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23/03/2013

Le poème sait bien que le malheur du monde est grand, de James Sacré

Marc Léonard, La plage sous l'orage.jpg

              Marc Léonard. La plage sous l'orage. A retrouver sur ses sites,  et 

 

On finit toujours par aimer le bruit des mots

Ce qui tremble et qui chante en leur malheur

    qu'on oublie

Treblinka Chatilla, l'amour et le vin doux, scandale!

Et le plaisir qu'un film prend à des endroits d'une Pologne

    ou d'ailleurs

Le noir du temps qui se transforme en couleur tendre

Débris campagne qui s'est installée traveling

Pour aller où?

Le malheur du monde est sans âge

Sabra Cambodge la frange au loin du Chili Saquiet

Hiroshima Bézier sacs de Rome et de Bizance on s'habitue,

  les mots

Sans rien d'assez vrai poème qui les musique en mensonges

Pour que le bonheur soit encore possible

Pour caresser le peu qui reste;

Ecrire est un geste de vivant

Qui pense au mot bonheur dans le bruit de la mort.

 

Une fin d'après-midi à Marrakech, Le poème sait bien que le malheur du monde est grand, p156, Editions Ryôan-ji


16/03/2013

Chronique d'un égarement, de Jacques Ancet


La beauté recommence. À chaque fois, c’est comme si elle m’ôtait les mots de la bouche. Le ciel fume sur la montagne, l’eau scintille hors de son nom. Dans la bouteille de celle qui boit brille un infime soleil. Petite nature, dit la voix. Tais-toi, répond l’autre. Le vent ressemble à un visage.

   Qu’est-ce que tu cherches ?

   Ce que je trouve.

Les corps multiplient l’instant. Jeux d’ombre et de lumière. Puis le soir vient dans les couleurs. Je suis perdu. Serait-ce la beauté ?



Jacques Ancet, Chronique d’un égarement, Lettres vives.

Photo de Daniel Weisser, http://danielweisser.com/


09/03/2013

Columbiformes, de Fabienne Raphoz

 

(Columbidés)

rikke_500 steven kenny.jpg

 

« …la frayeur m’enveloppe.

Et je t’ai dit : "Qui me donnera un plumage comme à la colombe,

pour que je m’envole et me pose" ? »

(Psaumes, I.V, 7)

 

Les columbidés sont une famille unique

Le Pigeon biset est le pigeon des villes

Le Pigeon des neiges a la tête noire

Le Pigeon violet est japonais

Le Pigeon a tête pâle est violet

La femelle de la Colombe bleutée est couleur terre de Sienne

La femelle de la colombe rouviolette est verte

La femelle de la Colombe rousse n’est pas entièrement rousse

La femelle de la Colombe mondétour n’a pas la gorge brune

La femelle du Ptilope orange est verte

La Colombe du Costa Rica est endémique du Costa Rica et de Panama

La Colombe du Costa Rica a le front chamois

La Colombe à nuque violette a la nuque violette dans toutes les langues

La grosse larme de la Tourterelle à ailes blanches

La petite larme noire de la Tourterelle noire

Le cou zébré de la Tourterelle orientale et de la Tourterelle des bois

Le rose aurore du Pigeon à bec rouge du Pigeon à bec noir du Pigeon simple du Pigeon rousset du Pigeon vineux de la Tourterelle à tête grise de la Tourterelle de Socorro de la Tourterelle oreillarde de la Tourterelle à queue carrée de la Tourterelle des Galapagos du Colombar giouanne du Ptilope porphyre du Carpophage pinon

La Tourterelle turque est une servante accablée

La Tourterelle du Cap est un tsikoloto

Tous les colombars sont des pigeons verts

Tous les pigeons verts sont des colombars ou des ptilopes

Le Colombar de Siebold se désaltère d’eau de mer

[…]

 

Fabienne Raphoz, Jeux d’oiseaux dans un ciel vide augures, éditions Héros-Limite, 2011, p. 81-82.

Tableau de Steven Kenny  © Steven Kenny http://www.stevenkenny.com/

 

Attente, partition, de Sereine Berlottier

 

cy-twombly-5.jpg

   15 mars

 

l’œil qui s’ouvre dans le noir, avant même que la farine de l’ aube ne s’éparpille aux   fenêtres

la peau sait peut-être des choses que tu ignores

les seins laineux, noués et doux

tout bouge et se déplie maintenant

fleurs et balancement dans la tranchée sombre

 

   on continue à vivre

   hameçonnée

   et l’espoir

 

  et tous les lieux où se cacher mal pour dire

   ton corps dedans

   ce puits de rouge

   sur l’émail blanc 

 

   et sa fraîcheur de fraise

   écrasée

   sa pulpe douce

 

   tu n’es pas triste s’il y a à voir, à reconnaître

 

 

Attente, partition, éditions Argol, 2011, p. 119

Tableau de Cy Twombly

23/02/2013

Décembre, de Paul Claudel

Balayant la contrée et ce vallon feuillu, ta main, gagnant les terres couleur de pourpre et de tan que tes yeux là-bas découvrent, s'arrête avec eux sur ce riche brocart. Tout est coi et enveloppé ; nul vert blessant, rien de jeune et rien de neuf  ne forfait à la construction et au chant de ces tons pleins et sourds. Une sombre nuée occupe tout le ciel, dont, remplissant de vapeur les crans irréguliers de la montagne, on dirait qu'il s'attache à l'horizon comme par des mortaises. De la paume caresse ces larges ornements que brochent les touffes de pins noirs sur l'hyacinthe des plaines, des doigts vérifie ces détails enfoncés dans la trame et la brume de ce jour hivernal, un rang d'arbres, un village. L'heure est certainement arrêtée ;  comme un théâtre vide qu'emplit la mélancolie, le paysage clos semble prêter attention à une voix si grêle que je ne la saurais ouïr.

Ces après-midi de décembre sont douces. Rien encore n'y parle du tourmentant avenir. Et le passé n'est pas si peu mort qu'il souffre que rien lui arrive. De tant d'herbe et d'une si grande moisson, nulle chose ne demeure que de la paille parsemée et une bourre flétrie ; une eau froide mortifie la terre retournée. Tout est fini. Entre une année et l'autre, c'est ici la pause et la suspension. La pensée, délivrée de son travail, se recueille dans une taciturne allégresse, et, méditant de nouvelles entreprises, elle goûte, comme la terre, son sabbat.


Paul Claudel, Connaissance de l'Est [1900, 1907 et 1960], préface de Jacques Petit, Poésie / Gallimard, 1974, p. 72

Tableau de John Constable (1778-1873). Huile sur toile. 24,4x39,1 cm . Metropolitain Museum of Art

 

 

Charles Garnier et la couleur

 

 

En 1861, Charles Garnier qui rêve d'un Paris polychrome écrit:

  « (…) je m’imagine le jour où (…) le voisin pourra construire sa maison sans se raccorder avec celle du voisin; les fonds des corniches reluiront de couleurs éternelles, les trumeaux seront enrichis de panneaux scintillants, et les frises dorées courront le long des édifices; les monuments seront revêtus de marbre et d’émaux, et les mosaïques feront aimer à tous et le mouvement et la couleur. Ce ne sera plus le luxe faux et mesquin, ce sera l’opulence, ce sera la sincérité. Les yeux, familiarisés avec toutes ces merveilles de nuances et d’éclat, auront exigé que nos costumes se modifient et se colorent à leur tour, et la ville entière aura comme un reflet harmonieux de soie et d’or… Mais hélas! je jette les regards autour de moi : je vois le ciel gris et sombre, je vois des maisons remises à neuf, je vois des ombres toutes noires qui s’agitent dans des boulevards interminables. Je vois enfin Paris tel qu’il est! et de mon rêve d’artiste je retombe dans la réalité bourgeoise. »


Opéra Garnier

http://www.latribunedelart.com/la-restauration-du-grand-foyer-de-l-opera-de-paris-article00624.html

http://www.latribunedelart.com/achevement-de-la-restauration-du-grand-foyer-de-l-opera-le-decor-de-jules-elie-delaunay-article00626.html

21/02/2013

William Morris et les Arts Décoratifs

 

William Morris
Pimpernel 1876

 

 

William Morris- Medway

C'est en 1861 que l'entreprise de déco­ration Morris, Marshall, Faulkner and Co, est créée , à Londres, et rebaptisée Morris & Co en 1875 quand William Morris en devient le seul propriétaire. Elle tente de retrouver l'esprit des temps médiévaux où« le plus grand artiste restait un artisan ; l'artisan le plus humble était aussi un artiste », écrit Morris. C'est sa grande idée : rehausser les arts décoratifs au niveau des arts dits majeurs, la peinture et la sculpture. Ainsi, pense-t-il, les ouvriers, devenus artisans d'art, libérés de l'esclavage des machines, retrouveront le plaisir de travailler de leurs mains à l'embellissement du monde.

 La firme prospère rapidement car Morris se révèle être un génie de la composition : tirés de la nature, ses motifs de papiers peints et de tissus d'ameublement imprimés à la main surpassent en grâce tout ce que crachent les usines du royaume. On peut admirer l'extraordinaire travail de Morris & Co dans deux salles du Victoria and Albert Museum, à Londres : textile à motif de grive chapardeuse de fraises et tapisseries de Burne-Jones aux visages androgynes et rêveurs, chaise légère à l'assise de paille dessinée par Rossetti, carreaux de céramique... La collection se complète des réalisations de l'Arts and Crafts (art et artisanat), mouvement d'artistes-artisans ému­les de Morris. Il sera à l'origine de l'Art nouveau européen autour de 1900, puis du Bauhaus en Allemagne et du Mouvement moderne de Le Corbusier en France, ce que montre l'historienne Alexandra Midal dans son passionnant livre Design, Introduction à l'histoire d'une discipline.

Papiers peints de William Morrris

Âme d'automne, de Georg Trakl

 

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Dans du vert, profond fauche la faux

Bleu de l'air et jaune des gerbes

Envol de voix qui se moururent

Seule s'écoule une vieille eau.

 

Le soir le noir voyage passe

Sur les brunes collines d'automne

Salut d'argent du miroir d'un étang

Lance le vautour son cri clair et dur.

 

 

Âme  d'automne (première version), Trakl, Poème 1, traduction Jacques Legrand, Flammarion, p 257

Lesser Ury, 34,9 × 49,5 cm  (1900)

17/02/2013

La jeune fille, de Francis Jammes

 

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La jeune fille est blanche,
elle a des veines vertes
aux poignets, dans ses manches
            ouvertes.
 

On ne sait pas pourquoi
elle rit. Par moment
elle crie et cela
            est perçant.
 

Est-ce qu’elle se doute
qu’elle vous prend le cœur
en cueillant sur la route
            des fleurs ?
 

On dirait quelquefois
qu’elle comprend des choses.
Pas toujours. Elle cause
            tout bas.
 

« Oh ! ma chère ! oh ! là là...
... Figure-toi... mardi
je l’ai vu... j’ai rri. » — Elle dit
            comme ça.
 

Quand un jeune homme souffre,
d’abord elle se tait :
et ne rit plus, tout
            étonnée.
 

Dans les petits chemins
elle remplit ses mains
de piquants de bruyères,
            de fougères.
 

Elle est grande, elle est blanche,
elle a des bras très doux.
Elle est très droite et penche
            le cou.

 

De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir (1898). Poésies Gallimard

Tableau d'Ilya Zomb. http://www.zombart.com/

15/02/2013

Hiéroglyphe, de Charles Cros

Marc Leonard IDAHO.jpg

Marc Léonard. Idaho. Acrylique/bois. 60x73 cm A retrouver sur ses sites, et

 

J’ai trois fenêtres à ma chambre :
L’amour, la mer, la mort,
Sang vif, vert calme, violet.

Ô femme, doux et lourd trésor !

Froids vitraux, odeurs d’ambre.
La mer, la mort, l’amour,
Ne sentir que ce qui me plaît…

Femme, plus claire que le jour !

Par ce soir doré de septembre,
La mort, l’amour, la mer,
Me noyer dans l’oubli complet.

Femme! femme! cercueil de chair !

 
Charles Cros, Recueil Le collier de griffes, p 316, Rimbaud, Cros, Corbières, 
Lautréamont, Collection Bouquins

12/02/2013

Le rouge et le vert (Le café la nuit), de Vincent Van Gogh

van gogh le café de la nuit.jpg


Le café la nuit, huile sur toile, 70x89, Yale University Art Gallery


"J’ai essayé d’exprimer les terribles passions de l’humanité au moyen du rouge et du vert."

 

"Dans mon tableau Le Café la nuit, j’ai cherché à exprimer l’idée que le café est un endroit où l’on peut se ruiner, devenir fou, commettre des crimes. Alors j’ai cherché, par des contrastes de rose tendre et de rouge sang, de doux vert Louis XV et Véronèse, contrastant avec les jaune et les vert-bleu durs, tout cela dans une atmosphère de fournaise infernale, de soufre pâle, à exprimer comme la puissance des ténèbres d’un assommoir. 
Et en même temps, avec un apparence de gaieté japonaise et la bonhomie du Tartarin…"


Lettre de Vincent Van Gogh à Théo Van Gogh, du 8 et 9 septembre 1888

10/02/2013

Jardins, (Connaissance de l'est) , de Paul Claudel

Liu Haisu.jpg

Lotus Peak, de Liu Haisu Source


Il est trois heures et demie. Deuil blanc : le ciel est comme offusqué d’un linge. L’air est humide et cru.

J’entre dans la cité. Je cherche les jardins.

Je marche dans un jus noir. Le long de la tranchée dont je suis le bord croulant, l’odeur est si forte qu’elle est comme explosive. Cela sent l’huile, l’ail, la graisse, la crasse, l’opium, l’urine, l’excrément et la tripaille. Chaussés d’épais cothurnes ou de sandales de paille, coiffés du long capuce du foumaoou de la calotte de feutre, emmanchés de caleçons et de jambières de toile ou de soie, je marche au milieu de gens à l’air hilare et naïf.

Le mur serpente et ondule, et sa crête, avec son arrangement de briques et de tuiles à jour, imite le dos et le corps d’un dragon qui rampe ; une façon, dans un flot de fumée qui boucle, de tête le termine. — C’est ici. Je heurte mystérieusement à une petite porte noire : on ouvre. Sous des toits surplombants, je traverse une suite de vestibules et d’étroits corridors. Me voici dans le lieu étrange.

C’est un jardin de pierres. — Comme les anciens dessinateurs italiens et français, les Chinois ont compris qu’un jardin, du fait de sa clôture, devait se suffire à lui-même, se composer dans toutes ses parties. Ainsi la nature s’accommode singulièrement à notre esprit, et, par un accord subtil, le maître se sent, où qu’il porte son œil, chez lui. De même qu’un paysage n’est pas constitué par de l’herbe et par la couleur des feuillages, mais par l’accord de ses lignes et le mouvement de ses terrains, les Chinois construisent leurs jardins à la lettre, avec des pierres. Ils sculptent au lieu de peindre. Susceptible d’élévations et de profondeurs, de contours et de reliefs, par la variété de ses plans et de ses aspects, la pierre leur a semblé plus docile et plus propre que le végétal, réduit à son rôle naturel de décoration et d’ornement, à créer le site humain. La nature elle-même a préparé les matériaux, suivant que la main du temps, la gelée, la pluie, use, travaille la roche, la fore, l’entaille, la fouille d’un doigt profond. Visages, animaux, ossatures, mains, conques, torses sans tête, pétrifications comme d’un morceau de foule figée, mélangée de feuillages et de poissons, l’art chinois se saisit de ces objets étranges, les imite, les dispose avec une subtile industrie.

Le lieu ici représente un mont fendu par un précipice et auquel des rampes abruptes donnent accès. Son pied baigne dans un petit lac que recouvre à demi une peau verte et dont un pont en zigzag complète le cadre biais. Assise sur des pilotis de granit rose, la maison-de-thé mire dans le vert-noir du bassin ses doubles toits triomphaux, qui, comme des ailes qui se déploient, paraissent la lever de terre. Là-bas, fichés tout droit dans le sol comme des chandeliers de fer, des arbres dépouillés barrent le ciel, dominent le jardin de leurs statures géantes. Je m’engage parmi les pierres, et par un long labyrinthe dont les lacets et les retours, les montées et les évasions, amplifient, multiplient la scène, imitent autour du lac et de la montagne la circulation de la rêverie, j’atteins le kiosque du sommet. Le jardin paraît creux au-dessous de moi comme une vallée, plein de temples et de pavillons, et au milieu des arbres apparaît le poème des toits.

Il en est de hauts et de bas, de simples et de multiples, d’allongés comme des frontons, de turgides comme des sonnettes. Ils sont surmontés de frises historiées, décorés de scolopendres et de poissons : la cime arbore à l’intersection ultime de ses arêtes, — cerf, cigogne, autel, vase ou grenade ailée, — emblème. Les toitures dont les coins remontent, comme des bras on relève une robe trop ample, ont des blancheurs grasses de craie, de noirs de suie jaunâtres et mats. L’air est vert, comme lorsqu’on regarde au travers d’une vieille vitre.

L’autre versant nous met face au grand Pavillon, et la descente qui lentement me ramène vers le lac par des marches irrégulières gradue d’autres surprises. À l’issue d’un couloir, je vois les cinq ou six cornes du toit dont le corps m’est dérobé pointer en désordre contre le ciel. Rien ne peint le jet ivre de ces proues fées, la fière élégance de ces pédoncules fleuris qui dirigent obliquement vers la nue chagrine un lys. Pourvue de cette fleur, la forte membrure se relève comme une branche qu’on lâche.

J’ai atteint le bord de l’étang, dont les tiges des lotus morts traversent l’eau immobile. Le silence est profond comme dans un carrefour de forêt l’hiver.

Ce lieu harmonieux fut construit pour le plaisir des membres du « Syndicat du commerce des haricots et du riz », qui, sans doute, par les nuits de printemps, y viennent boire le thé en regardant briller le bord inférieur de la lune.

L’autre jardin est plus singulier.

Il faisait presque nuit, quand, pénétrant dans l’enclos carré, je le vis jusqu’à ses murs rempli par un vaste paysage. Qu’on se figure un charriement de rochers, un chaos, une mêlée de blocs culbutés, entassés là par une mer en débâcle, une vue sur une région de colère, campagne blême telle qu’une cervelle divisée de fissures entre-croisées. Les Chinois font des écorchés de paysages. Inexplicable comme la nature, ce petit coin paraissait vaste et complexe comme elle. Du milieu de ces rocailles s’élevait un pin noir et tors ; la minceur de sa tige, la couleur de ses houppes hérissées, la violente dislocation de ses axes, la disproportion de cet arbre unique avec le pays fictif qu’il domine, — tel qu’un dragon qui, fusant de la terre comme une fumée, se bat dans le vent et la nuée, — mettaient ce lieu hors de tout, le constituaient grotesque et fantastique. Des feuillages funéraires, çà et là, ifs, thuyas, de leurs noirs vigoureux, animaient ce bouleversement. Saisi d’étonnement, je considérais ce document de mélancolie. Et du milieu de l’enclos, comme un monstre, un grand rocher se dressait dans la basse ombre du crépuscule comme un thème de rêverie et d’énigme.



Extrait de Connaissance de l'est, de Paul Claudel. Collection Poésies, Gallimard




27/01/2013

Ballade du dernier amour, de Charles Cros

Pierre Gaudu Nuits Blanches.jpg

"nuit blanche", encres pigments et gouache, 30x40 cm , © pierre gaudu 

(image non diffusable sans son accord)  A retrouver sur son site http://dessin-ivre.blogspot.fr


Mes souvenirs sont si nombreux 
Que ma raison n'y peut suffire. 
Pourtant je ne vis que par eux,
Eux seuls me font pleurer et rire. 
Le présent est sanglant et noir ; 
Dans l'avenir qu'ai-je à poursuivre ? 
Calme frais des tombeaux, le soir !... 
Je me suis trop hâté de vivre.

Amours heureux ou malheureux,
Lourds regrets, satiété pire,
Yeux noirs veloutés, clairs yeux bleus, 
Aux regards qu'on ne peut pas dire, 
Cheveux noyant le démêloir
Couleur d'or, d'ébène ou de cuivre,
J'ai voulu tout voir, tout avoir. 
Je me suis trop hâté de vivre.

 

Je suis las. Plus d'amour. Je veux
Vivre seul, pour moi seul décrire
Jusqu'à l'odeur de tes cheveux,
Jusqu'à l'éclair de ton sourire, 
Dire ton royal nonchaloir, 
T'évoquer entière en un livre 
Pur et vrai comme ton miroir. 
Je me suis trop hâté de vivre.

Envoi

Ma chanson, vapeur d'encensoir, 
Chère envolée, ira te suivre. 
En tes bras j'espérais pouvoir 
Attendre l'heure qui délivre ; 
Tu m'as pris mon tour. Au revoir. 
Je me suis trop hâté de vivre.


Charles cros, Le coffret de Santal, extrait de Rimbaud, Cros, Corbière, Lautréamont, Collection Bouquins, Robert Laffont, p 249-250.

Merci à Pierre Gaudu pour sa confiance dans mes choix.

23/01/2013

Répétition, de Valérie Rouzeau

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 Tableau de Marc Leonard - Séance n°286 - Bienvenue - Acrylique - 146x114 cm.  Lien sur son site

 

On ne connaît pas le cœur des gens

Il est tant mal visible que parfois

On cogne dedans

Quelle misère de prendre le train

Quand au bout i n'y a personne rien

On ne sait pas l'avais des anges

Non plus que des moulins à eau

On se sert un grand verre de vent

De source de pluie des yeux

On ignore comment vivre comme eux

On se sert un grand verre de vin

Dans une maison avec enfants avenir chien

Le quai fait des bruits de chaussures

Le quai fait des bruits de valises à roulettes et des

      bruits d'avant

Le quai est vide vide vide on bute dans l'air

Pardon messieurs dames j'ai cru à un nuage

Vous êtes innombrables qui ne m'êtes personne

Je suis innombrable et comme vous presque rien

Prenons donc un pot amical au lieu d'un pot au noir

       d'un mauvais coup

On ne connaît pas d'autre cœur dans le noir que le

        nôtre et encore

Ni dans le jour non plus alors à la bonne vôtre

Et nous débarquerons sous le soleil battant.

 


Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Le temps qu'il fait,2009, p. 45-46.

Merci à Marc Léonard pour sa confiance.

Merci à Tristan Hordé et à son blog litteraturedepartout.hautetfort.com

20/01/2013

La poussière des tamis..., de Francis Jammes

 

village-de-presles-vers1850-jean-baptiste-corot.jpg

Jean-Baptiste Corot . Le Village de Presles, près de Beaumont-sur-Oise (vers 1850) Huile sur toile . Beden (Suisse), Museum Langmatt 


La poussière des tamis chante au soleil et vole. 
Mets ton épaule et tes cheveux sur mon épaule 
et mes cheveux. L'air est comme l'eau, et les boeufs 
passent dans le matin froid des chemins boueux. 
Les cloches des coteaux verts sonnent le dimanche. 
Tu viens de te lever. Tu es toute blanche. 
Le silence est grand et très doux comme la ligne 
qui monte et descend, dans le ciel, sur les collines. 
On sent qu'on est sain et dans mon esprit bleu, 
je prie, parce que dans le ciel il y a Dieu. 
 
 
Extrait de Vers. (1894), Francis Jammes.(1868-1938)

 

Ma Mère Et Les Livres (Extrait de La maison de Claudine), de Colette

 

Grounded (2005), Julia Ciccarone.jpg

 

Tableau de 2005 de Julia Ciccarone http://www.juliaciccarone.com


La lampe, par l’ouverture supérieure de l’abat-jour, éclairait une paroi cannelée de dos de livres, reliés. Le mur opposé était jaune, du jaune sale des dos de livres brochés, lus, relus, haillonneux. Quelques « traduits de l’anglais » -un franc vingt-cinq -rehaussaient de rouge le rayon du bas.

À mi-hauteur, Musset, Voltaire, et les Quatre Évangiles brillaient sous la basane feuille-morte. Littré, Larousse et Becquerel bombaient des dos de tortues noires. D’Orbigny, déchiqueté par le culte irrévérencieux de quatre enfants, effeuillait ses pages blasonnées de dahlias, de perroquets, de méduses à chevelures roses et d’ornithorynques.

Camille Flammarion, bleu, étoilé d’or, contenait les planètes jaunes, les cratères froids et crayeux de la lune, Saturne qui roule, perle irisée, libre dans son anneau. 

Deux solides volets couleur de glèbe reliaient Élisée Reclus. Musset, Voltaire, jaspés, Balzac noir et Shakespeare olive. 

Je n’ai qu’à fermer les yeux pour revoir, après tant d’années, cette pièce maçonnée de livres. Autrefois, je les distinguais aussi dans le noir. Je ne prenais pas de lampe pour choisir l’un d’eux, le soir, il me suffisait de pianoter le long des rayons. Détruits, perdus et volés, je les dénombre encore. Presque tous m’avaient vue naître.

Il y eut un temps où, avant de savoir lire, je me logeais en boule entre deux tomes du Larousse comme un chien dans sa niche. Labiche et Daudet se sont insinués, tôt, dans mon enfance heureuse, maîtres condescendants qui jouent avec un élève familier. Mérimée vint en même temps, séduisant et dur, et qui éblouit parfois mes huit ans d’une lumière inintelligible. Les Misérables aussi, oui, les Misérables -malgré Gavroche; mais je parle là d’une passion raisonneuse qui connut des froideurs et de longs détachements. Point d’amour entre Dumas et moi, sauf que le Collier de la Reine rutila, quelques nuits, dans mes songes, au col condamné de Jeanne de la Motte. Ni l’enthousiasme fraternel, ni l’étonnement désapprobateurs de mes parents n’obtinrent que je prisse de l’intérêt aux Mousquetaires. . .


Colette, La maison de Claudine, Livre de poche

 

13/01/2013

Madonna mia, d'Oscar Wilde

 

Dante Gabriel Rossatti, Jane Morris, la robe de soie bleue, 1868

 Jane Morris, la robe de soie bleue, peint en 1868 par Dante Gabriel Rossetti, huile sur toile (110,5 x 90,2 cm), Musée d'Orsay,The Society of Antiquaries, Londres,Kelmscott Manor Collection


Une fillette, un lis, inapte à la douleur du monde,

Cheveux bruns et soyeux tressés autour de ses oreilles,

Aux yeux charmeurs voilés de larmes folles,

Telle une eau d'un bleu pur dans un brouillard de pluie,

 

Et des joues pâles ignorantes des baisers,

Lèvres rouges qui ont toujours craint l'amour,

Gorge aussi blanche que gorge de colombe,

Sur le marbre de laquelle s'inscrit une veine de pourpre.

 

Pourtant, bien que mes lèvres ne cessent de te louer,

Je n'ose même pas embrasser ton pied,

Tant je suis assombri par les ailes de la peur,

 

Tel Dante, se tenant auprès de Béatrice,

Sous le poitrail en feu du Lion, lorsqu'il vit

La septième splendeur et l'escalier d'or (1).

 

Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard Delvaille, dans op. cité., p. 13.

1 Allusion à un passage de Dante (Le Paradis, XXI, 13-15) : « Nous sommes élevés à la septième splendeur, / qui, sous le poitrail du lion ardent, / mêle maintenant ses rayons au siens » (traduction de Jacqueline Risset, Flammarion, 1996) [Note de la Pléiade, p. 1576].


05/01/2013

La petite sirène, de Hans Christian Andersen

 

Aquarelle d'Emil Nolde.jpg

Aquarelle d'Emil Nolde

 

Tout le ciel, disait-elle à son retour, ressemblait à de l’or, et la beauté des nuages était au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. Ils passaient devant moi, rouges et violets, et au milieu d’eux volait vers le soleil, comme un long voile blanc, une bande de cygnes sauvages. Moi aussi j’ai voulu nager vers le grand astre rouge ; mais tout à coup il a disparu, et la lueur rose qui teignait la surface de la mer ainsi que les nuages s’évanouit bientôt. 


Contes d'Andersen, traduction par David Solti




01/01/2013

Connais-tu le pays, air de Mignon, musique de Ambroise Thomas, d'après un texte de Goethe

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Connais-tu le pays où fleurit l'oranger? 

Le pays des fruits d'or et des roses merveilles, 

Où la brise est plus douce et l'oiseau plus léger, 

Où dans toute saison butinent les abeilles, 

Où rayonne et sourit, comme un bienfait de Dieu, 

Un éternel printemps sous un ciel toujours bleu! 

Hélas! Que ne puis-je te suivre 

Vers ce rivage heureux d'où le sort m'exila!

C'est là! C'est là que je voudrais vivre,

Aimer, aimer et mourir! 

C'est là que je voudrais vivre, c'est là, oui, c'est là! 


Connais-tu la maison où l'on m'attend là-bas? 

La salle aux lambris d'or, où des hommes de marbre 

M'appellent dans la nuit en me tendant les bras? 

Et la cour où l'on danse à l'ombre d'un grand arbre? 

Et le lac transparent où glissent sur les eaux 

Mille bateaux légers pareils à des oiseaux? 

Hélas! Que ne puis-je te suivre 

Vers ce pays lointain d'où le sort m'exila! 

C'est là! C'est là que je voudrais vivre,

Aimer, aimer et mourir! 

C'est là que je voudrais vivre, c'est là, oui, c'est là!


Mignon est une tragédie lyrique en 3 actes et 5 tableaux, musique d'Ambroise Thomas,  livret de Jules Barbier  et Michel Carré d'après Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe.

Tableau de Pierre Bonnard, "Fenêtre ouverte sur la Seine" (Vernon), 1911/12. Huile sur toile, 78 × 105,5 cm. Musée des Beaux-Arts de Nice. (PHOTO: MURIEL ANSSENS © VILLE DE NICE© 2012, PROLITTERIS, ZURICH)

 

27/12/2012

Larme, d'Arthur Rimbaud

 

ZAO WOU-KI, GRAVURE ET AQUATINTE N ° 252.jpg

ZAO WOU-KI, Eau-forte et aquatinte numéro 252, 56 x 76 cm, 1974 

 

Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Je buvais, accroupi dans quelque bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d’après-midi tiède et vert.

Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,
Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert.
Que tirais-je à la gourde de colocase ?
Quelque liqueur d’or, fade et qui fait suer.

Tel, j’eusse été mauvaise enseigne d’auberge.
Puis l’orage changea le ciel, jusqu’au soir.
Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches,
Des colonnades sous la nuit bleue, des gares.

L’eau des bois se perdait sur des sables vierges,
Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares…
Or ! tel qu’un pêcheur d’or ou de coquillages,
Dire que je n’ai pas eu souci de boire !

Mai 1872

Arthur Rimbaud, Derniers vers