bel arbre que j'éveille
Au bord de mes genoux
Tronc si blanc qu'il n'est plus
Qu'une neige attentive
Tu courbes vers le toit
Tes brandons de lumière
Ta sève jour et nuit
Chante dans les gouttières
On te fête déjà
Dans les rues de villages
Ainsi qu'une saison
Inconnue de la terre
Et toi dans les sillons
Sans borne où les perdrix
Gaspillent pour la joie
Des poignées de sel gris
Tu marches répondant
De la douceur des pierres.
René Guy Cadou, Comme un oiseau dans la tête, Livre de poche
08:45 Publié dans Art et poésie en couleurs, Blanc, Bleu, Gris, Poésie et couleurs, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arbre, nature, rené louis cadou, klimnt, bleu, blanc, vert, gris | Facebook | Imprimer | | |
03/10/2015
Les roses de Saadi, de Marceline DESBORDES-VALMORE (1786-1859)
J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les noeuds trop serrés n'ont pu les contenir.
Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ;
La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée...
Respires-en sur moi l'odorant souvenir.
Poésies, Anthologies et dossiers, Virginie Belzgaou et Valérie Lagier, éd Folioplus Classiques
09:03 Publié dans Poésie et couleurs, Rose, Rouge | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marceline desbordes-valmore, laurence amélie, rose, rouge, amour, parfum | Facebook | Imprimer | | |
26/09/2015
La joie de cette vie, d'Henri Thomas
Pieter Claesz (1597-1660), Nature morte au crâne avec-livres, coupe, Römer, lampe à huile et plume (1645) Collection Hornstein.
C’est tellement étrange d’exister autrement qu’une plante ou un caillou, qu’il faudra peut-être s’excuser de mourir. Je suis là à six heures du matin, éveillé depuis quatre, le cœur battant, dans l’attente du jour qui sera sans doute encore obscur. Je n’ai, pour répondre de moi, que mes livres, que j’ai oubliés, après m’y être absorbé, peut-être résorbé. Ils sont pareils en cela aux amours, dont on n’a plus que le titre : un nom, un prénom, une couleur dominante ; le reste a disparu, comme l’herbe des champs, comme les lignes écrites il y a six mois ou dix ans.
Nous vivons sur (si l’on pense à la terre) ou sous (si c’est au ciel) d’anciennes terreurs, et c’est la même terreur. La chose et le mot viennent de terre ?
Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1991
08:33 Publié dans Art et poésie en couleurs, Couleur | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | Imprimer | | |
24/08/2015
Figues, de D.H Lawrence
Photo: Dominique Hordé
La manière correcte de manger une figue en société
Est de la fendre en quatre, la tenant par la tige,
Et de l'ouvrir pour en faire une fleur de miel, rosée, humide, éclatante à quatre lourds pétales.
Puis vous jetez la peau
Qui est comme un calice à quatre sépales,
Après avoir cueilli avec vos lèvres la fleur.
Mais la manière vulgaire
C'est de placer votre bouche sur la fente , et d'aspirer la chair, d'une seule bouchée.
Chaque fruit a son secret.
La figue est un fruit très dissimulé.
Lorsque vous la voyez pousser très droit, vous sentez tout de suite que c'est symbolique:
Et elle semble mâle.
Mais lorsque vous apprenez à mieux la connaître, vous admettez avec les Romains que c'est féminin.
Les Italiens appellent vulgairement figue l'organe femelle:
La fissure, le yoni,
Le merveilleux chemin humide qui conduit au centre.
Repliée,
Infléchie,
Floraison toute vers l'intérieur et veinée de fibres matricielles;
Et un seul orifice.
La figue, le fer à cheval, la fleur de courge.
Symboles.
Ce fut une fleur qui fleurissait tout à l'intérieur, vers la matrice;
Maintenant c'est un fruit, telle une matrice mûre.
Ce fut toujours un secret.
C'est ainsi que cela devrait être, la femelle devrait toujours rester secrète.
Il n'y a jamais rien eu de proéminent, de déployé sur une branche
Comme chez d'autres fleurs, dans une révélation de pétales;
Le rose argenté des fleurs de pêcher, la verrerie vénitienne des fleurs de néflier et de sorbier,
Coupes de vin peu profondes sur de courtes tiges turgescentes
Franche promesse du paradis:
Voici pour l'épine en fleur! Voici pour la révélation!
La vaillante, l'aventureuse rosacée.
Repliée sur elle-même, secret indicible,
La sève laiteuse qui caille le lait et fabrique la ricotta,
La sève qui sent si étrangement sur vos doigts que même les chèvres ne l'aiment pas;
Repliée sur elle-même, cachée comme une femme musulmane,
Sa nudité cloîtrée, sa floraison à jamais invisible,
Seulement un petit chemin d'accès, tous rideaux tirés devant la lumière;
Figue, fruit du mystère femelle, cachée et intime,
Fruit de la Méditerranée avec ta nudité cachée,
Où tout se passe dans l'invisible, floraison et fécondation et maturation
Dans l'intimité de votre vous, qu'aucun oeil ne verra jamais
Avant que tout soit achevé et que trop mûre vous éclatiez en rendant l'âme.
Jusqu'à ce que la goutte de maturité ne sourde,
Et que l'année prenne fin.
La figue, alors, a gardé suffisamment longtemps son secret.
Aussi elle explose et vous apercevez dans la faille l'écarlate.
Et la figue est finie, l'année a pris fin.
C'est ainsi que meurt la figue, dévoilant son cramoisi à travers une fente violette
Telle une blessure, l'exposition de son secret au grand jour.
Comme une prostituée, la figue éclatée donne en spectacle son secret.
C'est ainsi que meurent aussi les femmes.
D.H Lawrence, Poèmes, Choix traduit et présenté par Lorand Gaspar et Sarah Clair, Poésie/Gallimard, 2007, p 49 à 53
06:10 Publié dans Art et poésie en couleurs, Poésie et couleurs, Violet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : d.h lawrence, violet, figue, femme, sensualité | Facebook | Imprimer | | |
07/06/2015
Tout venant, de Jean-Pierre Chambon
© Julien Martin
Le vieux cerisier au fond du jardin
a atteint aujourd’hui même
le degré extrême de la blancheur
attestant à nouveau l’oracle
énoncé par l’ermite zen Ryôkan
le monde
est devenu
un cerisier en fleurs
Jean-Pierre Chambon, Tout venant, Héros-limite, 2014
Merci à Claude Chambard
21:39 Publié dans Blanc | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : nature, blanc, jean_pierre chambon | Facebook | Imprimer | | |
04/06/2015
Les bords du fleuve, d'Henri Thomas
Il y a au bord du fleuve
Une fille à robe rouge
Attendant la nuit pour vivre,
Tellement sauvage et belle
Qu'un soleil éblouissant
Marche au milieu de ses rêves,
Il n'a de ciel que ses yeux
Derrière une ombre d'orage
Couvrant l'azur interdit.
Une fille au bord du fleuve
En chemin vers une image
Que le jour ne peut montrer.
Les lampes, l'une après l'autre,
Les lampes prennent sa robe
Et la déchirent sur l'eau,
Mais jamais jusqu'à la chair,
Mais jamais jusqu'au soleil
Barré de chaudes ténèbres.
Partout montent, se confondent,
Des arches de nuit profonde,
Elle est nue, elle est cachée.
Henri Thomas, Poésie-Gallimard
06:04 Publié dans Rouge | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : henri thomas, rouge, fille, amour, rêve | Facebook | Imprimer | | |
31/05/2015
Mer matinale, de Constantin Cavafis
Tableau de Katia Chaix,Terre air, Toile #002, huile sur toile, format 30M, 91cm x 60 cm
©Katia Chaix, à joindre là et là
Que je m'arrête aussi, pour une fois,
contempler la nature. Mauves scintillants
d'une mer matinale, bleu translucide du ciel,
jaune du littoral - noyés de lumière.
Que je m'arrête surtout avec l'illusion
que je les vois vraiment (ils m'ont paru ainsi
l'espace d'un instant) et point encore
les mêmes phantasmes et souvenirs,
mirages de volupté.
http://www.cavafis-pourquoi.eu/mer-matinale.html traduction de François Sommaripas
07:08 Publié dans Bleu, Jaune, Violet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : constantin cavafis, katia chaix, mer, amour, mauve, bleu, nature | Facebook | Imprimer | | |
26/05/2015
Gisants (Extrait), de Michel Deguy
Ne me laisse pas ignorer où tu seras
Lis-moi le brouillon planétaire
Est-ce que je te connais connaissant tes objets
Les pétales de flamme de ta flamme et de son omphalos
Ton odeur ton nom ton âge tes commissures
Par tes capillaires, je bats, les tiges, faisceau de pouls, verge
Ton élégance tes récits tes bas tes couleurs
J'alanguis la rose de quelqu'une le roman
Tes bijoux tes bleus tes cils ta montre
La proximité est notre dimension
Tes lobes ta voix tes lèvres tes lettres
Ne me laisse pas ignorer où tu es
Le rouleau gris ensable notre baie
Extrait de "Gisants" Poèmes III, 1980-1995, Poésie/Gallimard
07:15 Publié dans Bleu, Couleur, Gris, Rose | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel deguy, matisse, amour, gris, bleu, rose | Facebook | Imprimer | | |
16/05/2015
Les couleurs, de Renée Vivien
Éloignez de mes yeux les flamboiements barbares
Du Rouge, cri de sang que jettent les fanfares.
Éteignez la splendeur du Jaune, cri de l’or,
Où le soleil persiste et ressurgit encor.
Écartez le sourire invincible du Rose,
Qui jaillit de la fleur ingénument déclose,
Et le regard serein et limpide du Bleu, —
Car mon âme est, ce soir, triste comme un adieu.
Elle adore le charme atténué du Mauve,
Pareil aux songes purs qui parfument l’alcôve.
Et la mysticité du profond Violet,
Plus grave qu’un chant d’orgue et plus doux qu’un reflet.
Versez-lui l’eau du Vert, qui calme le supplice
Des paupières, fraîcheur des yeux de Béatrice.
Entourez-la du rêve et de la paix du Gris,
Crépuscule de l’âme et des chauves-souris.
Le Brun des bois anciens, favorable à l’étude,
Sait encadrer mon silence et ma solitude.
Venez ensevelir mon ancien désespoir
Sous la neige du Blanc et dans la nuit du Noir.
Evocations, Alphonse Lemerre, éditeur, 1903 (pp. 143-144).
07:18 Publié dans Blanc, Bleu, Couleur, Gris, Jaune, Noir, Poésie et couleurs, Rose, Vert, Violet | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : couleurs, émotions, sentiments, renée vivien | Facebook | Imprimer | | |
15/05/2015
Phrases pour un orage, de Jean Tortel
Mark Rothko
I
Le ciel un peu trop lent pour cette heureuse
Matinée, l’arbre un peu trop
Chargé d’épaisseur tendre.
Le jardin transpirait
Au point du jour.
Il respire encore.
II
Vogue et scintille
Avant midi
Ce nuage.
(Il vient du sud), et nu
Le risque d’un azur
Quand sa blancheur l’éprouve
Dès qu’elle est suscitée.
Plus pure si possible
Que lui, touché par elle
Et dénoncé.
Ou son langage,
Ou son éclat.
III
On n’est pas heureux
Sous l’azur fragile.
En ce jardin je sais je ne sais quoi.
Les feuilles sont un peu plus larges,
Un peu moins vertes que leur nom.
L’azur enfante l’ombre
(Le fruit sa pourriture).
La terre aborde son silence
Qui l’attendait.
[...]
Jean Tortel, Relations, Gallimard, 1968, p. 29-31.
12:29 Publié dans Blanc, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | Imprimer | | |
05/05/2015
Chant d’un merle captif, de Georg Trakl
Truls Espadal, Le secret, Acrylics on canvas, 2010, 30x30 cm
Souffle obscur dans les branchages verts.
Des fleurettes bleues flottent autour du visage
Du solitaire, du pas doré
Mourant sous l’olivier.
S’envole, à coups d’aile, la nuit.
Si doucement saigne l’humilité,
Rosée qui goutte lentement de l’épine fleurie.
La miséricorde de bras radieux
Enveloppe un cœur qui se brise.
Œuvres complètes, traduites de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1972, p. 130.
06:28 Publié dans Poésie et couleurs, Rose, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georg trakl, nature, merle, solitude, doré, rosée | Facebook | Imprimer | | |
02/05/2015
Au bord de l'eau verte, de Francis Jammes
"Meadow with Thistle", Michelle Morin
Au bord de l’eau verte, les sauterelles
sautent ou se traînent,
ou bien sur les fleurs des carottes frêles
grimpent avec peine.
Dans l’eau tiède filent les poissons blancs
auprès d’arbres noirs
dont l’ombre sur l’eau tremble doucement
au soleil du soir.
Deux pies qui crient s’envolent loin, très loin,
loin de la prairie,
et vont se poser sur des tas de foin
pleins d’herbes fleuries.
Trois paysans assis lisent un journal
en gardant les bœufs
près de râteaux aux manches luisants que
touchaient leurs doigts calleux.
Les moucherons minces volent sur l’eau,
sans changer de place.
En se croisant ils passent, puis repassent,
vont de bas en haut.
Je tape les herbes avec une gaule
en réfléchissant
et le duvet des pissenlits s’envole
en suivant le vent.
07:17 Publié dans Blanc, Noir, Poésie et couleurs, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : francis jammes, michelle morin, nature blanc, noir, vert | Facebook | Imprimer | | |
25/04/2015
Les couleurs de la nuit, de Renée Vivien
Collage de Lance Letscher
Contemple les couleurs des ténèbres. Tes yeux
Sauront, comme les miens, interpréter les cieux.
J’ai vu le violet des nuits graves et douces,
Le vert des nuits de paix, la flamme des nuits rousses.
J’ai vu s’épanouir, rose comme une fleur,
La lune qui sourit aux rêves sans douleur.
J’ai vu s’hypnotiser, à des milliers de lieues,
La méditation subtile des nuits bleues.
En écoutant pleurer les hiboux à l’essor
Mystérieux, j’ai vu ruisseler les nuits d’or.
Evocations de Renée Vivien (1877-1909)
08:14 Publié dans Bleu, Poésie et couleurs, Rose, Violet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nuit, ciel, renée vivien, lance letscher | Facebook | Imprimer | | |
18/04/2015
Fraudeur (extrait) , d'Eugène Savitzkaya
Mais qu’est-ce qu’un verger sans l’herbe, sans la couleur de l’herbe, sans la douceur de l’herbe, l’herbe à sifflets stridents ou adoucis pour imiter le cri de la poule faisane ? Qu’est-ce qu’un verger sans la fétuque, sans le pissenlit, sans la patience ? l’herbe qui amortit les chutes, l’herbe qui nourrit les lapins et les oies. À chaque brin d’herbe, un vœu : que la mère guérisse, que les prunes soient nombreuses, que le pêcher revive, que les cerises brillent de jus frais, que les jambes de Marie-Claire s’ouvrent et se ferment sur son beau sexe rougi, fesses sur la pierre du seuil de sa maison, qu’apparaisse le chevreuil égaré en plaine, que l’ennemi se détourne, que la truite se laisse prendre dans le barrage de fortune sur le ruisseau limpide du parc du château, que le baron ne survienne pas son fusil à l’épaule quand on est bien au frais sous la cascade dans le trou d’eau, que la neige soit abondante, que le père soit moins brutal, que le brouillard de novembre soit épais sur les champs et que le bois des tombes demeure invisible, que les oies s’envolent enfin et disparaissent dans le ciel, que la rhubarbe soit tendre, que les oreilles des lapins soient douces, que l’été soit chaud, que viennent bien les pivoines blanches et les pivoines rouges, que les branches des cassis soient chargées de baies, que l’école s’arrête, que le trésor soit trouvé près de l’antique glacière du parc du château.
Eugène Savitzkaya, Fraudeur, éditions de Minuit, 2015, p. 48-49.
Texte à retrouver également sur le blog de Tristan Hordé litteraturedepartout
06:59 Publié dans Blanc, Rouge, Vert | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : eugène savitzkaya, meredith pardue, herbe, verger, nature, rouge, vert, blanc | Facebook | Imprimer | | |
11/04/2015
La naissance du printemps, de Louis Aragon
à Jacques Decourt
AVRIL renaît Voici ses rubans et ses flammes
Ses mille petits cris ses gentils pépiements
Ses bigoudis ses fleurs ses hommes et ses femmes
Je lui fais de ses couleurs tous mes compliments
Dieu que de baisers fous sur l’appui des fenêtres
Nous n'avons pas fini de compter les baisers
Il y a des semaines entières sous les hêtres
Où chantent les pinsons au plumage frisé
Avril n’a pas toujours vécu sous les lambris
Il fut petit pâtissier puis compte-goutte
Il gagna son pain à la sueur de son front
De fil en aiguille il devint contrôleur des finances
Enfin par un soleil de tous les diables
Il tomba tout à coup amoureux
Louis Aragon, Le Mouvement perpétuel précédé de Feu de joie et suivi de Écritures automatiques. Préface d'Alain Jouffroy. Paris : Gallimard / Poésie, 1970
A retrouver sur le site de Poezibao
23:04 Publié dans Couleur, Poésie et couleurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : aragon, amour, avril | Facebook | Imprimer | | |